Villes et Pays d’art et d’histoire Lille
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le Grand Boulevard
Croisé Laroche (Embranchement des trois villes) Collection ADN France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Photo aérienne 2009, Altimage – Ph. FRUTIER
« Les études sur l’histoire locale ont toujours intéressé non seulement les érudits et les savants, mais encore tous ceux qui ont au cœur l’amour de leur cité. » Alfred Mongy (1840-1914)
Croissance industrielle et expansion démographique
Au début du XXe siècle, Lille Roubaix et Tourcoing concentrent des populations de plus en plus nombreuses attirées par les usines, grandes consommatrices de main-d’œuvre. Cette expansion démographique brutale ne s’est pas accompagnée d’une gestion maîtrisée de l’urbanisation tant sur le plan de l’habitat que sur celui des modes de transport. Les remparts freinent encore l’aménagement de la ville de Lille soumise à une forte poussée industrielle tandis que les « villes sœurs » Roubaix et Tourcoing connaissent dans le même temps une véritable explosion démographique. Le passé historique de la ville de Lille, sa position stratégique de ville frontière ont incité les autorités militaires à conserver les fortifications édifiées tout autour de la ville par Vauban au XVIIe siècle. Pressé par la municipalité, le Ministère de la Défense accepta que la partie sud des remparts soit démantelée en 1858, ce qui permit une extension considérable, la cité triplant sa surface et doublant sa population. Mais ce ballon d’oxygène s’avéra rapidement insuffisant face à la pression industrielle. A la fin du XIXe siècle, Lille est à nouveau à l’étroit dans ses murs et ne peut répondre à l’accroissement de sa population qui passe de 113 000 habitants en 1858 à 216 000 habitants en 1896. Une idée émerge lentement : relier par un « nouveau boulevard » en forme de Y et un tramway électrique les villes sœurs du Nord. Des clés de lecture de ce projet vous sont proposées : • Les préoccupations industrielles, démographiques et hygiénistes de la seconde moitié du XIXe siècle • La naissance du projet et son impact urbain Les pages en couleur de la brochure vous invitent à une « promenade commentée » qui témoigne à travers des photographies contemporaines de la diversité des types d’habitat ainsi que de l’exceptionnelle vitalité architecturale septentrionale à laquelle le Grand Boulevard a donné naissance. Cette brochure ne pouvant être exhaustive sur la totalité du tracé du Grand Boulevard, plusieurs éditions, plus détaillées, verront le jour dans les années à venir pour accompagner les visites guidées du Grand Boulevard proposées par l’Office du Tourisme.
L’impact de la Révolution industrielle Depuis 1820, la « Capitale des Flandres » et sa région connaissent une activité industrielle textile florissante qui perdure de manière quasi ininterrompue jusqu’en 1914. Les entreprises s’implantent au sein même des villes ou dans leur proche banlieue. Les grandes familles textiles du Nord affirment leur puissance. Longtemps rivales, les villes comme Lille et Roubaix se disputent le monopole de ce secteur industriel, avant de devenir alliées. Roubaix et Tourcoing étaient déjà considérées comme des villes sœurs fortement liées par leurs domaines d’activités ; elles privilégiaient avant tout l’industrie lainière, tandis que la ville de Lille dominait par l’exploitation du coton et de la métallurgie.
Exode rural et difficultés urbaines La montée en puissance des industries de ces trois villes conduit à une augmentation de la population résidente, consécutive à un exode rural. Ainsi, en vingt ans, de 1876 à 1896, la population de Lille Roubaix et Tourcoing a augmenté de près de 50%, passant de 345.000 à 510.000 habitants. Cette poussée démographique continue jusqu’au début du XXe siècle, où les trois villes comptent environ 215.000 habitants pour Lille, 124.000 habitants pour Roubaix et 79.000 habitants pour Tourcoing. De plus, les cités accueillent les migrations quotidiennes des travailleurs venant des agglomérations voisines et des villes frontalières, qui gagnent leurs lieux de travail.
Cette pression démographique met alors en lumière les difficultés que rencontrent les villes anciennes pour recevoir l’afflux des nouveaux citadins. Pour Lille, l’enceinte bastionnée de Vauban apparaît comme une contrainte physique empêchant la croissance urbaine de la ville, l’expansion des industries et participe au retard du développement des différents dispositifs de transport. En 1872, Alfred Mongy, alors Chef du service des études à la mairie de Lille sous la direction d’Alfred Masquelez, Directeur des travaux municipaux, élabore un état des lieux et un premier projet de transport suburbain.
Plan, Collection Archives Municipales de Lille Atlas n°4 : Plan des travaux divers exécutés dans la ville de Lille agrandie durant la période 1860 –1878
La ville malade
Face à la naissance d’un prolétariat social et à une crise aiguë du logement, les pouvoirs publics s’interrogent sur les interactions entre la ville et la santé des citoyens. Ces problèmes urbains, sources d’inquiétudes de plus en plus importantes, poussent les autorités à désigner des médecins afin de réaliser des enquêtes et des ouvrages de topographie médicale. Le constat est alors alarmant : la misère et la densité de la population renforcent l’insalubrité. Cet intérêt croissant pour l’hygiène est à l’origine de la création d’une véritable science de l’urbanisme, qui tente d’apporter des solutions bénéfiques pour lutter contre les épidémies et la mortalité qui les accompagne.
La loi d’hygiène sociale de 1850 Sous l’impulsion de Napoléon III, l’hygiène sociale prend forme dans la ville par le percement de grands boulevards de promenades, de rues plus larges et plus aérées, ainsi que par la création de squares. Ainsi, pour soigner la ville malade du XIXe siècle, l’Assemblée législative vote le 13 avril 1850 une loi d’hygiène sociale qui définit la notion d’insalubrité et donne de nouveaux pouvoirs aux municipalités. Cette loi portant sur l’hygiène des logements est cependant peu précise et son application demeure très différente selon les communes. Plan, Collection Archives Municipales de Lille Atlas n°4 : Plan des travaux divers exécutés dans la ville de Lille agrandie durant la période 1860 –1878
Toutefois, elle permet la naissance d’un mouvement de professionnalisation des métiers concernés par le traitement de l’insalubrité et les moyens d’y remédier, et amène à une systématisation progressive de la définition. Cette loi sert avant tout de procédé juridique à la manipulation et à la transformation des espaces, afin de créer une cité idéale plus saine. Elle sera ensuite réformée en 1902 par une loi relative à la santé publique.
Vœu du Docteur Bécour « Le Boulevard du XXe siècle » adopté au Conseil d’Arrondissement de Lille en avril 1896 - Collection ADN Lille
A Lille, la situation est alarmante Entre 1850 et 1870, des commissions d’hygiène placées sous la direction de médecins, vont dénoncer les conditions dans lesquelles vit la population dans de nombreuses villes françaises : taudis, quartiers insalubres. A Lille, suivant la volonté du Préfet Villeneuve Bargemont, une commission est instituée afin de veiller au respect des normes imposées par la loi de 1850. La ville de Lille est très vite pointée du doigt par les enquêteurs et les médecins comme étant l’une des cités où les conditions de vie et de logement sont les plus déplorables. La configuration de la ville, cernée jusqu’en 1858 par son enceinte fortifiée, contraint la population à vivre dans des conditions de précarité et d’insalubrité. Ainsi, dans ses écrits, le Docteur Théophile Bécour, secrétaire de la Commission des logements insalubres, compare la ville de Lille à une véritable ruche composée d’usines dont le fonctionnement se perfectionne, tandis que les cités ouvrières ne connaissent aucune amélioration en matière de confort. En 1880, il présente au Maire de Lille dans un Rapport Général sur les travaux de la Commission des logements insalubres, quelques prescriptions concourant à garantir la salubrité des villes et propose une sorte de charte sur la manière de construire une cité moderne dotée de trottoirs, de voies larges approvisionnées en eau potable et des dernières avancées en matière d’hygiène.
« Le Boulevard du XXe siècle. La voie ferrée de Lille à RoubaixTourcoing est rectiligne depuis Fives Saint-Maurice jusqu’au pont des Arts. A côté de la ligne et sur cette longueur d’environ 8 kilomètres à gauche de la voie il serait facile et peu coûteux de créer un boulevard ayant 1° le chemin de fer à droite avec points d’arrêt nombreux, 2° Une route carrossable, 3° une voie de piétons et 4° un terreplein ombragé. Relier les 3 villes ayant 400 mille habitants est une œuvre à tenter qui aurait autant et plus de succès que celle qui a joint la Ville de Lille à Lambersart. Ce serait une œuvre d’hygiène sociale, qui offrirait aux ouvriers, aux employés et petits rentiers un cottage sain avec jardin, à l’instar des Peabody’s (cottage de Londres). Le comité de patronage des maisons ouvrières pourrait édifier et louer ces maisons à taux normal, avec faculté d’acquisition pour les locataires. Ce serait là un élément puissant d’assainissement pour les 3 villes où les ouvriers habitent une cité ouvrière malsaine et encombrée et rapportant 12 à 15 %. Nous émettons ce vœu à l’adresse des municipalités des 3 villes précitées. Signé Dr Bécour Adopté. »
L’Hygiène populaire En 1896, le Docteur Bécour publie L’Hygiène populaire, ouvrage dans lequel il consacre un long chapitre à l’habitation. Il fonde son argumentaire sur la nécessité d’apporter de l’air et de la lumière aux habitations, « éléments indispensables à la salubrité générale et à la santé de tous. » Il invite ainsi les ouvriers de la ville à « Un exode salutaire de 30 ou 40 mille ouvriers » qui « serait une leçon et la plus méritée aux spéculateurs qui [vous] logent si mal en touchant si bien un loyer si exorbitant. Profitez d’une voie de tramways, de la diffusion des trains ouvriers pour vous loger en banlieue, au village, pour le même prix vous avez un jardin et au moins vous avez l’air, la lumière et le grand soleil. » Et leur donne ce conseil : « Désertez la ruelle, la cité, l’impasse, la cour sans air ni lumière, où la fleur s’étiole sur la fenêtre, où meurt votre enfant par défaut de soleil. »
Le Boulevard du XXe siècle Le Docteur Bécour consacre une longue réflexion au Boulevard du XXe siècle, dont il soumet l’idée tout d’abord en 1878 à la Commission des Logements insalubres et ensuite, en avril 1896, au Conseil d’Arrondissement de Lille. Ainsi, après avoir défini les dysfonctionnements urbains des villes modernes, il propose de désenclaver les anciens quartiers en les intégrant à de nouvelles voies, correspondant à Lille à la démolition d’une percée de l’enceinte et à l’exécution de « percées salutaires dans ces portions du Vieux-Lille qui aboutissent aux remparts. » Cette pensée ambitieuse sera soutenue par le Préfet du Nord qui la présentera aux municipalités des trois villes et servira de véritable source d’inspiration pour les architectes et les ingénieurs qui intégreront notamment dans leurs travaux la création de fosses septiques, la présence d’espaces de toilettes et de water-closet dans les demeures, ainsi qu’un mécanisme d’évacuation des eaux usées jusqu’à l’égout pour toute nouvelle construction. L’émergence et l’application de ce projet du Boulevard du XXe siècle sont intrinsèquement liées à ces préoccupations : hygiène, logement, croissance démographique, ainsi qu’à un besoin de faciliter le transport de la main-d’œuvre vers les usines se trouvant à Lille, Roubaix et Tourcoing.
Lille, entrée de la rue du Bois Saint-Etienne et maisons de la rue des Suaires avant leurs destructions pour la construction du nouvel Opéra, 1900 - 23,8x17,9cm BM Lille/Fonds Emile Dubuisson
« Où le soleil n’entre jamais, le médecin entre toujours. » Docteur Théophile Bécour
Les trois villes La Ville de Lille répond la première ; elle se déclare sympathique au projet, mais ajoute qu’elle ne dispose pas de moyens financiers suffisants pour entreprendre un tel chantier. Toutefois, le maire de Lille, Gustave Delory, est favorable à l’intervention de tout entrepreneur ou société souhaitant prendre en charge ce projet. La Ville de Tourcoing rend sa décision lors d’une séance du Conseil Municipal, le 21 août 1896, estimant qu’elle a « suffisamment de projets à étudier sans s’embarrasser encore du projet de boulevard », sans pour autant « se désintéresser complètement de la question ». « Ce qu’il faut, c’est qu’après avoir suivi, à partir de Lille, une seule direction, le boulevard puisse, à un point donné, se diviser en deux branches, l’une se dirigeant sur Roubaix et l’autre sur Tourcoing… L’on ne peut donc se refuser à une étude qui d’ailleurs n’engage à rien... Le Conseil Municipal donnera ensuite son avis ; la chose pourrait être présentée à l’autorité supérieure, de façon à avoir un magnifique boulevard reliant Lille et Tourcoing sans bourse à délier… »
Rappelant le vœu émis par le docteur Bécour, trois conseillers généraux, messieurs Masure-Six, Rogez et Ovigneur saisissent pour la première fois le Conseil Général afin de mettre à l’étude la création d’un boulevard réunissant les trois villes de Lille Roubaix et Tourcoing. Le projet est adopté le 26 août 1896 selon les termes suivants : « le tracé aurait la forme d’un Y, dont le tronc commun débuterait à Lille, puis adopterait une bifurcation près de Wasquehal se séparant en deux branches aboutissant d’une part à Tourcoing, aux abords du canal, d’autre part à Roubaix, aux abords du parc Barbieux. » La réponse de Roubaix intervient quelques mois plus tard, en novembre ; la municipalité accueille favorablement ce projet, qui selon elle pourrait présenter un caractère d’utilité publique. Toutefois, elle se déclare défavorable à la constitution d’un syndicat entre les trois villes, jugeant qu’il doit plutôt regrouper les propriétaires des immeubles traversés. En 1897, le Conseil d’Arrondissement donne lecture des réponses des municipalités et nomme ArthurGhislain Stoclet, comme agent voyer en chef, c’est-à-dire agent des Ponts et Chaussées chargé de surveiller l’état des voies de communication des villes. Il sera par la suite mis à la disposition du préfet pour s’occuper de l’établissement de la voie départementale.
Arthur-Ghislain Stoclet ADN Lille - Ed. Librairie Flammarion
Alfred Mongy surveillant la construction des voies du tramway sur le Grand Boulevard Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Une dynamique commune L’harmonie des points de vues, quant à la nécessité d’apporter des réponses face aux interrogations des villes sur leur avenir social et économique, a permis de se retrouver dans des réflexions communes jusque-là menées séparément. L’idée d’établir une voie magistrale comme trait d’union entre les trois grandes cités industrielles est apparue alors comme un remède aux maux de la ville ancienne. Ainsi, les travaux sur l’hygiène du Docteur Bécour ont conduit à une véritable prise de conscience. Des hommes politiques comme Eugène Motte, Masure-Six, Rogez et Ovigneur ont saisi la nécessite d’exaucer ce vœu d’un boulevard du XXe siècle et de le soutenir, alors que certains exprimaient des réticences face à l’ampleur de l’ouvrage et à son coût financier. Enfin, ce voeu n’a pu aboutir sans le concours de techniciens, tels que Arthur-Ghislain Stoclet, Alfred Mongy ou encore Antoine-Florent Guillain, rapporteur des différentes phases du projet, qui ont apporté tout leur savoir-faire.
Alfred Mongy (1840-1914) 22,6 x 17 cm - BM Lille/Fonds Lefebvre
Le Conseil Général En 1898, Eugène Motte alors Conseiller Général, relance le débat autour du Grand Boulevard avec la volonté que le Service départemental mette à l’étude le projet. « Le Boulevard existe déjà du côté de Roubaix sur le tiers du parcours. Il suffirait que le service compétent prenne l’initiative de démontrer à tous les propriétaires riverains combien leur intérêt leur commande de seconder les vœux des populations de ces grands centres et nous aurions pour cyclistes, voitures et piétons une magnifique artère. » Un avant-projet de la construction, comme route départementale, d’un nouveau boulevard est alors présenté au Conseil Général en août 1899. L’Administration adopte la configuration de ce nouveau tracé en Y de 50 mètres de largeur, desservi par un tramway électrique, et autorise l’ouverture d’enquêtes d’utilité publique. Le Conseil Général est ainsi convaincu que dans un avenir peu éloigné, les trois grandes cités seront réunies par une masse continue d’usines et d’habitations. Il souhaite également que le nouveau boulevard offre à la population non seulement des facilités de circulation, mais aussi des espaces libres où l’air et la lumière puissent se répandre sans obstacle, au grand bénéfice de l’hygiène des populations ouvrières. Après examen de l’avantprojet des travaux, celui-ci est adopté dans son principe en avril 1901.
© Bibliothèque municipale de Lille - Fonds Lefebvre 6, 92.
Chronologie d’un grand projet
La genèse du projet
Le Docteur Bécour soumet en avril 1896 au Conseil d’Arrondissement de Lille cinq vœux, dont celui du Boulevard du XXe siècle, transmis le 30 juillet par le Préfet du Nord aux trois municipalités, afin de les réunir au sein d’un même syndicat.
En 1901, faisant suite à la demande d’ouverture d’une enquête d’utilité publique, le Conseil Général confie au service vicinal l’étude des diverses variantes permettant de satisfaire à la condition d’un boulevard partant de Lille pour rejoindre Roubaix et Tourcoing et adoptant sensiblement la forme d’un Y. Le service situe alors l’origine de ce tracé entre la Porte de Roubaix et la Porte de Gand, en s’appuyant sur le projet d’établir par la suite un boulevard extérieur lors du dérasement des fortifications de la ville de Lille, ou à défaut de la réorganisation de l’enceinte de Lille, entre la Porte d’Eau de la Basse-Deûle et la Porte Louis XIV.
Boulevard de Lille à Roubaix et à Tourcoing, Profil type Collection
Les Conseils Municipaux des communes traversées se déclarent favorables à l’établissement du boulevard, mais rejettent cependant toute implication financière dans ce projet. Le Conseil Général perçoit l’intérêt général du projet pour la Région et prend alors à sa charge la construction du Boulevard des Trois Villes. Toutefois, les dépenses primitivement prévues à 7.800.000 francs pour l’établissement du boulevard sont très vites dépassées et retardent l’avancée du projet. En juillet 1903, un premier décret déclare d’utilité publique les travaux nécessaires à l’établissement de la nouvelle route départementale n°27, dont le tracé définitif est approuvé par le Conseil Général en août de la même année. Entre 1903 et 1906, le Grand Boulevard fait l’objet de plusieurs délibérations et votes en Conseil Général, afin d’obtenir les crédits suffisants pour l’acquisition de 70 hectares de terrains utiles à l’ouverture de la voie. En août 1909, les travaux de construction de la route sont achevés sur l’ensemble du tracé, après avoir été retardés suite à un hiver long et rigoureux.
La construction de la ligne de tramways peut alors débuter. La section comprise entre le chemin du Romarin à La Madeleine et l’avenue Saint-Maur à Marcq-enBaroeul commence à se couvrir de constructions. Le 1er octobre 1909, Arthur-Ghislain Stoclet sollicite un budget pour l’inauguration du boulevard. La date de l’inauguration est cependant retardée, la ligne de tramway n’étant pas achevée. Le samedi 4 décembre 1909, le Grand Boulevard est inauguré en présence des élus et des personnalités locales. C’est seulement en 1935, suite à une proposition de quelques conseillers généraux, que l’Administration préfectorale invite les municipalités des communes traversées par le boulevard à déterminer un nom unique pour cette artère départementale. Il sera finalement convenu que le tronçon des portes de Lille au Croisé Laroche devienne l’Avenue de la République, celui situé entre le Croisé-Laroche et l’entrée de Tourcoing, l’Avenue de la Marne, et enfin du Croisé-Laroche jusqu’au Parc Barbieux à Roubaix, l’Avenue de Flandre.
Le règne des ingénieurs Arthur-Ghislain Stoclet fixe les caractéristiques techniques de cette nouvelle voie, fondée sur un système linéaire. L’ingénieur établit un tracé de rue, constitué d’une voie principale rectiligne d’où partent en direction perpendiculaire ou oblique des voies secondaires. Ce dispositif permet, grâce à une largeur de voie importante, d’assurer la circulation présente ou future entre les villes. Il lui importe alors de doter cette rue d’un moyen de transport rapide qui remédierait aux problèmes de trafic, mais également d’accompagner cette voie principale de zones consacrées à chaque mode de circulation : pédestre, équestre, cycliste, voitures, tramways. Il dessine une route longue de 14 kilomètres 500 et large de 50 mètres organisée autour d’une chaussée centrale de 9 mètres comprise entre deux terre-pleins de 11 mètres 50 chacun garnis de deux rangées d’arbres, deux chaussées latérales pavées de 5 mètres 50 desservant les habitations et destinées à supporter les lourds charrois et de larges trottoirs. L’ère de la modernité est annoncée avec la présence d’une chaussée centrale empierrée entièrement dévolue à l’automobile et aux voitures légères, qui empiétera dès 1950 sur les voies latérales. Arthur-Ghislain Stoclet anticipe ici les flux de circulation entre les trois villes et offre une route moderne ouverte au trafic automobile. Quant aux terre-pleins, ceux-ci sont occupés, d’un côté par une double voie de tramways, et de l’autre par une piste cyclable et par une piste molle pour les cavaliers.
La prise en compte des recommandations hygiénistes Arthur-Ghislain Stoclet mène notamment une réflexion sur la place à accorder à l’emprise piétonne sur la voie, avec deux types de trottoirs : une largeur de 3 mètres 25 pour ceux longeant la chaussée centrale et de 3 mètres 50 pour ceux jouxtant les immeubles et les maisons riveraines. Il répond ainsi aux attentes et aux préconisations des hygiénistes, considérant comme nécessaire la présence de lieux de promenade et de déambulation pour les citadins. Ainsi, Stoclet préconise l’implantation de trottoirs suffisamment vastes pour permettre aux usagers de pouvoir s’y croiser, apportant ainsi une certaine commodité à la circulation piétonne.
Le Boulevard Lille-Roubaix-Tourcoing Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Lille, Pont du chemin de fer sur le Nouveau Boulevard Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Pour favoriser cette idée de voie de promenade, il établit sur l’ensemble de la voie un mobilier urbain autour duquel se développent quatre rangées d’arbres. Cette trame végétale composée de 6 000 arbres donne au boulevard une allure de promenade. Les trois essences, platanes, ornes et peupliers d’Italie, qui rythment le Grand Boulevard, participent à la création d’un esthétisme et d’une atmosphère propre à cette voie. La création de ce boulevard moderne annonce celle d’une certaine monumentalité architecturale et du développement de l’habitat extra muros. Elle permet de répondre aux impérieux besoins des activités industrielles mais satisfait aussi aux préoccupations hygiénistes.
Le Grand Boulevard reliant Lille-Roubaix-Tourcoing Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Croisé-Laroche (embranchement des trois villes) Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Vitrine sociale
Un urbanisme d’avant-garde
Le Conseil Général comprend qu’il doit apporter des réponses aux besoins nouveaux des cités. La croissance des villes prédispose l’agglomération lilloise à l’établissement d’un boulevard extérieur permettant la jonction entre les trois cités.
Une urbanisation sélective Loin des préoccupations et des vœux du docteur Bécour, la nouvelle voie magistrale, à peine achevée, semble séduire les populations aisées. Autour de ce Grand Boulevard se crée un véritable cadre de vie propice à l’établissement de demeures bourgeoises, de villas, d’hôtels particuliers et d’immeubles de rapport : un environnement sain situé à proximité des exploitations et des usines sans pour autant pâtir des désagréments de ces industries, et éloigné des désagréments de la ville (bruits, insalubrité, manque d’espace). Ce cadre idyllique favorise donc des opérations immobilières d’envergure. Ces terrains encore vierges de toute construction permettent aux propriétaires de disposer de résidences isolées poussant sur un îlot de verdure. Celles-ci deviennent l’expression d’une réussite sociale. A la fin des années 20, Georges Blachon effectue le constat suivant : « La Blonde Fileuse opère à vue d’œil la métamorphose de ce site naturellement maussade et plat en y semant à profusion des guirlandes de villas coquettes […] encadrées de vertes pelouses, de parterres fleuris, de parcs ombreux qui vont en faire la cité-jardin la plus riante, la plus élégante de l’Europe occidentale. » On y retrouve les demeures appartenant à des grandes familles, en particulier celles des filateurs dont les résidences se situent majoritairement autour du Croisé-Laroche. Les architectes de renom ayant exercé à Lille Roubaix ou Tourcoing sont sollicités. En 1908, l’architecte Armand Lemay réalise pour Hector Franchomme, codirecteur de la chocolaterie DelespaulHavez, un château sur une propriété s’étendant sur un hectare et cernée par une clôture.
On accède alors à ce bien par un corps d’entrée en arc de triomphe ouvrant sur une allée menant à la demeure. Celle-ci adopte un vocabulaire classicisant organisé sur trois travées couvertes par un fronton. Le bâtiment principal est également doté de dépendances. Le « château Franchomme » ne laissa pas insensibles les passants du Boulevard des trois villes. Cette demeure n’a pu être conservée après avoir subi des dommages importants au cours de la Seconde Guerre mondiale. En 1962, la construction est rasée pour être remplacée un an plus tard par un ensemble commercial.
Des garages le long du Grand Boulevard, l’avènement de l’automobile Le Grand Boulevard sert à promouvoir un statut social, mais aussi l’avènement de la modernité. Ainsi, les commerces situés au rez-de-chaussée des immeubles accueillent des garages, célébrant ainsi le développement de l’automobile, comme le garage Janssen, situé au 123, avenue de la République à la Madeleine. La présence de commerces et de lieux d’agréments, cafés et restaurants, en rez-de-chaussée souligne également l’impact du Grand Boulevard sur le développement urbain. En revanche, bien que les promoteurs aient souvent cherché à désengorger les villes de leurs usines, celles-ci restent peu nombreuses le long de la route départementale. Les commanditaires comme les architectes ont très tôt saisi l’intérêt de ce Grand Boulevard, comme espace de démonstration d’une réussite sociale pour les uns, comme lieu d’expérimentations stylistiques offertes à la contemplation des promeneurs et des citadins, pour les autres.
Château Franchomme, Aquarelle Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Lille – Nouveau Boulevard (Château Franchomme) Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Vitrine des carrosseries Janssen Boulevard de la République à La Madeleine,1901-1925 17,5 x 23,7 - Bibliothèque municipale de Lille
Lille – Le Nouveau Boulevard reliant les trois villes Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
L’électrique Lille-Roubaix-Tourcoing
Le progrès technique bouscule les transports Arrivés à Lille, Roubaix et Tourcoing entre 1870 et 1880, les tramways à traction hippomobile sont très vite supplantés par ceux à énergie électrique. En 1897, refusant la généralisation de la traction à vapeur, au regard de la lourdeur des infrastructures que cela implique, la municipalité de Lille lance un premier projet afin de réorganiser son réseau ferroviaire et son exploitation par des tramways électriques déjà présents sur le réseau voisin. En effet, depuis 1894, la Compagnie des Tramways de Roubaix et Tourcoing, assurant sur un réseau commun depuis 1877 la liaison entre les deux cités, a mis en service les premiers tramways à énergie électrique. En 1900, les autorités lilloises décident officiellement de substituer la traction électrique au cheval. La Compagnie qui assurait jusque-là l’exploitation du réseau urbain et suburbain de Lille, les Tramways du Département du Nord, change de raison sociale et devient la Compagnie des Tramways Electriques de Lille et sa Banlieue. Les trois municipalités sont séduites par les avantages que présente cette nouvelle forme de traction : un coût moindre à celui de la traction hippomobile, une dangerosité moins élevée par rapport aux tramways à vapeur, et surtout une liaison plus rapide entre les villes.
Statuts de l’Electrique Lille-Roubaix-Tourcoing Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Profil en travers du Grand Boulevard et description des populations desservies sur le réseau de l’ELRT Extrait du livret remis lors de l’inauguration du Grand Boulevard, le 4 décembre 1909 Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Une personnalité déterminante : Alfred Mongy (1840-1914) Alfred Mongy qui a quitté l’administration préfectorale en 1900, fonde la Compagnie des Tramways et Voies Ferrées du Nord, dont l’ambition est de créer un réseau de voies ferrées permettant de relier et de desservir les agglomérations les plus importantes du Nord et du Pas-de-Calais. Il souhaite notamment établir une voie magistrale, permettant de relier par un tracé direct les villes de Lille, Roubaix et Tourcoing, qu’il doterait entre autres de deux lignes de tramways électriques.
Pour réaliser cet ambitieux projet, Mongy sollicite dès 1901 le Conseil Général du Nord, afin d’obtenir une concession pour la création d’un réseau départemental de tramways électriques, comprenant notamment la conception d’une ligne devant emprunter le boulevard projeté. Il parvient à persuader les différentes administrations municipales et régionales, de l’intérêt de ce projet. Force est de constater que la construction de cette nouvelle artère allait générer des déplacements importants.
« Le transport des personnes est d’abord un service public avant d’être une source de profit » Alfred Mongy
Face à l’ampleur de l’ouvrage, les municipalités qui ne peuvent supporter seules le coût de tels travaux, accueillent avec enthousiasme la proposition de Mongy. Ce dernier s’engage à verser au Département du Nord, une subvention de 2.000.000 de francs, devant servir d’appui à l’établissement du Boulevard et à la réalisation de la première partie du programme de construction. En contrepartie, une plate-forme spéciale pour double voie permettant d’assurer un service rapide entre les trois villes est réservée uniquement aux tramways électriques de la Compagnie de Mongy. Cette convention et le cahier des charges établis par la Compagnie et l’administration préfectorale prévoient notamment pour le concessionnaire, c’est-à-dire Mongy, de pouvoir substituer une Société dans un délai de six mois à partir de la notification du décret approuvant la concession. En février 1904, la Société est alors substituée aux droits et obligations de Mongy pour l’établissement et la construction du réseau de tramways à traction mécanique, dont le courant est alors fourni par l’usine de la Société l’« Energie Electrique du Nord de la France » située à Wasquehal. Dès 1905, Mongy rétrocède sa concession, à la nouvelle compagnie l’Electrique Lille-Roubaix-Tourcoing détenant alors un capital de 12 millions de francs et devant assurer l’exploitation de ces deux lignes de tramways qui pénètrent les villes situées aux extrémités du Boulevard et rencontre alors les deux Compagnies déjà existantes, TELB à Lille et TRT à Roubaix et Tourcoing. L’existence de ce réseau est donc dès son début intimement liée à celle du Grand Boulevard. Sa création est à l’origine d’un véritable service Métropolitain du Nord ayant permis de relier de cœur à cœur les trois grandes cités.
Plan du réseau des lignes de l’Electrique Lille-Roubaix-Tourcoing reliant les trois agglomérations Extrait du livret remis lors de l’inauguration du Grand Boulevard - Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Rouges-Barres (Nord) Grand Boulevard et le Dépôt Mongy Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry Fonds Carlos Bocquet
Lille-Roubaix-Tourcoing par le Nouveau Boulevard Le Tramway Mongy Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry Fonds Carlos Bocquet
Arrivée du Tramway angle Boulevard Carnot et rue de la Clef Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Roubaix - Le car Mongy Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry Fonds Carlos Bocquet
Des remparts à la ville : la percée des fortifications
Rejoindre le cœur de la ville C’est sous le mandat de Charles Delesalle, élu maire de Lille en 1904 que le Grand Boulevard pénètre sur le territoire lillois. Animé par la volonté d’assainir et d’embellir la « capitale des Flandres », il envisage la création d’un boulevard de 25 mètres de large pour amener l’artère départementale jusqu’au cœur de la ville historique. A l’origine, le Nouveau Boulevard doit seulement partir du glacis des fortifications de Lille, pour rejoindre Tourcoing par ses boulevards et le parc Barbieux à Roubaix. Le glacis est un terrain uni et dénudé, en pente douce, ménagé en avant d’un ouvrage de fortification. Dans le cadre d’une politique de grands travaux, le Conseil Municipal de Lille prend la décision en 1907 de fournir à la ville une nouvelle entrée monumentale digne d’elle, en apportant son concours financier.
La percée des fortifications Pour réaliser cet ambitieux projet, l’Autorité militaire doit notamment consentir à procéder à l’éventration d’une partie de l’enceinte fortifiée. Les représentants de la municipalité entament alors les négociations avec le Génie, qui souhaite s’en tenir aux réglementations autorisant uniquement une simple percée de sept mètres de largeur dans l’enceinte bastionnée. De plus ils imposent pour la traversée des fossés de la fortification, la construction de ponts volants en bois, d’estacades, larges également de sept mètres seulement et pouvant être facilement détruits. La municipalité de Lille souhaite quant à elle obtenir une entrée plus adaptée aux nécessités de la circulation et ajustée à la largeur de la nouvelle voie qui va relier ces trois grandes villes.
Route départementale 27 de Lille à Roubaix et à Tourcoing, Boulevard Carnot à Lille Elargissement à 25 mètres de l’entrée en ville - Plan 1913 Collection ADN Lille France/Repro. Diana Palazova-Lebleu
Le percement des fortifications Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Lille – Boulevard Carnot (sur les Fortifications) Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
La nouvelle ligne des Tramways Mongy - La traversée des fortifications Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Lille - Le Grand Boulevard Lille-Roubaix-Tourcoing L’Octroi Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Ces négociations aboutissent alors à une percée de 25 mètres de largeur à travers les fortifications, à supprimer les estacades en bois et à permettre l’établissement à travers les fossés d’un remblai de 25 mètres de largeur. L’entrée en ville du Boulevard à travers les fortifications conserve alors une largeur identique à l’intérieur de la ville. La pénétration en ville du boulevard est toutefois soumise à certaines conditions entendues entre les autorités civiles et militaires. Le Département doit assurer l’exécution et l’entretien de la percée, et classer comme route départementale le prolongement du boulevard jusqu’à la place du Théâtre. La ville de Lille est chargée d’exécuter à ses frais l’élargissement à 25 mètres de la percée du boulevard à travers les fortifications et de procéder à son prolongement jusqu’à la place du Théâtre. La transformation de l’enceinte fortifiée demeure, elle aussi, à la charge de la ville qui devra permettre l’entrée du tramway dans Lille par cette voie. La dimension de ce projet comporte toutefois une dépense financière que la ville de Lille ne peut assumer seule. Le Département ne pouvant lui apporter suffisamment de crédit, le Maire de Lille estimant que la situation financière de la ville ne lui permet pas d’engager de telles dépenses, ajourne le projet. Il consent alors à procéder à l’étude d’une solution provisoire, consistant en une percée moins importante de 10 mètres qui serait ensuite portée à 25 mètres lorsque la municipalité en aurait les moyens. L’établissement de cette trouée et son entretien sont mis à la charge exclusive du Département.
Plan de la ville de Lille et de la Banlieue Collection ADN Lille France Repro. Jean-Luc Thieffry
Le cœur de la ville desservi par le tramway La desserte en tramways de la ville de Lille est assurée par la Compagnie l’«Electrique LilleRoubaix-Tourcoing» concessionnaire du réseau départemental. En 1906, le Conseil Général approuve la modification du tracé proposé par le concessionnaire pour la pénétration en ville de la ligne A, contribuant ainsi à favoriser la circulation et les échanges entre les trois villes. En contrepartie, l’ELRT verse au Département du Nord, pour ensuite être reversée à la Ville de Lille, une subvention de 150.000 francs comme participation financière à la réalisation de ce projet. La double voie du tramway est établie aux frais de la Compagnie des Tramways au milieu de la chaussée. Les tramways de l’ELRT sont alors autorisés à pénétrer en ville à travers les fortifications puis empruntent la nouvelle artère jusqu’à la place du Théâtre.
Il est toutefois entendu que l’arrêt ne peut se faire sur la dite place, car la municipalité ne peut y envisager l’installation de pylônes. L’arrêt s’effectue devant la rue de la Clef. L’élargissement du boulevard Carnot dans la traversée des fortifications a été décidé en 1913, mais n’a pu être réalisé qu’après la Première Guerre mondiale. Le Grand Boulevard entre alors en ville avec une largeur de 25 mètres faisant un coude à gauche, à partir du rétrécissement de 50 à 25 mètres. En 1927, la municipalité de Lille obtient le dérasement des fortifications entre la porte de Roubaix et le boulevard Carnot, c’est à dire la possibilité d’aplanir le terrain. Cette exécution a pour objectif de permettre notamment le prolongement de la rue des Urbanistes et l’aménagement de l’entrée en ville du boulevard LilleRoubaix-Tourcoing. Le dérasement des fortifications permet l’implantation en ville d’une nouvelle artère, dont le percement répond aux réclamations portées par les hygiénistes.
A la découverte du Grand Boulevard
Le Grand Boulevard et ses ramifications
Attirée par les étendues verdoyantes et l’air pur qui lui manquent au cœur des dynamiques cités de Lille, Roubaix et Tourcoing, la bourgeoisie de l’industrie et des affaires investit rapidement les parcelles le long du « Boulevard des Trois Villes ». Les entrepreneurs et les cadres des affaires, qui exercent leurs activités à Lille, choisissent le tronçon entre les fortifications lilloises et le Croisé-Laroche. En raison des territoires plus denses de Saint-Maurice, La Madeleine et Marcq-en-Barœul, l’habitat s’organise en rangs urbains serrés. À partir du Croisé-Laroche, le Grand Boulevard devient le territoire privilégié des patrons textiles tourquennois et roubaisiens. Les vastes parcelles autorisent l’implantation de demeures isolées, qui profitent des paysages champêtres aux abords de Tourcoing et de Roubaix. Parallèlement à son achèvement, se tissent des connexions fonctionnelles et hygiéniques avec les périphéries. À rythmes différents, chaque commune traversée par l’axe départemental raccorde son territoire au nouvel ouvrage. Avant la Première Guerre mondiale, La Madeleine autorise ainsi l’ouverture de plusieurs nouvelles rues (Berthelot, Ampère, de Paris, du Docteur Legay, Foubert, du JardinBotanique), voies pavées à tracés rectilignes d’une largeur de 10 m et 15 m. Par le biais de règlements sanitaires et de voirie, la municipalité impose la réalisation de trottoirs, d’égouts collecteurs et d’aqueducs « en bonne maçonnerie de briques », équipés d’un réseau de cuvettes en briques et en fonte, ainsi que de pots de recueillement en grès vernissé, limitant la propagation des maladies. Ils offrent à toutes les couches de la bourgeoisie des habitations salubres et confortables, à un coût moins onéreux. À La Madeleine, la longue avenue Foubert (1909) assure la liaison entre les territoires madeleinois, ceux de l’ancien faubourg Saint-Maurice et le tracé du Grand Boulevard. Le nouvel ouvrage polarise ces aménagements périphériques.
Au fur et à mesure que les voies de raccordement s’éloignent du grand axe, les parcelles se réduisent et rejoignent le maillage plus serré de la voirie ancienne. Aux extrémités sud des rues du Jardin-Botanique, Gay Lussac, Albert Ier et Louise, des façades étroites et basses signalent l’habitat plus modeste de la rue du Ballon préexistante, dont le tracé capricieux épouse les contours du cimetière de l’est, ancienne limite de la ville de Lille.
Ce solide ancrage aux réseaux municipaux assure la pérennité du Grand Boulevard. Lien urbain entre les villes et leurs périphéries, il favorise par le même biais la soudure entre des populations de catégories sociales différentes. Le nouvel axe est ainsi indissociable de ses ramifications, qui prolongent ses visées fonctionnelles et hygiénistes, ainsi que son ambiance architecturale.
Photo aérienne 2009, Altimage – Ph. FRUTIER
Rue du Docteur Legay, La Madeleine Perspective
Le goût de la différence Que ce soit le long du Boulevard des Trois Villes ou de ses voies latérales, quelques-uns des plus illustres architectes de l’agglomération lilloise ont laissé des réalisations très variées. Familiers de l’habitat bourgeois de ville et de périphérie, des créateurs comme Armand Lemay, Horace Pouillet, Gabriel Pagnerre, René Doutrelong, Charles Bourgeois et Jules Duclermortier transposent leur savoirfaire au service de commanditaires désireux d’afficher leurs différences. En jouant des découpages des niveaux, des rapports entre les pleins et les vides, du rythme des ouvertures et de leurs positions, ainsi que des propriétés des matériaux, ces créateurs ravivent les formules traditionnelles de l’habitat. Les réalisations éclectiques, majoritaires, côtoient des hôtels particuliers aux accents régionalistes, balnéaires, Art nouveau, Art déco et les expériences très linéaires et épurées qui leur ont succédé après la Seconde Guerre mondiale.
Rue de l’Abbé Lemire , Marcq-en-Baroeul Perspective
Flâneries le long du Grand Boulevard Le Grand Boulevard a donné à l’actuelle métropole lilloise les fondements d’un développement structuré et planifié. Par le même biais, il a dessiné une nouvelle répartition des populations, tout en proposant des remèdes hygiénistes et sociaux aux maux inhérents à la société industrielle du début du XXe siècle. Ses facettes urbaines, architecturales et sociales se prêtent difficilement à un récit et à une analyse exhaustifs, tant elles sont nombreuses et riches en significations. Dans un souci de clarté pour le lecteur, la présentation retenue adopte un découpage linéaire, du cœur de la ville de Lille, à la pénétration du tracé sur les territoires des villes sœurs de Roubaix et de Tourcoing.
Le Grand Boulevard vers Tourcoing Repro. P. Maenhout
La division de cette étendue en tronçons suit les étapes de la progressive émergence de l’artère. Elle cherche à traduire le foisonnement architectural qui caractérise cette dernière et à fournir quelques clefs de lecture aux désireux de déchiffrer le langage des élévations qui appellent le regard des passants. Les ormes, les platanes et les peupliers d’Italie servent d’écrin à une véritable exposition de l’art de bâtir, des années 1910 à nos jours. Ces architectures dévoilent les goûts comme les enjeux qui ont dicté leur édification. Cent ans d’histoire unis dans la diversité.
En novembre 1906, le conseil municipal de Lille étudie plusieurs projets pour faire pénétrer le boulevard dans la ville intra-muros. Le tracé retenu emprunte la rue Bonte-Pollet et la rue des Fleurs, avant de s’étendre sur les rues des Oyers et des Suaires et d’atteindre le cœur historique de la ville. Il entame la transformation complète de cette partie de la ville. Le nouvel ouvrage débouche sur la place du Théâtre qui a perdu sa salle de spectacle conçue par l’architecte Lequeux lors d’un incendie survenu en avril 1903.
Lille, Place du Théâtre, 1910 BM Lille/Fonds Emile Dubuisson
Désormais se dressent à la jonction de l’actuel boulevard Carnot et de la place, deux nouvelles architectures monumentales : la Chambre de Commerce et de l’Industrie, sur le côté gauche à partir de 1906, et l’Opéra, implanté sur la parcelle opposée suite à un concours en 1907. Ces deux constructions sont l’œuvre d’un seul et même architecte, LouisMarie Cordonnier (1854-1940), qui assume la charge d’organiser l’entrée monumentale du nouveau boulevard.
Lille - La rue des Suaires en 1906 Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Lille - Place du Théâtre entre 1907 et 1910 BM Lille/Fonds Emile Dubuisson
Lille- Le Théâtre de Lequeux BM Lille/Fonds Lefebvre
Le nouveau Théâtre La place du Théâtre est alors toute désignée pour recevoir un nouveau Théâtre, proche de la Gare, au confluent de toutes les lignes de tramways et faisant pendant à la nouvelle Bourse. Le concours lancé en juillet 1907 est réservé aux Lillois. Afin de s’assurer la victoire, Louis-Marie Cordonnier propose deux projets : l’un de style régionaliste et l’autre néoclassique. Ce dernier projet, différent de la majorité de ses œuvres, séduit le jury et lui permet de passer le premier tour, puis de remporter la compétition. Le Nouveau Théâtre, qui devait être inauguré en 1914, est utilisé par les Allemands durant la période d’occupation de la ville et ne sera définitivement achevé qu’en 1923.
Un pan entier du Vieux-Lille disparaît L’implantation de ces deux édifices a nécessité l’acquisition de terrains à l’amiable ou par voie d’expropriation, suivie de la destruction de nombreux bâtiments. À la fin de l’année 1906, le conseil municipal de Lille adopte le projet d’édification du Nouveau Théâtre dans l’îlot fermé par la rue des Suaires, la rue du Bois-Saint-Etienne, et la rue des Sept-Sauts. Le prestige et la sécurité de la nouvelle construction ont justifié son isolement par l’ouverture de voies de dégagement. Le monument a supplanté les immeubles à rez-dechaussée dédiés aux commerces sur la place du Théâtre, en face de la Vieille Bourse. L’édification de l’Opéra et de la Chambre de Commerce a ainsi entraîné la disparition d’un pan important du quartier ancien.
L’entrée dans la modernité Répondant aux attentes énoncées par la municipalité d’établir des tracés clairs et lisibles, Louis-Marie Cordonnier a doté le tronçon lillois du Grand Boulevard d’une entrée monumentale. La percée du boulevard Carnot à travers un tissu urbain au cœur historique de la ville a généré une mutation des quartiers du VieuxLille et du Centre et a permis leur aération. Ces deux chantiers d’envergure ont été menés à bien grâce aux techniques du béton armé. Sur le plan stylistique, le Nouveau Théâtre renoue avec ces illustres exemples parisiens que sont l’Opéra Garnier et l’Opéra-Comique. La Chambre de Commerce ravive les traditions locales en s’inspirant de la Vieille Bourse et du Rang du Beauregard, implantés l’un et l’autre sur des parcellaires lui faisant face.
La Place du Théâtre
Lille, Place du Théâtre, le Nouveau Théâtre et la Nouvelle Bourse Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
La Chambre de Commerce Dès la seconde moitié du XIXe siècle, La Chambre de Commerce désire faire de Lille un grand centre des affaires, à la hauteur des intenses activités commerciales et des transactions boursières qui réunissaient de nombreux négociants et courtiers. L’exiguïté de ses locaux motive l’érection d’un nouvel édifice qui remplirait les fonctions de bourse et de siège de l’institution consulaire. Seul un terrain situé à proximité de la Gare et de la Grand’ Place et pouvant offrir un espace assez vaste pour y loger tous les services nécessaires conviendrait.
De son côté, l’administration municipale, soucieuse d’amorcer une large voie afin de relier le nouveau boulevard au centre de la ville, donnant parallèlement lieu à l’assainissement des rues des Suaires et des Oyers, propose à la Chambre de Commerce d’étudier le projet d’acquisition des immeubles de la place du Théâtre et de la rue des Suaires formés principalement par le magasin de Saint-Jacques.
En 1906, le président de la Chambre de Commerce, Edmond Faucheur, sollicite l’architecte afin d’établir les plans de la nouvelle Bourse devant aménager l’angle gauche du boulevard Carnot et de la place du Théâtre. Pour autant, si l’édification d’un tel monument permet d’accueillir les étrangers venus pour affaires, elle ne suffit pas pour les retenir dans la ville. La municipalité estime qu’il est donc nécessaire d’apporter distractions et plaisirs aux touristes, comme aux habitants de la ville.
Des noms chargés d’histoire : étymologie de deux voies oubliées Ces travaux ont fait disparaître un pan important du Vieux-Lille, dont les noms des rues étaient chargés d’histoire : - La rue des Suaires en continuité de la rue de la Clef : en 1450, cette rue se nommait « rue des Sueurs », en mémoire d’une terrible maladie, la « suette », qui sévissait alors dans la ville et causait de nombreux décès parmi la population. Par corruption « sueurs » devint « suaires ». - La place des Guingants se trouvait autrefois à la jonction des rues de la Clef, des Oyers et des Suaires : elle rappelait le souvenir d’une coutume médiévale et marquait l’endroit où le « Pape des Guingants » exécutait des parodies fort peu religieuses.
Le Boulevard Carnot
Elargissement et redressement de la rue de la Clef, Plan d’alignement 1906 - 1907 Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
La percée à travers les parcelles loties au bord des rues des Suaires et des Oyers débute en 1907, lorsque le préfet du Nord, Louis Vincent, déclare d’utilité publique l’élargissement de ces axes. Les premiers coups de pioche y sont donnés au début du mois d’avril 1907. La destruction progressive de ces rues anciennes inaugure la naissance d’un axe monumental, dont la largeur de 25 m est équivalente à celle de la rue Faidherbe. Faisant suite à une délibération du conseil municipal de Lille, lors de la séance du 16 novembre 1909, le tronçon lillois du Grand Boulevard prend le nom de boulevard Carnot.
Immeuble de rapport Boulevard Carnot, Lille Lemay architecte, 1910
L’assainissement du quartier du Théâtre Les acquisitions et les expropriations condamnent des constructions anciennes, mais ont des effets salutaires sur le plan de l’hygiène. La municipalité vise la rectification et l’élargissement des voies, où seront érigés de nouveaux immeubles, spacieux et salubres. La transformation de ces « vieilles artères », inadaptées à la circulation moderne, permet de désencombrer cette partie du VieuxLille et d’y apporter une respiration. Les mutations du quartier du Théâtre débutent avec le plan de redressement et d’élargissement de la rue de la Clef, depuis sa jonction avec l’ancienne place des Guingants. Sur le côté opposé du boulevard, une autre trouée fait définitivement disparaître la maille ancienne afin d’assurer le dégagement du futur Opéra. Aujourd’hui, seul le corps frêle et arrondi de la maison érigée par l’architecte Armand Lemay à l’angle du boulevard Carnot renvoie à l’ambitieux remaniement de la rue de la Clef, resté sans suite.
Prospérité et modernité Le nouveau boulevard, doté d’aqueducs et de pavages, apporte davantage d’air et de lumière et instaure une nouvelle vie sociale. Les quelques foyers à activités douteuses, « périlleuses pour la santé physique et mentale des habitants », sont supplantés par un programme architectural grandiose, mieux adapté aux exigences modernes et à l’image prospère de la ville. L’aménagement du boulevard Carnot a privilégié la formule de l’immeuble de rapport avec commerce au rez-de-chaussée. De nouvelles réglementations de voirie limitent la hauteur des constructions à 21 m sous la corniche, afin de garantir un éclairage constant et optimal des habitations. Cet alignement donne une perspective homogène au boulevard, sans heurt pour le regard. Version modernisée des constructions haussmanniennes de la rue Faidherbe voisine, les réalisations assouplissent le langage classique par les lignes sinueuses des encorbellements, bow-windows, grilles ouvragées et guirlandes végétales. Les variations décoratives individualisent les façades et leur évitent l’écueil de la monotonie.
Le tronçon du boulevard Carnot qui s’étend à partir de la rue des Arts a été porté à sa largeur de 25 m après la Première Guerre mondiale. Alors que l’immeuble de rapport règne toujours en maître, ses profils linéaires et son langage parcimonieux témoignent des approches plus épurées des années 1930. Certaines élévations offrent une véritable grille de lecture de la distribution intérieure. Espace privilégié de la vie quotidienne, la salle à manger constitue le principal accent de ces corps rectilignes, dont les baies éclairent les pièces de réception. De nombreux gardecorps et balcons filants offrent aux habitants des vues imprenables sur le spectacle urbain qui se déroule sous leurs pieds.
Lille – Boulevard Carnot – Royal Hôtel Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Immeuble de rapport « Boulevard Carnot, Lille, propriété de l’Immeuble moderne » Façades et coupes Collection ADN Lille France/Repro. Jean-Luc Thieffry
Pour l’aménagement du Grand Boulevard au-delà des remparts, les architectes usent de stylistiques et de procédés éprouvés dans l’aménagement du territoire lillois après l’agrandissement de 1858. Les ordonnancements et les perspectives obtenus dématérialisent les fortifications : le tronçon compris entre la gare de Lille et l’avenue Saint-Maur offre une ambiance urbaine proche de celle de la ville intra-muros. Un kaléidoscope de styles gagne rapidement ce site périurbain, déjà en pleine croissance avant la Première Guerre mondiale.
Hôtel de Maître dit « Hôtel Renaissance » Avenue de la République, La Madeleine
Des fortifications lilloises à Saint-Maur
Maisons de ville Rue de Paris, La Madeleine Roussel architecte
L’intemporalité classique Les emprunts classiques triomphent le long du boulevard, et ceci indifféremment des périodes de création. Ces codes venus de l’Antiquité servent à promouvoir le statut social des commanditaires, tout en célébrant le prestige du nouvel axe à la mode. Des formules empruntées aux modèles haussmanniens de la seconde moitié du XIXe siècle rythment les façades longilignes de certains immeubles de rapport et cadencent les déplacements urbains.
Maison de maître Avenue de la République, La Madeleine Duclermortier architecte, 1927
Immeuble d’habitation Angle de la rue du Maréchal Foch, La Madeleine Duray architecte, 1910
Maison de ville Avenue de la République, Marcq-en-Baroeul Besozzi architecte
Arrondies, biseautées, décrochées, les élévations au croisement du Grand Boulevard et des voies latérales arborent des pans coupés, des dômes en poivrière ou des bowwindows superposés. Elles dessinent ainsi les contours des parcellaires jouxtant l’artère monumentale et confèrent à leurs embranchements des allures triomphales. De ses expressions les plus simples, aux mélanges voraces de l’hôtel Renaissance, le répertoire classique nourrit également l’éclectisme des maisons et hôtels particuliers.
La demeure des frères Jules et Victor Delvallée combine ordres classiques et gargouilles gothiques dans une sensibilité évoquant les châteaux de la première Renaissance française. Telles des armoiries châtelaines, les initiales entrelacées en fer forgé des propriétaires estampillent le tympan de la porte d’entrée. Elles sont la marque d’une famille prospère, engagée dans le milieu des affaires.
Maison de ville Avenue de la République, La Madeleine G. Pagnerre architecte
Maison de ville Rue du Docteur Legay, La Madeleine G. Pagnerre architecte
Le goût du pittoresque Si les codifications classiques constituent principalement l’apanage des milieux aisés, le courant pittoresque recueille davantage les préférences des classes moyennes dès la seconde moitié du XIXe siècle. Les maisons de la petite et de la moyenne bourgeoisie adoptant des solutions de distribution similaires, les architectes rivalisent d’imagination afin de différencier les expressions des façades : matériaux variés et colorés, découpes des ouvertures, des grilles et garde-corps, jeux des reliefs, multiplication des motifs d’ancrage, emploi de cabochons, amortissements… Les territoires connexes au Grand Boulevard abondent en solutions ingénieuses qui allient le confort, l’hygiène de l’habitat et une esthétique impétueuse à un coût raisonnable.
Rang de maisons de ville, détail Rue Gay-Lussac, La Madeleine Attribuées à Ch. Bourgeois, 1923
Immeuble d’appartements Rue Berthelot, Marcq-en-Baroeul F. Hennequin architecte, 1929
Sensibilité régionale et Art nouveau Certaines façades de briques laissées nues ressuscitent les maisons traditionnelles flamandes. Si l’architecte Besozzi évoque la contrée des comtes de Flandre à travers les tours défensives de leurs châteaux médiévaux, le concepteur madeleinois Roussel mêle subtilement les références régionales à quelques notes Art nouveau. Aux côtés des traditionnels pignons à gradins, des formes géométriques pures renvoient aux expériences de l’architecte Paul Hankar dans la banlieue de Bruxelles. Cette double influence stylistique est rehaussée d’une bivalence décorative et fonctionnelle. Les travées, différenciées par leurs saillies, couleurs et hauteurs, distinguent par ces mêmes procédés les espaces de réception et d’habitat des articulations de service. Gabriel Pagnerre, maître local du langage hankarien, accentue les pièces de réception par des variations autour du cercle parfait, taillé dans une peau de briques vernissées.
Maison de ville Avenue Germaine, La Madeleine A. Stevens architecte, vers 1928
L’Art déco Des penchants géométriques de l’Art nouveau, certains architectes glissent facilement vers l’Art déco qui marque les années 1925-1930. La paroi limite le décor ajouté, les formes se simplifient au profit d’une plus grande importance laissée aux volumes et au matériau. Sous les toits-terrasses, les espaces intérieurs modèlent l’esthétique de la façade par leurs saillies géométriques, garnies de larges ouvertures.
Immeuble de rapport Rue F. De Badts, La Madeleine - G. Secq architecte
De Saint-Maur au Croisé-Laroche
Ce large éventail stylistique ponctue également le tronçon compris entre l’avenue SaintMaur et le Croisé-Laroche, point de convergence des trois branches du « Boulevard des Trois-Villes ». Si l’avenue Saint-Maur marquait déjà le paysage en 1909, l’entre-deux-guerres raffermira l’ancrage du Grand Boulevard au territoire de Marcq-en-Barœul grâce à l’ouverture dans les années 1930 de deux nouvelles artères d’envergure, les avenues Clemenceau et Foch. Accents balnéaires À la fois urbain et suburbain, territoire de vie et de dépaysement, le Grand Boulevard a inspiré des approches bucoliques. Certains créateurs ont traduit dans un pittoresque de briques et de béton le délassement de la frénésie qui règne dans les cités noircies par les fumées des usines. Ainsi, l’édifice à l’angle droit du boulevard SaintMaur substitue le traditionnel pan coupé à un bow-window filiforme en bois. La coiffe pointue de cette structure légère rappelle les toitures de certaines maisons de plaisance.
Immeuble de rapport Angle de l’Avenue St-Maur, La Madeleine
D’une manière plus appuyée, les colombages anglo-normands ont conféré à certaines demeures un air balnéaire. Les cités de bord de mer, investies à la belle saison par les élites, puis par les classes sociales plus modestes, ont fourni des éléments de différenciation à quelques propriétaires assoiffés d’originalité et/ou amateurs d’évasions. Les faux-colombages et les toitures à croupes débordantes ont également convenu à l’architecture de certains immeubles de rapport, tel ceux encadrant la nouvelle avenue Foch à partir de 1928.
Rue de l’Abbé Lemire, Marcq-en-Baroeul Perspective
Avenue de la République, Marcq-en-Baroeul Perspective
Le Parc Saint-Maur Organisé en tours ou en barres afin de loger un maximum de populations, l’habitat des années 1960 poursuit la recherche d’un ensoleillement constant et optimal. La paroi est amplement ajourée ou complètement désagrégée, afin de laisser l’air, la lumière et la nature envahir les espaces de vie. La longévité de la Résidence du Parc Saint-Maur et l’intérêt toujours constant qu’elle suscite prouvent à eux seuls la qualité et la fonctionnalité de ce grand ensemble, dû à deux virtuoses locaux de l’architecture collective, Jean Dubuisson et Guy Lapchin.
Immeuble d’habitation Angle de l’avenue de la République et de l’avenue Foch, Marcq-en-Baroeul M. Batteur, L. Chandèze architecte, 1928-1929
Immeuble de rapport Rue Aristide Briand, Marcq-en-Baroeul
Immeuble d’habitation Avenue de la Marne, Marcq-en-Baroeul R. Gobillon architecte, 1931
Une nouvelle urbanité voit le jour Le dépaysement règne également dans la rue de l’Abbé Lemire, aménagée dans les années 1930 en marge de l’artère monumentale et du château Franchomme. Le courant pittoresque s’y enrichit d’ingrédients architectoniques.
Outre les innombrables jeux décoratifs, le caractère pimpant et allègre de la voie provient des hauteurs et saillies volontairement disparates des façades. L’absence d’alignement strict engendre des avancées et des renflements qui singularisent les habitations. La période de construction a apposé sa marque à chaque maison : à côté de la porte d’entrée, logé sous les larges baies éclairant le salon – salle à manger, le garage témoigne que l’automobile fait désormais partie du quotidien des classes moyennes. La verdure et la lumière, que les oriels stylisés font pénétrer au cœur des espaces de vie, perpétuent les préoccupations hygiénistes qui ont conduit à la création du Grand Boulevard. Le souci de fournir à chaque famille un cadre de vie sain et agréable est lisible dans les jardinets qui séparent le lieu de vie de la rue, préambules aux jardins en lanières protégés des regards à l’arrière des habitations. Ils rendent un juste hommage à l’abbé Jules-Auguste Lemire (1853-1928), fondateur en 1896 de la Ligue française du Coin de Terre et du Foyer.
Symphonies géométriques Durant l’entre-deux-guerres, certains architectes du Grand Boulevard cherchent à renouveler le vocabulaire architectural, en écartant les oppositions trop vives avec le paysage existant. La généralisation des structures en béton, des toits-terrasses et une plus grande stylisation, soulignée par une paroi en briques brutes rehaussée de céramiques ou peinte en blanc, modernise les formules traditionnelles de l’habitat.
Immeuble Résidence du Parc St-Maur Rue Réaumur, rue du Buisson Avenue de Mormal, Lille J.Dubuisson, G. Lapchin architectes, 1961-1967
Du Croisé-Laroche à Roubaix
Villa Avenue de Flandre,Villeneuve d’Ascq Sœur cadette de la villa Saint-Charles, construite Avenue de l’Hippodrome à Lambersart en 1891, cette demeure use des mêmes procédés décoratifs et prolonge les effets de l’éclectisme pittoresque durant la période de l’entre-deux-guerres
Villa Avenue de Flandre,Villeneuve d’Ascq Imposante par ses volumes, cette maison a fière allure grâce à la complexité des effets de sa toiture et des jeux de couleurs des matériaux (brique et pierre)
Villa Avenue de Flandre,Villeneuve d’Ascq Les briques brutes qui enveloppent les élévations de cette villa soulignent la puissance de ses volumes simples et produisent les accents décoratifs des élévations. La tour d’angle, dont les arêtes témoignent du travail méticuleux sur le matériau local, et les châssis à petit-bois couronnant les ouvertures instaurent une filiation régionale
Maison jumelle Avenue de Flandre, Marcq-en-Baroeul Eugène-Gabriel Pagnerre, 1929 Fin des années 1920, Pagnerre qui commença sa carrière en construisant des maisons de tendance Art Nouveau, élève après la Première Guerre mondiale des bâtiments aux accents plus modernistes. Cette maison jumelle a été largement modifiée par la suite.
Tour du Fer-à-Cheval Avenue Jean-Jaurès, Roubaix G. Gillet et J. Prouvé architectes, 1959 Les architectes combinent avec talent les possibilités du béton, de la pierre et de l’aluminium afin de dégager au maximum les espaces de vie. Les séquences de fenêtres et de terrasses en renforcement dictent l’expression des façades, en même temps qu’elles apportent une luminosité calculée au sein de cette tour de quinze étages, à l’entrée du Parc Barbieux.
Immeuble collectif, Résidence du Parc Croix. J. Dubuisson architecte, 1952-1956 Par l’écriture linéaire de cet ensemble résidentiel, Jean Dubuisson avantage la lisibilité structurelle et la blancheur des parois. Poumon vert de l’ensemble bâti, le jardin boisé influe sur l’esthétique architecturale. La sobriété du traitement et les proportions modérées des élévations contribuent à fondre ces constructions horizontales dans le site naturel à l’orée du Parc Barbieux.
L’impact urbain du Grand Boulevard ne fut pas le même à Lille, Roubaix et Tourcoing. Le 4 décembre 1909, Alfred Motte s’adresse à Charles Delesalle, maire de Lille en ses termes : « Autant l’entrée de Roubaix est belle et a grand air, autant l’entrée de Lille est étriquée et funèbre. On dirait une ville janséniste, toujours colletmonté. […] Enlevez-lui son corset de pierres. ». Si le Grand Boulevard venait mourir à Lille aux pieds des fortifications, la situation était très différente à Roubaix et à Tourcoing. Le projet s’arrêtait à l’entrée des deux villes sans intégrer les tronçons allant jusqu’aux terminus actuels des tramways.
A Roubaix, le Grand Boulevard parvient jusqu’à l’entrée du parc Barbieux, lieu prestigieux de promenade déclaré d’utilité publique par le décret du 30 juin 1886. Alfred Mongy avait envisagé dès 1903, le tracé actuel de la ligne de tramway mais celui-ci ne sera réalisé que beaucoup plus tardivement. C’est par le côté est du jardin et par l’avenue Le Nôtre que le tramway arrive.
En 1911, à l’occasion de l’Exposition internationale des industries textiles organisée aux abords du Parc Barbieux, une gare provisoire est installée pour accueillir les nombreux visiteurs. Tirant les conséquences de l’expérience de l’exposition ainsi que des problèmes de sécurité, la création d’une avenue côté ouest est retenue et entérinée le 2 août 1912. Elle deviendra l’avenue Jean Jaurès en 1919.
Deux obstacles se posent à la municipalité : convaincre les propriétaires des terrains concernés et parvenir à annexer une partie de la commune de Croix voisine. Pour finaliser financièrement le projet estimé à 168 000 francs, la Société Electrique de LilleRoubaix-Tourcoing participe à hauteur de 125000 francs. Le décret présidentiel autorisant l’acquisition officielle des terrains et le début des travaux ne sera signé que le 22 novembre 1914, la Première Guerre mondiale ayant pour effet de différer la réalisation qui ne commencera réellement qu’à l’été 1920.
L’avenue verra s’édifier de nombreuses constructions, pour la plupart édifiées entre 1921 et 1933 et toujours visibles actuellement. L’avenue Jean Jaurès terminée, la circulation des tramways y est transférée, laissant sur l’avenue Le Nôtre une piste molle pour les cavaliers et deux pistes pour les cyclistes. Dès lors le Grand Boulevard est relié au cœur de la ville de Roubaix par l’ancienne avenue de l’Impératrice percée en 1867 aujourd’hui le boulevard du Général de Gaulle.
Du Croisé-Laroche à Tourcoing
La Place Lisfranc (Marcq-en-Baroeul) L’urbaniste Jacques Greber envisagea, après la Première Guerre Mondiale, de transformer la Place Lisfranc, célèbre par sa forme en Y, en empruntant celle de la Place de l’Etoile à Paris avec ses douze avenues. Le projet ne vit pas le jour. La place « des Trois Villes » fut aménagée en 1929-1930. En 1944, elle prit le nom de Paul Lisfranc en hommage au Marcquois, fusillé au Fort de Bondues l’année précédente. Moderne, la place accueillit dès 1963, le premier exemple français de supermarché avec parking, œuvre de l’architecte tourquennois Luc Maillard. En 1974, la dénomination du lieu-dit Croisé-Laroche lui fut accolée.
Monument aux morts, Mouvaux, 1924 Situé sur l’emplacement de l’ancien cimetière, ce monument inauguré le 9 novembre 1924 est l’œuvre de l’architecte Arthur Lepers et du sculpteur lillois Edgar Boutry qui réalisa de nombreux monuments funéraires à Lille et Armentières
Maison Pollet Boulevard Carnot, Mouvaux Henri Jacquelin architecte, vers 1930 Maison de style Arts and Crafts qui allie les effets ruraux des toitures et médiévaux aux tour d’angle et ouvertures du premier niveau. L’architecture joue sur le dialogue entre la végétation et les matériaux pour ancrer le bâtiment sur son territoire
Villa Boulevard Carnot, Mouvaux Cette maison illustre l’insatiabilité de l’éclectisme par la surabondance des matériaux et la variété des références architecturales
Wasquehal La ville, traversée par les deux tronçons du Grand Boulevard, accueille plus particulièrement les activités tertiaires. Depuis les années 70, c’est une adresse de prestige pour les sièges des sociétés qui s’y implantent.
Mouvaux, une urbanisation autour du Grand Boulevard Sur la portion du tracé du Grand Boulevard, du Croisé Laroche à Tourcoing, qui est le plus lâche en terme d’urbanisation, une commune se distingue, Mouvaux.
Cette ville est la seule des neuf communes traversées par le Grand Boulevard à avoir implanté sa mairie le long de son tracé.
Hôtel Sion-Avot, Mairie de Mouvaux Jules Sion et Louise Avot, propriétaires de l’hôtel particulier construit en 1913 par Masquelier fils étaient fabricants de toile à Halluin. Acquis par la ville de Mouvaux, l’hôtel sert en 1939 de lieu d’accueil pour la mairie qui s’implante ainsi le long du Grand Boulevard. En 1993, les locaux sont devenus trop exigus pour accueillir tous les services municipaux, une extension est projetée sur les arrières du bâtiment. PierreLouis Carlier, lauréat du concours de maîtrise d’œuvre, réalise alors un espace résolument moderne, qui par la forme de son plan et l’organisation de son élévation apporte dynamisme et transparence aux espaces ainsi considérablement renouvelés.
Ancienne filature Albert Tronc Boulevard de la Marne Mouvaux Une des seules unités de production visible le long du Grand Boulevard, cette ancienne filature occupée par la suite par la société Elan-Etam affiche un réel parti moderniste dans l’organisation générale de sa façade. En témoigne toujours le châssis aux profils légèrement arrondis.
Maison Vandeveegathe Mouvaux Géo Bontinck architecte, 1931 Œuvre de l’architecte Géo Bontinck qui se spécialisa tout d’abord dans l’édification de demeures luxueuses, cette maison est l’un des rares exemples avant-gardistes élevé le long du Grand Boulevard. Inspirée de la maison personnelle de l’architecte Henri Van de Velde, construite en 1927 à Tervuren, l’horizontalité du bâtiment est dynamisée par la verticalité des trumeaux de céramique noire de la façade et par le détachement, sur le côté du volume principal de l’entrée.
Le monument aux morts également longe le Grand Boulevard. Contrairement à d’autres portions du tracé, des unités de production se sont installées à Mouvaux. Un poste de distribution de l’Energie Electrique du Nord de la France est construit en 1921 ainsi qu’une filature, Albert Tronc, dont les bureaux réalisés en 1929 donnent sur le boulevard de la Marne et qui abrite aujourd’hui la société Elan-Etam.
Enfin la partie mouvelloise a été attractive pour beaucoup de grands noms de l’architecture (Jacquelin, Bontinck, Bourgeois, Maillard, Croin…), qui ont exprimé une grande variété de styles (éclectique, Arts and Crafts, Art Nouveau, régionaliste, Art Déco, moderniste…)
Maison Fouan Avenue de la Marne Tourcoing Cet ensemble bâti allie avec bonheur des éléments d’inspiration Renaissance aux sgraffites, enduits décoratifs privilégiés par l’Art Nouveau.
Maison Bayard-Duvillier Avenue de la Marne,Tourcoing Emile Croin architecte, 1929 Fils de Louis, spécialisé dans la construction d’églises, Emile Croin oeuvra dans l’entre-deux-guerres et se spécialisa dans l’édification de maisons d’un style Art Déco flirtant parfois avec le modernisme.
Maison Lorthiois Avenue de la Marne,Tourcoing Charles Bourgeois architecte, 1923 Charles Bourgeois fait preuve d’originalité pour cette villa inspirée par les œuvres de Palladio en associant à un décor délicat de mosaïque bleue une écriture architecturale austère.
L’arrivée du Grand Boulevard à Tourcoing
Maison Glorieux Avenue de la Marne,Tourcoing Charles Bourgeois architecte, 1931 Dernière réalisation tourquennoise de l’architecte, cette maison combine à une allure générale Art Déco un fronton régionaliste de style arrageois.
A Tourcoing, la situation est moins complexe qu’à Lille et Roubaix. Que l’on prenne le prolongement naturel de la voirie ou le tracé actuel des tramways, il s’agit de voies antérieures au Grand Boulevard. La rue Charles Wattinne date de 1871. Les différents quais furent aménagés à l’occasion de l’ouverture de la navigation aux péniches du bras tourquennois du Canal de Roubaix en 1892. Au 41 ter avenue de la Marne, on peut remarquer une œuvre de l’architecte Luc Maillard, un ensemble de bureaux réalisés entre 1955 et 1957.
On lui doit également aux numéros 16 à 20, l’immeuble Bel Azur construit en 1965. Au 4 bis de la même avenue, se trouve le musée du 5 juin 1944, installé dans un blockhaus édifié en 1942 par l’organisation Todt. L’histoire des tramways s’est aussi écrite à Tourcoing. Il faut noter que durant les essais des « cars Mongy », c’est sur le territoire de la commune qu’un véhicule atteignit les 110 km/h.
Le pont hydraulique Construit en 1906 par les ateliers de Fives Lille, le pont hydraulique a été une des attractions de l’Exposition Internationale des industries textiles de 1911. Celle-ci prend place, pendant plusieurs mois, le long du futur Grand Boulevard qui marquera l’entrée de la ville. Le tablier du pont est, à l’origine, soulevé par un mécanisme abrité dans les quatre piles. Le pont est détruit par les allemands à la fin de la Première Guerre mondiale et remplacé en 1923 par un nouvel ouvrage conçu également par la société Paindavoine frères et construit par Thuillier fondeur tourquennois. Devenu électrique en 1927, ce second pont, fut habillé dans sa partie supérieure d’une structure plus moderne en 1996.
Immeuble Bel-Azur Avenue de la Marne,Tourcoing Luc Maillard architecte, 1965 Construit en béton, cet immeuble de standing exhibe les plateaux débordants de sa structure qui épousent la forme arrondie de la façade d’angle. Un second immeuble de même facture, « Le Beau Soleil », édifié par Luc Maillard rue Ma Campagne, allie le dépaysement de la Riviera et les postulats modernes de l’architecture.
Immeuble d’habitation Avenue de la Marne,Tourcoing Jean-Baptiste Maillard architecte, 1930 La couleur de la brique, la forme des ouvertures, le jeu des appareillages de briques et la découpe géométrique des ferronneries confirment amplement le style Art Déco de ce bâtiment.
Pont « hydraulique » à Tourcoing Repro. P. Maenhout
Carte postale,Tourcoing
Une mutation décisive de la ville de Lille L’articulation entre le Grand Boulevard et le centre ville de Lille a entraîné la destruction d’un pan entier du « Vieux-Lille » et l’arasement des fortifications. Aux rues sinueuses, le règne des ingénieurs a imposé la ligne droite, seule compatible avec un tracé de tramway, et a entraîné la démolition de maisons datant pour certaines du XVIIe siècle. Une soif de modernité et de monumentalité a donné naissance à la place du Théâtre que nous connaissons aujourd’hui.
Pour en savoir plus
Une promenade compromise par la suprématie de l’automobile sur les autres modes de transport. La voiture s’est imposée alors même que le projet prévoyait son usage mais donnait toute sa place aux piétons, aux cyclistes et aux cavaliers. Le tracé du Grand Boulevard intégrait bien au départ le juste équilibre entre les différents modes de transport et affichait sa volonté de devenir un espace de promenade à l’ombre de 6 000 arbres. Mais le XXe siècle, celui de la vitesse et de l’automobile, a vu ce dessein s’amenuiser au fil du siècle. Le percement des mini-tunnels n’ont fait que renforcer le déséquilibre entre les différents modes de transport.
AGENCE DE DEVELOPPEMENT ET D’URBANISME DE LA METROPOLE LILLOISE, ECOLE D’ARCHITECTURE DE LILLE – REGIONS NORD, Lille métropole. Un siècle d’architecture et d’urbanisme (1890-1993), Paris, Le Moniteur, 1993 BAERT, Thierry, LE BAILLY DE TILLEGHEM, Serge, JOSEPH-FRANÇOIS, Didier et all., Guide d’architecture de la métropole lilloise : Lille métropole, Courtrai, Tournai, Ypres, Paris, New-York, Le Passage, 2004 (réédité en 2009) BLONDEAU, Gérard, Lille, Roubaix, Tourcoing. Le Mongy, tramways du Nord, 1995 CULOT, Maurice (dir.), Recherches sur l’architecture de la région lilloise de 1830 à 1930, t. 1 : Le siècle de l’éclectisme, Lille, 1830-1930 ; t. 2 : Les châteaux de l’industrie, Paris / Bruxelles, Archives d’architecture moderne, 1979 CULOT, Maurice (dir.), Du Second Empire à l’Art Déco : l’architecture de la région lilloise de 1850 aux années 30, Bruxelles, Archives d’architecture moderne, 1976, 3 tomes DESBARBIEUX, Jacques, Gabriel Pagnerre, architecte de notre terre, 2007 DESBARBIEUX, Jacques, HENNART, Hubert, Le Grand Boulevard Lille-Roubaix-Tourcoing. Regards croisés, éditions Sutton, 2009 DUHAMEL, Jean-Marie, Lille, un opéra dans la ville : 1702-2004, Lille, La Voix du Nord, 2004 GAY, Claude, Au fil des trams, éditions Amitram, Lille, 1972 LANGLET, Anne, Alfred Louis Mongy et la construction de la Faculté de Droit et des Lettres de Lille, 1887-1895, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, sous la dir. de M. Stalter et Mme Lussien-Maisonneuve, Villeneuve d’Ascq, université de Lille 3, 1996, 2 vol. LUSSIEN-MAISONNEUVE, Marie-Josèphe, « De l’éclectisme au régionalisme : l’épanouissement artistique après 1850 », dans Lottin, Alain, Buissière, Éric (dir.), Deux mille ans du Nord-Pas-de-Calais, t. 2 : De la Révolution au XXIe siècle, Lille, La Voix du Nord, 2002, p. 116 à 122. PALAZOVA-LEBLEU, Diana, « Le Grand Boulevard, la création d’un axe urbain », Vieilles maisons françaises, n°226, mars 2009, p.50-55. PALAZOVA-LEBLEU, Diana, Problématiques de l’architecture d’Armand Lemay, mémoire de DEA d’histoire de l’art, sous la direction de M. François Robichon, Villeneuve d’Ascq, université de Lille 3, 2004, 2 vol. PIERRARD, Pierre, Histoire de Lille, Paris, éd. Mazarine, 1982 TRENARD (L), CODASSIONI (F.- P.), DERVILLE (A.), LEMAN (P.), Histoire d’une Métropole, Lille-Roubaix-Tourcoing, Toulouse, 1977 TOULEMONDE, Jacques, Naissance d’une métropole, histoire économique et sociale de Roubaix et Tourcoing au XIXe siècle, Tourcoing, 1966
Glossaire
Le «Mongy» traverse le siècle Avant-gardiste au début du XXe siècle en permettant une véritable mobilité des populations, le tramway a subi ensuite la concurrence du métro et sa suppression a même, un moment, été envisagée. Solidement ancré dans la mémoire collective, il continue à prendre le nom de l’ingénieur qui a si ardemment défendu sa cause, Alfred Mongy.
Amortissement, n. m. : Élément décoratif placé au sommet d’une élévation ou d’une partie d’élévation. Par son volume, il termine la ligne verticale de composition qui passe par son axe. Architectonique, adj. et n. f. : Qui concerne la science de la construction. Art, technique de la construction. Balcon filant, n. m. : Balcon s’étendant sur la totalité d’un niveau. Encorbellement, n. m. : Surplomb (ressaut) allongé, porté par une série de supports. Garde-corps, n. m. : Ouvrage à hauteur d’appui formant protection devant un vide. Certains garde-corps ne possèdent qu’un rôle décoratif. Immeuble de rapport, n. m. : Immeuble construit ou acquis dans le but d’être loué. Oriel, n. m. : Ouvrage ajouré de baies, formant avant-corps sur la hauteur d’un ou de plusieurs étages et renfermant de petites pièces, appelé également bow-window. Pan-coupé, n. m. : Pan de mur biais qui remplace l’angle abattu de la rencontre de deux murs. Poivrière, n. f. : Toit de forme conique.
Remerciements
Le Grand Boulevard, un axe fondateur
Une densification urbaine sur le tracé du Grand Boulevard et du tramway La naissance du Grand Boulevard, imaginé à la fin du XIXe, réalisé au début du XXe siècle, a profondément modifié l’urbanisation de la métropole. Ses objectifs premiers de désengorger les villes et d’améliorer l’habitat populaire n’ont pas été pleinement atteints. Si une meilleure répartition de la population entre la ville et les espaces vierges sur le tracé du Grand Boulevard s’est concrétisée assez rapidement, il faut cependant constater que les usines sont restées dans l’enceinte des villes et que le grand boulevard a été attractif pour servir de vitrine sociale et non pour développer un habitat populaire.
Cette brochure « laissez-vous conter le Grand Boulevard » n’aurait pu voir le jour sans la précieuse collaboration scientifique de : Diana PALAZOVA-LEBLEU, docteur en Histoire de l’art, qui a écrit et collaboré à la conception de la brochure pour la partie « promenade commentée » de Lille au Croisé-Laroche, Coraline GABRIELS, historienne de l’art et experte en gestion des sites du patrimoine, qui a effectué les recherches historiques sur la genèse du Grand Boulevard et a contribué à les rendre accessibles à un très large public, Peter MAENHOUT, association Architectures, qui a écrit et collaboré à la conception de la brochure pour la partie « promenade commentée » du Croisé-Laroche à Roubaix et Tourcoing. Nous adressons aussi nos remerciements à tous ceux qui nous ont permis de réunir les données scientifiques et les clichés numérisés : Direction Régionale des Affaires Culturelles, Archives Départementales du Nord; Archives Municipales de Lille, Bibliothèque Municipale de Lille, Médiathèque Jean Lévy, Ecole Nationale Supérieure d’architecture et de paysage de Lille, Transpole.
Photo aérienne 2009, Altimage – Ph. FRUTIER
Evolution de la limite Le lien qui prend sensiblement la forme d’un Y et matérialise le rapport entre les trois villes majeures de la métropole a concrétisé une spécificité septentrionale. Née d’une crainte de subir un développement circulaire comme Paris avec des villes satellites et des banlieues, cette décision a marqué de manière décisive le développement de la métropole. Le Grand Boulevard a servi de trait d’union mais en confortant chaque cité dans son identité. Le même constat peut être fait quant aux façades qui jalonnent l’ouvrage, un esprit commun, une même utilisation des matériaux traditionnels du Nord les rassemblent, mais derrière l’uniformité, une diversité de conception ou d’ornementation qui laisse à chacune d’entre-elle toute son originalité.
Laissez-vous conter Lille, Ville d’art et d’histoire…
… en compagnie d’un guide-conférencier agréé par le ministère de la culture. Le guide vous accueille. Il connaît toutes les facettes de Lille et vous donne des clefs de lecture pour comprendre l’échelle d’une place, le développement de la ville au fil de ses quartiers. Le guide est à votre écoute. N’hésitez pas à lui poser vos questions.
Le service Ville d’art et d’histoire Il coordonne et met en œuvre les initiatives de « Lille Ville d’art et d’histoire ». Il propose toute l’année des animations pour les Lillois, les visiteurs et les scolaires, et se tient à votre disposition pour tout projet.
Lille appartient au réseau national des Villes et Pays d’art et d’histoire Le ministère de la culture, direction de l’architecture et du patrimoine, attribue l’appellation Villes et Pays d’art et d’histoire aux collectivités locales qui animent leur patrimoine. Il garantit la compétence des guides-conférenciers et des animateurs de l’architecture et du patrimoine, ainsi que la qualité de leurs actions. Des vestiges antiques à l’architecture du XXIe siècle, les Villes et Pays d’art et d’histoire mettent en scène le patrimoine dans sa diversité. Aujourd’hui, un réseau de 137 villes et pays vous offre son savoir-faire sur toute la France.
A proximité, Boulogne-sur-Mer, Cambrai, Lens/Liévin, Roubaix et Saint-Omer bénéficient de l’appellation Ville et Pays d’art et d’histoire.
L’Office du Tourisme de Lille Association sans but lucratif, l’Office de Tourisme est l’outil privilégié de la politique de développement du tourisme de la Ville de Lille. Il est chargé par celleci de l’accueil, de l’information des visiteurs et de la promotion de la ville. Par ailleurs, partenaire structurant de la politique municipale de valorisation du patrimoine, il commercialise les visites, menées par les guides-conférenciers qu’il encadre, en lien étroit avec la Ville.
Si vous êtes en groupe Lille vous propose des visites toute l’année sur réservation. Renseignements à l’Office du Tourisme.
Renseignements Service Ville d’art et d’histoire Hôtel de ville B.P. 667 59033 Lille cedex 03 28 55 30 13 mail :
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Renseignements Réservations Office de Tourisme Palais Rihour Place Rihour 59002 Lille cedex 0891 56 2004 (0,225 € TTC / mn) www.lilletourism.com
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