Un cadran solaire d (INDRE-ET-LOIRE) PAR PIERRE MILLE
56 objets en bois datés du xvie s. ont été mis au jour aux abords de la cathédrale de Tours lors des fouilles archéologiques menées entre 1994 et 1995 sous la responsabilité d'Anne-Marie Jouquand (Inrap). Découverts dans ce qui fut les latrines de l'Hôtel-Dieu, ces objets, gorgés d'eau car en contact avec la nappe phréatique, étaient dans un très bon état de conservation. Le plus remarquable d'entre eux est sans doute un cadran solaire diptyque de poche.
Le contexte Cet ensemble constitue une série remarquable et homogène comparable à d'autres lots d'objets de bois de la même époque issus de fouilles en milieu urbain, en France comme à l'étranger. A Tours, malgré leur petit nombre, la nature des objets est très variée : plusieurs séries de récipients ouverts dont des écuelles décorées de croix chrétiennes, des boîtes à onguents, plusieurs bols à oreilles, des manches de couteaux, des peignes, des paniers et des corbeilles en osier, autant d'objets liés à la vie domestique ; et encore des fragments de fonds de tonneaux dont on a pu restituer les volumes... ainsi qu'un petit cadran solaire de poche en excellent état de conservation. Un cadran diptyque muni d'une boussole Ce cadran solaire est composé de deux fines tablettes rectangulaires de buis (Bwcus) originellement articulées par deux petites charnières métalliques (fig. 1 et 2). Au centre de la tablette proximale (longueur : 37 mm ; largeur : 34 mm ; épaisseur : 5 mm), une cavité circulaire abritait une boussole, disparue, mais dont est conservé le pivot central de l'aiguille aimantée. Cette boussole était à l'origine protégée par un disque transparent de
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mica ou de verre ; deux fragments en sont conservés. Autour de la boussole, le cadran horaire est limité par deux à trois incisions circulaires et concentriques ; les incisions externes sont tangentes aux bords de la tablette, lesquels sont également marqués par une double incision rectiligne. Le cadran proprement dit est divisé par quinze lignes horaires rayonnantes obtenues par poinçonnage et numérotées de 1 à 7 puis de 5 à 12. Chaque angle de la tablette est souligné par une paire d'accolades tournées vers un soleil à huit rayons. Ces décors ont aussi été réalisés par poinçonnage. Les incisions rectilignes ainsi que le cadran horaire sont rehaussés de pigments noirs, les chiffres et les décors des angles étant rehaussés de rouge. Sur la deuxième tablette (longueur : 37 mm ; largeur : 32 mm ; épaisseur : 3,5 mm) est incisé et poinçonné un autre cadran horaire nettement décalé vers la partie supérieure de la tablette. Il est de facture identique au précédent mais présente une division de douze lignes horaires rayonnantes de 6 à 12 et de 1 à 6. Les deux angles inférieurs de la tablette sont décorés de façon identique à la tablette proximale. Un fermoir métallique, conservé, permettait de bloquer les deux tablettes l'une sur l'autre pour le transport. En position d'utilisation, les deux
Fig. 1 et 2
♦ Le cadran solaire de poche de Tours (xvle s.) (cl. J.-F. Garnier). Références de l'objet : Tours 1995 - site 14. Abords de la cathédrale.
N° 14.1098. 1/F3.
Les deux tablettes composant le cadran olaire. En haut, la
ta blette divisée en 12 lignes horaires. En bas, le cadran est divisé en
1
15 lignes horaires et abritait en son centre une boussole (dessin
S. Morin/ Inrap).
i
e poche du xvr s. Tours
tablettes étaient à l'équerre : cela permettait à l'origine de tendre le style, un fil de laiton ou de bronze ; c'est lui qui projetait l'ombre sur les faisceaux horaires et donnait ainsi l'heure solaire du lieu. Les deux points de fixation du style sont encore visibles ; tendu, ce dernier formait avec les tablettes un angle de 45°. Brève histoire des cadrans solaires [histoire des cadrans solaires, ou gnomons, commence très tôt, à l'époque grecque où des cadrans construits au sol existent déjà au vie s. avant J. -C. : l'ombre d'un bâton (appelé style), planté verticalement, décrit au sol la course du soleil. [adjonction de divisions radiales à ces cadrans solaires horizontaux détermine le fractionnement des jours ; à l'époque romaine " les jours sont déjà divisés en 12 parties égales mais variables durant l'année " (Staub 1992: 100). [élaboration et la réalisation de ces instruments sont étroitement liées aux travaux des astronomes, mathématiciens et géographes grecs, dont les plus importants comme Thalès, Anaximandre, Pythagore, Parménide, Aristarque et Hipparque ont marqué l'histoire (Maury 1989). Lceuvre de
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2 cm
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Fig. 3 à Miniature flamande du milieu du xve s. sur laquelle est représenté un cadran solaire horizontal et circulaire de poche. L'Orloge
de sapience de H. Suso (Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique ; IV 111, folio 13 verso) (déjà reproduit dans Cardini 1990: 149). © Bibl. royale de Belgique
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Ptolémée, au 11e s. de notre ère, l'Almogeste, représente l'aboutissement de ces connaissances de l'Antiquité. " Son oeuvre domine encore dans les écrits médiévaux d'Adélard de Bath (fin xie s.), de Jordanus Némorius et de Joannus Régiomontanus (xve s.) " (Staub 1992: 101) ; elle est encore très importante dans les travaux de Copernic et de Galilée à la Renaissance. Dès le haut Moyen Âge, les religieux, soumis aux règles canoniales, aux séries de prières et d'offices, doivent mesurer le temps. La conception de cadrans se révèle alors être une nécessité. " Bède le Vénérable (673-735), moine anglais, élabore le principe d'un cadran canonial vertical. Ce cadran se présente comme un cercle dont la moitié inférieure est divisée en quatre parties de trois heures chacune. Le style de bois ou de métal est planté perpendiculairement au cadran " (Staub 1992: 101). Les cadrans muraux verticaux, les clepsydres et les systèmes d'horlogeries existent à l'époque carolingienne mais restent peu répandus et fixes (Daumas 1962, t. 1 : 292-362, 592). rhorlogerie mécanique se généralise au début du me s., mais ces appareils à mesurer le temps, encombrants, ne sont toujours pas transportables. Il faut en effet attendre les environs de l'an 1500
pour voir la première montre (Daumas 1962, t. 2 : 301). Il existe pourtant dès le bas Moyen Âge des cadrans solaires de poche. Dès le milieu du xve s. du moins, des cadrans horizontaux de poche et des cadrans cylindriques transportables sont en usage, comme en témoignent les instruments peints sur une miniature flamande reproduite dans l'ouvrage de Franco Cardini (1990: 149) (fig. 3). Sur cette peinture, on peut voir un cadran horizontal de poche circulaire (McKee 1987: 128) muni de sa boussole. Le style est un triangle plein, sans aucun doute escamotable afin de permettre un transport plus facile, qui ne doit pas dépasser 12 cm de diamètre. Les graduations horaires se devinent sur la surface du cadran. On peut voir également un cadran cylindrique ou cadran colonne (Turner 1992 : 11) de type " à jambe de sauterelle " (À la rencontre de Sindbad 1994 : 37). Il s'agit d'un petit cylindre de 15 cm de hauteur environ avec un anneau de suspension ; le style, tige de bois horizontale, est escamotable. La surface du cylindre est munie de séries de courbes et de graduations qui permettent de lire l'heure à l'extrémité de l'ombre du style. Un troisième type de cadran solaire de poche existe à la fin du Moyen Âge, il s'agit du cadran
solaire diptyque tel celui qui nous intéresse ici. Son origine est probablement allemande ; on trouve en effet à Nuremberg, dès 1480, des compassiers organisés en métier qui fabriquent, en bois, en laiton et en bronze, des instruments scientifiques et des cadrans solaires de poche, entre autres diptyques (Gouk 1992 : 33). Dans le rôle des compassiers de Nuremberg, daté de 1535, il est demandé que les cadrans soient faits de buis de bonne qualité ou de poirier (Gouk 1992 : 34). Durant la première moitié du xvie s., la fabrication des cadrans solaires de poche reste le monopole des compassiers de Nuremberg qui diffusent leur production dans toute l'Europe. Les premiers cadrans diptyques conservés datent de 1511 et 1513 et sont attribués à Erhard Etzlaub (Gouk 1992 : 34). Les autres sont attribués à Urich March (avant 1543) et à Georg Reinmann (en 1555) (Gouk 1992 : 34). Puis, dès la seconde moitié du xvie s., apparaissent d'autres centres de production d'instruments scientifiques et de cadrans comme Augsbourg (Allemagne), Louvain (Belgique) et Paris (France). Alors que les compassiers de Nuremberg sont issus de corporations d'artisans du bois (tourneurs, tabletiers), ceux d'Ausbourg, qui sont aussi compassiers, sont rattachés aux métiers des métaux comme les horlogers, les serruriers et les armuriers. Les ateliers parisiens de la seconde moitié du xvie s. produisent des cadrans solaires en ivoire, en ébène, en brésil (bois rouge) et noyer : " Quadrans seront mis en yvoire ébène brésil léton et autres matières en forme qui plaire aux segneurs les commander " (Turner 1992 : 9). Des
documents datés de 1547 et de 1549 montrent que les compassiers parisiens se nomment aussi cadraniers et font partie de la corporation des tabletiers (métier du bois), comme ceux de Nuremberg. " Jehan Quenif, à l'enseigne du Cylindre, fabriquait en 1557, des jeux, sabliers, clepsydres et des cadrans " (Turner 1992 : 7, 12). La première représentation iconographique d'un diptyque qui nous soit parvenue est un bois gravé du Maître MZ, actif vers 1500 à Munich, à la cour du duc Albert IV de Bavière : on distingue très bien sur cette image le cadran solaire vertical et le style (fig. 4). La deuxième est un bois gravé attribué à Hans Holbein le Jeune (fig. 5). Cette estampe fait partie d'une série, Les simulacres de lo mort, imprimée à Bâle, par Froben, entre 1524 et 1527. La dernière est l'oeuvre de Amman Jobst (fig. 6). Cette image illustre l'ouvrage Omnibus mecanicis artibus, imprimé pour la première fois en 1568 : l'artiste a représenté un géographe, un compas à la main, devant un globe terrestre ; sur le rebord de la fenêtre, à l'arrière plan, un cadran solaire cylindrique et un cadran diptyque sont visibles. Les cadrans solaires diptyques restent en usage en Europe jusqu'au milieu du xvifie s. Ils sont définitivement supplantés par les montres qui, devenant plus fiables et moins coûteuses, sonnent la disparition des cadrans de poche à la fin du xville s.
Fig. 4 Burin du maître MZ, actif vers 1500 à Munich montrant un cadran solaire diptyque. BNF, Cabinet des estampes, Ea 57, rés. 25 (déjà reproduit dans Herbert 1982, t. 1 : 116).
Fig. 5 et 6 Bois gravé de Hans Holbein le Jeune, Der Kauffman (Le marchand), suite de 40 estampes imprimées à Bâle par Froben entre 1524 et 1527 ; un cadran de poche est visible au premier plan.
BNF, Cabinet des estampes, Te 9 rés., in 4° (déjà reproduit dans
Herbert 1982, t. 1 : 312).
Bois gravé d'Amman Jobst, Le géographe, provenant de l'ouvrage Omnibus mecanicis artibus ; deux types de cadran solaire de poche sont représentés sur le rebord de la fenêtre.
BNF, réserve, Lc lb (déjà reproduit dans Cardini 1990: 206).
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C/)
Les cadrans diptyques es cadrans diptyques du XVIe au
date de 1601 et enfin celui de Hans
XVIII' s. sont en bois, mais aussi
Troschelet date de 1609. On trouve
en ivoire, rehaussés de papier
d'autres exemplaires, parfois
peint, de laiton ou de bronze,
précieux, dans divers musées : à
parfois entièrement fabriqués en
Paris, au musée du Louvre, au
métal. Une belle série, dont
musée de l'Observatoire et au
certains éléments sont de très
Musée national des techniques ; à
belle facture, est conservée au
Nuremberg, au Germanisches
Musée d'histoire des sciences
Nationalmuseum ; à Florence, au
d'Oxford : celui attribué à Hans
Museo di storia delle scienze et,
Gruber qui date de 1552 ; un autre,
enfin, à New York, au Tesseract,
attribué à Hans Friessfildt, est daté
Hasting-on-Hudson (Lloyd 1992).
de 1555 ; celui de Paul Reinmann
Pour lire l'heure : où et quand ? Le principe de fabrication et d'utilisation du cadran de Tours est classique. Les éléments qui le composent sont les suivants : - une boussole permet d'orienter les cadrans au sud. La déclinaison magnétique étant connue à l'époque (6 à 8° est), l'utilisateur pouvait corriger et positionner le gnomon au sud géographique ; - un cadran horizontal circulaire gradué de 5 heures à midi et de 1 heure à 7 heures du soir pour les lectures estivales ; - un cadran vertical semi-circulaire gradué de 6 heures à midi et de 1 heure à 6 heures du soir ; - un style oblique. En général, les deux cadrans, le vertical et l'horizontal, indiquent la même heure sous l'ombre portée du style, ce qui n'est pas le cas pour ce diptyque : le cadran horizontal marque un quart d'heure d'avance à chaque ligne horaire. Les lignes horaires des cadrans solaire de poche ont généralement le même écartement (1 heure = 15°), mais celles du diptyque de Tours ne sont pas régulières ! Pour H. Staub il s'agirait peut-être d'une correction horaire volontaire. L'étude des lignes horaires et de l'obliquité du style sont deux moyens qui permettent de savoir pour quelle latitude le diptyque a été fabriqué. H. Staub, après avoir fait le calcul des lignes horaires par rapport au midi (sin L = tgz/tgAH ; L = latitude du lieu, z = angle d'une ligne horaire avec la ligne méridienne, AH = angle horaire [1 heure correspondant à 15° d'arc]), propose, sous toute réserve, que ce gnomon a été fabriqué pour une personne du sud de l'Europe (41°), soit de Madrid à Rome.
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Si l'on tient compte de l'angle du style par rapport au cadran horizontal, qui donne la latitude du lieu pour lequel le cadran a été réalisé, on obtient 45°, soit le sud de la France, de Milan à Bordeaux. Nous pouvons dire malgré ce décalage de quelques degrés que ce cadran n'a pas été fait pour être utilisé à Tours (47,5°). Son propriétaire, originaire du sud de la France ou de l'Europe, sans aucun doute en visite à l'HôtelDieu de Tours, l'aura égaré dans les latrines et n'aura pas eu le loisir de le rapporter chez lui ! Comparaison, datation, attribution Le cadran découvert dans les latrines de l'ancien Hôtel-Dieu semble faire partie des modèles courants du )(vie s. Si les matériaux employés pour sa réalisation sont simples, buis gravé et pigments, charnières et fermoir de laiton ou de bronze, la facture reste néanmoins habile compte tenu de la petitesse de l'objet. L'objet n'est pas sans attraits. La taille à la scie, au couteau, la finition à l'aide d'un abrasif ont donné la forme, les dimensions et l'aspect général aux deux tablettes du diptyque. Les décors et les lignes horaires ont été habilement exécutés à l'aide de différents poinçons : soleils, accolades et chiffres. l'utilisation d'un compas à pointes sèches pour les cercles concentriques est assurée. Le creusement du logement pour l'aiguille aimantée a été fait au foret, comme le montrent les traces du fond de la cavité. Les doubles incisions droites ont été laissées par un outil bifide dont nous ne connaissons pas la forme exacte — les bords du diptyque ont servi d'appui à cet outil. Les éléments métalliques préfabriqués ont été soigneusement cloués ou encastrés. Eensemble était rehaussé par les couleurs (pigments noirs et rouges) des chiffres et des décors conservées jusqu'à nos jours. Ce cadran est de très petite taille, plus petit que la plupart des autres cadrans diptyques datés du (vie s. conservés dans les musées. Plus petit aussi que les cadrans découverts au cours de fouilles à Heidelberg (Allemagne), à Bristol (Angleterre) ou Dresde (Allemagne), tous trois ayant été également exhumés de latrines. Les deux premiers proviennent vraisemblablement d'un même atelier inconnu, ils sont en effet de même facture. La tablette proximale du dyptique d'Heidelberg mesure 6,7 cm de hauteur, celle du gnomon de Bristol, en ivoire, mesure 8 cm. Les tablettes de ces deux dyptiques présentent une dépression similaire et les décors
sont d'une facture très proche (Vor dem groben Brand 1992: 141 ; Good 1987: 107). Ils sont tous deux également datés du xvie s., mais diffèrent toutefois beaucoup du gnomon de Tours par leurs matériaux et leurs factures. Le diptyque de Dresde, quant à lui, est daté par les auteurs de la fin du xvie s. et provient d'un atelier de Nuremberg. Octogonal, il est probablement en buis et mesure apparemment 8 x 6 cm (Archaologie in Deutchland 1995 : 30). Il est encore très différent de celui de Tours. La petitesse du cadran de Tours ne paraît pas exceptionnelle si nous nous référons aux quelques gnomons en os ou en ivoire découverts lors d'autres fouilles, comme celui trouvé au Carrousel du Louvre à Paris (France) dont la tablette verticale ne dépasse pas 3,15 cm de hauteur (information I. Rodet-Belarbi). Le cadran en ivoire issu des fouilles de la Grosse Tour à Bourges, daté de 1600, ne dépasse pas 4,4 cm de longueur (Monnet 1999 : 289). Si le principe de ces deux cadrans est comparable à celui de Tours, leur fabrication est différente. Le cadran solaire exhumé de l'épave du MaryRose (Gouk 1988 : 28) se rapproche de celui de Tours par sa petite taille. Fabriqué par les compassiers à Nuremberg durant la première moitié du xvie s., ce petit cadran circulaire en buis est toutefois différent du diptyque de Tours puisque il s'agit d'un cadran horizontal, comme celui mis au jour place des Terreaux à Lyon. Ce dernier, en bronze, mesure 5 cm de diamètre ; il était avec son étui en bois (Coeuré et al. 1999: 73). Un dernier cadran a été trouvé à Fribourg en Breisgau (Allemagne) (Unterman 1995 : 301). Il est sans aucun doute le plus intéressant de ceux trouvés en fouille, car il ressemble beaucoup au diptyque de Tours. Exhumé des latrines du cloître augustéen de Fribourg, ce gnomon mesure 3,3 cm de hauteur. L'élément découvert est la tablette horizontale en bois, probablement en buis (les auteurs ne précisent pas) ; on voit bien l'emplacement circulaire central pour la boussole, les fuseaux horaires et le trou de fixation du style. Les chiffres sont, comme sur le dyptique de Tours, arabes et de même facture. Il n'est malheureusement pas daté avec précision, mais les auteurs proposent le xvie s. Le cadran solaire de Tours est incontestablement l'oeuvre d'un atelier de tabletiers-compassiers, corporation rattachée aux métiers du bois. Les trois ateliers connus au )(vie s. sont ceux de Paris, de Louvain et de Nuremberg. A. Turner pense à un diptyque de facture allemande du xvie s., provenant vraisemblablement de Nuremberg. La dé-
termination de l'essence de bois, le buis, qui a été réalisée par Françoise Ferrer-Joly ne contredit pas la proposition d'A. Turner puisque c'est celle que les artisans allemands utilisaient de préférence. Nous avons poussé notre enquête jusqu'au Bayerische Staatbibliothek de Munich où sont conservées quelques oeuvres du compassier Erhard Etzlaub de Nuremberg (1460 env.-1532). Une carte gravée sur bois de 1500 lui est attribuée. Elle est orientée par un diptyque qui possède une facture et un décor identiques au gnomon qui nous intéresse (fig. 7). La ressemblance des décors, donc l'usage de poinçons identiques, est suffisamment forte pour penser que ces deux oeuvres sont issues du même artiste ou du même atelier. Sans toutefois pouvoir l'affirmer, faute de signature, nous pensons que le cadran solaire de Tours a été fabriqué au tout début du )(vie s. (deux premières décennies) dans les ateliers de Erhard
Fig. 7 Détail du gnomon qui oriente une carte attribuée à l'atelier d'Erhard Etzlaub, actif à Nuremberg entre 1500 et 1520, Bayerische Staatbibliothek de Munich (déjà reproduit dans Atlas Universalis
des Explorations 1991: 54).
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ill. REC HERCHES
Etzlaub, " compassier sur bois " à Nuremberg. Cet objet au premier abord anodin illustre magnifiquement, l'extrême mobilité des biens et des personnes au tout début du xvIe s. Au-delà de la simple typologie, cette étude contribue modestement à une histoire socio-économique de l'Europe.
Pierre Mille lnrap, Centre d'activités Les Échoppes, 156, av . Jean-Jaurès, 33600 Pessac
Remerciements Je remercie tout particulièrement Mme AnneMarie Jouquand qui m'a permis de publier cette étude, MM. Antony Turner, expert CNES, FEDES, Histoire des sciences et des techniques et Hervé Staub, président de l'Association pour la sauvegarde et le renouveau des cadrans solaires d'Alsace pour leur aimable concours. Je remercie et rends hommage à Mme Françoise Ferrer-Joly t qui a réalisé l'identification taxonomique du bois du cadran et des autres objets de ce contexte.
Sources ■Bibliothèque nationale de France (Département des estampes) ■Maître MZ, Memento mort, Ea 57 rés. @Hans Holbein le Jeune, Les simulacres de la Mort, Te 9 rés. in 4°
■Amman Jobst, Omnibus mecanicis artibus, Lc lb, in 4°, gravure 64 ■Bayerische Staatbibliotheh, Munich ■Carte de l'atelier d'Erhard Etzlaub actif à Nuremberg entre 1500-1520
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