La liberté d’investissement en Tunisie, Tunisie, entre réglementation et régulation Neila Chaâbane
Dans un contexte économique aussi délicat que celui actuellement traversé par le monde, les pouvoirs publics ne cessent de réfléchir aux moyens pour sortir de la crise et pour en limiter les effets. Commencé aux Etats Unis, cette crise s’est étendue petit à petit aux autres Etats, conséquence logique de la mondialisation. Même les Etats dont l’ouverture des marchés financiers est limitée ont fini par ressentir les effets de la crise sur les secteurs de leur économie en liaison directe avec les marchés étrangers. Le tourisme, la sous-traitance dans les secteurs automobiles et autres produits de consommation courante ont été parmi les plus touchés. Dépassés par la logique du marché, les Etats redécouvrent les vertus de la réglementation de l’économie, notamment dans le domaine financier. La question qui se pose est alors jusqu’où pousser ce souci de poser des règles ou de revenir à une réglementation par l’Etat de l’économie, surtout que les Etats sont inégaux face au mouvement de déréglementation ? Certains Etats sont même loin de s’être totalement engagés sur cette voie. La Tunisie constitue sans être la seule dans son cas, un exemple de ces Etats qui sont encore fortement présent dans le domaine économique par le moyen d’une réglementation fournie et détaillée. L’investisseur disposé à engager des fonds se retrouve face à une multitude de textes posant les conditions et les modalités de réaliser son investissement. L’investissement, qu’il soit physique ou financier est soumis à une réglementation particulièrement « pointilleuse ». L’examen du cadre juridique de l’investissement en Tunisie, n’est pas une tâche facile même pour des spécialistes du domaine. Ce cadre se caractérise par une certaine ambivalence entre liberté et rigueur ou contrainte1. La liberté, terme protéiforme signifie aussi bien l’absence de contrainte que la possibilité de penser, d’agir et de s’exprimer selon ses propres choix, qu’un droit reconnu par la loi dans certains domaines, qu’enfin l’état de ce qui n'est pas étroitement contrôlé, de ce qui n’est pas soumis à une
Dans le sens d’obligation créée par les règles en usage dans un milieu, par les lois propres à un domaine, par une nécessité, etc
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réglementation sévère. Quel que soit le sens que l’on retienne, la liberté est loin d’être réalisée dans le domaine de l’investissement. Certes, l’investisseur a la possibilité d’agir dans le domaine économique en mobilisant des fonds en vue de les placer afin de réaliser des profits. Mais la mise en œuvre de cette décision est soumise à de nombreuses conditions. L’investissement, opération qui permet d’accroitre et de renouveler le capital d’une économie, peut être l’œuvre du secteur public ou privé, national ou étranger. L’entreprise moderne cherche à développer son activité aussi bien dans son pays qu’à l’étranger. Elle est à la recherche des territoires les plus accueillants, ceux qui lui offrent les conditions de développement de son activité et de réalisation du maximum de bénéfices. La réalité de l’entreprise est complexe. De la petite entreprise au groupe multinational, l’investissement doit être promu et encouragé par des outils adaptés pour le capter et le garder. L’Etat a intérêt à développer et promouvoir aussi bien l’investisseur local, promoteur individuel ou entreprise plus structurée, que l’investisseur étranger à la recherche de conditions plus favorables que celles de son pays d’origine. Cette problématique est commune à tous les Etats, développés, émergents, en voie de développement, qu’ils soient ou non intégrés dans des regroupements régionaux. Les Etats essayent d’adopter les législations les plus favorables et se livrent à une concurrence effrénée au point que des organismes internationaux comme l’OCDE, l’Union européenne ont dénoncé le phénomène de concurrence déloyale et essayé de mettre en place les mécanismes pour limiter cette concurrence2 surtout dans un contexte aussi délicat que celui de cette dernière année. Plus que jamais l’investissement et la promotion de l’investissement constituent des soucis majeurs de l’Etat. Plus que jamais, ils balancent entre la volonté d’attirer l’investissement en garantissant la liberté d’investir mais aussi le souci d’encadrer l’investissement par un certain nombre de règles qui maintient un droit de regard et même parfois une action plus volontariste d’orientation de l’investissement par l’Etat. La Tunisie est assez représentative de cette volonté des Etats de promouvoir l’investissement privé, moteur du développement économique du pays. Elle a mis en place une législation pour attirer et encourager les investissements. Cette législation mue par l’objectif louable d’inciter les investisseurs aussi bien nationaux qu’étrangers à choisir la Tunisie comme terre d’accueil de leurs 2
OCDE « Projet de l’OCDE sur les pratiques fiscales dommageables » Rapport d’étape, 2004 ; 2006 ; « Vers une coopération fiscale globale », 2000 ; « Coopération fiscale 2009, vers l’établissement de règles du jeu équitables » ; ECOFIN « Le code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises », 1999 ; « Rapport sur les actions dans le domaine des aides fiscales » 2004
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investissements plutôt qu’un autre pays, est parfois perçue par l’investisseur comme un frein ou un obstacle à sa décision. Elle est perçue comme trop formaliste, procédurière, compliquée, voire même parfois difficile d’accès. A vouloir bien faire, en offrant des mesures avantageuses pour l’investissement la Tunisie en aurait-elle trop fait ? C’est le sentiment qui se développe chez certains investisseurs aussi bien tunisiens qu’étrangers confrontés aux multiples étapes de création de leur projet. Du coté des pouvoirs publics, la multiplicité et la multiplication des textes adoptées sont justifiées par la nécessité de s’adapter aux spécifiés des différents secteurs d’activités, d’accorder et d’ajuster les mesures offertes aux besoins et aux changements de l’environnement de l’entreprise, d’offrir le meilleur climat à l’investissement tout en tenant compte des impératifs de sécurité nationale, d’ordre public, d’intérêt général. Cette problématique n’est pas propre à la Tunisie. Elle est rencontrée par plusieurs pays de la région, qui offrent plus ou moins un certain nombre de mesures analogues aux mesures tunisiennes. L’Etat, tout en se désengageant directement de plusieurs secteurs de l’économie reste fortement présent à travers la législation mise en place pour encadrer l’investissement privé, mais n’est-il pas temps pour la Tunisie de desserrer le carcan législatif et réglementaire de l’investissement, en vue d’atteindre justement l’objectif d’attirer et de conserver les entreprises ? La liberté d’investissement est clairement affichée proclamée par d’importants textes juridiques. Le code d’incitations aux investissements3 dans son article 2 dispose : « Les investissements dans les activités prévues à l’article premier du présent code sont réalisés librement… » La loi sur l’initiative économique4 plus récemment rappelle avec plus de vigueur, dans son article premier que: « L'initiative économique constitue une priorité nationale à la consécration de laquelle œuvrent tous les acteurs économiques et sociaux dans le cadre de la garantie du principe d'égalité des chances et sur la base de la liberté comme principe et de l'autorisation comme exception. » Ces dispositions de principe sont toutefois et immédiatement suivies de conditions d’exercice nombreuses et cumulatives qui interpellent et qui posent la question de savoir ce qui reste en définitif de la liberté d’investissement aussi solennellement proclamée. Le même article premier de la loi sur l’initiative économique ajoute dans un second alinéa : « Sous réserve des dispositions législatives particulières, la liste des activités soumises à autorisation préalable est fixée par décret. » L’investisseur désireux soit de créer, soit d’agrandir, soit de modifier son projet d’investissement est confrontée en l’état actuel des choses à une pléthore de 3 4
Ci-dessous désigné par CII Loi n°2007-69 du 27 décembre 2007 relative à l’initiative économique
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textes qui organisent les conditions d’exercice de l’investissement. Certes, encore une fois, la Tunisie n’est pas la seule dans son cas. Cependant, le fait de participer à un phénomène général ne justifie pas la situation tunisienne. Pour attirer les investisseurs, il faudrait se démarquer des autres, mais la question pour les pouvoirs publics est de trouver la juste mesure entre assurer la liberté d’investissement et sauvegarder en même temps l’intérêt général du pays, en empêchant les dérives qui risquent de se produire en levant toute réglementation sur l’investissement, surtout qu’au niveau international le choix de la libéralisation n’est pas remis en cause5. Le temps est venu de passer de la réglementation vers la régulation de l’investissement. Le constat qui s’impose aujourd’hui est que l’investisseur en Tunisie est confronté à un cadre juridique rigoureux(I) alors que ses attentes vont dans le sens d’une simplification de la législation dont certaines prémisses se dessinent déjà mais qui doit se poursuivre et se concrétiser encore plus (II).
I – Un cadre juridique juridique contraignant contraignant pour l’investisseur L’investisseur est confronté en Tunisie, à un cadre contraignant par ses sources (A) et par son contenu (B).
A – Un cadre aux sources multiples Pour réaliser un investissement, une fois sa décision arrêtée, l’investisseur doit être incontestablement bien conseillé pour se retrouver dans le dédale des textes organisant l’investissement. La Tunisie, à l’instar des pays en développement et même certains Etats développés a mis en place une législation pour attirer les investisseurs aussi bien nationaux qu’étrangers et cela depuis plusieurs décennies. Certains textes importants jalonnent cet effort. Un des premiers est sans aucun doute le code des investissements du 26 juin 1969, qui a été relayé par des codes sectoriels avant d’être remplacé par le code d’incitations aux investissements du 27 décembre 1993. Plus récemment, il convient de signaler la promulgation de la loi relative à l’initiative économique en 2007. Afin d’être exhaustif, il n’est pas possible de se limiter aux textes législatifs car il y a aussi différents textes réglementaires.
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OCDE « La liberté d’investissement, la sécurité nationale et les secteurs stratégiques. Rapport du comité de l’OCDE » Paris, 2008.
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1- Des textes législatifs nombreux La volonté de mettre en exergue les efforts de l’Etat dans la promotion de l’investissement se traduit souvent, par l’adoption de code d’investissement. La Tunisie s’inscrit dans ce mouvement commun à plusieurs pays de la région qui disposent aussi de code d’investissements : l’Algérie, l’Egypte, la Côte d’Ivoire, le Sénégal… le Maroc a adopté depuis 1995 « La Charte de l’investissement »6 La législation relative à l’investissement ne se limite toutefois pas au texte spécifique à l’investissement. Il faut tenir compte souvent de la législation de droit commun. -
Les textes spécifiques à l’investissement
Le CII entré en vigueur le 1er janvier 1994, texte consacré à la promotion de l’investissement est loin d’être le seul et unique texte qui réglemente l’investissement en Tunisie, car il n’a pas vocation à s’appliquer à tous les secteurs. L’article premier du code énumère la liste des secteurs d’activités qui ont vocation à être organisés par le code et donc à bénéficier des mesures prévues par le code7. Les secteurs non visés par le CII sont régis par des textes spécifiques comme le commerce8, les services financiers9, carrières10, hydrocarbures11. Un régime spécifique est aussi prévu pour les entreprises installées dans les parcs d’activités économiques, nouvelle dénomination des zones franches12. Cette législation dont l’objet est la promotion et l’organisation de l’investissement est loin d’être exhaustive, car l’investisseur doit tenir compte aussi d’un certain nombre de lois qui participent au cadre juridique de l’investissement et qui peuvent soit participer à la concrétisation de son idée, soit se transformer en frein à celle-ci.
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Loi cadre N°18-95 du 8 novembre 1995
7 Il s’agit de l’agriculture et de la pêche, les industries manufacturières, les travaux publics, le tourisme, l’artisanat, le transport, l’éducation et l’enseignement, la formation professionnelle, la production et les industries culturelles, l’animation pour les jeunes et l’encadrement de l’enfance, la santé, la protection de l’environnement, la promotion immobilière, les activités et les services finances. 8 Loi n°94-42 du 7 mars 1994 modifiée par la loi n°96-59 du 6 juillet 1996 et 98-102 du 30 novembre 1998. 9 Loi n°85-108 du 6 décembre 1985 abrogée par la loi n°2009-64 du 12 août 2009 portant promulgation du code de prestation des services financiers aux non-résidents. 10 Loi n°89-20 du 22 février 1989 réglementant l’exploitation des carrières 11 Loi n°99-93 du 17 août 1999 portant promulgation du code des hydrocarbures 12 Loi n°92-81 du 3 août 1992 et modifiée par la loi n°94-14 du 31 janvier 1994 et n°2001-76 du 17 juillet 2001.
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Doublés des textes de droit commun
Indépendamment du secteur choisi, l’investisseur s’il choisit la forme sociétaire doit tenir compte des dispositions du CSC13 pour la création de sociétés. Il doit aussi veiller à prendre connaissance de la législation fiscale avec ses différents codes fiscaux. Avant d’entamer toute activité, le code de l’IRPP et de l’IS prévoit un certain nombre d’obligations déclaratives, celui des droits d’enregistrement et de timbre, l’acquittement de l’impôt sur l’enregistrement des actes constitutifs de la société, du contrat d’acquisition du local d’exercice de l’activité… de la législation sur la sécurité sociale pour ses obligations en tant qu’employeur. Si l’investisseur est étranger, il doit tenir compte de la législation des changes, du commerce extérieur, douanière. La législation tunisienne garantit le droit de l’investisseur de transférer ses bénéfices. Il en de même pour l’investisseur tunisien qui voudrait développer son activité au-delà des frontières et qui est confronté à la difficulté du verrou des changes qui s’ouvre péniblement devant lui. Il ne faut pas non plus omettre les conventions internationales dont l’intérêt est important pour les investisseurs étrangers en Tunisie ou tunisiens qui s’installent à l’étranger. La Tunisie a conclu ainsi des conventions de protection de l’investissement. Elles sont bilatérales mais aussi multilatérales comme la convention inter-arabe de protection de l’investissement. Il y a aussi les conventions tendant à éviter la double imposition. Quarante six de ces dernières sont entrées en vigueur. Elles permettent de limiter les risques de double imposition en cas de délocalisation des investissements. Le droit d’imposition est attribué à un seul Etat ou au moins l’impôt acquitté dans l’Etat de la source est déductible de l’impôt dû dans l’Etat de résidence. Face à une telle réglementation, la croyance de l’investisseur en la liberté d’investissement ne peut être que fortement ébranlée, d’autant que ces textes sont souvent soumis à de multiples modifications. -
Des modifications incessantes
La mobilité des textes organisant et encadrant l’investissement traduit la nécessité pour les pouvoirs publics d’adapter la législation au contexte socioéconomique qui ne cesse de se transformer. Pour légitime et nécessaire que soit ce souci, il se traduit pour l’investisseur par une législation complexe et diversifiée, difficile à appréhender. A titre d’exemple, le CII a été modifié à dix huit reprises, la portée des modifications est différente. Chaque loi de finances apporte son lot de
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Code des sociétés commerciales promulgué par la loi n°2000-93 du 3 novembre 2000.
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modifications soit du code d’incitations14, soit des autres textes législatifs, quand ce n’est pas par des lois intervenant en cours d’année15. Le même phénomène est observé par exemple en Algérie. L'ordonnance n°06-08 du 15 juillet 2006 a modifié et complété l'ordonnance n°01-03 du 20 Août 2001 relative au développement de l'investissement. Certaines modifications ont eu un impact plus important sur l’investisseur que d’autres, même si aucune n’a remis en cause le principe de la liberté d’investissement. Ainsi, à titre d’exemple, en est-il des modifications relatives au régime définitif de l’exportation, devant mettre fin à l’exonération des bénéfices tirés de l’exportation durant les dix premières années16. Le code de l’IRPP et l’IS qui regroupe des dispositions relatives à l’investissement a vu aussi ses dispositions amendées à plusieurs reprises. L’article 39 et son équivalent l’article 48 pour les personnes morales soumises à l’IS fait sans cesse l’objet de modifications pour adapter notamment le champ d’application des déductions pour réinvestissement. Les exemples peuvent être multipliés. Le CSC pourtant de date récente a été déjà modifié à six reprises, en tenant compte de celle de 2009. Certes, l’investisseur ne va pas être confronté à tous ces textes en même temps mais il sera au minimum confronté au CII ou au texte qui organise son secteur d’activité, aux différents codes fiscaux, au CSC s’il s’agit d’une société et à la loi organisant le métier, à la loi sur la sécurité sociale ; des textes multiples parfois nécessaires, parfois injustifiés. Ainsi, pourquoi ne pas avoir opté pour un code unique d’incitations aux investissements pour tous les secteurs de l’activité économique surtout si c’est pour inclure ces dispositions dans le code de l’IRPP et de l’IS ou dans une loi spécifique comme celle sur les sociétés de commerce international ? Les textes législatifs sont certes abondants, mais leur nombre au final est limité et l’accès en est facilité par la publication au journal officiel. Les difficultés de l’investisseur ont aussi et surtout pour origine les textes d’applications des dispositions législatives. Les lois ne sont en effet pas « auto-suffisantes ».
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Loi n° 2008-77 du 22/12/2008, portant loi de finances pour l'année 2009: assouplissement de la transmission des entreprises bénéficiaires d'avantages financiers et fiscaux en cas d'engagement de poursuivre l'activité - Art. 16 supprimant et remplaçant les dispositions du dernier paragraphe de l'article 53 du code d'incitation aux investissements ; Loi n° 2006-85 du 25/12/2006, portant loi de finances pour l'année 2007: encouragement de la création de projets dans les activités prometteuses - Art. 27 ajoutant au code d'incitation aux investissements un article 52 quinquies 15 Loi n° 2001-82 du 24/07/2001, portant modification du code d'incitation aux investissements promulgue par la loi n° 93-120 du 27 décembre 1993 - Art. 1 ajoutant au code d'incitations aux investissements les articles 42 bis et 52 ter 16 Loi n°2006-80 du 18 décembre 2006 relative à la réduction des taux de l’impôt et à l’allégement de la pression fiscale sur les entreprises.
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2- Des textes réglementaires en cascade Si les textes législatifs sont nombreux, leurs textes d’application le sont encore plus. Les différentes lois citées renvoient toutes, soit à des décrets d’applications, soit à des arrêtés qui renvoient eux même parfois à d’autres arrêtés. Ces textes réglementaires sont indispensables à l’application de la loi. Sans décret ou arrêté d’application, la disposition législative peut rester lettre morte. Un exemple peut illustrer cette relation indéfectible entre loi et texte d’application. Quelle serait l’utilité de l’article 2 du CII sans son décret d’application ? Ou encore comment appliquer l’article 6 du même code concernant la fixation du taux minimum de fonds propres ? Si les décrets et arrêtés prévoient les conditions d’application de la loi, ils sont loin d’être les seules. Il y a aussi la longue liste des circulaires, notes internes, notes communes, instructions…, les dénominations divergent d’une administration à l’autre, que rencontre l’investisseur lorsqu’il commence à concrétiser la réalisation de son investissement et que l’administration lui oppose. Grâce à ces mesures, l’administration peut exiger des conditions qui ne trouvent pas leur source dans les textes qu’elles sont censées appliquer et qui n’ont pour but que d’assurer l’exécution de la loi. Un seul exemple sera cité. Il s’agit de l’accord de principe qui est exigé pour les investissements dans le secteur du tourisme, alors que la loi sur les investissements touristiques ne traite que d’une autorisation préalable et d’une autorisation définitive. Outre la problématique juridique de la valeur de cette doctrine de l’administration et même si l’investisseur ne cherche pas à la contester, il y a celui de son accessibilité et qu’il ne découvre parfois que lorsqu’il va déposer son dossier auprès des services concernés. Si la loi, le décret, l’arrêté sont publiés au Journal Officiel de la république Tunisienne, ce n’est pas le cas de la plupart de ces mesures. Il convient de réserver le cas des circulaires de la BCT qui sont publiées au JORT mais pour le reste, seules certaines administrations publient en partie leur doctrine. C’est le cas par exemple de l’administration fiscale ou celle de la douane. L’investisseur est souvent obligé d’obtempérer et de remplir les conditions qu’ils ne découvrent que lorsqu’il doit remplir un formulaire et qu’il doit satisfaire à ces nouvelles exigences qui conditionnent le devenir de son projet. Certains investisseurs sont parfois, contraints d’abandonner leur idée faute de pouvoir
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remplir certaines de ces conditions. La liberté d’investissement s’efface alors face à des exigences bureaucratiques. La bureaucratie demeure un des points faibles de l’environnement de l’investissement en Tunisie. La consultation de certains sites qui évaluent les conditions de l’investissement dans différents pays en mettant en balance les avantages et les inconvénients relèvent la bureaucratie comme point faible de la Tunisie, face pourtant à de multiples avantages même si c’est le lot aussi de plusieurs autres pays17. La multiplication des textes et leur succession dans le temps, si elles traduisent l’intérêt du législateur pour promouvoir l’investissement révèlent aussi les limites des textes antérieurs tant au niveau de l’ampleur des avantages accordés que sur la problématique de la liberté d’investir. Ces textes posent en effet de rigoureuses conditions à l’investisseur qui finit par s’interroger sur sa liberté d’investir.
B- Des Des conditions rigoureuses d’exercice de l’investissement L’article 2 du code d’incitations aux investissements proclame explicitement que les investissements sont réalisés librement et l’intention de libérer l’investissement est présente et manifeste au niveau des textes législatifs mais aussi des discours officiels des différents organismes opérant dans le domaine de l’investissement18. La concrétisation de cette volonté est loin d’être réalisée. L’article 2 annonce la couleur et traduit toute l’ambiguïté du cadre juridique de l’investissement en Tunisie. D’un coté la liberté est le principe proclamé mais il est tout de suite assorti de limites puisque les investissements doivent satisfaire aux conditions d’exercice prévues par la législation et la réglementation en vigueur. Ces conditions vont de la déclaration à la prohibition. Afin d’obtenir le sésame de l’investissement, il doit s’adresser au bon interlocuteur. 1- Des secteurs libérés, minoritaires Même si l’expression agrément semble avoir disparu de la législation tunisienne, elle a été remplacée par celui de déclaration et d’autorisation préalable. L’article premier du code d’incitations aux investissements tout en ayant affirmé dans son alinéa premier que les investissements sont réalisés librement, se hâte dans l’alinéa second et troisième de limiter cette liberté en exigeant pour tous les 17
Ainsi la France est considérée parmi les pays européens comme un des pays les plus formalistes. Le Wall Street Journal et Heritage Foundation publient chaque année un "index de liberté économique" qui place la France en 64ème position sur 179 pays. 18 Ainsi, à titre d’exemple, il est possible de lire sur le site officiel de l’API et du FIPA que l’investissement est libre.
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investissements une déclaration d’investissement et pour certains d’entre eux dont la liste a été modifiée en plusieurs occasions par l’ajout de nouvelles activités19, une autorisation préalable. Il convient de relever que dans la pratique la distinction entre le régime de la déclaration et celui de l’autorisation n’est pas nette. Alors que le régime de la déclaration suppose la non-interférence de l’administration et le simple enregistrement de l’investissement, les services compétents n’accordent le récépissé de déclaration qu’après examen du dossier. Quant aux secteurs soumis à autorisation préalable, leur liste est fixée par le décret n°94-492 du 28 février 1994, liste qui s’est enrichie au fil du temps pour les investissements entrant dans le champ d’application du CII. Pour les secteurs non soumis au CII, comme le commerce, il faut se référer aux différents textes organisant les activités commerciales et dont certaines sont encore soumises à l’autorisation préalable comme pour les concessionnaires de matériel de transport routier ou de marchand de boissons alcoolisées. De plus, si la participation étrangère dépasse 50%, dans certains secteurs de services, l’approbation de la commission supérieure d’investissement est nécessaire, lorsque l’activité n’est pas totalement exportatrice. Au final, après l’examen de la liste prévue par le décret de 1994, les secteurs libérés semblent bien minoritaires. Que reste-t-il ? L’industrie apparemment car pour une dernière catégorie d’investissements, c’est l’agrément qui est exigée. Le législateur a en effet, maintenu l’agrément pour certains secteurs Il en est ainsi de l’investissement dans le secteur touristique qui est soumis à l’obtention préalable de l’accord du ministre du tourisme et pourtant le tourisme est un secteur vital pour l’économie tunisienne. L’article 6 du code des investissements touristiques20 maintenu par le CII dispose clairement que : « Toute personne physique ou morale désirant effectuer un investissement touristique en vue de réaliser la création, l’extension, la transformation ou l’aménagement d’un projet touristique, doit solliciter et obtenir préalablement, l’accord du ministre chargé de la tutelle du secteur touristique. Le ministre peut toutefois déléguer ses pouvoirs au directeur général de l’ONTT ». Le futur investisseur doit présenter un dossier répondant à un certain nombre de conditions qui sont en partie prévues par la loi et en partie par des règlements et solliciter l’acceptation du ministre des finances via l’ONTT. Une fois cette étape franchi, il devra aussi dans un délai d’un an solliciter l’accord définitif de son projet. Aussi bien pour l’accord préalable que pour l’accord définitif, la loi 19 20
Il vient d’être modifié encore une fois par le décret n°2009-2751 du 28 septembre 2009 Loi n°90-21 du 19 mars 1990 portant promulgation du code des investissements touristiques
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envisage la possibilité d’un refus de l’accord par les autorités compétentes21. Même si le terme agrément n’est pas utilisé par la loi, la procédure n’en est pas différente. Cependant, il convient de relever que d’autres lois récentes n’ont pas banni le terme agrément. Un des secteurs les plus contrôlés en Tunisie demeure sans conteste le secteur financier. L’investissement dans le secteur financier malgré l’intervention de législations récentes22 et malgré son importance pour l’économie est largement contrôlé. La création d’établissement de crédits soit sous forme d’établissement bancaires soit d’établissements financiers est soumise à l’agrément23 du ministre des finances sur rapport de la Banque Centrale de Tunisie. Il en est de même pour les prises de participation dans le capital de telles sociétés. Ces sociétés englobent aussi bien les banques, que les établissements de leasing que de factoring. Les conditions dépendent du type d’établissement envisagé mais l’agrément reste la pierre angulaire de cette législation. L’agrément est également requis pour investir dans le secteur de la promotion immobilière. L’article 6 de la loi relative à la promotion immobilière24 dispose expressément : « Pour exercer les activités définies à l’article premier de la présente loi, les promoteurs immobiliers doivent être préalablement agréés ». Les conditions d’octroi de l’agrément ont été fixées par l’article 7 de cette loi et par un arrêté du ministre chargé de l’habitat25. Les hydrocarbures font l’objet de la même attention et rigueur de la part des pouvoirs publics. Aussi bien la prospection que la recherche et l’exploitation ne peuvent être entrepris qu’en vertu d’un titre des hydrocarbures délivré par le ministre chargé des hydrocarbures, en l’occurrence celui de l’industrie, de l’énergie, des petites et moyennes entreprises. Le titre peut prendre la forme d’une autorisation de prospection d’un permis de prospection, de recherche ou de la concession d’exploitation26. Un régime similaire est prévu dans le domaine minier27. Le code des mines prévoit aussi que cette activité ne peut être effectuée qu’en vertu d’un titre des mines qui peut être soit une autorisation de prospection, soit un permis de recherche, soit une concession d’exploitation délivrés par le ministre chargé des 21
Articles 7 et 8 des dispositions maintenues par le CII du code des investissements touristiques Loi n°2001-65 du 10 juillet 2001 relative aux établissements de crédits modifiée et complétée par la loi n°2006-19 du 2 mai 2006. 23 Article 7 de la loi relative aux établissements de crédits 2001-65 du 10 juillet 2001. 24 Loi n°90-17 portant refonte de la législation relative à la promotion immobilière. 25 Arrêté du ministre de l’équipement et de l’habitat du 27 novembre 1991. 26 Article 6 du code des hydrocarbures promulgué par la loi n°99-93 du 17 août 1999. 27 Le code minier a été promulgué par la loi n°2003-30 du 28 avril 2003. 22
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mines. Cette liste n’est pas exhaustive, seuls quelques exemples ont été retenus pour illustrer notre propos. Au vu de ces exigences, il apparait que certaines activités sont exclues du régime de la liberté et même celles qui bénéficient du régime de liberté sont assorties de conditions qui en limitent au final largement la portée. Dans les autres pays de la région Afrique du nord la situation est très comparable en Algérie28, même si elle semble au Maroc, plus claire. La liberté est le principe et seuls certains secteurs stratégiques touchant directement à l'exploitation de ressources stratégiques sont protégés. Cette ambiguïté ne peut que nuire au climat de l’investissement puisque l’entrepreneur qui décide de tenter l’aventure de l’investissement est confronté à une pléthore de textes et de conditions et aux organes chargés de veiller au respect de ces conditions. 2- Une diversité des organismes intervenant en matière d’investissement En fonction du secteur choisi par l’investisseur, la loi a prévu son interlocuteur privilégié qui est cependant, loin d’être l’unique. Ainsi, selon le secteur, il peut s’agir de l’API, de l’APIA, de l’ONTT, du ministère des finances, de l’industrie, de l’équipement… La Tunisie en recourant à des organismes spécialisés emprunte la même voie que ses voisins. En Algérie, il s’agit de l’ANDI, au Maroc de l’AMDI, en Egypte du GAFI… Il faut préciser, pour le cas tunisien, que si le décret n°94-492 du 28 février 1994 prévoit dans son article 2 les services auprès desquels l’investisseur doit déposer sa déclaration d’investissement afin d’obtenir son attestation de dépôt, mais cette liste n’est pas exhaustive. Ainsi, en matière de promotion immobilière, la demande d’agrément doit être déposée auprès de la direction de l’habitat, même si la déclaration d’investissement doit être déposée auprès des services de l’API. Pour les services financiers, la demande doit être adressée à la Banque centrale conformément à l’article 8, nouveau de la loi sur les établissements de crédit29. Pour les hydrocarbures, il faut s’adresser aux services du ministère chargé des hydrocarbures puisque l’autorisation et le permis de prospection ou de recherche La forme est différente, le décret fixe la liste des activités exclues du champ d’application de la loi sur l’investissement. 29 Modifié par la loi n°2006-19 du 2 mai 2006. 28
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sont accordés par le ministre chargé des hydrocarbures en l’occurrence actuellement le ministère de l’industrie, de l’énergie, des petites et moyennes entreprises. Bien plus, lorsque le secteur choisi entre dans le champ d’application du CII, l’investisseur qui doit déposer une déclaration d’investissement en vue d’obtenir son attestation de dépôt, doit, par ailleurs, lorsque son activité est soumise à une autorisation d’exercice, obtenir auprès des services compétents l’autorisation d’exercice. C’est le cas de la promotion immobilière, de certaines activités de recyclage et de transformation des déchets30 plus précisément le recyclage de cartouches d’imprimantes ou la collecte d’huile usagée mécanique, du transport routier31, ou encore certains services de télécommunications32. En fait selon le très officiel portail de l’industrie tunisienne géré par l’API, il y a au total trente cinq secteurs qui sont soumis à autorisations, dix huit en matière de services et dix sept dans le domaine industriel. La simplification du régime de l’investissement est toute relative. Certes, le dépôt de déclaration de l’investissement est effectué auprès de l’un des services compétents de l’API, de l’APIA, du CRDA ou de l’ONTT… qui centralise le dossier mais auparavant, l’investisseur a dû auparavant satisfaire aux exigences du texte en la matière. La remarque est valable, même si l’expérience du guichet de l’API, est présentée comme un guichet unique qui centralise en un seul lieu toutes les administrations intervenant lors de la création d’un projet à savoir outre l’agence elle-même, l’administration fiscale pour la souscription de la déclaration d’existence, la perception des droits d’enregistrement, le greffe du tribunal… Cette solution est adoptée aussi par plusieurs autres Etats sous l’impulsion des instances internationales. Outre ces organismes qui sont chargés de veiller sur la création ou l’extension du projet et même si l’activité ne nécessite ni autorisation, ni agrément, mais simplement l’attestation de déclaration d’investissement, d’autres appelés selon le cas, commission, comité, interviennent pour décider de l’octroi d’avantages fiscaux ou financiers. C’est le cas par exemple, pour les investissements agricoles. Afin de bénéficier de certains avantages financiers, il faut selon la catégorie de l’investissement obtenir une décision d’octroi d’avantages émanant soit du gouverneur de la région sur avis de la commission régionale d’octroi d’avantages, 30
Loi n°96-41 du 10 juin 1996 relative aux déchets et au contrôle de leur gestion et élimination. Loi n°2004-33 du 19 avril 2004 portant organisation du transport terrestre. 32 Loi n°2001-1 du 15 janvier 2001, modifiée par la loi n°2008-1 du 8 janvier 2008 relative au code des télécommunications. 31
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soit du ministre de l’agriculture sur avis du comité d’octroi d’avantages crée auprès de l’APIA33. A cette fin, l’investisseur doit remplir les conditions ou obtenir l’autorisation préalable s’il investit dans le secteur de la pêche ou de l’aviculture ou de l’agriculture biologique ou la collecte de lait. Il y a lieu de s’interroger sur la liberté de l’investissement quand à chaque phase, il faut demander une autorisation, déposer une demande, attendre le feu de vert d’une autorité administrative qui doit, elle-même, consulter une commission pour avoir son avis. … Enfin, il faut tenir compte du fait que tout investisseur qui choisit la forme sociétaire, doit en outre satisfaire aux démarches et formalités de constitution de sa société, telles que prévues par le CSC et qui nécessitent d’enregistrer les statuts auprès de la recette des finances, du greffe du tribunal pour le registre de commerce, de l’imprimerie officielle pour la publication… L’investissement a un coût « administratif », outre les fonds qui doivent être mobilisés pour l’opération elle-même. Notamment, il faut pour la société acquitter des droits d’enregistrement. Certes, la réforme de 1993, suite à la promulgation du CDET a notablement réduit le poids de l’impôt suite au remplacement du droit d’apport qui était de 1,4% par un droit fixe de cent dinars. Il convient cependant, de préciser que la situation est plus nuancée. Il faut d’abord, distinguer entre l’enregistrement des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions et les autres formes de sociétés SARL, SUARL, sociétés de personnes. Ces dernières ne supportent que le droit fixe, alors que les autres supportent le droit fixe de cent dinars pour l’enregistrement de l’acte de constitution qui correspond au procès-verbal de l’assemblée constitutive. Les statuts sont par contre, enregistrés au droit fixe de 15 dinars par page, auxquels il faut ajouter le droit de souscription et de versement et qui est aussi fixé à cent dinars. Ensuite, s’il y a apport de biens immeubles, fond de commerce et droit au bail, il faut distinguer entre l’enregistrement des apports purs et simples ou à titre onéreux. Dans le premier cas, en sus du droit fixe, il fait acquitter le droit de la conservation foncière ou de mutation ou de partage des immeubles non immatriculés, au taux de 1% de la valeur de l’apport. Si l’apport est à titre onéreux, il faut acquitter le droit proportionnel de 5% sur la mutation d’immeuble, de 2,5% s’il s’agit d’un fonds de commerce. Il faut ajouter aussi le droit de la conservation foncière au taux de 1%, ainsi que éventuellement 3% de droit pour défaut d’origine des biens immeubles.
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Décret n°94-427 du 14 février 1994 portant classification des investissements et fixant les modalités d’octroi des encouragements dans le secteur de l’agriculture et de la pêche.
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Même si, lorsque les cas où la législation prévoit une autorisation, un agrément sont pris, isolément peuvent être justifiés par des considérations d’intérêt général, de prise en compte des spécificités du secteur, de l’existence de mesures similaires dans beaucoup d’Etats étrangers et c’est vrai dans une large mesure, il n’empêche que cette accumulation finit par nuire à la liberté d’investissement. Plusieurs efforts ont été enregistrés au cours des dernières années mais ils ne sont pas encore venus à bout de cette réglementation particulièrement pléthorique.
IIII- Vers l’allègement et la simplification des conditions de l’investissement Le terme simplification revient souvent dans l’arsenal juridique tunisien depuis les années 2000. Les pouvoirs publics conscients de la lourdeur de l’appareil administratif ont prôné la modernisation de l’administration et l’allègement des formalités et en faisant appel de plus en plus aux technologies modernes de communication. Si la Tunisie veut attirer et garder des investisseurs, elle doit moderniser son administration et l’arsenal juridique qui sous-tend son action. C’est un travail qui a été entamé depuis quelques années mais qui doit être poursuivi surtout dans le domaine de l’investissement. L’investisseur étranger ou tunisien peut plus facilement faire la comparaison entre l’environnement de l’investissement en Tunisie et des Etats qui offrent des conditions similaires à celles de la Tunisie. Grâce à Internet, il est beaucoup plus facile d’accéder aux informations de base nécessaires pour orienter le choix de l’investisseur. Des sites se sont spécialisés dans la présentation des conditions de l’investissement pays par pays. Certains ne se contentent pas de livrer l’information sur la liberté d’investissement, la législation fiscale, la législation des changes, les garanties de transfert, les infrastructures disponibles ou la main-d’œuvre locale. Ils font des comparaisons, des classements ou présentent les atouts et les inconvénients d’un pays. Il faut donc dépasser ce handicap de la lourdeur des formalités qui peut entraver la liberté d’investissement pourtant proclamée par le CII depuis 1993. Certains efforts ont été faits au niveau législatif par l’adoption de textes simplifiant la réalisation de l’investissement et en mettant en place des mécanismes qui facilitent l’accès à l’information.
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A – Des textes simplifiant la réalisation de l’investissement Le souci d’alléger le poids des procédures devant l’investisseur apparait à travers deux textes emblématiques : la loi sur l’initiative économique et celle sur la constitution des sociétés en ligne. 1- La loi sur l’initiative économique La modification la plus récente est celle introduite par la loi sur l’initiative économique, qui n’est pas sans rappeler la loi pour l’initiative économique adoptée en France en vue de simplifier la création, le développement et la transmission des entreprises34 qui a modifié plusieurs dispositions entre autres du code de commerce relative aux formalités de création des entreprises ou le capital minimum d’une SARL, l’exercice d’une activité dans un local d’habitation… Le chapitre 2 de la loi tunisienne est consacré à la simplification des procédures de lancement des projets et de création des entreprises. Son article 4 dispose expressément : « Sont fixées par arrêté des ministres concernés, les listes des prestations administratives fournies par les services de l'Etat, les collectivités locales, les établissements et les entreprises publics sous leur tutelle ainsi que les procédures à suivre et les pièces administratives exigées de la part de ses usagers pour l'obtention desdites prestations. Ces arrêtés sont publiés au Journal Officiel de la République Tunisienne, diffusés sur les sites web relevant des structures administratives concernées et actualisés chaque fois que cela s'avère nécessaire. Il est interdit aux services administratifs sus indiqués de soumettre les prestations administratives à des procédures différentes de celles prévues par l'arrêté cité au paragraphe premier du présent article ou exiger de ses usagers une pièce non citée dans cet arrêté. L'agent public qui ne respecte pas les dispositions du précédant paragraphe du présent article s'expose à des poursuites disciplinaires conformément à la législation en vigueur. Les modalités et procédures d'application du présent article sont fixées par décret » L’article 4 impose la règle de la fixation des procédures dans le cadre d’un arrêté qui doit être publié et le respect des procédures par l’administration, qui se voit interdire d’ajouter ou de modifier ces procédures, sous peine de sanctions disciplinaires de l’agent contrevenant. Ce texte peut paraitre étonnant, faut-il un texte exprès pour imposer à l’administration les principes de base de l’action administrative ? Les dispositions de l’article 5 ne font que conforter cette remarque puisqu’il ajoute : « Tout dépôt de demande, dossier ou déclaration comportant les pièces exigées et effectué dans les conditions et les délais légaux, se fait contre récépissé délivré par l'autorité administrative compétente. » Enfin, dernière disposition emblématique de cette loi sur l’initiative économique en matière de simplification de procédure est prévue par son article 6 : « Les procédures d'octroi de la carte d'identification fiscale, du code en douane et du numéro d'affiliation à la sécurité sociale s'effectuent sans délai pour les 34
Loi n°2003-721 du 1 août 2003 pour l'initiative économique, www.légifrance.gouv.fr
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personnes morales sous réserve de satisfaire toutes les conditions légales et dans des délais fixés par décret pour les projets individuels. Pour les personnes morales, l'octroi du numéro d'immatriculation au registre du commerce s'effectue sans délai dès l'accomplissement des publicités légales. » Cette loi vient consacrer une orientation qui avait été déjà entamée d’amélioration des relations entre l’administration et ses usagers et la simplification des procédures mais n’avait pas eu l’aboutissement voulu. Déjà un décret avait adopté en 199335 en vue de fixer le cadre général de la relation entre l’administration et ses usagers. Ce texte, avant la promulgation de la loi sur l’initiative économique avait fait l’objet de modifications qui n’avaient pas apparemment suffi36. C’est ce décret qui avait prévu que l’exercice des activités économiques pouvait être organisé dans le cadre de cahier des charges, sauf dispositions contraires. Il a de fait permis de remplacer pour plusieurs secteurs d’activités, l’autorisation ou l’agrément par celui-ci. Dans un premier temps, la difficulté a été de prendre connaissance du cahier des charges, celui-ci n’étant pas systématiquement publié avec l’arrêté l’approuvant. Il convient aussi de citer le décret n°93-1880 du 13 septembre 199337 relatif au système d’information et de communication administrative qui avait prévu la mise en place d’un système informatisé de communication et d’information administrative afin de faciliter l’accès à l’information par les usagers cependant, les informations ne concernent pas toutes les prestations nécessaires. Enfin, pour les projets individuels, le décret n°2000-2475 du 31 octobre 2000, modifié en 2006 et 200838 avait déjà prévu une formalité unique pour la création des projets individuels. La loi sur l’initiative économique a donc entériné les mesures précédemment adopté et les a pour certaines réformées, pour d’autres maintenues, sans faire table rase du passé, simplifier et unifier les procédures. Elle reproduit même certains travers de la législation antérieure par le renvoi en cascade aux textes d’application et par le maintien de certaines exceptions39. Le recours à un tel texte, outre l’objectif proclamé, constitue un aveu de l’échec des efforts effectués jusque-là pour rationaliser et simplifier la procédure administrative. Le recours à la loi est révélateur des difficultés de l’usager face à l’administration et l’investisseur est un usager privilégié de celle-ci. Ce n’est pas le seul texte qui a tenté d’alléger le carcan des conditions entourant la décision d’investir. Il convient de citer celle qui prévoit les procédures de constitution des sociétés en ligne et qui a été adoptée par la loi n°2004-89 du 31 décembre 200440.
Décret n°93-982 du 3 mai 1993 Décret n° 2007-1259 du 21 mai 2007 37 JORT, 1993, n°72, p.1579 38 Décret n°2006-359 du 3 février 2006 et 2008-733 du 24 mars 2008. 39 Les projets individuels 40 JORT, 2004, n°105, p.3431. 35 36
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2- La loi sur les procédures de constitution des sociétés en ligne Cette loi organise la constitution de sociétés anonymes, à responsabilité limitée ou unipersonnelle en ligne41 à condition que l’activité de la future société soit éligible aux avantages du CII et qu’il n’y ait pas d’apport en nature. Aussi bien l’échange des documents entre le responsable de la société et l’administration que le paiement des droits, comme les droits d’enregistrement peuvent avoir lieu par des moyens électroniques. La loi prévoit toutefois, qu’à défaut de l’envoi des documents par les moyens électroniques, les documents doivent être présentés à l’administration, en l’occurrence le guichet de l’API, dans un délai de trente jours de la date du paiement des droits. L’API précise, par ailleurs que cette remise peut être effectuée par voie postale ou en main propre. Si ce délai n’est pas respecté, les formalités sont annulées sans restitution de droits. L’allégement des procédures pour important est insuffisant, si l’accès à l’information par l’investisseur n’était pas aisé.
B – Des mécanismes qui facilitent l’accès à l’information Afin de permettre à l’investisseur d’accéder à l’information nécessaire pour concrétiser son investissement, plusieurs ministères et organismes ont créé des portails, des sites à l’intention de l’investisseur. Il est possible de citer à titre d’exemple celui du ministère de l’industrie42, du commerce43, du développement et de la coopération internationale44, des finances45, du tourisme, de l’environnement et du développement durable, de la Banque centrale46, de l’API, du FIPA47, de l’APIA48, du CEPEX49,… Il faut ajouter à coté de ces sites spécialisés, celui de l’imprimerie officielle50 qui permet d’accéder aux différents textes juridiques publiés : loi, décret, arrêté, de manière moins systématique, les conventions internationales. Ce site présente l’avantage de mettre en ligne le journal officiel, jusqu’au dernier numéro, ainsi que les codes et recueils de textes publiés par l’IORT, aussi bien en langue arabe qu’en langue française. Il permet aussi de prendre connaissance et d’accéder à toutes les modifications subies par un texte, ce qui représente un atout non
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http://www.webentcreation.tunisieindustrie.nat.tn/constitution.asp www.tunisieindustrie.nat.tn www.commerce.gov.tn 44 www.mdci.gov.tn 45 www.portail.finances.gov.tn 46 www.bct.gov.tn/ 47 www.investissement.tn 48 www.tunisie.com/APIA/ 49 www.cepex.nat.tn 50 www.iort.gov.tn 42 43
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négligeable dans le domaine économique en raison de la mobilité des textes. Tous les documents sont aussi téléchargeables. Outre le site de l’IORT, certains sites offrent la possibilité de téléchargement de la documentation administrative, mais aussi des formulaires administratifs. Ainsi en est-il des sites du Premier ministère51 et du ministère du commerce qui permettent de télécharger les cahiers de charge relevant de ce ministère. Il convient de signaler aussi celui de l’administration fiscale52 ou des douanes53. Certains sites offrent des guides de l’investisseur en ligne pour lui faciliter la compréhension de la législation réglementant son activité. C’est le cas par exemple de l’API, du FIPA, de l’AFT54. C’est une aide précieuse mais elle ne devrait pas se transformer en source supplémentaire de conditions pour l’investissement. C’est le cas par exemple du guide de l’investisseur touristique qui prévoit l’obtention d’une autorisation de principe avant l’autorisation préalable, alors que la loi ne prévoit que celle-ci. En pratique, l’investisseur doit obtenir les deux. Tous les sites n’offrent pas non plus, la même qualité de service à l’investisseur qui le consulte. Si certains sont conçus dans l’esprit de faciliter l’accès à l’information ou au service, d’autres le sont moins. Une nouveauté qui devrait être généralisée est celle des déclarations en ligne. Ainsi, avec le site de l’API55, il semble qu’il n’est plus nécessaire de se déplacer. Il est possible de faire la déclaration du projet en ligne. Pour les projets individuels, seules les professions libérales et ceux réalisés par des étrangers peuvent faire l’objet d’une telle déclaration sur le site de l’API aux activités éligibles et dont la liste est disponible à la même adresse. Le portail du ministère des finances permet d’accéder au site de l’administration fiscale et des douanes qui permettent d’effectuer certaines déclarations en ligne comme la déclaration fiscale. Cette déclaration est actuellement limitée aux entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de 2 millions de dinars mais elle devrait se généraliser progressivement à tous les contribuables. Il y a aussi celui qui est consacré aux formalités du commerce extérieur56.
www.pm.gov.tn www.impots.finances.gov.tn 53www.douane.gov.tn 54 Le guide des investisseurs et promoteurs privés dans les secteurs des industries manufacturières et des services, dans le secteur des transports, de l’agriculture et de la pêche, comme il y a aussi le guide de l’investisseur étranger et celui des promoteurs de projet de commerce électronique. 55 http://www.tunisieindustrie.nat.tn/fr/dec_industrie.asp 56 Tradenet.gov.tn 51 52
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La modernisation de l’administration et le développement des échanges électroniques par des moyens fiables sont des solutions qui sont en voie de généralisation en Tunisie afin de faciliter les démarches administratives. Ils doivent cependant être intégrés dans un mouvement plus vaste de refonte de la législation tunisienne en vue de libéraliser l’investissement.
Conclusion et recommandations recommandations Ces efforts sont-ils suffisants ? Les pas qui ont été franchis étaient nécessaires mais encore insuffisants en eux-mêmes. La liberté d’investissement doit devenir une réalité. La liberté de l’investissement ne saurait se traduire uniquement par l’allègement des formalités, même si cet aspect n’est pas secondaire. Elle doit aussi découler d’un environnement juridique et fiscal stable, lisible, transparent, clair dans ses options. Sans lâcher la bride aux investisseurs, les pouvoirs publics doivent simplifier le cadre législatif et réglementaire et surtout alléger les formalités qui jalonnent les différentes étapes de concrétisation d’un investissement. Selon le rapport de suivi mondial 2009 de la Banque mondiale : « La simplification des règles – pour les rendre plus efficaces et plus rationnelles – doit viser à protéger l’intérêt public. La crise fait ressortir l’importance d’une surveillance réglementaire appropriée. Les études réalisées mettent également en évidence la complémentarité entre la réforme du cadre réglementaire et l’amélioration générale de la gouvernance. La réforme des réglementations est plus efficace si les institutions sont adéquates. »57 La Tunisie afin d’être à l’avant-garde et de maintenir voire améliorer son attractivité doit tenir compte des recommandations qui sont préconisées à l’échelle internationale. Malgré la crise, une organisation comme l’OCDE maintient son orientation de libéralisation de l’économie. En juin 2009, elle a publié des versions actualisées de ces codes de libération des mouvements de capitaux et des opérations invisibles. Ces codes reposent sur les principes de démantèlement, de statu quo, de non-discrimination, de transparence, de libéralisation unilatérale. La Tunisie peut-elle aller à contre-courant ? Elle ne peut plus revenir sur le choix de libérer l’investissement, mais elle ne doit pas non plus continuer à le freiner par des formalités et des procédures multiples et compliquées. Terre d’accueil des investissements, elle est aussi appelée à devenir point de départ de l’investissement tunisien vers l’étranger. La législation ne doit pas constituer un 57
http://siteresources.worldbank.org/INTGLOMONREP2009/RESOURCES/GMR2009
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obstacle face à l’entreprise tunisienne qui part à la recherche de marchés étrangers pour se développer. Elle ne doit pas non plus tomber dans l’excès inverse. La mondialisation de l’économie et la facilité de localiser les investissements dans certains pays à la législation trop laxiste ont permis le développement de phénomènes illégaux comme la fraude fiscale ou le blanchiment d’argent. Ces Etats sont stigmatisés à l’échelle internationale et accusés de concurrence déloyale, d’être des paradis fiscaux avec toutes les conséquences que cela peut avoir58. La crise financière internationale a révélé la nécessité de lutter contre les paradis fiscaux et de développer la coopération entre les Etats, thèmes largement débattus par les différents sommets de chefs d’Etats ces derniers temps59. La Tunisie présente de nombreux atouts pour l’entreprise étrangère et locale décidée à investir. Elle dispose d’une position stratégique en Méditerranée, proche de l’Europe et de l’Afrique. Elle offre un environnement économique stable, une main d’œuvre qualifiée et des niveaux de salaires compétitifs. Elle n’est toutefois pas la seule dans cette situation. Dans une économie mondialisée, il est facile pour un investisseur de délocaliser son activité et de partir à la recherche de cieux plus cléments. Ces atouts doivent être renforcés par un cadre légal et une administration moderne et à l’écoute des préoccupations des usagers. Il faut œuvrer pour une législation de l’investissement lisible, prévisible et stable pour attirer et sécuriser l’investissement. A cet effet, il convient présenter les recommandations suivantes : -
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Il convient de clarifier la situation. Ou l’investissement est libre, ou il est soumis à un agrément. Les secteurs, qualifiés de libérés, mais qui en fait sont soumis à une autorisation ne le sont pas réellement. L’autorisation doit disparaître et si le secteur est vraiment sensible et vital pour l’intérêt général du pays, il faudrait le soumettre à l’agrément, sans toutefois, abuser de cette technique. Il convient de limiter la liste des activités soumises à l’agrément doit comporter non seulement un nombre limité mais elle ne doit pas connaitre de rajout, au contraire elle devrait diminuer. Il convient de simplifier et de réduire les régimes d’exercice de l’investissement en abrogeant le plus grand nombre d’autorisations, en clarifiant les conditions d’exercice dans des cahiers de charges disponibles au moins dans deux langues, sinon trois.
OCDE « Coopération fiscale 2009 : vers l’établissement de règles du jeu équitables » Paris, OCDE, 2009. 59 OCDE-G20 : Point sur l’évolution vers un renforcement de la transparence et de la coopération internationale en matière fiscale ; www.ocde.org. 58
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Il convient de limiter le nombre des organismes intervenant en matière d’investissement. Il convient d’associer dans le cadre d’un organisme consultatif, les opérateurs économiques dans l’élaboration des textes juridiques relatifs à l’investissement. L’élaboration des projets de textes législatifs ou réglementaire ne devrait pas être réservée à la seule administration. Il convient aussi de multiplier les expériences de consultation nationale avant d’entamer l’élaboration des textes pour cibler les réformes à entreprendre.
Tunis, le 15 novembre 2009
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