UNIVERSITE D’ANGERS FACULTE DE MEDECINE Année 2012
N° . . . . . . . . . .
THESE pour le
DIPLOME D’ETAT DE DOCTEUR EN MEDECINE Qualification en : MEDECINE GENERALE Par
Pauline DAGNICOURT Née le 28 janvier 1983 à Angers
Présentée et soutenue publiquement le : 3 juillet 2012
SOIGNER SES PROCHES, UNE ATTITUDE A RAISONNER ? Réflexion sur les interférences entre la relation de soin et la relation préexistante par enquête qualitative.
Président : Monsieur le Professeur GARNIER François Directeur : Monsieur le Professeur HUEZ Jean François
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Aux 16 médecins que j’ai rencontrés en entretien, Merci pour votre disponibilité et votre sincérité, sans vous ce travail n’aurait pu être fait.
Au Professeur Jean François HUEZ, Vous m’avez fait l’honneur de vous proposer pour assurer la direction de cette thèse. Je vous remercie de votre disponibilité, de votre soutien et de la pertinence de vos conseils.
Au Professeur François GARNIER, Vous me faites l’honneur de présider le jury de cette thèse et je vous remercie de votre disponibilité.
Au Professeur Jacques DUBIN et à Madame Anne Laurence PENCHAUD, Vous me faites l’honneur de juger ce travail. Je vous en remercie.
Au Dr Jean Marc FOURRIER, Vous avez été mon tuteur et mon Maitre de stage, vous avez su me guider et me conforter dans mon choix professionnel. Je vous en remercie.
A Amélie et François, Merci de m’avoir accordé un peu de votre temps pour les entretiens d’essai.
A Sylvain, mon conjoint, Et à Victor, mon fils, Vous m’avez conforté dans l’intérêt de ce travail. Merci d’être là, de votre soutien inconditionnel et de votre patience.
A mes amis et au reste de ma famille, Merci de m’avoir inspiré ce travail et de m’avoir aidé à l’oublier parfois.
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LISTE DES ENSEIGNANTS DE LA FACULTÉ DE MÉDECINE D’ANGERS Pr. RICHARD Pr. BAUFRETON Pr. COUTANT
Doyen Vice doyen recherche Vice doyen pédagogie
Doyens Honoraires : Pr. BIGORGNE, Pr. EMILE, Pr. REBEL, Pr. RENIER, Pr. SAINT-ANDRÉ Professeur Émérite : Pr. GUY Professeurs Honoraires : Pr. ACHARD, Pr. ALLAIN, Pr. ALQUIER, Pr. BIGORGNE, Pr. BOASSON, Pr. BREGEON, Pr. CARBONNELLE, Pr. CARON-POITREAU, Pr. M. CAVELLAT, Pr. COUPRIS, Pr. DAUVER, Pr. DELHUMEAU, Pr. DENIS, Pr. EMILE, Pr. FOURNIÉ, Pr. FRANÇOIS, Pr. FRESSINAUD, Pr. GESLIN, Pr. GROSIEUX, Pr. GUY, Pr. HUREZ, Pr. JALLET, Pr. LARGET-PIET, Pr. LARRA, Pr. LIMAL, Pr. MARCAIS, Pr. PENNEAU, Pr. PIDHORZ, Pr. POUPLARD, Pr. REBEL, Pr. RENIER, Pr. RONCERAY, Pr. SIMARD, Pr. SORET, Pr. TADEI, Pr. TRUELLE, Pr. TUCHAIS, Pr. WARTEL
PROFESSEURS DES UNIVERSITÉS MM
ABRAHAM Pierre
Physiologie
ARNAUD Jean-Pierre
Chirurgie générale
ASFAR Pierre
Réanimation médicale
AUBÉ Christophe
Radiologie et imagerie médicale
AUDRAN Maurice
Rhumatologie
AZZOUZI Abdel-Rahmène
Urologie
Mmes BARON Céline MM
Médecine générale (professeur associé)
BARTHELAIX Annick
Biologie cellulaire
BASLÉ Michel
Cytologie et histologie
BATAILLE François-Régis
Hématologie ; Transfusion
BAUFRETON Christophe
Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
BEAUCHET Olivier
Médecine interne, gériatrie et biologie du vieillissement
BEYDON Laurent
Anesthésiologie et réanimation chirurgicale
BIZOT Pascal
Chirurgie orthopédique et traumatologique
BONNEAU Dominique
Génétique
BOUCHARA Jean-Philippe
Parasitologie et mycologie
BOYER Jean
Gastroentérologie ; hépatologie
CALÈS Paul
Gastroentérologie ; hépatologie
CAROLI-BOSC François-Xavier
Gastroentérologie ; hépatologie
CHABASSE Dominique
Parasitologie et mycologie
CHAPPARD Daniel
Cytologie et histologie
COUTANT Régis
Pédiatrie
COUTURIER Olivier
Biophysique et Médecine nucléaire
DARSONVAL Vincent
Chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique ; brûlologie
de BRUX Jean-Louis
Chirurgie thoracique et cardiovasculaire
DESCAMPS Philippe
Gynécologie-obstétrique ; gynécologie médicale
DIQUET Bertrand
Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie clinique
DUBAS Frédéric
Neurologie
DUBIN Jacques
Oto-rhino-laryngologie
DUVERGER Philippe
Pédopsychiatrie
ENON Bernard
Chirurgie vasculaire ; médecine vasculaire 3
MM
FANELLO Serge
Épidémiologie, économie de la santé et prévention
FOURNIER Henri-Dominique
Anatomie
FURBER Alain
Cardiologie
GAGNADOUX Frédéric
Pneumologie
GARNIER François
Médecine générale (professeur associé)
GARRÉ Jean-Bernard
Psychiatrie d’adultes
GINIÈS Jean-Louis
Pédiatrie
GRANRY Jean-Claude
Anesthésiologie et réanimation chirurgicale
HAMY Antoine
Chirurgie générale
HUEZ Jean-François
Médecine générale
Mme
HUNAULT-BERGER Mathilde
Hématologie ; transfusion
M.
IFRAH Norbert
Hématologie ; transfusion
Mmes JEANNIN Pascale MM
Immunologie
JOLY-GUILLOU Marie-Laure
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
LACCOURREYE Laurent
Oto-rhino-laryngologie
LAUMONIER Frédéric
Chirurgie infantile
LE JEUNE Jean-Jacques
Biophysique et médecine nucléaire
LEFTHÉRIOTIS Georges
Physiologie
LEGRAND Erick
Rhumatologie
LEROLLE Nicolas
Réanimation médicale
Mme
LUNEL-FABIANI Françoise
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
MM
MALTHIÉRY Yves
Biochimie et biologie moléculaire
MARTIN Ludovic
Dermato-vénéréologie
MENEI Philippe
Neurochirurgie
MERCAT Alain
Réanimation médicale
MERCIER Philippe
Anatomie
MILEA Dan
Ophtalmologie
Mme
NGUYEN Sylvie
Pédiatrie
M.
PARÉ François
Médecine générale (professeur associé)
Mme
PENNEAU-FONTBONNE Dominique Médecine et santé au travail
MM
PICHARD Eric
Maladies infectieuses ; maladies tropicales
PICQUET Jean
Chirurgie vasculaire ; médecine vasculaire
PODEVIN Guillaume
Chirurgie infantile
PROCACCIO Vincent
Génétique
PRUNIER Fabrice
Cardiologie
RACINEUX Jean-Louis
Pneumologie
REYNIER Pascal
Biochimie et biologie moléculaire
Mme
RICHARD Isabelle
Médecine physique et de réadaptation
MM
RODIEN Patrice
Endocrinologie et maladies métaboliques
ROHMER Vincent
Endocrinologie et maladies métaboliques
ROQUELAURE Yves
Médecine et santé au travail
Mmes ROUGÉ-MAILLART Clotilde MM
Médecine légale et droit de la santé
ROUSSELET Marie-Christine
Anatomie et cytologie pathologiques
ROY Pierre-Marie
Thérapeutique ; médecine d’urgence ; addictologie
SAINT-ANDRÉ Jean-Paul
Anatomie et cytologie pathologiques
SENTILHES Loïc
Gynécologie-obstétrique
SUBRA Jean-François
Néphrologie 4
MM
URBAN Thierry
Pneumologie
VERRET Jean-Luc
Dermato-vénéréologie
VERNY Christophe
Neurologie
WILLOTEAUX Serge
Radiologie et imagerie médicale
ZANDECKI Marc
Hématologie ; transfusion
MAÎTRES DE CONFÉRENCES M.
ANNAIX Claude
Mmes BEAUVILLAIN Céline
Biophysique et médecine nucléaire Immunologie
BELIZNA Cristina
Médecine interne, gériatrie et biologie du vieillissement
BLANCHET Odile
Hématologie ; transfusion
M.
BOURSIER Jérôme
Gastroentérologie ; hépatologie ; addictologie
Mme
BOUTON Céline
Médecine générale (maître de conférences associé)
MM
Mme
BOUYE Philippe
Physiologie
CAILLIEZ Éric
Médecine générale (maître de conférences associé)
CAPITAIN Olivier
Cancérologie ; radiothérapie
CHEVAILLER Alain
Immunologie
CHEVALIER Sylvie
Biologie cellulaire
CRONIER Patrick
Anatomie
CUSTAUD Marc-Antoine
Physiologie
Mme
DUCANCELLE Alexandra
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
MM
DUCLUZEAU Pierre-Henri
Nutrition
EVEILLARD Matthieu
Bactériologie-virologie ; hygiène hospitalière
FORTRAT Jacques-Olivier
Physiologie
GALLOIS Yves
Biochimie et biologie moléculaire
HINDRE François
Biophysique et médecine nucléaire
JEANGUILLAUME Christian
Biophysique et médecine nucléaire
Mme
JOUSSET-THULLIER Nathalie
Médecine légale et droit de la santé
M.
LETOURNEL Franck
Biologie cellulaire
MM
Mmes LIBOUBAN Hélène
MM
Biologie cellulaire
LOISEAU-MAINGOT Dominique
Biochimie et biologie moléculaire
MAY-PANLOUP Pascale
Biologie et médecine du développement et de la reproduction
MESLIER Nicole
Physiologie
MOUILLIE Jean-Marc
Philosophie
NICOLAS Guillaume
Neurologie
PAPON Xavier
Anatomie
Mmes PASCO-PAPON Anne
Radiologie et Imagerie médicale
PELLIER Isabelle
Pédiatrie
PENCHAUD Anne-Laurence
Sociologie
M.
PIHET Marc
Parasitologie et mycologie
Mme
PRUNIER Delphine
Biochimie et biologie moléculaire
M.
PUISSANT Hugues
Génétique
Mmes ROUSSEAU Audrey MM
Anatomie et cytologie pathologiques
SAVAGNER Frédérique
Biochimie et biologie moléculaire
SIMARD Gilles
Biochimie et biologie moléculaire
TURCANT Alain
Pharmacologie fondamentale ; pharmacologie clinique
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janvier 2012
COMPOSITION DU JURY
Président du jury : Monsieur le Professeur GARNIER François
Directeur de thèse : Monsieur le Professeur HUEZ Jean François
Membres du jury : Monsieur le Professeur DUBIN Jacques Monsieur le Professeur GARNIER François Monsieur le Professeur HUEZ Jean François Madame PENCHAUD Anne Laurence
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PLAN
INTRODUCTION………………………………………………………………………...…. 8
METHODE………………………………………………………………………………....... 9
RESULTATS……………………………………………………………………………….. 11
DISCUSSION…………………………………………………………………………...….. 33
CONCLUSION…………………………………………….………………………..……… 38
BIBLIOGRAPHIE……………………………………………….……………………….… 39
TABLE DES MATIERES………………………………………….………………….…… 41
ANNEXES……………………………………………….………………………….……… 41
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INTRODUCTION Chaque médecin se retrouve un jour confronté à une demande de soin par un de ses proches que ce soit pour une prise en charge globale ou une simple demande d’informations15
. Le praticien apporte alors une réponse singulière à cette demande et la relation médecin
malade se mêle à une relation affective préexistante. Les différentes études quantitatives déjà menées sur le sujet confirment que ces situations sont fréquemment à l’origine de difficultés1-6, que les médecins répondent ou non à ces demandes. LA PUMA et PRIEST ont invité en 1992 les praticiens à une réflexion personnelle en formulant sept questions à se poser avant de répondre à une demande de soin7 (Annexe A). Après interrogations des auteurs, il s’avère que ces recommandations ont été émises suite à une précédente étude quantitative1 et à partir de leur expérience personnelle et leur ressenti. Elles ont été reprises et développées ensuite dans plusieurs articles8-12. Des recommandations ont été formulées secondairement par the American Medical Association (AMA) en 1993 dans le cadre du Code of Medical Ethics13 incitant les médecins à ne pas soigner leurs proches. Dans la pratique réelle cette attitude stricte semble difficile à respecter, les médecins étant soumis à de multiples facteurs parfois non maitrisables qui peuvent les influencer dans leurs décisions9. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins en France reconnait en 2009 dans le cadre du code de déontologie14 que « le médecin va soigner un ami, un proche ou une personnalité avec une attention renforcée, des précautions supplémentaires, qui peuvent être aussi bien bénéfiques que nuisibles » et que « l’objectivité nécessaire à l’action du médecin s’accommode mal de sentiments subjectifs ». Il semblait donc intéressant de faire avancer la réflexion sur le sujet en interrogeant les praticiens eux-mêmes. Le médecin généraliste semble plus exposé aux demandes5 possiblement du fait de sa position d’interlocuteur privilégié de soin primaire. De plus, la médecine générale présente des spécificités en termes de prise en charge globale et de coordination des soins15. Le choix a ainsi été fait de mener l’étude uniquement auprès de médecins généralistes. Le but était donc d’identifier les interférences entre la relation de soin et la relation affective préexistante et secondairement de comprendre les différentes attitudes adoptées par les médecins face aux demandes de soins.
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METHODE Étude qualitative par entretiens individuels semi-structurés16.
1) Population L’enquête a été menée auprès de 16 médecins généralistes (M1 à M16) recrutés dans l’entourage professionnel de l’enquêteur directement ou par téléphone. L’échantillonnage a été réalisé selon le principe de variation maximale. Les variables retenues étaient : la situation d’exercice (urbain ou rural), le mode d’exercice (seul ou en groupe), l’âge, le sexe, la situation familiale, la présence ou non d’autres médecins dans la famille de l’interviewé, l’implication éventuelle dans l’enseignement (Annexe B). Le recueil a été fait jusqu’à saturation des données.
2) Situation des Entretiens Le lieu de l’entretien a été laissé au libre choix des médecins interrogés (au cabinet ou au domicile du médecin) afin de favoriser un climat de confiance. Un des entretiens a été mené téléphoniquement. Le sujet et le but de l’étude leur ont été exposés lors de la demande et au début de l’entretien. La définition d’un proche était libre de leur interprétation sans limitation. Le principe de l’anonymat leur était garanti.
3) Guide d’entretien (Annexe C) Il a été élaboré à l’issue de recherches bibliographiques17 et principalement basé sur les recommandations émises par LA PUMA et PRIEST7 (Annexe A). Il débutait par une question ouverte afin d’initier la réflexion de l’interlocuteur. Il explorait ensuite : les modifications de la relation de soin par la relation affective préexistante, les raisons des différentes attitudes adoptées, leurs conséquences et enfin les éventuelles spécificités de la médecine générale sur le sujet. Deux entretiens tests qui ne figurent pas dans l’étude ont été réalisés afin de parfaire ce guide et de permettre à l’enquêteur de se familiariser avec ce dernier.
4) Méthode d’analyse des résultats Après accord des médecins interrogés les entretiens ont été enregistrés puis intégralement retranscrits par l’enquêteur (Annexes D et G). Pour chaque entretien, après plusieurs lectures attentives, il a été réalisé un relevé systématique de verbatim. Ensuite il a été effectué une analyse thématique, au fur et à mesure de la réalisation des entretiens, ceci 9
permettant une évolution des thèmes et sous thèmes de la grille d’analyse (Annexes E et G). A la fin de l’étude une dernière lecture a été effectuée afin de s’assurer que le relevé initial ne devait pas être complété. Il n’y a pas eu de triangulation des données par un autre intervenant.
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RESULTATS
1) Le lien affectif influait sur la relation de soin La grande majorité des médecins reconnaissait que le lien affectif modifiait la relation de soin. Un seul pensait qu’il n’y avait pas de différence avec ses autres patients.
Influences positives et avantages de la situation La bonne connaissance du patient, la situation rassurante et le climat de confiance influaient positivement « L’examen en fait, d’un vraiment proche c’est… c’est la vie » (M1). Ce lien facilitait le suivi et la réévaluation « on peut examiner, réexaminer, revenir… » (M4). Il facilitait même l’accès au soin et pouvait diminuer les dépenses de santé publique : « C’est dingue. Sur le nombre de médecins, ceux qui soignent leur famille, c’est des millions certainement d’économies par an. » (M1). Les médecins se sentaient en confiance et appréciaient leur liberté de décision, la simplicité de la relation et l’absence de jugement et d’intermédiaire « on va pas être soupçonné d’incompétence, voire d’inaction, parce qu’on n’a rien fait le premier jour » (M9). Les proches adressés à un confrère bénéficiaient d’une attention particulière « Quand j’accompagne ma mère aux urgences c’est complètement différent, elle le dit, elle est mieux prise en charge, les gens font attention à elle » (M6). Cela facilitait la rapidité de prise en charge, les échanges et la qualité des explications délivrées. Un praticien rapportait une situation ou son double rôle avait permis la bonne évolution d’un syndrome dépressif débutant chez les grands parents de son épouse : « je les ai reboostés, on a pas mal discuté et de part ma profession j’ai fait ça. Mais aussi par le lien familial, c’est pour ça que c’est si important de pouvoir aider dans les situations compliquées » (M13).
Difficultés de l’examen clinique Elles pouvaient être d’ordre pratique ou technique : manque de matériel disponible, éloignement géographique ou influence du lieu « Parce que c’est pas le même relationnel à la maison qu’en consultation dans un cadre officiel » (M2). La pudeur psychologique faisait barrière à la relation de soin, aussi bien pour le proche-patient que pour le médecin « C’est peut être pour ça qu’il faut pas être le médecin d’un proche parce que tu sais qu’il te confiera pas forcément autant. Et puis toi t’as peut être pas envie non plus de tout savoir » (M15). Cela pouvait entrainer une certaine retenue dans l’interrogatoire « il y a des retenues, des barrières que j’aurais moi personnellement, que je ferais pas tomber si les gens la font pas tomber d’eux même quoi » (M10) notamment en ce qui concernait la consommation d’alcool et l’intimité sexuelle « Interroger ses oncles et 11
tantes sur leur sexualité… c’est pas forcément facile ! » (M11). Le temps pouvait permettre de prendre de l’assurance « plus j’avance en âge, et plus c’est facile. Je sais pas si c’est quelque chose que d’autres ont exprimé, mais c’est beaucoup plus facile de dire certaines choses et de parler de certaines choses à 60 ans, qu’à 30 » (M11) tout en conservant un malaise quand il s’agissait d’un ami proche de la même génération. La pudeur du patient a été évoquée « on peut être amené par la légitimité de la pratique du soignant à investiguer ou interroger l’autre, sur des aspects de sa personne qu’un ami n’aimerait pas, ou ne souhaiterait pas dévoiler à l’autre » (M4). Le respect de l’intimité de leur proche et l’intérêt de l’intervention d’un tiers devenait une nécessité « je lui ai proposé quand même une fois de voir quelqu’un d’autre, parce qu’on était très proche… parce qu’on sait jamais si un jour il a envie de parler de choses personnelles, je sais pas de difficultés relationnelles avec son amie » (M7). Des limites dans l’examen physique de leurs proches étaient posées, notamment en ce qui concerne les examens des organes génitaux externes et les touchers pelviens « c’est mon père, c’est pas le rapport que j’ai envie d’avoir. Tu rentres dans l’intimité, faut faire déshabiller les gens… J’ai pas du tout eu cette intimité là avec mes parents » (M6). D’autres praticiens évoquaient la complexité de l’examen gynécologique alors que certaines femmes médecins rapportaient des témoignages de prise en charge gynécologique sans aucune gêne de la part du patient ou du médecin elle-même « Ma mère ça se passait bien. Je lui ai fait des frottis, à plusieurs reprises » (M11).
Les influences du lien préexistant sur la fonction médicale En quoi l’attitude du médecin allait-t-elle être modifiée ? La notion de distance dans le soin était évoquée « avec les patients on peut avoir cette distance, en même temps proche et en mettant une distance qui permet que ça fonctionne. Avec les proches c’est cette distance qui est tout le temps élastiques et qui… voilà. De ta part et de leur part » (M15) ou bien une trop grande familiarité au cours de l’examen « On a plus tendance à jouer » (M8). La neutralité nécessaire à toute relation de soin et les difficultés à la respecter avec leurs proches « C’est quand même toujours difficile de faire la part des choses entre le côté sentiment et la neutralité médicale » (M3) pouvaient amener des praticiens à perdre leur objectivité « ça fausse l’objectivité. On l’est jamais complètement bien sûr mais on a moins de chance de l’être si on est impliqué sentimentalement dans une relation je pense » (M10). Cela s’exprimait dans l’évaluation de la gravité d’une pathologie avec la peur de passer à coté d’un diagnostic ou de faire une erreur conduisant à une inquiétude accrue voire 12
disproportionnée « je pense qu’il y a des médecins qui sont des gens des anxieux par exemple, et bien ils vont penser à toutes les maladies pour leurs proches » (M5), « quand c’est tes enfants, à la fois t’es toujours tout de suite hyper inquiet, tout en sachant bien qu’ils ont rien » (M8). L’anxiété du patient pouvait être plus influente sur leurs décisions qu’avec les autres patients et leur capacité à gérer leur propre anxiété s’en trouvait amoindrie. L’un d’eux pensait que son désir de ne pas voir ses proches malades pouvait le conduire à passer à côté d’un diagnostic. Le poids de la responsabilité s’accentuait « ce n’est pas toujours facile parce qu’en fait, la vie du frère ou du fils ça a de l’importance » (M5) aussi bien vis-à-vis du proche patient que du reste de la famille « si tu te trompes de décision ou si on estime que tu t’es trompé de décision comment tu le vis après avec les autres ? C’est compliqué. C’est une grosse responsabilité » (M6). Vivre en couple avec un autre médecin permettait de prendre des décisions conjointes et ainsi de partager les responsabilités « je sais qu’il va pas passer à côté de quelque chose de grave lui » (M9). La très bonne connaissance du patient, de son passé et de ses antécédents familiaux pouvait parasiter la relation de soin et modifier l’interprétation «Tu connais l’histoire par ta vision à toi de tes proches et c’est biaisé parce que la vérité est propre à chacun. Je pense qu’un patient que tu ne connais pas tu apprends à le connaitre. Tu travailles avec ce qu’il te dit de son expérience, même si des fois tu l’amènes à réfléchir autrement sur ce qu’il a vécu, mais tu n’as pas vu les choses donc tu ne t’es pas fait une opinion au préalable » (M15). Se sentir concerné par la plainte de son proche entrainait des difficultés « je pouvais pas être véritablement objective, j’étais trop impliquée dans le retentissement que sa pathologie avait sur notre vie quotidienne, sa vie professionnelle, sa vie relationnelle » (M11). Les objectifs de soins étaient parfois guidés par les répercussions de la maladie « Donc moi j’aurais voulu qu’il se soigne pour travailler mieux, pour travailler avec des horaires, savoir mieux partager son temps entre le travail et puis les loisirs. Est ce qu’il en avait vraiment le désir j’en sais rien… C’était mon désir à moi en tous les cas » (M11). La signification réelle de la plainte pouvait les impliquer fortement : « c’est difficile quand on est dans la famille mais je pense aussi pour son médecin traitant de faire la part entre la plainte et l’envie d’exister par la plainte médicale ou le vrai problème de santé qu’on passerait à coté en fait » (M9), « c’est une demande sans doute (…) qui va trop loin… une demande qui est pas adressée à la bonne personne… c’est une demande de reconnaissance j’imagine de ses difficultés peut être, de sa vie personnelle aussi (…) c’est une demande trop large, enfin trop inappropriée qui me dérange » (M7). Leurs proches-patients mais aussi le reste de la famille pouvaient leur accorder une « confiance a priori exagérée » (M16) même dans des domaines qui ne relevaient pas de leurs compétences « Y a ça, cette notion de parole dite et qui fait toute confiance. Alors qu’on peut 13
aussi se tromper » (M15), « je me rendais compte que finalement la parole que j’avais, surtout auprès de ma mère, mais aussi auprès de mes frères et sœurs, c’est… je savais que c’était moi qui allait emporter la décision » (M5), « chez certaines personnes c’est difficile… on risque d’avoir un avis plus important dans sa tête (…) alors que c’est pas notre rôle (…) Donc là je pense qu’il faut mieux entendre qu’un son de cloche et qu’il y ait qu’un référent. » (M9). Les autres membres de la famille pouvaient interférer sur la relation de soin du fait du regard critique et du jugement qu’ils portaient : « Si c’est les enfants par exemple des proches, mes neveux ou mes nièces, y a les parents. C’est pareil, on a peur, on a peur de faire mal » (M1), « il est un petit peu facilement je trouve dans le jugement alors je me suis jamais senti très à l’aise, tu vois j’ai peur d’être jugé sur ce que je faisais auprès des enfants » (M7). Le risque de complaisance existait notamment à la signature de certificats d’arrêt de travail, d’assurance ou de reconnaissance d’une invalidité avec ce que cela implique de possible recherche de bénéfice secondaire exagéré par le patient ou la suspicion éventuelle de connivence « C’était plus facile de demander un certificat à quelqu’un qu’il avait sous la main au quotidien, parce qu’il en avait un peu marre de son activité professionnelle mais il avait quand même une pathologie, que d’aller faire la démarche d’aller voir un médecin » (M11). Comment cela se traduisait-il ? Certains situations étaient reconnues comme problématiques : les pathologies graves ou les situations de fin de vie, les pathologies psychiatriques, les soins des nouveaux nés et les situations cliniques entourant la naissance « parce qu’on est peut être encore dans une relation très fusionnelle de mère » (M9), «, le contexte émotif qui peut entourer la naissance, en particulier de son premier enfant… fait qu’on n’est pas tout à fait objectif » (M11). Les gestes techniques possiblement douloureux, notamment les vaccins et les sutures étaient parfois refusés pour ne pas être tenu responsable de la douleur occasionnée « c’est un geste… un geste douloureux pour un enfant et j’ai pas envie que le coté médical du vaccin soit mis sur moi quoi. » (M13). Signifier à un proche l’absence d’organicité et l’origine fonctionnelle d’une symptomatologie était aussi problématique « la difficulté c’était de faire comprendre (…) aux amis là que y avait rien, même pas d’organicité derrière tout ça. C’est beaucoup plus facile à faire chez quelqu’un qu’on connait pas, qu’à un ami pour cette note là » (M2). Les soins s’en trouvaient différents. La prise en charge d’un proche avait parfois été possiblement excessive ou en tous cas plus complète qu’avec un autre patient : recours plus rapide aux avis spécialisés, prescription plus aisée d’examens complémentaires « C’est vrai que ça aurait été un petit patient avec l’examen clinique qu’elle avait, je lui aurais pas fait 14
faire de biologie » (M8), prescription médicamenteuse anticipée « le risque de les écouter de trop et de les traiter tout de suite quoi » (M13) ou excès de précautions délétères lors d’une prise de sang « on a une petite hésitation, on veut pas faire mal, on prend presque trop de précautions, finalement on peut trembler un peu…» (M5). Mais finalement dans la plupart des situations les praticiens avaient plutôt tendance à en faire moins, selon l’adage « les cordonniers sont les plus mal chaussés » (M1) (M2) : attitude plus attentiste, limitation des prescriptions notamment médicamenteuses « c’est plus quand le symptôme est bien avancé qu’on réagit » (M2). Des situations avaient même conduit à un retard de prise en charge « j’ai l’impression que la familiarité un petit peu dans nos comportement, dans nos réactions (…) a retardé la décision » (M4). Plusieurs médecins ont évoqué l’absence de suivi médical réel de leur famille proche « Mes patients sont mieux suivis que mes enfants ! » (M8), « je les soigne pas, je les soigne au coup par coup quand y a un petit truc quoi. Mais ils sont pas bien soignés ! » (M10) et la vacuité du carnet de santé de leurs enfants ou petits enfants. Beaucoup évoquaient la pauvreté de leur examen clinique « C’est vrai que sans doute j’examine moins » (M7), « je signais des fois sans examiner ! » (M12). L’un d’eux expliquait qu’il ne souhaitait pas être le médecin référent de son épouse mais que celle-ci ne souhaitait pas voir un autre praticien ; cela conduisait à un défaut de soin et une prise en charge non satisfaisante « Y a pas de médecin généraliste qui prenne en charge la totalité de son dossier. Parce que je veux pas le faire et qu’elle arrive pas à se décider à prendre quelqu’un » (M10). Certains admettaient être moins attentionnés aux plaintes de leurs proches « bon des journées d’activité, de soins à l’hôpital, que le lieu de la maison soit un peu celui aussi d’échappement par rapport à ces questions là et… qu’on n’est pas forcément naturellement ouverts à aller savoir ce qui va pas » (M4). En dehors d’une attitude excessive ou à l’inverse moins interventionniste, la majorité des médecins reconnaissait qu’ils faisaient simplement différemment. Cela pouvait concerner le discours qu’ils adoptaient mais aussi leur réflexion au cours de la consultation « pas plus que les autres, pas moins que les autres mais différent. Pas avoir le même rapport, pas avoir le même discours » (M2), « même si je tiens compte de sa plainte, je vais chercher à évaluer le pronostic d’une façon plus interprétative de ce que j’évaluais de son comportement » (M4).
Influences sur l’observance et l’inobservance Quelques médecins pensaient que leurs proches étaient plus observants « je pense qu’il t’écoute bien, il respecte ce que tu vas dire » (M5), « Je pense qu’ils sont plus réceptifs à mes conseils » (M13). A l’inverse, certains avaient des difficultés à faire respecter leurs prescriptions « il a du mal à me voir comme un médecin, je suis sa conjointe donc quand je 15
vais lui dire quelque chose, s’il est pas d’accord il va pas le faire. Il va pas forcément adhérer à mon traitement » (M6) ; d’autres à se positionner en tant que donneur de conseils et redoutaient les conséquences éventuelles de cette position parfois délicate « j’étais le médecin quand elle avait besoin et je redevenais la fille quand je lui disais quelque chose qui ne lui plaisait pas » (M15). Parfois les deux effets pouvaient être mêlés de manière contradictoire « je pense que d’un autre côté alors il m’écoute pas, mais il a quand même suffisamment confiance pour faire attention quand même. Alors c’est paradoxal » (M15).
Influences sur les relations avec les confrères Les relations avec les confrères étaient modifiées quand il s’agissait d’un proche patient. Que ce soit pour des prises en charge ponctuelles ou en tant que médecin traitant la plupart des interrogés ont évoqué le problème de la confraternité et le possible désaccord avec les autres praticiens intervenant. Cela entrainait des interférences dans la relation de soin établie par le patient avec ses autres médecins et des difficultés pour que chacun reste à sa place : complexification de la relation préexistante, incertitude et perte de confiance pour le patient « l’interprétation ou la façon d’expliquer n’est pas forcément la même et chez le patient ça va pas être le même diagnostic, donc il va être encore plus perdu s’il a de multiples avis » (M9). Souvent les médecins ont du se positionner contre une prise en charge et reconnaissaient qu’il était alors difficile de faire preuve de confraternité et de diplomatie. Mais parfois leur position de médecin leur avait permis de s’opposer plus facilement à certains soins « je pense qu’il y a ce présupposé la qui fait que les gens savent… enfin les interlocuteurs savent qu’on connait (…) ce qui nous attend, on a les cartes en main pour choisir. C’est peut être plus facile que quelqu’un qui a aucune connaissance médicale. » (M9), « C’est parce que j’étais médecin que je pouvais m’autoriser à leur dire « non je veux pas qu’on revienne en arrière » » (M16). Certains interrogés constataient la confusion des rôles dans l’attitude ambigüe des confrères intervenants auprès de leurs proches. Ils s’adressaient à eux comme à des médecins et non comme à un membre de la famille n’usant pas de précautions à l’annonce de pathologies graves ou de pronostics sombres « le médecin du SAMU est venu et il m’a dit : « vous êtes médecin, bon bah voilà votre fils il est tétraplégique et il le restera. » Boum. Donc là tu sais t’es médecin alors que toi t’es la mère et c’est ça aussi qui fait que tu peux pas être les deux à la fois » (M15). Plusieurs trouvaient que leurs confrères avaient tendance à déléguer certains soins, la surveillance éventuelle ainsi que la délivrance des informations au reste de la famille « Ils ont 16
tendance à te confier la surveillance plus. Alors que précisément si tu vas les voir c’est pour déléguer » (M8), « les confrères vont s’adresser à toi-même si tu suis pas, (…) parce que tu comprends les tenants et les aboutissants et à toi de débrouiller pour le dire aux proches » (M15). Cela pouvait entrainer un manque d’explications et de soutien auprès de leurs proches par leurs confrères spécialistes. L’ « étiquette de médecin » « emprisonne plus qu’elle (ne) libère » (M4) et amenait parfois à ne pas révéler sa profession aux confrères afin de ne pas fausser la relation de soin « je me rends compte qu’on peut pas avoir un avis neutre, faudrait dire qu’on n’est pas médecin. Le correspondant n’a pas vraiment un avis très neutre sur tes enfants puisqu’il sait que c’est des enfants de médecin, son attitude est modifiée » (M8), « quand on soigne le monde médical ça se passe pas comme avec les autres. C’est toujours plus compliqué parce que le monde médical complique les choses » (M16). Le regard parfois critique des confrères pouvait freiner une décision d’hospitalisation avec la nécessité d’appeler les urgences avant d’adresser son proche : « j’avais pas envie qu’on me dise : « tu viens pour n’importe quoi … » (…) vraiment ça a joué. J’avais peur de ce qu’on allait penser de moi » (M6), « pour pas passer pour une mère hystérique » (M6). Les confrères pouvaient se retrouver dans une position délicate lorsque les médecins adressaient un proche « il me laissait m’impliquer, je crois qu’il cherchait à m’impliquer, (…) ou il voulait pas m’empêcher de m’impliquer si j’avais envie de m’impliquer, y avait les deux » (M10). Cette situation ambivalente pouvait être perçu comme un honneur et une référence mais en même temps être source de stress et d’inconfort « c’est peut être un honneur qu’un confrère envoie sa propre femme mais pour lui c’est un poids de plus » (M1). Les confrères pouvaient être plus prescripteurs du fait du regard critique éventuel du proche médecin « les médecins vont être plus prescripteurs (…) parce qu’il me semble qu’il peut y avoir un jugement de la part du confrère qui est aussi proche » (M15).
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2) La relation de soin influait sur la vie personnelle du médecin et sur les liens préexistants
La répercussion sur les liens familiaux et amicaux Certains médecins ne rapportaient pas de répercussion particulière de leur intervention : absence de bénéfice secondaire, de modification de la relation préexistante ou de conflits. Pour d’autres, il y avait des conséquences positives : renforcement des liens préexistants « j’ai le sentiment que ça crée éventuellement une plus forte connivence avec ces personnes là » (M16), facilitation de processus psychologiques comme le travail de deuil « C’est important parce que ça a permis à tout le monde à moi-même, mes frères, à ma mère d’avoir une construction d’une certaine sérénité par rapport à l’arrivée de la mort de notre père », compréhension de sa façon d’exercer « j’ai l’impression que ça leur permet de voir aussi ce que je fais comme travail, comment je travaille » (M7). D’autres situations pouvaient avoir des répercussions problématiques. Les proches avaient pu formuler des reproches concernant leur défaut de compétence, un diagnostic erroné, une erreur de prise en charge ou le montant des honoraires « Y en a d’autres qui sont un petit peu plus difficiles, notamment sur le plan financier, qui me reprochent de gagner facilement ma vie » (M11). Ailleurs, certains reprochaient au médecin de ne pas être suffisamment à l’écoute et de ne pas tenir compte des plaintes « elle a retenu que j’ai pu sous estimer la douleur qu’elle avait » (M4) ou bien leur absence de disponibilité avec un sentiment de jalousie vis-à-vis du temps passé auprès des autres patients. L’un des médecins expliquait que sa fille de 7 ans s’était installée en salle d’attente un jour de consultation libre et attendait son tour avec les autres patients « je pense que c’était peut être par jeu, peut être pour dire (…) faut peut être que tu t’occupes de nous de temps en temps ! Donc elle prend son tour, un peu peut être pas par jalousie par rapport aux autres patients » (M1). Les autres membres de la famille avaient aussi un regard critique : reproches concernant la qualité des soins prodigués ou un défaut de prescription d’examen complémentaire. Cela pouvait aller jusqu’à la remise en cause de la légitimité de sa place de soignant par les autres membres de la famille « on peut imaginer que ça pose soucis avec d’autres pièces rapportées de la famille qui estiment que c’est pas ta place et que voilà ça peut créer des tensions avec une tierce personne familiale » (M13). Enfin, se retrouver à l’origine d’un diagnostic grave, responsable d’une hospitalisation ou annonciateur de mauvaises nouvelles pouvait aussi être motif de reproches « je sentais que c’était trop douloureux pour eux et qu’elle m’en aurait voulu de le dire, enfin… Peut être qu’après non, mais sur le moment elle pouvait pas entendre ça. De ma part notamment. » (M15). 18
Plusieurs rapportaient des situations qui avait pu modifier la relation familiale ou amicale voire même créer des conflits. Ce pouvait être particulièrement intense à propos du conjoint car « le couple c’est vraiment le creuset (…) des discordes enfin c’est une alchimie difficile » (M11) et un examen gynécologique pratiqué sur son épouse peut avoir des interférences sur la vie sexuelle du couple. La relation de soin influait aussi sur la relation amicale. Un des interrogés rapportait avoir tissé des liens d’amitié avec certains de ses patients. Cette relation amicale était probablement influencée par sa fonction « Mais c’est vrai que ça change forcément… la fonction médicale ça change forcément la relation » (M5). Il relevait ainsi l’alternance de l’emploi du tutoiement à l’extérieur et du vouvoiement en consultation par ces mêmes amis. Pour certains, les bases de la relation amicale semblaient peu compatibles avec celles de la relation médecin malade puisque les fondements mêmes de ces deux types de relations étaient différents « dans ces cadres de relation là on peut aussi chercher à ne pas exposer certaines parties de nos vies, de notre personne de façon plus ou moins consciente (…) parce qu’on les juge pas… bénéfiques ou avantageuses pour nous dans ces cas là. Vis-à-vis d’un tiers soignant, lorsque la santé est en cause, donc là on aborde pas forcément quelque chose de l’ordre du désir comme c’est le cas dans l’amitié mais plus des problématiques de santé ou de confort, voir de sécurité… oui les valeurs changent, et donc la démarche change et c’est pas… je dirais pas que c’est incompatible, mais c’est pas très facile quand même » (M4). Le refus de soin pouvait engendrer des conflits « La personne peut être vexée » (M10), « le refus à modifié notre relation ça c’est sur. Mais enfin, j’en souffre pas. Peut être qu’elle en souffre un petit peu, c’est possible » (M10). Les soins pouvaient aussi altérer les relations entre les autres membres de la famille « En fait, on avait rien à faire dans ses décisions donc effectivement c’était un peu agaçant, (…) ça créait parfois un conflit entre mes parents » (M5). Pour les couples de médecin, certaines situations pouvaient être source de conflits : les demandes de soins pouvant être formulées plus souvent à l’un d’entre eux, cela laissait penser l’autre que leurs proches doutaient de ses compétences ou lui accordaient une moins grande confiance. Le secret médical représentait un vrai problème. Interroger son proche sur certains points inenvisageables dans le cadre de la relation familiale pouvait rendre le médecin détenteur de certaines informations interférant sur la relation initiale « un beau frère si j’étais son médecin traitant et que par un interrogatoire ou par un examen je me rendais compte qu’il trompait ma sœur… Voilà, tu peux détenir des choses qui sont de l’ordre du secret professionnel mais qui posent problème » (M15). Pour d’autres même si la situation s’était présentée cela avait été sans conséquence « c’est juste avoir été au courant de choses qui sont pas forcément dites dans la famille sur une fausse couche ou quelque chose comme ça, mais 19
ça a pas créé ni de lien particulier, ni de tension particulière » (M9), « j’ai pu être amené à avoir à gérer des choses concernant un de mes enfants sans que mon épouse soit au courant et voilà. » (M16). Toutefois, cela posait question : « je sais pas si ça serait très facile si par exemple il y avait une mise en danger » (M5). La capacité de cerner la gravité d’une situation sans que cela ait été révélé directement pouvait mettre le médecin dans une situation délicate « Le fait de savoir qu’il allait mourir et que c’était grave et que aucun traitement ne le tirerait d’affaire contrairement à ce que disaient les cancérologues (…) C’est très difficile de détenir ce secret là. » (M15). Enfin les couples de médecins pouvaient réaliser des prises en charge communes même si la demande initiale était parfois adressée à une seule personne. Cela pouvait alors les conduire régulièrement à outrepasser le secret professionnel « Le secret professionnel il est vite passé… parce qu’on fait des prises en charges communes » (M13). Les répercussions sur la place du médecin au sein de sa famille se traduisaient pour certains par le renforcement de leur rôle : celui de frère ainé, de chef de famille, d’unique fille de la fratrie… « j’étais aussi chargé par mes frères en tant que frère ainé qui ne sont pas médecins, qui sont d’un milieu tout à fait différent au niveau professionnel, d’être un peu le référent dans cette affaire » (M16), « Ils m’en veulent pas du tout, au contraire ça les arrange. C’est moi la plus près, ils sont plus loin eux. Donc voilà, je suis la fille en plus. Donc ça fait tout… la place elle était prédéfinie, je suis la plus petite donc voilà c’était comme ça » (M6). Pour d’autres, leur identité familiale était modifiée par la relation de soin « je pense que des fois mes frères et sœur me voient comme le frère mais des fois aussi comme le frère médecin » (M5). Lors de prise en charge ponctuelle, la position de soignant bouleversait les rôles et les mettait en position d’autorité et de donneur de conseils auprès d’un ascendant « T’es mon fils, je veux bien, t’es médecin peut être mais l’insuline je sais gérer » (M5), « peut être que si ça avait été quelqu’un d’autre que ça nièce, il y serait allé » (M11). Leurs proches avaient parfois besoin d’eux en tant que proche et cela n’était pas toujours compatible avec une relation de soin surajoutée : en particulier lors des soins douloureux « mon rôle de maman même si c’est un geste de protection, il est plus de le tenir dans mes bras et de le rassurer quand ça fait mal que de lui faire mal » (M6) mais aussi à propos de situations graves. A l’inverse plusieurs médecins ressentaient parfois la nécessité d’occuper pleinement leur rôle de proche et d’abandonner ainsi leur rôle de soignant « Moi le bébé je veux en profiter comme un grand père et non plus comme un docteur » (M16). Ainsi l’une d’entre eux rapportait son soulagement lorsqu’elle a décidé de déléguer les soins de son beau père en fin de vie « en fait dans les derniers moments je restais (…) la belle fille… et je me souviens que la veille de son décès il m’a demandé de lui couper les ongles des orteils. Je l’ai fait… je l’ai fait parce que j’étais la belle fille. C’était pas en tant que médecin » (M15). 20
Une autre exprimait sa volonté de remplir pleinement son rôle de mère auprès de sa fille autiste et ainsi de ne pas vouloir se positionner en tant que médecin. Cette place de mère lui semblait déjà primordiale pour sa fille et suffisamment compliquée à tenir : «J ‘ai déjà la place de mère et c’est largement suffisant ! Peut être que pour elle en fait j’ai envie d’être sa mère et j’ai pas envie d’être soignante » (M9). Le choix de soigner certains membres de sa famille empêchait de vivre la situation en tant que proche « C’est évident qu’à partir du moment où vous êtes dans la situation du médecin vous pouvez pas souffrir en tant que proche. » (M16). Ainsi l’incapacité à tenir un double rôle obligeait à faire des sacrifices concernant son implication affective « on est obligé de faire… d’accepter les conséquences pas aussi banales que ça. C’est accepter de pas être aussi concerné, d’être aussi impliqué dans l’histoire quoi. Parce qu’on peut pas être dans une attitude schizophrène » (M16) et à ne pas accompagner le patient en tant que proche « c’est sûrement sacrifier des éléments effectivement de plus être à la position de celui qui accompagne, qui est à côté, quand on est acteur dans l’histoire » (M16).
Ressenti et influence sur le bien être personnel du médecin Il pouvait n’y avoir aucune répercussion : « ça ne me gène pas et ça modifie pas mon caractère ni ma personnalité » (M14), « ça a aucune influence sur moi. Ma femme me dit que je suis une personne pas très sensible donc, partant de ce principe là… » (M14). Plusieurs reconnaissaient une certaine satisfaction à soigner leurs proches ; ils se sentaient utiles, prenaient plaisir à rendre service « ça me fait plaisir d’aider mes proches quand je peux faire quelque chose » (M8), et en en tiraient une certaine fierté « Faut être honnête, ça fait toujours plaisir qu’ils me demandent un conseil » (M13), « C’est plutôt gratifiant » (M14). L’expérience de soins auprès d’un proche avaient pu enrichir leur pratique : « le décès de mon beau frère m’a aidé aussi parce que je suis allée voir les pompes funèbres avec ma sœur, elle était effondrée parce qu’ils en avaient pas discuté et elle savait pas. Elle savait pas ce qu’il aurait voulu. Et c’est vraiment quelque chose qui m’a interrogé et qui me fait maintenant dire… essayer de dire au patient quand on peut » (M15), «cette expérience là en tant que médecin m’a aussi encore conforté un peu plus mais m’a fait aussi m’interroger sur parfois un certain nombre de choses qu’on dit aux patients dont on n’appréhende pas forcément la portée et les conséquences » (M16). Enfin l’un d’eux expliquait que son implication dans les soins de la fin de vie de son père avait permis d’aborder son décès avec une certaine sérénité car ses préférences et ses choix avaient pu être respectés « les décisions qui étaient prises et respectées été tout à fait dans le design de ce que j’avais souhaité. En tant que médecin mais aussi en tant que fils » (M16). Du fait de sa 21
participation aux soins, le deuil lui avait semblé moins douloureux « Pour moi… j’ai plus souffert de façon ponctuelle et partielle sur plusieurs mois comme ça dans le temps et pas souffert quand il est mort » (M16). Mais parfois les soins pouvaient avoir un impact non négligeable sur le bien être personnel du médecin. Faire respecter un espace et un temps personnel de repos sans sollicitation était difficile. L’un d’eux évoquait sa charge de travail et le risque de saturation avec les demandes surajoutées de la famille « On est déjà bien occupé par les gens qu’on connait moins, les patients… Alors si en plus il faut gérer de A à Z la prise en charge des proches, notamment des parents, c’est pas possible ! » (M2). Les plaintes récurrentes liées à la disponibilité permanente empiétaient sur la vie privée : « Dans la famille de mon ami, au début, chaque repas de famille j’avais le droit à… aux histoires médicales de tout le monde » (M6), « t’es corvéable à merci et t’es toujours disponible. Bah non, parce que le bien être passe aussi par une vie familiale qu’est pas forcément dérangeable à tout bout de champ même la nuit » (M15). Mais la médecine faisait partie intégrante de l’identité des médecins, expliquant parfois les difficultés à séparer la vie personnelle de la vie familiale « t’es sollicité tout le temps et ça te met en responsabilité par rapport à ton entourage proche, ce qui est très inconfortable je trouve moi des fois. Après c’est un métier qu’on fait tout le temps, même quand on n’est pas au cabinet ! » (M6). Leur condition de médecin les obligeait à porter secours dans toutes les situations « maintenant je me dis que c’est mon métier… C’est plus qu’un métier quoi. Si y a un accident sur la route tu t’arrêteras, si y a un malaise dans l’avion on t’appellera, si… Faut s’y habituer ! C’est comme ça » (M6). Certains ne parvenaient pas à mettre de côté leurs connaissances professionnelles « y a des choses comme ça, on sent… même si on n’est pas médecin, on reste médecin de toute façon. C’est pas parce qu’on est sorti d’ici qu’on y est plus » (M15). L’importance du lieu d’exercice a été évoqué : si le cabinet était placé hors du foyer familial cela permettait une séparation plus aisée. Plusieurs médecins se sont retrouvés en difficultés dans la relation de soin et mal à l’aise, notamment lorsque la situation ne leur convenait pas mais qu’il n’osait pas le dire et ne voulait pas faire transparaitre leur ressenti « la relation ça se passait bien, parce que je ne montrais pas mon mécontentement que ça se passe comme ça. Il devait peut être un peu le sentir parce que c’est difficile de pas montrer ce qu’on ressent, ce qu’on pense mais… je le montrais pas plus que ça… parce que je trouvais ça inutile » (M2). Pour d’autres, l’examen clinique était à l’origine de leur malaise « Quand j’ai eu à regarder l’anus de mon beau père, bon c’est quelque chose que… D’ailleurs c’est après ça que ça m’a décidé… J’estimais qu’on avait franchi une limite qui était pas acceptable » (M15). Certains évoquaient leur difficulté à endosser le double rôle de soignant et de proche et leur incapacité à se positionner « c’est 22
parfois difficile de trouver bien sa place » (M5), parfois vis-à-vis de leurs confrères « une situation pas facile non plus parce que j’étais le fils médecin mais d’un patient plutôt difficile quoi. C’est vrai que t’es des fois un petit peu entre deux quoi. Du côté soignant, du côté de la famille… » (M5). Beaucoup ont évoqué des expériences douloureuses avec une charge psychologique et émotionnelle forte « c’est vrai que tout ça c’est une expérience qui était plus que douloureuse et difficile » (M10), « Je pense que quand même ça m’a alourdi la charge psychologique » (M11). L’une d’entre eux évoquait le retentissement de l’autisme de sa fille sur son bien être personnel et la charge affective émotionnelle surajoutée lors de problèmes somatiques « j’aimerais tant mieux communiquer avec elle que ça me… d’avoir en plus un problème de santé à gérer, c’est trop quoi. » (M9). Des annonces diagnostiques traumatisantes ont été rapportées « j’avais prévenu ma famille… Ca c’est aussi un rôle qui n’est pas facile de dire à la famille : voilà, papa il est pas bien, je me demande si c’est pas ses derniers jours… » (M5), « ça j’avoue que rien que d’en parler c’est pas facile, dire à son père « t’as un cancer du pancréas et y a pas grand-chose à faire » c’est difficile » (M10). Pour certains, la survenue éventuelle d’une pathologie grave était source d’angoisse « Je me dis que l’angoisse que ça pourrait générer m’inquiète par rapport à la distance que je pourrais être amené à mettre » (M4), tout comme les situations de fin de vie « c’est peut être plus difficile de les écouter dans leur cheminement autour de la maladie grave » (M7). Même en cas de faible implication, le poids de la responsabilité lors du décès d’un proche pouvait être difficile à assumer « quand il est décédé, déjà le peu qu’il m’avait confié j’ai eu l’impression de pas avoir fait assez ou de pas avoir su l’aider… voilà quoi, qu’il était en partie mort à cause de moi » (M6), jusqu’à parfois conduire le médecin à s’interroger sur ses compétences professionnelles : « Déjà que j’ai eu du mal après à me repositionner en tant que médecin et à avoir confiance en ce que j’étais capable de faire alors je m’en serais occupée je crois que j’aurais jamais plus pu travailler… Je me serais interdit de m’occuper des gens en me disant tu fais pas ce qu’il faut. » (M6). Il en résultait parfois un sentiment de culpabilité et de regret « c’est vrai c’est deux choses qui sont un petit peu contradictoire. A la fois je veux pas m’impliquer, à la fois quand je me suis un petit peu impliqué bah voilà j’ai culpabilisé de pas m’y être impliqué plus tôt. » (M10).
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3) Faire son choix
Décider d’emblée de soigner ses proches Le choix de soigner ses proches d’emblée s’expliquait par plusieurs raisons. Deux des interrogés avaient décidé de soigner uniquement les membres de leur famille proche vivant sous le même toit du fait de l’absence de tiers interférant sur les soins, de la réévaluation plus aisée, de la très bonne connaissance du patient et de la bénignité des pathologies. Pour un autre médecin, soigner ses proches était une évidence et il ne remettait pas en cause son attitude « ça ne me dérange absolument pas, je me suis jamais posé la question de laisser ça aux autres » (M14). Il pensait qu’il n’y avait aucune influence de la relation affective sur la relation de soin « c’est comme un client normal, un enfant normal (…) que ce soit la famille ou non c’est pareil, j’ai la même attitude » (M14). Il ne comprenait pas pourquoi son fils médecin avait choisi de faire suivre ses enfants par une consœur « Mais je pense qu’il pourrait le faire, il est quand même capable de soigner ses enfants » (M14). Pour d’autres, la simplicité des situations justifiait leur choix « la prescription de pilule chez les copines je vois pas pourquoi on pourrait pas, c’est une chose facile à faire » (M13). Certains, exprimaient leur plaisir à apporter de l’aide et se sentaient utiles en rendant service à leurs proches « si on a une relation dans la famille, un électricien on demande toujours des avis par rapport à son réseau électrique de chez soi donc je vois pas pourquoi on n’aurait pas le droit dans notre profession parce que ça touche le corps, de pas avoir des avis, de pas y répondre. J’estime que si y a un besoin je réponds » (M13). Le confort pratique influait aussi : « On a pas à courir le médecin de garde (…) Très confortable matériellement parlant ! » (M3). Soigner ses proches pouvait aussi être considéré comme un devoir « En fait comme moi j’étais médecin, je me devais de suivre les membres de ma famille proche » (M1). L’un d’eux pensait même que ce pouvait être une faute de refuser les soins « faut pas non plus s’abstenir parce qu’on ne souhaite pas soigner sa famille de pas voir les signes d’alarme dans son propre entourage parce que je pense que ça serait une faute professionnelle pour moi » (M13), « je pense qu’on a aussi une place la dedans. De repérer des signes qu’un médecin habituellement ne peut pas avoir parce qu’il est pas 24h/24 avec des gens » (M13). Il ne concevait pas exclure ses proches de ses connaissances. Les soins pouvaient aussi représentés une tradition familiale « on est une génération où dans la mesure où mon père était médecin… je l’ai toujours vu nous soigner, soigner ses parents… La question s’est absolument pas posée (…) de laisser soigner mes enfants par un autre médecin » (M14). Enfin, parfois le choix était fait suite à des expériences vécues « Ca m’a donné une certaine 24
confiance sur le fait que c’était possible. C’était pas évident au départ dans mon esprit » (M16).
Décider de ne pas soigner ses proches Les médecins donnaient plusieurs raisons pour expliquer l’abandon de certaines prises en charges ou le refus de soigner leurs proches. Certains évoquaient leur manque d’objectivité et le besoin d’un avis extérieur neutre. La proximité affective ne leur semblait pas compatible avec une relation de soin « je pouvais pas m’occuper de lui, parce qu’on était trop proche, parce que c’était un ami très proche » (M6). D’autres souhaitaient préserver l’intimité de leurs proches et un espace de liberté de parole « Y a aussi qu’elle pouvait avoir à aborder des sujets où j’étais concerné, où j’étais éventuellement partie prenante et que j’avais pas forcément à connaitre. Et en tous les cas que ça lui interdisait éventuellement d’aller sur un espace d’intimité qui est pas partagé dans un couple » (M16). Le choix s’expliquait parfois par la volonté de se positionner uniquement en tant que proche et de ne pas occuper la fonction de soignant « c’est pas un refus d’assistance. C’est vraiment un refus de position d’interlocuteur soignant » (M4). Ce pouvait aussi être par manque de confiance ou d’expérience au moment des faits, notamment concernant le suivi des jeunes enfants « pour le premier enfant c’est parce que je pense que j’avais pas les connaissances optimales pour pouvoir les suivre. C’était un moyen aussi pour moi d’apprendre, le fait d’aller en consultation avec lui » (M13). Enfin, une origine générationnelle et l’influence de l’enseignement reçu ont été évoqués « Parce qu’on nous l’a enseigné je pense, de nous dire que c’est difficile de soigner sa famille ou inconsciemment on nous l’a dit » (M13). Le refus de soin pouvait se faire sans difficulté. Parfois l’éloignement géographique simplifiait la situation « il y a la distance donc ça clarifie encore plus les choses ». Les moyens de communications actuels permettaient parfois de refuser avec aisance les sollicitations « Maintenant avec les différents moyens de communication par texto je reçois des avis. Si j’ai pas envie de répondre, c’est un non, un non caché quoi si je réponds pas de suite » (M13). Le refus systématique initial pouvait favoriser les refus ultérieurs « à la fin tout le monde le savait dans la famille, donc en fait personne me demandait un renseignement, parce que je refusais systématiquement. Donc je n’ai pas eu de problème du tout » (M12). Souvent le proche faisait preuve de compréhension et la décision était commune et sans conséquence. Certains expliquaient leur assurance à refuser par leur sentiment de légitimité, parfois lié à une expérience de soins douloureuse : « depuis j’ai beaucoup moins de difficultés, je suis beaucoup plus motivé pour leur dire non » (M10). Beaucoup se sentaient libres de choisir. L’une d’entre eux évoquait son caractère affirmé connu de sa famille : « J’ai 25
un caractère assez affirmé dans le cadre intrafamilial j’ai cette réputation là donc j’envoie paitre assez facilement et c’est plutôt bien pris parce que ça fait 41 ans que j’envoie paitre tout le monde donc ils sont habitués » (M8). La nature des pathologies concernées, notamment psychiatriques ou gynécologiques, pouvait aussi être le motif de refus « évidemment compte tenu de son trouble bipolaire, voire schizophrénique, la prise en charge elle est impossible » (M11). Parfois la nécessité de passer le relais était une évidence, notamment concernant les enfants devenus des adultes indépendants : « depuis qu’ils sont indépendants, je leur ai demandé de se trouver un médecin traitant et de se faire soigner par qui il leur semblait bon (…) et puis pour la grossesse de ma fille, j’ai évidemment refusé » (M16). Enfin un dernier évoquait un refus collectif formulé à sa belle mère « elle a sollicité les 3 médecins de la famille, ses deux gendres et puis sa belle fille en se disant y en a bien un qui va me soigner, mais on a refusé tous les 3. Donc c’était simple, donc y avait plus le choix. » (M12).
Refuser avec malaise ou accepter alors que ce n’était pas le premier choix Plusieurs médecins ont rapporté des situations de refus problématiques ou des difficultés à refuser les sollicitations : « je m’étais dit au départ que je le ferai jamais de m’occuper de mes proches et je vois très bien que j’y arrive pas (…) c’est très difficile de garder cette ligne de conduite » (M6), avec le risque d’être pris dans un engrenage en acceptant une demande mineure pouvant conduire à une implication plus conséquente « … on démarre petitement parce que c’est une petite chose et puis s’il s’avère que c’est quelque chose de plus grave on est pris dans l’engrenage et puis donc on continue » (M2), « des fois on se laisse prendre les deux doigts dans l’engrenage et on est obligé de soigner les gens un peu contre son gré sans oser dire que c’est pas à nous de le faire. Ca m’est arrivé de me faire piéger » (M10). Les circonstances expliquaient certaines prises en charge ponctuelles : situation d’extrême urgence « j’ai été amené à faire un toucher vaginal à ma mère, c’est quand même pas banal, dans l’extrême urgence et pour poser une hypothèse diagnostique » (M16), lieu isolé, absence du médecin référent ou encore survenue un week-end ou un jour férié Certains réalisaient certains soins par confort pratique personnel « Je me suis rendue compte : un que fallait aller loin, deux qu’il en faisait pas plus que ce que je faisais moi au cabinet, et trois que fallait attendre longtemps dans des salles d’attente ou y avait plein de malades » (M8) ou pour le confort du proche-patient « Par exemple par rapport à ces oncles là, leur âge fait que c’est tout un déplacement d’aller sur A., donc si faut le faire, je le fais » (M11). 26
Parfois l’obligation de soins et de prise en charge complète identique aux autres patients contraignait le médecin à réaliser certains soins sources de malaise « Je peux pas sous prétexte que ce sont des amis, des cousins etcetera… ne pas leur parler de leur prostate, du toucher rectal nécessaire » (M11). Le regard de la société influait aussi sur la décision : « Dans l’esprit des gens, les enfants de médecins normalement ça doit pas être malade. Parce que en fait, on doit être là tout de suite, prendre avant » (M1). Parfois l’inquiétude contraignait les médecins à intervenir, du fait d’un désaccord avec leur confrère ou suite à un défaut de soin par le référent habituel « J’ai pris ma voiture, j’ai fait un aller et retour dans la journée et j’ai dit non » (M16). Ne pas avoir un regard critique sur les soins délivrer par leurs confrères semblait parfois difficile « je pense que du coup on est vachement critique avec les autres et on a une opinion sur ce qu’il se passe et quand les choses sont pas faites comme nous on pense qu’elles auraient du être faites on a tendance à quand même donner notre avis, et puis du coup des fois les gens ils s’accrochent à nous quoi » (M6). Certains intervenaient suite au refus de leur proche de consulter un autre praticien « j’étais un peu contraint parce qu’il voulait pas aller voir son médecin traitant » (M5). Plusieurs cédaient devant l’insistance et les sollicitations répétées de leurs proches dont ils redoutaient la réaction en cas de refus. Ils avaient peur de les blesser, envie de leurs faire plaisir et craignaient ce qu’ils allaient penser d’eux « je me suis pas senti (…) au moment où ils m’ont demandé le courage de leur dire non. (…) je trouvais ça un peu sévère » (M7), « puis il y a avait derrière l’idée de… mais si on fait ça, ils vont peut être se dire : bah oui voilà, il veut plus nous soigner » (M2). Le refus pouvait être rendu difficile par la position du médecin et du proche-patient dans la famille « c’est mon frère ainé, c’est l’ainé de la famille. Lui dire non c’est… Je sais pas comment l’exprimer, c’est difficile » (M15). Enfin plusieurs médecins étaient placés par leurs proches dans une situation de médecin référent dont ils ne parvenaient pas à sortir « Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai pu dans des liens d’amitié et de relations (…) proposer qu’un autre confrère puisse aussi être consulté mais en fait (…) je suis son médecin traitant, c’est quelque chose qui est vraiment clair dans sa tête » (M16). Ce pouvait être par manque de confiance envers les autres médecins « Parce qu’elle avait pas du tout envie de voir quelqu’un d’autre dans la mesure où elle avait une perte de confiance du milieu du monde médical » (M16). Les soins étaient parfois perçus comme un service rendu dans un contexte d’échanges de bons procédés « C’est des amis tu sais avec qui y a un échange entre guillemets de services » (M7), « Je me dis après tout moi j’ai confiance en eux effectivement pour des services qu’ils me rendent et je me dis en retour effectivement je peux comprendre qu’ils aient confiance en moi et envie d’avoir ma réponse » (M7). 27
Certains médecins se sentaient contraint devant l’insistance d’un confrère. Mais même s’il n’y avait pas de sollicitation directe, le malaise des confrères à soigner leurs proches conduisait les médecins à prodiguer les soins eux-mêmes « ça évite de stresser les collègues en plus qui sont pas à l’aise quand ils voient tes enfants » (M8). D’autres évoquaient le caractère fort de certains de leurs proches et pensaient « épargner » leurs confrères. Les soins pouvaient être guidés par la personnalité du médecin et laisser transparaitre sa façon d’exercer « la raison pour laquelle je me suis impliqué c’est que de toute façon je pense que je suis conçu comme ça » (M16) et sa conception de la médecine « j’ai peut être des choses de l’idée de médecin qui est omnipotent donc qui doit être toujours… qui doit toujours répondre aux sollicitations » (M10). Certains éprouvaient des difficultés à refuser parce qu’ils n’osaient pas ou ne savaient pas dire non même dans des situations non médicales « C’est difficile, je sais pas moi, parce que je sais pas dire non de façon générale » (M10). Pour d’autres, la fierté, l’amour propre et le regard des autres influençaient leurs décisions « c’est plutôt en général flatteur donc c’est ça qui… c’est ça le piège en fait… c’est que ça va être flatteur que quelqu’un de proche nous confie, enfin ait une confiance suffisante pour nous mettre sa santé entre les mains » (M10), « on est un petit peu fier de donner… qu’ils nous fassent confiance donc on répond… on répond facilement aux questions » (M15). Enfin, le sentiment d’être le plus compétent et d’avoir toutes les connaissances requises influait sur leur décision « à partir du moment où on a une vision et on a une expérience personnelle à la fois dans le champ professionnel mais aussi dans le champ personnel de la vie, on a une trajectoire de vie qui vous a appris à vous construire et à vous battre, ça ne peut pas échapper à des comportements quelques soient les circonstances de la vie » (M16). Il était parfois difficile de déléguer à d’autres praticiens « je me rends compte que je me fais assez confiance et j’ai pas confiance dans toutes les autres équipes » (M8). L’un d’entre eux évoquait son désir de maitrise « je pense que je suis quelqu’un qui aime bien maitriser les choses, être un acteur proactif et voilà on est dans sa vie personnelle comme on est dans la vie professionnelle ou dans la vie institutionnelle » (M16).
Proposition des médecins pour faire face aux difficultés La nécessité de respecter un espace personnel privé et de séparer l’univers professionnel de l’intimité de la maison a été évoquée « c’est pour ça que je me suis obligée à laisser mon cartable parce que c’est une façon de m’imposer à moi des limites. Parce qu’il faut que je me les impose à moi avant de pouvoir les imposer aux autres » (M15), « moi ce que je fais c’est que j’interdis que ce soit fait hors le cadre de mon cabinet, sauf extrême urgence bien sûr mais autrement je considère que si je veux être médecin et infiniment 28
médecin c’est pas à l’apéro chez moi et c’est pas quand j’ai plus du tout envie d’être le médecin et que j’ai envie de profiter de moments de partage différents » (M16). Le recours parfois à un confrère pour avoir un avis extérieur neutre et partager les décisions était une autre proposition. Cette délégation pouvait être le moyen de préserver la relation amicale ou familiale « Je me dis que notamment en matière de santé, avoir un tiers ça… ça permet de préserver d’autre domaine quoi. » (M4). Mais certains évoquaient alors la nécessité de faire confiance à son confrère et de ne pas interférer pas sur ses décisions « souvent quand tu demandes l’avis de quelqu’un, faut pas non plus faire interférer tes connaissances » (M13), « dans la mesure où vous laissez vos enfants dans les mains d’un pédiatre vous lui faites confiance, vous êtes pas là pour le critiquer où alors à ce moment là vous faites vous-même votre boulot ! » (M14). Le regard critique du conjoint au sein d’un couple médecin permettait parfois de prendre du recul et de maitriser son implication « Et puis ça permet aussi de ne pas se laisser emballer parce que l’autre peut aussi dire « bon écoute, je pense que t’as fait ta part d’avis et là c’est plus à toi, c’est plus ta place » » (M13). Certains évoquaient enfin la nécessité d’un travail de réflexion régulier pour limiter l’intrusion de la relation personnelle dans la relation de soin. Certains médecins ont soulevé la nécessité de cadrer dès le départ la relation de soin et d’exposer au proche patient les règles afin de maintenir une certaine distance « le mot final c’est ça, c’est savoir mettre des barrières et les faire respecter » (M15), « Je pense que si on ne met pas des règles ou si on n’est pas clair avec ça c’est hautement dangereux. Parce qu’ à un moment donné y a un mélange des genres. Et c’est la seule manière de déjà mettre des barrières et des contrôles à l’affectif » (M16). Mais cela pouvait avoir des répercussions sur la relation et être perçu par les proches comme une frustration « est ce que ces barrières vont changer ta relation avec les autres, avec les proches ou les amis c’est… la question elle sera toujours débattue de toute façon » (M15), « c’est cette capacité qu’on a à avoir une certaine distance vis-à-vis de soi même et vis-à-vis de l’autre, qu’est parfois ressentie par l’autre comme une frustration » (M16). Pour illustrer l’importance du respect des règles l’un d’eux rapportait une situation où il avait refusé de délivrer un certificat sportif à son frère sans l’examiner malgré son insistance. Grâce à son refus, son frère s’était donc déplacé au cabinet et le médecin avait découvert une insuffisance aortique sévère nécessitant une prise en charge chirurgicale rapide qui aurait pu être potentiellement mortelle « ça montre bien qu’il faut qu’on est aussi dans ce domaine une grande rigueur et qu’ il faut gérer son entourage comme on gère les autres patients et il faut pas lâcher là-dessus. Il faut avoir une solidité intellectuelle je dirais pour ne pas subir la pression et la contrainte, sinon je pense que
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j’aurais signé un certificat, ce que je fais jamais avec mes patients mais j’aurais pu le faire avec un entourage direct » (M16).
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4) Les spécificités de la médecine générale
La principale spécificité de la médecine générale semblait être la polyvalence du médecin généraliste et sa qualité d’interlocuteur de soin primaire « Quand on est omnipraticien, on doit savoir tout » (M12), sans limitation à un type de patient « Tu peux traiter tes gamins, tous tes neveux et nièces les enfants de tes amis etcetera… en passant par la grand-mère de ton beau frère ou de ton gendre… » (M13). Les demandes semblaient plus fréquentes « Mon mari qui est médecin biologiste, personne l’embête. Sauf pour des prises de sang et encore. Personne lui pose de question dans la famille. Il a une paix royale. Mais moi je suis censée tout connaitre de… enfin de connaitre quelque chose sur tout en tout cas et de pouvoir donner une indication sur tout » (M8). Certains ont évoqué la prise en charge globale du patient « Nous en tant que médecin généraliste, c’est de la tête aux pieds, de 0 à 100 ans. Donc c’est la prise en charge globale » (M11). Celle-ci pouvait être compromise par la relation préexistante qui pouvait perturber l’approche psychologique : « Je pense que toute l’approche bio médicale, l’approche environnementale on la gère aussi bien qu’avec les autres patients mais probablement que dans les éléments du psychologique dans le modèle qu’on prône tous, y a sûrement quelque chose qui est un petit peu perturbé » (M16). Un autre évoquait la responsabilité exclusive à laquelle le généraliste était confronté. L’une d’entre eux, mariée à un médecin spécialiste, estimait que le refus pouvait être facilité par la non spécialisation « Quand ça me dépasse un peu c’est peut être plus facile de dire là faut demander l’avis de quelqu’un de spécialisé » (M9). Elle pensait avoir une appréciation différente, le médecin généraliste étant plus souvent confronté à des pathologies fréquentes bénignes et le médecin spécialiste à des diagnostics de gravité « Moi je vois le plus fréquent et lui il voit le plus grave en fait… C’est la différence je pense entre les généralistes et les spécialistes » (M9). Enfin les demandes de certificats de non contre indication à la pratique sportive ont été évoquées « c’est tous les certificats de non contre indication au sport, c’est vraiment spécifique aux médecins généralistes » (M14).
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5) Poursuite de la réflexion
Parfois les difficultés rencontrées avec les proches pouvaient aussi être relevées dans la pratique quotidienne. En effet, un lien affectif pouvait se créer avec certains patients, notamment après un suivi de depuis plusieurs années et la neutralité bienveillante pouvait être difficile à respecter « Je dirais que des fois ça tu l’as aussi devant certains patients parce que y a une relation qui s’établit et elle est plus ou moins forte puis tu n’y peux rien » (M15), « Plus on les connait et plus on a partagé une vie longue. Je pensais qu’avec le temps j’allais me blinder, j’allais me mithridatiser contre tout ça et c’est pas du tout comme ça que ça marche, c’est tout le contraire » (M16). Un des médecins poursuivait sa réflexion : ce travail de mise à distance et de maintien de la neutralité médicale lui semblait un pré requis à toute relation de soin : « On est quand même très impliqué en tant que médecin et on perd un peu toute sa part entre guillemets d’humanité au sens de la relation humaine affective. C’est ce qu’on apprend à faire un moment donné quand on est médecin » (M16). Certains notaient leur incapacité à refuser les sollicitations des autres patients tandis que l’une d’entre eux relevait la lourdeur des démarches administratives « moi j’ai pas fait médecine pour faire des papiers pour obtenir des avantages matériels. Je suis toujours très mal à l’aise dans ce domaine là » (M11). Par extension, certains interviewés ont exprimé la complexité de soigner les proches de leurs confrères. Enfin, l’entretien avait conduit certains à une réflexion sur les circonstances de leur installation : « peut être si je m’étais installée ailleurs, j’aurais été plus mobile par exemple, de me dire au bout de quelques années bon je vais changer… Je pense que quand on s’installe dans son fief on a peut être moins droit à l’erreur, y a un attachement forcément » (M11), « Mais vis-à-vis de mon père peut être qu’il attendait éventuellement que quelqu’un prenne sa suite, c’était un petit peu… Y avait un petit facteur sentimental. » (M14).
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DISCUSSION
1) Critique de la méthode Le choix de la méthode qualitative par entretiens était approprié. Il a permis de recueillir les expériences, le ressenti et les motivations des médecins face aux soins de leurs proches. La grille d’entretien a été élaborée à partir d’une revue de la bibliographie majoritairement anglosaxonne alors que l’enquête a été menée auprès de médecins généralistes français, on peut donc s’interroger sur un possible biais culturel. Les interrogés ont été recrutés principalement dans l’entourage professionnel de l’enquêteur médecin remplaçant. La plupart des praticiens exerçaient en Maine et Loire ; leur culture professionnelle n’était donc pas forcément représentative de l’ensemble des médecins généralistes français. Plusieurs entretiennent avec l’enquêteur des relations professionnelles, ce qui a pu influencer leurs réponses. L’atteinte de la saturation des données a été déductive et donc soumise à la subjectivité de l’enquêteur. Enfin, il n’y a pas eu de triangulation des données dans l’analyse des résultats par un second intervenant.
2) La confusion des rôles Les principales difficultés rencontrées par les médecins étaient liées à la confusion des positions : par le médecin lui-même, par le proche patient, par le reste de son entourage et par ses confrères. En effet, séparer sa fonction médicale de sa position de proche leur semblait souvent impossible. La distance nécessaire était difficile à respecter et la sympathie prenait le pas sur l’empathie18,19. Leur objectivité pouvait être altérée et ils pouvaient perdre leurs capacités de jugement. Ainsi l’intrusion des sentiments et le poids de la responsabilité influençait leur attitude ainsi que leur connaissance biaisée de l’histoire du patient et leur implication dans la maladie et les plaintes. Le proche patient et le reste de l’entourage pouvaient également avoir des difficultés à séparer les deux fonctions et faire preuve d’une confiance exagérée ou au contraire se montrer moins observants. Les confrères correspondants participaient également à cette confusion des rôles et le respect de la confraternité n’était pas toujours aisé. Les répercussions de cette ambivalence étaient de plusieurs ordres. Premièrement, cela pouvait influencer la qualité des soins. L’examen clinique pouvait être compromis par la pudeur partagée du médecin et du proche patient, tant dans l’interrogatoire que dans l’examen physique. Les soins pouvaient être excessifs ou au contraire insuffisants ou inappropriés. Il pouvait y avoir des répercussions sur le lien familial ou amical. Le secret professionnel s’avérait parfois problématique lorsqu’il se retrouvait mêlé à un secret de famille. Le médecin 33
devait faire face à des critiques et des reproches. Les soins pouvaient alors créer des conflits, avoir des répercussions sur l’identité familiale du médecin et altérer son bien être personnel. Il pouvait se sentir mal à l’aise dans ce double rôle et avoir des difficultés à se positionner. L’empiétement de sa vie professionnelle sur son espace personnel privé risquait d’être source de saturation. Enfin, l’implication affective était parfois trop forte émotionnellement.
3) Les éléments positifs Il ressortait aussi des éléments positifs. En effet la qualité des soins pouvait dans certaines situations être favorisée par le lien préexistant du fait de la bonne connaissance du patient, du climat de confiance et de la facilité du suivi et de la réévaluation. Le proche patient était parfois plus réceptif aux conseils donnés. Les confrères pouvaient se montrer plus attentifs, plus disponibles et la discussion en être facilitée. Certaines situations renforçaient les liens préexistants en créant une plus forte connivence avec le patient. Cela permettait aussi parfois aux médecins de confirmer ou de renforcer leur identité familiale. Les soins pouvaient améliorer leur bien être. Ils appréciaient rendre service à leurs proches, se sentaient utiles et fiers devant cette situation gratifiante. Parfois, leur implication permettait de vivre une situation difficile plus sereinement. Enfin, certaines situations enrichissaient leur pratique professionnelle en nourrissant leur réflexion. En effet, se retrouver de l’autre côté de la barrière peut
permettre de mieux cerner les difficultés rencontrées par les familles des
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patients .
4) Les différences d’appréciation entre les médecins Il ressort que les médecins appréhendent la situation différemment en fonction de plusieurs facteurs. Il existe un facteur générationnel : l’âge du médecin est influent comme en témoigne les différentes études quantitatives menées sur le sujet1,4-6, possiblement parce que les médecins plus âgés prennent de l’assurance avec le temps et du fait d’une certaine maturité affective. Au travers des entretiens, la nouvelle génération semble elle plus réticente à soigner ses proches et sensible aux problématiques posées du fait de l’évolution des pratiques mais aussi de la formation reçue et des efforts de sensibilisation à l’éthique du corps enseignant. Il existe aussi un facteur générationnel dans le choix des patients traités5. L’inconfort et les difficultés de positionnement pour le médecin peuvent être accrus avec des proches de la même génération ou plus âgés, par inversion de l’autorité7. La tradition familiale et le fait d’être issu d’une « famille de médecins » semblent influencer le regard du praticien et conditionner ses choix6 comme en témoigne M13 et son 34
fils M14. De même, l’installation du médecin dans sa région d’origine, notamment en milieu rural5, auprès de patients qui l’ont vu grandir et connaissent de ce fait des éléments de sa vie privée peuvent aussi influer sur le regard qu’il va porter sur l’intrication d’une relation de soin avec une relation préexistante. « Toute formation à la relation médecin-malade dépend étroitement de la conception que l’on a de la personne, de la santé, de la maladie et de l’importance que l’on accorde aux phénomènes inconscients dans la relation thérapeutique »21. Au regard de cette affirmation, il apparait que les références sur la relation médecin malade ainsi que la richesse de la réflexion personnelle du médecin sur sa pratique, vont influer sur son approche de la situation. Il ressort des entretiens que les médecins impliqués dans l’enseignement ou participant à un groupe Balint avaient déjà une réflexion riche sur le sujet et exprimait la nécessité de poursuivre leur cheminement. Enfin, l’attitude du médecin va être guidée par sa propre personnalité. Nombres de situations rapportées illustrent la « fonction apostolique » du médecin22. Certains praticiens refuseront sans difficultés les sollicitations qui leurs semblent inappropriées. Au contraire, les médecins qui conçoivent que la médecine est faite pour soulager et que toute demande reflète un besoin cèdent souvent aux sollicitations et vont accepter à contre cœur de délivrer des soins et subir certaines situations. En opposition, le médecin fort de ses compétences, qui délègue difficilement et ressent le besoin de contrôler les situations, décidera plus aisément de soigner ses proches. De la même façon, les médecins ayant besoin de reconnaissance, sensible au regard des autres ou se laissant guidés par leur amour propre accepteront plus facilement9.
5) Le refus d’une position dogmatique La plupart des médecins semblaient conscients du danger et refusaient une position dogmatique. Certaines études réalisées sur le sujet confirment cette impression1,3,5,6 alors que d’autres annoncent des chiffres beaucoup plus alarmants2,4. Une règlementation stricte sur le sujet ne semble pas avoir d’intérêt5,7-11. Mais comment aider les praticiens à prendre leur décision dans les meilleures conditions ? Pour commencer, certaines situations chargées émotionnellement semblent plus à risque : les soins douloureux, les pathologies psychiatriques, les troubles fonctionnels, les soins palliatifs et la fin de vie et enfin les situations entourant la naissance. Ensuite le type de demande a de l’importance : demande de conseil, de prescriptions médicamenteuses ou d’examens complémentaires, suivi complet, etc. Ainsi FROMME and Al. ont fait une classification des situations en trois catégories10 : faible risque, risque modéré et risque élevé (Annexe F). Il semble alors que se positionner en tant que médecin généraliste référent puisse 35
être hautement dangereux. En effet, bien que ce dernier soit fréquemment confronté à des demandes en tant que principal pourvoyeur de soins primaires, la fonction spécifique primordiale de la médecine générale qu’est la prise en charge globale15 va être difficilement respectée. En effet, le champ psychologique de la relation risque d’être moins bien explorée. Lorsque le médecin généraliste va intervenir ponctuellement dans une prise en charge, ce sont les fonctions de continuité, de suivi et de coordination des soins qui peuvent être mises en péril. Le médecin ne détient pas toujours toutes les informations nécessaires et il peut interférer dans la relation de soin établie entre le patient et son médecin traitant. Mais le choix ne peut se faire sans une réflexion personnelle propre à chaque situation. Les sept questions proposées par LA PUMA and PRIEST7 (Annexe A) semblent être un bon point de départ pour une réflexion pertinente : 1 - Suis-je formé pour répondre aux besoins médicaux de mon « parent » ? 2 - Suis-je trop proche pour l’interroger sur son histoire personnelle son état physique et faire face aux mauvaises nouvelles le cas échéant ? 3 - Puis je être suffisamment objectif pour ne pas dispenser trop de soins, pas assez ou des soins inappropriés ? 4 - Est-ce que mon implication médicale est susceptible de provoquer ou d’intensifier des conflits intrafamiliaux ? 5 - Mes proches seront-ils plus compliants si les soins sont prodigués par un médecin indépendant ? 6 – Vais-je autoriser le médecin à qui j’ai adressé mon proche à s’occuper de lui ou d’elle ? 7 – Suis-je près à rendre des comptes à mes pairs et à la société pour ce cas là ? L’enquête réalisée a permis de soulever d’autres interrogations susceptibles de compléter ces questions. A la question 4, on pourrait préciser : est ce que les soins peuvent modifier mon identité familiale ? Deux autres questions pourraient être ajoutées : o Les soins peuvent-ils être réalisés dans de bonnes conditions pratiques et techniques ? o Suis-je prêt à faire face aux critiques de mon proche et du reste de la famille et est-ce que la relation de soin est susceptible de compromettre mon bien être personnel ? Mais parfois le médecin est soumis à des influences internes et externes non maitrisables9 qui malgré les risques encourus vont le conduire à accepter de délivrer des soins. Que ce soit un libre choix ou sous la contrainte, il semble alors nécessaire de fixer des règles claires pour cadrer la relation. Il semble important d’essayer de respecter les conditions habituelles d’exercice : prise de rendez vous, consultation au cabinet, respect des horaires, examen clinique rigoureux8. Les difficultés et les conséquences éventuelles des soins devront être 36
exposées au proche patient afin que celui-ci prenne aussi conscience des limites de cette relation10. Le médecin devra continuellement faire un effort afin de maintenir la distance nécessaire et tenter de garder son objectivité. Enfin, il devra savoir faire appel à un confrère si nécessaire, de sa propre initiative ou celle du proche patient. Mais le confrère se retrouvera dans une situation complexe11,23 et le médecin devra s’efforcer de lui faire confiance et de ne pas interférer sur leur relation.
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CONCLUSION Cette enquête a permis d’illustrer la complexité de la situation dans laquelle se retrouve les médecins lorsqu’un proche leur adresse une demande de soin et leur diversité de positionnement sur le sujet. Il n’en ressort pas des recommandations strictes car elles seraient impossibles à respecter. En effet, la confusion des positions liée aux interférences entre la relation affective préexistante et la relation de soin peut avoir des conséquences majeures : sur l’attitude du médecin et celle de son proche patient et donc sur la qualité des soins délivrés, sur les relations intrafamiliales et amicales et enfin sur le bien être personnel du médecin. Mais il en ressort parfois aussi des éléments positifs. Le médecin devra donc avant toute décision engager une réflexion personnelle et singulière pour chaque situation et prendre la mesure des conséquences éventuelles des soins. Mais parfois même conscient du danger, le médecin est soumis à de multiples influences non maitrisables et refuser n’est pas chose facile. Par choix délibéré ou sous la contrainte, si le médecin s’engage dans des soins, cela nécessitera de fixer des règles et une remise en question permanente. Il semble donc intéressant que les étudiants soient invités au cours de leur cursus à développer leur capacité de réflexion sur le sujet et sensibilisés à la problématique afin d’éviter qu’ils ne se retrouvent un jour dans une situation aux conséquences potentiellement lourdes. Mais cette enquête ne reflète qu’une facette de la problématique puisque seuls les médecins ont été interrogés. Qu’en est-il des proches patients ? Quel est leur ressenti ? La réflexion nécessiterait d’être poursuivie en recueillant leurs témoignages.
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TABLE DES MATIERES PLAN ......................................................................................................................................... 1 INTRODUCTION .................................................................................................................... 8 METHODE ............................................................................................................................... 9 1) Population .................................................................................................................. 9 2) Situation des entretiens ........................................................................................... 9 3) Guide d’entretien ..................................................................................................... 9 4) Méthode d’analyse des résultats ............................................................................. 9 RESULTATS .......................................................................................................................... 11 1) Le lien affectif influait sur la relation de soin ...................................................... 11 Influences positives et avantages de la situation .............................................. 11 Difficultés de l’examen clinique....................................................................... 11 Influences du lien préexistant sur la fonction médicale ................................... 12 En quoi l’attitude du médecin allait-elle être modifiée ? ...................... 12 Comment cela se traduisait-il ? ............................................................. 14 Influences sur l’observance et l’inobservance .................................................. 15 Influences sur les relations avec les confrères .................................................. 16 2) La relation de soin influait sur la vie personnelle du médecin et sur les liens préexistants .............................................................................................................. 18 Répercussion sur les liens familiaux et amicaux .............................................. 18 Répercussion et influence sur le bien-être personnel du médecin .................... 21 3) Faire son choix ........................................................................................................ 24 Décider d’emblée de soigner ses proches ......................................................... 24 Décider de ne pas soigner ses proches.............................................................. 25 Refuser avec malaise ou accepter alors que ce n’était pas le premier choix .... 26 Proposition des médecins pour faire face aux difficultés ................................. 28 4) Les spécificités de la médecine générale ............................................................... 31 5) Poursuite de la réflexion ......................................................................................... 32 41
DISCUSSION ......................................................................................................................... 33 1) Critique de la méthode ........................................................................................... 33 2) La confusion des rôles............................................................................................. 33 3) Les éléments positifs ............................................................................................... 34 4) Les différences d’appréciation entre les médecins............................................... 34 5) Le refus d’une position dogmatique ...................................................................... 35 CONCLUSION ....................................................................................................................... 38 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 39 TABLE DES MATIERES ..................................................................................................... 41 ANNEXES ............................................................................................................................... 43 Annexe A : Seven questions that physicians should ask themselves when considering providing care for relatives, LA PUMA J. et PRIEST R. ........ 43 Annexe B : Caractéristiques des médecins interrogés ....................................... 44 Annexe C : Guide d’entretien ............................................................................... 45 Annexe D : Retranscription d’un entretien ......................................................... 47 Annexe E : Tableaux d’analyse des résultats ...................................................... 54 Annexe F : Low-, medium-, and high-risk involvement by physicians in the care of a close friend or family member, FROMME EK and Al. ................ 66 Annexe G : Complément sur support électronique ............................................. 67
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ANNEXE A
Seven questions that physicians should ask themselves when considering providing care for relatives
Excerpted from « Is there a Doctor in the house? » LA PUMA J. et PRIEST R., 1992
1- Am I trained to meet my relative’s medical needs? 2- Am I too close to probe my relative’s intimate history and physical being and to cope with bearing bad news if need be? 3- Can I be objective enough to not give too much, too little, or inappropriate care? 4- Is medical involvement likely to provoke or intensify intrafamilial conflicts? 5- Will my relatives comply more readily with medical care delivered by an unrelated physician? 6- Will I allow the physician to whom I refer my relative to attend him or her? 7- Am I willing to be accountable to my peers and to the public for this care?
43
ANNEXE B Caractéristiques des médecins interrogés (M) M
Sexe
Situation d’exercice
Mode d’exercice
Age
Année de thèse
Implication dans l’enseignement
Situation familiale
Autres membres de la famille médecins
1
H
rural
Seul puis cabinet de Groupe
65 ans
1977
aucune
Marié 2 enfants
2
H
rural
Exercice Seul
45 ans
1998
aucune
Marié 3 enfants
Marié avec M3
3
F
rural
Cabinet de groupe
42 ans
2002
aucune
Mariée 3 enfants
Mariée avec M2
1996
aucune
Marié 2 enfants
Femme médecin hospitalier Une sœur spécialiste Un beau frère et une belle sœur généralistes
2 frères et 1 belle sœur spécialistes
4
H
semi rural
Cabinet de groupe
45 ans
5
H
semi rural
Cabinet de groupe
56 ans
1984
Maitre de stage 3ème cycle
Marié 3 enfants
Aucun
6
F
semi rural
Cabinet de groupe
34 ans
2005
aucune
Pacsée 2 enfants
Aucun médecin Mari infirmier
7
H
rural
Cabinet de groupe
44 ans
1996
Maitre de stage 2ème cycle + cours 3ème cycle
Pacsé Pas d’enfant
Aucun
8
F
semi rural
Cabinet de groupe
43 ans
2001
Maitre de stage 2ème cycle puis 3ème cycle
Mariée 3 enfants
Mari spécialiste
9
F
semi rural
Cabinet de groupe Temps partiel
35 ans
2004
aucune
Mariée 3 enfants grossesse en cours
Mari spécialiste
10
H
rural
Seul puis cabinet de groupe
55 ans
1985
Maitre de stage 3ème cycle
Marié 2 enfants
Aucun Femme infirmière
11
H
rural
Cabinet de groupe
59 ans
1979
Maitre de stage 3ème cycle
Divorcée 2 enfants
Aucun Une cousine médecin scolaire
12
H
rural
Cabinet de groupe
64 ans
1977
Maitre de stage 3ème cycle
Marié 3 enfants
Une sœur et un beau frère spécialistes Une belle sœur généraliste
13
H
urbain
Cabinet de groupe pluridisciplinaire
29 ans
2011
aucune
Marié 2 enfants
Père, mère,femme, 2 grands pères, 2 oncles, une tante, beau père médecins (généralistes et spécialistes) Fils de M14
14
H
urbain
Exercice seul
62 ans
1978
aucune
Marié 3 enfants
Femme médecin scolaire Grand père, père, frère et fils médecins Père de M13
15
F
urbain
Cabinet de groupe
56 ans
1984
aucune
Mariée 3 enfants
Aucun
urbain
Cabinet de groupe pluridisciplinaire
62 ans
1977
Maitre de stage 3ème cycle Enseignant de médecine générale
Marié 2 enfants
Aucun
16
H
44
ANNEXE C : Guide d’entretien
o Pouvez-vous me présenter votre situation professionnelle ? •
Lieu et mode d’exercice (groupe, rural, urbain)
•
Implication dans l’enseignement (Maitre de stage, cours…)
•
Formation continue (Groupe de pairs, FMC, groupe Balint)
o Pouvez-vous me présenter votre situation familiale ? •
Age
•
Composition de la famille, Autres membres de la famille médecins ?
o Avez-vous déjà été confronté à une demande de soin par l’un de vos proches ? Comment cela s’est il passé ?
o Pouvez-vous me raconter une situation où vous avez rencontré des problèmes pratiques ou techniques ? •
Éloignement géographique, problème du suivi
•
Lieu de consultation, moyens à disposition au moment de la demande
•
Rémunération de la consultation
o Votre double rôle (soignant et proche) vous semble-t-il présenter des avantages par rapport aux autres situations de soin ? •
Plus de confiance du proche
•
Bonne connaissance de l’entourage, du mode de vie…
•
Facilité de réévaluation clinique
•
Confidences préalables nécessaires facilitées
o Cette situation soulève le problème de la distance dans le soin et de la neutralité affective, que pouvez-vous me dire à ce sujet ? •
Perte d’objectivité
•
Sur ou sous investissement
•
Question de la responsabilité
•
Complaisance (certificats, AT) 45
o Il existe une certaine pudeur dans nos relations amicales et intrafamiliales, pensez vous que cela influence votre attitude face à une demande de soin par un de vos proche ? •
Pudeur psychologique : problème d’interrogatoire, prise en charge psychologique
•
Examen physique,
•
Gestes douloureux
o Avez-vous déjà refusé une demande de soin d’un de vos proches ? Comment cela s’est il passé ?
o Vous êtes vous déjà senti contraint de soigner un de vos proches ? Racontez-moi…
o Pensez vous que votre attitude face à la demande de soin d’un de vos proche peut engendrer ou intensifier des conflits intrafamiliaux ? •
Situation d’autorité inversée, place dans la famille, bouleversement des rôles
•
Gérer les critiques des autres membres de la famille
•
Problème du secret médical
o Comment ces situations influencent-elles votre bien être personnel ? •
Disponibilité permanente
•
Confusion vie privée/vie professionnelle, risque de saturation
•
Implication affective trop forte émotionnellement
o Comment gérer vous vos relations avec vos confrères dans de telles situations ? •
Problème de la confraternité si opposition
•
Lien avec les confrères, information, confiance…
•
Confusion des rôles par les confrères eux-mêmes et sollicitations
o Voyez- vous dans ce contexte des problèmes spécifiques à la médecine générale que les autres spécialités ne vont pas ou peu rencontrer ? •
Prise en charge globale
•
Rôle d’éducation thérapeutique
•
Continuité des soins, coordination et suivi 46
ANNEXE D : Retranscription d’un entretien Médecin 15
Est-ce que tu as déjà été confrontée à une demande de soin par un de tes proches ? Oh… je pense comme tout… tout le monde quand on est étudiant en médecine… On est sollicité soit par les parents, les frères, les sœurs, les… et… et bon… on est un petit peu fier de donner… enfin voilà de… qu’ils nous fassent confiance donc on répond… on répond facilement aux questions. Après effectivement j’ai… j’ai… suivi… alors ma mère, et mon beau père. J’ai réussi… j’ai finalement fini par dire stop parce que… c’était… La difficulté elle est de plusieurs ordres, c’est d’une part le fait que… y a de l’affectif et donc… soit ça peut angoissé de… de passer à côté de quelque chose de grave et on peut être amené à multiplier les examens, soit… on ne veut pas voir parce que justement l’affectif domine et à ce moment là… y a un risque de passer à côté de quelque chose et donc… alors… ça ça s’est passé avec mon beau père, je… à un moment donné j’ai dit non. Et puis parce qu’on est… on est sollicité à tout bout de champ en dehors enfin… On est le médecin mais on est aussi… la belle fille ou la fille donc… corvéable à merci enfin y a pas de limite. C’est difficile de mettre des limites. Même quand on les a mis bon… l’affectif entre en jeu et donc mon beau père j’avais réussi à lui dire non. Ma mère… ça a été difficile mais j’ai fini par réussir à lui dire non. D’autant plus que… là y avait un rapport qui faisait que j’étais le médecin quand elle avait besoin et je redevenais la fille quand je lui disais quelque chose qui ne lui plaisait pas. (sourire). Donc… il a fallu un jour la… la faire hospitaliser et… et… et vraiment ça a été très difficile parce que… elle considérait que j’avais qu’à faire… enfin, la soigner à la maison et y avait pas besoin d’une hospitalisation, je… C’était hors de question, elle avait une fibrillation auriculaire et… que j’avais constaté puis qui c’était arrêtée puis qui s’était remise en route dans la journée… (rires) Je pouvais pas la garder ! A l’époque on mettait sous… sous Héparine… Donc voilà et puis… bon y a toujours… on peut donner des conseils, il peut arriver que… Bon voilà y a une nièce… Là j’ai un neveu qui habite très loin qui me téléphone des fois quand… après avoir vu le médecin pour son petit bout qui a 6 mois, parce que y a une diarrhée et… L’autre jour le médecin a dit « bon… vous faites ça et si ça va pas mieux vous l’emmenez à l’hôpital ». Donc il m’a appelé et « A ton avis est ce que faut l’emmener tout de suite ou pas ? » Donc on est loin, on voit pas l’enfant… (rires) Mais y a… Y a ça, cette notion de… de parole dite et… et qui fait toute confiance et… Alors qu’on peut aussi se tromper. C’est pas parce qu’on est proche qu’on peut pas se tromper. La difficulté ouais elle est aussi là. Donc bon… quand c’est pour regarder une oreille un dimanche matin parce que… la… voilà le neveu ou la nièce a mal dormi bon pourquoi pas, y a des choses plus difficiles et puis bon faut savoir oui dire : stop. Et actuellement j’ai mon… frère donc dont je suis le médecin généraliste. Euh… bon… je le… en fait, j’ai accepté d’être le médecin parce que c’est plus en tant que… collecteur de toutes les informations. Il est suivi… Il a… beaucoup de problème puisque… il a le sida, donc il est suivi régulièrement, il est vu tous les mois à l’hôpital par le Dr C. donc bon, il a un suivi. Et puis… bon il fallait un lieu où… Il a… il avait un anévrisme cérébral, pontage cardiaque… enfin toutes les artères se bouchent du fait des effets secondaires du traitement… pour le sida donc… les artères rénales… donc multiples intervenants et là faut faire… faut être très vigilant. Alors le Dr C. aurait pu être son… son médecin traitant parce qu’il est pas nécessaire d’être médecin généraliste mais…. En même temps je pense que nous en tant que médecin généraliste on a, on a… beaucoup plus quand même une vue globale du patient. Et… je me souviens il y a quelques années il a… il a eu un problème d’œdème du membre inferieur et en fait… Bon j’ai fait différents examens, y avait eu un accident avant donc fracture de cheville bon algodystrophie bon… phlébite j’y croyais pas. J’ai… et… j’ai fait faire une échographie pelvienne qui montrait rien parce que… ça grossissait, ça grossissait et… et en fait… j’ai appelé le Dr C., j’arrivais pas à avoir un 47
scanner en urgence, j’ai appelé le Dr C. qui l’a hospitalisé, qui a fait le scanner. Il avait un lymphome de Burkitt avec un ganglion abdominal qui… comprimait, qui comprimait. Bon… ça le Dr C. l’avait vu mais… euh… c’était pas sa partie en même temps. Donc… c’est vrai qu’on…Et puis bon, collecter tout… Bon là dernièrement les spécialistes, les différents cardiologues ils ont… mis des traitements, arrêtés des traitements que l’autre avait mis etcetera… Et puis là… il est allé voir le cardiologue référent euh… qu’était pas content parce que le Préviscan avait été arrêté… Il avait dit de l’arrêter au mois de juin et il était toujours sous Préviscan, seulement bon il avait pas suivi le double des courriers qu’il avait reçu. C’est ça les spécialistes, même venant d’un autre cardiologue il avait pas… il avait pas lu. Enfin il avait pas enregistré, en même temps ils ont beaucoup de monde hein… Je crois que nous on connait beaucoup mieux les gens qu’ont prend en charge et on peut… dire attention là y a eu ça, y a eu ça. Par rapport à… un spécialiste de l’hôpital qui voit tellement de monde que… C’est ce que je disais aussi tout à l’heure, le côté psychologique… On connait, on connait nos patients, on sait comment ils fonctionnent. En plus… Mais je lui ai dit dernièrement : « écoute… si tu fais pas ce que je te dis je peux pas… Tu peux pas me considérer comme ta sœur quand ça t’arrange et puis… ». Et puis bon il a compris aussi, la semaine dernière il a appelé les urgences, il s’est fait hospitalisé de nuit, il a pas voulu me déranger, hein. Mais bon ça a pu lui arriver un dimanche de me téléphoner et puis… de venir parce qu’il allait pas bien. Donc on est… y a plus de… enfin faut… faut cadrer et ça c’est le plus difficile. Pour en revenir à ce que tu disais, est ce que tu penses qu’ils sont moins compliants parce que c’est toi ? Ils entendent ce qu’ils veulent entendre plus… Alors peut être que nos patients en font autant, on est par derrière eux… Là on peut suivre plus facilement que nos patients qui s’en vont et puis… on leur a donné des choses et… Mais… notamment bon pour ce qui est de… Quand il faut les faire hospitaliser… ça c’est… C’est quelque chose qui est dans… difficile. Ils pensent qu’on peut tout faire parce qu’on est médecin… et proche, on peut tout faire ! Mais non ! (rires) Est-ce que tu as déjà eu des situations où tu soignais un proche et tu as rencontré des problèmes techniques ou pratiques ? Par exemple tu me disais pour ton neveu que tu étais loin… Oui, alors bon… l’autre jour un problème… un problème… c’est dans… de rentrer dans l’intimité des gens. Hein quand j’ai eu à regarder l’anus de mon beau père, bon c’est quelque chose que… D’ailleurs c’est après ça que ça m’a décidé… J’estimais qu’on avait franchi une limite qui… qui était pas acceptable. Bon, je l’ai bien soigné, (rires) mais n’empêche que bon… Voilà c’est… ça m’a un petit peu perturbé. Euh… bon effectivement mon neveu quand il est à… 500 kilomètres bon. En même temps il entend ce que je lui dis. Euh… et… il veut un avis mais je peux lui dire que bon… Je lui pose des questions sur comment allait le petit, est ce qu’il sourit… si… donc… y a des indications, en dehors de voir l’enfant y a des indications quand même qui nous font part quand même si l’enfant souffre ou pas. Mais… j’abonde, enfin j’ai abondé dans le sens de son médecin (rires) avec d’autres petits conseils pratiques qui sont… l’eau de cuisson du riz en fin des choses comme ça, qu’il avait pas mais c’était pas méchant. Après… il entendrait très bien que je lui dise là… je peux pas te répondre ou… (soupir) Après… après j’ai rencontré des difficultés oui dans… chez un proche, dans… c’est mon beau frère… Il avait 45 ans, il est décédé d’un cancer pulmonaire. Et… quand… enfin j’ai… j’ai… quand je l’ai appris enfin je l’ai appris avant eux parce que… Je l’ai vu, il sortait de chez le pneumologue, il avait mal à une jambe il boitait et… il allait passer un scanner du poumon l’après midi. Donc je me suis dit ça, il a un cancer avec métastases osseuses. Et en fait ma sœur est venue me voir pour savoir ce que j’en pensais mais elle a pas 48
pu entendre et moi j’ai pas pu lui dire la gravité que je présentais. Le pneumologue voulait les mettre en soins palliatifs, ils ont pas voulu, ils sont allés à P. qui leur ont dit : « Oh mais maintenant on a des médicaments qui nous viennent d’Amérique etcetera etcetera… » Donc ils sont partie dans une idée de soins et… c’était difficile de… de dire… Je me souviens le dernier week-end… Je l’ai vu le samedi, je savais qu’il passerait pas… enfin bon ça se voyait, parce que nous on a un œil, et j’ai… j’ai pas appelé ma sœur, ma sœur m’évitait. Et j’ai pas appelé ma sœur pour… pour lui dire et en fait il est décédé dans la nuit du dimanche au lundi et ma sœur en a voulu à P. de pas avoir été là au dernier moment, dans les derniers moments, qu’on l’ait pas avertie. (soupir) Mais bon moi je… y a des choses comme ça, on sent… même si on est pas médecin, on reste médecin de toute façon. C’est pas parce qu’on est sorti d’ici… qu’on y est plus. Et… et… donc bah des fois même si on suit pas les proches, ça peut arriver de donner… de dire un petit peu notre avis parce qu’on trouve que… voilà y a des choses qui vont pas… genre « bah t’es palot aujourd’hui… t’as… t’as un problème ? » Enfin… On détient des informations malgré nous ? Oui tout à fait et… et puis on les libère si on est inquiet enfin… Mais là c’est… Alors qu’avec les familles des patients qui ont des cancers je suis souvent dans… dans… ne pas cacher les choses et tout mais là… J’avais à retenir tout… En même temps ils m’évitaient. Pourquoi tu te retenais plus d’après toi ? Parce que je sentais que c’était trop douloureux pour eux et… et… qu’elle m’en aurait voulu de le dire, enfin… Peut être qu’après non, mais sur le moment elle pouvait pas entendre… ça. De ma part notamment. Alors on le rencontre ça des fois aussi avec les patients, parce que j’ai eu un patient… un cancer du poumon aussi, sa femme elle m’a toujours évité. Une fois je l’ai vu parce que y avait une ordonnance à faire, je l’ai fait rentrer dans mon bureau… Elle était très pressée de partir, elle avait pas envie du tout d’entendre. Et une semaine avant son décès, j’y suis allée, enfin j’y allais régulièrement bien sûr, et là… je lui ai signalé que fallait qu’il soit hospitalisé mais que rien de curatif… Parce qu’il me dit : « bah oui mais ils me font rien » Je lui ai dit mais parce que y a plus rien à faire de curatif. Et là sa femme elle était… elle est partie… enfin elle était en pleurs, son fils aussi et en même temps je leur ai dit : « écoutez si je vous dit tout ça c’est aussi que vous puissiez… on vous abandonne pas, mais c’est aussi que vous puissiez préparer les choses. » Sa femme dit… non, lui il dit : « de toutes façon ils savent ce que je veux ». Sa femme elle dit : « je pourrais jamais ». Et en fait la semaine… il est décédé la semaine et… et… ça a permis de… de parler, pour savoir… et sa femme est venue me voir après en disant : « Merci parce que j’ai réussi à l’incinérer, chose que je voulais pas, hein. » Mais ça… le décès de mon frère m’a aidé aussi parce que… Je suis allée voir les pompes funèbres avec ma sœur, elle était effondrée parce qu’il en avait pas discuté et elle savait pas. Elle savait pas ce qu’il aurait voulu. Et c’est vraiment quelque chose qui m’a… qui m’a interrogé et qui me fait maintenant voilà dire… essayer de dire au patient quand on peut… Est-ce que tu as regretté après l’attitude que tu avais eue ? Euh… on en a jamais reparlé après avec ma sœur… que… on a apprit le diagnostic en janvier, il est décédé en mai. Ca a vraiment été très très court et euh… Ils posaient pas de question après… je suis pas du genre à dire aux gens… C’est une question qui entraine une réponse. Ils en avaient pas… et puis bon que moi je sois mal avec ça c’était mon problème, c’était pas le leur. (rires)
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Est-ce que tu vois des avantages dans la relation de soin au fait que le patient soit aussi un proche ? Des avantages… je pense pas qu’il y en ait. Franchement. (rires) Je pense pas qu’il y en ait parce que… je te dis euh… enfin il faut rester toujours très professionnel, bon j’essaie de l’être mais en face, en face et bah ils voient pas un professionnel comme un médecin qu’ils verraient ailleurs, donc c’est… c’est… Moi j’essaye de pas plus m’angoisser, de faire mon travail mais en face ils ont pas la même… la même vue sur ce que tu… Tu es le médecin mais tu restes quand même le proche. Donc… c’est… c’est pas souhaitable. (rires) Non, je vois… je vois pas d’avantages. Qu’est ce qui pourrait y avoir comme avantages d’ailleurs ? On t’en dit des fois ? Oui, le fait de bien le connaitre, de connaitre toute son histoire de pouvoir le réexaminer autant qu’on veut… En fait bien connaitre l’histoire, tu connais l’histoire par ta… ta vision à toi de tes proches et c’est biaisé parce que la vérité est propre à chacun. Je pense qu’un… un patient que tu ne connais pas tu… tu apprends à le connaitre. Tu travailles avec ce qu’il te dit de son expérience, même si… des fois tu l’amènes à… à réfléchir autrement sur ce qu’il a vécu, mais tu… tu n’as pas vu les choses donc tu ne t’es pas fait une opinion au préalable. Et ça… c’est… je crois que c’est important. Et puis l’avoir… sous la main alors effectivement… c’est ce que je disais à ma fille. Ma fille, mes enfants je les ai rarement emmenés chez le médecin parce que d’abord… ils étaient bien portant jusqu’à… et en fait ma fille avait une… une amie dans sa classe, une camarade dans sa classe au CM2 qui venait au cabinet. Et donc des fois je pouvais… c’est moi qui la voyait. Alors un jour elle me dit : « J’en ai marre, avec toi je suis jamais malade, A. elle elle a des mots pour pas aller à l’école ! » (rires) Alors je lui ai expliqué que effectivement tu peux voir une enfant le soir, qu’elle est pas bien et tu sais pas comment elle va être le lendemain et tu peux faire un mot pour dire qu’elle… Après c’est aux parents de juger, mais que elle je la voyais tous les jours et que tous les jours je… je pouvais suivre l’évolution et savoir si elle pouvait aller à l’école ou si elle avait besoin d’un médicament ou pas. Ca lui a servi puisque… j’étais du genre ça va passer et maintenant quand elle est… quand je l’entends au téléphone bien bien enrhumée je lui dis « tiens t’as un bon rhume ». « Ca va passer maman ! » (rires). Ca lui a au moins… Mais oui elle était, elle était en colère et effectivement quand tu vois les gens… sous le nez bah… tu, tu vois comment ils s’aggravent plus facilement. Mais des fois quand ils s’aggravent ça peut te donner une angoisse… plus forte aussi. Donc tu penses que pour tes enfants tu faisais plutôt moins que pour les autres patients ? Alors… oui par exemple… bon… Alors à l’époque on distrib… alors on donnait peut être plus d’antibiotiques que maintenant hein. Et… notamment mes enfants ont… même pour des… enfin des rhumes… enfin voilà c’était mouche toi et puis ça va passer. Doliprane si y avait un peu de fièvre et puis voilà, chose qu’on fait plus volontiers maintenant mais… euh… chez les… les autres patients bah ils sont pas bien, ils sont vraiment… ils ont 39 etcetera, tu sais pas comment ils vont… évoluer et finalement, à cette époque là on disait pas… on disait moins facilement il faut attendre… voilà. Donc effectivement y a eu sans doute… et puis plus de… de certificats pour repos. J’ai eu une enfance… mon père était infirmier puis il a travaillé en pharmacie et… euh… on a jamais pris de médicament. J’allais à l’école avec une angine… bon mais… je crois que c’est aussi un bien parce que je crois que ça nous a… alors sans prendre de risque quand même mais je suis… je suis allée à l’école quand même bien… (rires) pas très bien ! Les otites et compagnie c’était Aspro et basta… Mais euh… voilà 50
c’est… et donc je pense que le moins de médicaments possibles et mieux c’est. (rires) Et mes enfants ont eu ça. Même si tu m’en as déjà parlé, qu’est ce que tu peux me dire sur la notion de distance dans le soin et de neutralité affective lorsque tu soigne un de tes proches ? Euh…tu peux pas… Euh… complètement… enfin même si tu essayes d’être professionnel, de voir… Y a toujours une part d’affectif quand même. Alors ça… Je dirais que des fois ça tu l’as aussi… devant certains patients parce que… bah parce que y a une relation qui s’établit et elle est… plus ou moins forte puis tu n’y peux rien hein… C’est humain. J’ai un patient qui est décédé cet été, 53 ans, cancer de la prostate très méchant. Oui, les cancers de la prostate sont pas toujours… Ca l’a fait vivre trois ans, c’est court. Et… et… et en fait c’est quelqu’un dont je pouvais me sentir presqu’aussi proche qu’un proche. Y a… y a jamais eu aucun… aucun mot, aucun… bon voilà, je les vois jamais à l’extérieur, voilà… y a pas…on reste dans son rôle mais… Il allait travailler avec des métastases osseuses partout… enfin… Je crois que pour moi y avait une admiration de cet homme qui… Alors qui en même temps agissait comme ça parce qu’il refusait complètement… c’était une façon pour lui de ne pas s’avouer vaincu et de dire je suis… je suis mort. Mais… moi ça m’interroge d’ailleurs beaucoup sur… qu’est ce que la douleur parce que… il prenait que du Doliprane et… il était camionneur et… il allait faire sa… enfin ça force quand même le respect et l’admiration… Et c’est quelqu’un que j’ai accompagné beaucoup, il est décédé à la maison et… J’y suis allée tous les jours la dernière semaine… parce que quand il a… Et il était debout jusqu’à une semaine avant le décès… jusqu’au samedi… A partir du samedi il s’est pas levé et puis le mardi il est décédé. Et alors c’est curieux parce que je partais en vacances d’été et… je souhaitais qu’il décède avant que je parte. C’était comme… un travail à finir. Alors je voulais pas non plus laissé ça à ma remplaçante parce que… parce que voilà mais en même temps y avait eu tellement un accompagnement… euh… très… je dirais très proche dans… beaucoup de paroles même si lui n’a jamais voulu entendre qu’il était condamné, il m’a signalé quand même que… Il comprenait, le… le samedi, quand je suis partie, il m’a pris la main, il était très très faible, il m’a pris la main et il m’a fait un baise main. Chose que jamais jamais bien entendu il avait fait… et après quand je l’ai revu le lundi il avait pas sa conscience. Quelque part c’était pour me signaler que… il avait compris et qu’il me disait au revoir. C’était très très fort. On a des moments très très forts avec les patients et… Je sais pas si ça j’aurais pu le soutenir enfin j’aurais pu l’avoir en accompagnant un proche tu vois dans ces conditions là, parce que… voilà y a… y a autre chose… et la distance elle était là en étant proche y avait quand même une distance, qui y aurait pas forcément eu avec un proche. Chacun a sa place quand même et… Est-ce que tu as eu justement des accompagnements de fin de vie avec tes proches ? Non parce que j’ai réussi à ne plus être le médecin traitant à ce moment là puisque… Bon mon beau père je… Tu vois ça a permis par exemple pour mon beau père… Bon il est décédé à la maison aussi, de sa leucémie aigue. C’est pas moi qui ai fait le diagnostic. Euh je… le diagnostic a un peu tardé je… Je sais pas si j’aurais fait mieux que le médecin… Euh… et en fait dans les derniers moments je restais la fille et… enfin la fille, la belle fille… et je me souviens que la veille de son décès je… il m’a demandé de lui couper les ongles des orteils. Euh… je l’ai fait… je l’ai fait parce que j’étais la belle fille. C’était pas en tant que médecin et… et puis je... je crois que… y a une autre dimension aussi c’est que… quand on est médecin, les autres médecins ne nous… ne nous… protègent pas non plus. Je veux dire euh… Je me souviens maman est décédée d’un cancer de l’estomac et… bon je voyais bien qu’elle allait pas pas bien… Je n’étais plus son médecin traitant… Je voyais bien qu’elle allait pas bien… Ca me tracassait quand même… Je… Je… On surveille ce qui est fait quand même. 51
Bon elle avait eu une échographie… bon… Et puis en fait le… le médecin dit faudrait qu’elle ait… elle tolérait plus rien du tout… elle mangeait plus. Donc c’était le lendemain de Noël, à Noël elle avait fait… fait l’effort de venir, on était allé la chercher, elle avait mangé un tout petit peu et puis on l’avait raccompagnée. J’ai dit à mes frères et sœurs, c’est le dernier Noël qu’elle passe avec nous, parce qu’on le sent. Et en fait le lendemain je l’ai emmenée chez le… gastroentérologue et… il a su que j’étais médecin et… donc la il a passé la fibro et il est venu me voir : « bon bah là… elle a un cancer qui fait tout l’estomac, y a plus rien à faire. » Mais voilà. Et puis bon y a une chose qui m’a aussi… euh… choquée… quand mon fils a eu son accident de… voiture. On nous a appelés donc on est arrivé aux urgences… Il était sur un brancard et bon… les pompiers avaient l’air de lui parler, y avait pas de sang… Donc… bon on était content comme ça. On était donc… au bout de… de l’accueil et puis le médecin du SAMU est venu et il m’a dit : « vous êtes médecin, bon bah voilà votre fils il est tétraplégique et il le restera. » Boum. Donc là tu sais t’es… t’es médecin alors que toi t’es la mère et… c’est ça aussi qui fait que… tu peux pas… tu peux pas être les deux à la fois. T’es… t’es… soit l’un soit l’autre et… moi avec mon frère maintenant bon bah… je suis médecin, je vais le voir avec mon cartable enfin… voilà. Je lui téléphone... au sujet de… et puis on a d’autres contacts en dehors. Bon… je vais lui dire… bon ton INR ou machin… voilà mais… C’est… J’essaye de… séparer les choses. Mais c’est pas toujours évident, on n’est pas deux, on est un donc… (rires) Mais tu vois donc… recevoir par exemple une nouvelle… tu suis un de tes proches que tu suis et puis tu as la nouvelle… de… qu’il est condamné et bien… Tu y vas tout en étant le proche. Et c’est des choses qui… Juste pour en revenir sur les relations avec les confrères, est ce que tu trouves que leur attitude est différente quand il s’agit d’un de tes proches par rapport aux autres patients ? Alors… euh… Moi je me souviens aussi… quand je suis passée en hémato, en tant qu’interne, stage très intéressant au niveau de la relation humaine et… la difficulté qu’il y avait à prendre en charge un patient qui avait une leucémie chronique avec une sœur qui était médecin et qui était omniprésente. En tant que médecin. Donc qui voulait se… enfin qui voulait tout savoir ce qu’on faisait. Et… et c’était… c’était difficile… parce que bah tu te dis… D’abord des fois c’est difficile de tout dire crument… enfin pour moi. Je considère que les membres de la famille sont les membres de la famille, même si tu peux échanger sur le plan médical, ça reste avant tout des membres de la famille. Et ça, là… là tout le monde le vois pas comme ça. Tu vois le médecin du SAMU c’était pour se décharger d’une annonce difficile. Paf ! Vous comprenez tout voilà… Pzzzim. Le médecin… le médecin… le gastroentérologue c’est pareil. C’est… alors qu’en hémato, le diagnostic pour mon beau père il m’a pas été annoncé à moi pour le dire aux autres. Et… et c’est pareil quand t’es médecin, oui… les autres, les confrères et bah…euh… vont s’adresser à toi-même si tu suis pas. Quelqu’un de proche, ils vont plus facilement… parce que tu comprends… les tenants et les aboutissants et à toi de débrouiller pour le dire aux proches. Ils vont te solliciter alors que tu n’as rien demandé ? Voilà. C’est… c’est pas toujours évident enfin… Et est ce que tu crois qu’ils ont une attitude différente avec les proches patients ? Bah… mon… alors après je pense que… oui ça peut, on marche tous avec nos… nos angoisses et ça peut… ça peut… aussi faire que les gens vont, enfin les médecins vont être plus prescripteurs parce que… parce qu’il y a… parce qu’il me semble qu’il peut y avoir un 52
jugement de la part du… du confrère qui est aussi proche, enfin voilà. Y a… y a un enjeu peut être plus… enfin tout dépend de la personne aussi mais j’imagine, il peut y avoir… Tu me disais que parfois tu es amenée à entendre des prises en charge faites par des confrères auprès de tes proches avec lesquelles tu n’es pas forcément d’accord ou qui t’inquiètent, comment tu gères ça ? Mmm… Bah d’abord je le… je dis pas… sauf si c’est vraiment… si c’est vraiment… ça met en jeu, ça peut mettre en jeu mais… Non c’est plus… Je dirais : « Bah tiens, peut être que ça… tu lui as demandé… ou tu pourrais lui demander… ». Enfin, suggérer très doucement parce que tu vas pas… ou alors faut vraiment que ce soit quelque chose de très gros mais… non tu vas jamais enfoncer un confrère pour dire… Tu n’as jamais eu à intervenir sur des choses importantes ? J’ai pas de… J’ai pas d’exemple hein… Je dis mon frère avec sa jambe qui était très gonflée et donc… J’ai pris en charge mais en même temps le Dr C. sait bien que je… j’étais le médecin de famille, il se considère pas non plus comme le médecin traitant donc… voilà. Mais… il avait l’occasion de le voir…Il a suivi ça de très très loin. Alors ça le concernait puisque le lymphome de Burkitt ça fait partie quand même de… c’est son domaine mais bon… c’est pas lui qu’a fait le… le diagnostic. Je lui en veux pas hein… Après peut être que lui se dit que… il a… bon y a quelqu’un de proche qui le voit régulièrement et puis… ou alors c’est peut être mon frère aussi qui… qui me met à une place en disant elle va se… en tant que médecin… tu sais jamais… et… Tu m’as parlé tout à l’heure de ton beau père et du problème de la pudeur dans l’examen clinique, est ce que tu as d’autres exemples ? Bah… c’est… c’est toujours quand ça fait partie de… de l’intimité hein. Euh… un jour c’était une cousine, bon elle avait des soucis gynécologiques donc… elle m’a demandé de regarder, voilà. Euh… voilà, autant pour moi un examen gynécologique c’est un examen pour moi comme regarder dans la gorge ou n’importe, autant quand c’est sur un… proche, et puis en plus que l’examen a lieu à la maison, voilà. Je l’ai fait parce que je dis… tu rends service et puis c’était un dimanche enfin bref voilà. Euh… bon je suis pas son médecin, c’était… un avis qu’elle demandait, voilà. Un petit peu… tu vois c’est plus dans le côté vraiment intime, l’intimité corporelle… Donc toi dans ces situations ça peut te mettre mal à l’aise, est ce que tu as ressenti que le proche l’était lui aussi ? Bah écoute… Je l’ai… non je l’ai pas… et c’est peut être ça aussi qui m’a mis mal à l’aise qu’il est… Je veux dire, ça l’a pas… ça l’a pas interrogé. (rires) Donc c’est sans doute qu’il me voyait à ce moment là plus comme le médecin que comme la belle fille mais il a pas… oui ça l’a pas du tout… interrogé, il a fait ça très facilement. (rires) Ma belle mère était à côté ! (rires) Donc ça c’était plus par rapport à l’examen physique, est ce que tu penses qu’il peut y avoir aussi un problème de pudeur par rapport à l’interrogatoire de la même façon ? Alors bon… euh… bah c’est toujours oui… dans l’intimité… Euh… C’est sûr qu’il y a des questions que je pourrais poser à des patients, sur… leurs relations par exemple sexuelles ou autres, que je… je pourrais pas forcément poser à… à des proches parce que… parce que 53
voilà après je serais détenteur de quelque chose qui pourrait éventuellement changer. Je sais pas par exemple… un beau frère si… si j’étais son médecin traitant et que par un interrogatoire ou par un examen je me rendais compte qu’il trompait ma sœur (soupir). Voilà tu peux détenir des choses qui… sont de l’ordre du secret professionnel mais… voilà qui… qui posent problème. T’as jamais eu des situations comme celle là ? Non, je me souviens pas… Non parce que chez nous en plus, dans… dans la famille les secrets c’est… c’est non… sauf pour ma sœur et mon beau frère mais encore une fois je suivais pas mon beau frère. Le fait de savoir qu’il allait… qu’il allait mourir et que… que c’était grave et que aucun traitement ne le tirerait d’affaire contrairement à ce que disaient les… cancérologues de P. euh… voilà quoi ça… Et puis… et puis à chaque fois… On va trouver un autre traitement… Ca c’est… C’est très difficile de détenir cette… ce secret là. Mais ce n’est pas lui qui te l’avait dit ? Non. C’est ce que j’ai interprété, ce que j’ai ressenti de l’évolution de la maladie, mais c’est pas lui qui me l’avait dit. Non niveau… on est une famille soudée donc… pfff. Et de la même façon, est ce que tes proches tu penses vont te dire la même chose à toi qu’à un autre médecin ? Ah oui... (moment de réflexion) Au niveau de confier certaines choses qui peuvent avoir un impact sur leur santé et qui… si ça n’a pas de… Un médecin enfin… un médecin qui n’est pas un proche… tu… ouais bon j’espère que mes patients me confient un maximum de choses, c’est ce que… je voudrais. C’est peut être pour ça qu’il faut pas être le médecin d’un proche parce que tu sais qu’il te confiera pas forcément autant. Et puis… et puis toi t’as peut être pas envie non plus de tout… de tout savoir hein… voilà. C’est peut être la différence. Est-ce que ça t’est arrivé de refuser une demande de soin ponctuelle ou d’être le médecin traitant ? Maintenant j’avoue que… pour ne pas avoir à refuser, je n’emmène plus mon cartable à la maison. Ou sauf vraiment si j’ai fait une visite ou… Je n’emmène plus mon cartable à la maison donc… euh bon… Alors maintenant mes neveux et nièces sont grands donc… y a éventuellement des arrières neveux et nièces éventuellement (rires). Et… donc on me demande… on me sollicite plus pour un avis comme ça téléphonique sur une situation que… qu’un examen médical. Ou alors on va me téléphoner : « Bah est ce que tu as le matériel ? » « Non, je l’ai pas… ». Je… voilà. D’autant plus qu’on est une très grande famille. Donc tu vois… le soir à 11 heures… une fois mon… non… ma sœur m’a sollicitée… Mais ils étaient ici encore… pour recoudre son… son fils. Je l’ai fait… c’était… il devait être 9 heures le soir… bon je l’ai fait mais… autrement j’ai pas… non recoudre mes enfants à la maison oui. Autrement y a un neveu aussi à la maison. Il s’est pris un gadin dehors ! Mais à l’époque j’emmenais mon cartable parce que les enfants étaient petits aussi. Et je l’ai recousu à la maison, pas dans de très bonnes conditions d’ailleurs. (rires) Est-ce que le fait que ce soit un soin douloureux les sutures cela t’a gênée ? Bah… s’il faut le faire il faut le faire. Tu vois j’ai été étonnée parce que… que ce soit mon neveu ou mes enfants, je pense qu’il y avait un rapport de connaissance de la personne et… mon neveu il a été très très stoïque, il avait deux points à faire sur le visage donc… c’était pas 54
évident, sur le menton. Et… en fait il a pas bronché, je suis pas sûre qu’il aurait eu la même attitude avec un… avec quelqu’un d’autre. D’abord parce que je pense aussi que… euh… les parents ont une position importante dans l’angoisse des enfants et qu’ils peuvent transmettre leur angoisse. Ma sœur en l’occurrence est venue donc bon elle était tranquille… euh… elle était apaisée donc… chez l’enfant ça… ça se ressent ça c’est… et j’en suis à peu prêt sûre. On peut pas évaluer mais j’en suis sûre. Donc là c’était plutôt un avantage qu’il te connaisse ? Voilà hein… dans ce cas là, faire des choses un petit peu délicates… qui sont, qui sont… pas non plus de l’ordre d’un diagnostic à faire ou… mais un geste technique… voilà. Donc ça c’était plus pour des demandes ponctuelles, après tu m’as dit que tu avais arrêté des prises en charge, comment ça s’est passé ? Alors… comment ça s’est passé ?... Bah un jour, je lui ai dit « écoute… non ça devient… ça me pose problème… Je peux pas… je peux pas être votre belle fille et votre médecin… Je pense que c’est mieux que vous alliez voir un… » Ca s’est entendu finalement, ça s’est entendu. Bon mon frère s’est un peu différent parce que bon… euh… d’abord je crois que… dire que t’as le sida ça… ça peut emmener des questionnements sur la façon dont tu l’as attrapé et ça il veut pas en parler. Même avec… enfin nous on le sait mais… il en a jamais parlé. Il sait qu’on le sait… voilà. Sans que ce soit dit vraiment… Tu vois oui c’est… y a quand même un secret sans être un secret. Il sait bon… on n’a pas jugé, on n’a pas… c’est tout. Et je voudrais pas qu’il en parle. J’y tiens pas. Donc pour ton frère tu n’as pas refusé finalement… Oui parce que... je te dis à l’époque c’était plus pour… collecter les informations… pour… avoir un petit peu de supervision enfin pour avoir… euh… Bon, voir un petit peu quand il a son scanner à faire… euh… Mais, je suis rarement… Bon ça m’arrive de lui prendre sa tension… de l’examiner quand… Bon puis y a de plus en plus d’angoisse donc ça va être de plus en plus fréquent… Bon on a parlé de… la mort… ensemble… et… Après bon je sais qu’il y a toute une équipe derrière. Je suis pas seule avec lui. Je regroupe les informations, j’en distribue… je fais des choses bon…L’autre jour il était pas bien, il avait les jambes qui flanchaient et tout ça parce qu’il avait arrêté le Préviscan bien entendu et le traitement de l’arythmie puisque… voilà et … il était pas bien, il avait des vertiges, les jambes qui flageolaient et puis… comme pour les pulsations il passait de 80 à 130… bon j’y suis retournée mais… je l’ai même pas envoyé chez le cardiologue… Je lui ai re-prescrits le Préviscan et j’ai retéléphoné à son cardiologue après. (rires) Est-ce que tu te sens un peu contrainte de le soigner ? Alors, je lui ai dit dernièrement, je lui ai dit : « écoute ça va plus être possible si tu… si à chaque fois tu… quand ça t’arrange ça t’arrange, quand ça t’arrange pas… » Voilà. Mais… c’est mon frère ainé, c’est l’ainé de la famille. Euh… lui dire non… c’est… Je sais pas comment l’exprimer, c’est difficile parce que… en même temps je sais que je… Y a pas forcément le même affectif qu’avec d’autres frères et sœurs. Y a de la distance parce qu’il est beaucoup plus âgé que mois. Enfin… oui il a…il doit avoir 13 ans ou 14 ans… donc… y a plus de distance qu’avec… par exemple mes sœurs avec qui ont a deux ans d’écart. C’est… et 55
puis bon je sais que… je sais que si je suis pas là il ira voir un autre docteur… il ira voir le Dr C. mais… que… je suis pas sss… enfin il… Dr C. il en aurait peut être vite marre que… d’être appelé… là en ce moment donc tu vois… la semaine d’avant c’était pour ça, après il a fait un épistaxis… important enfin y a… et de plus en plus souvent il y a aura des choses, sauf que faut bien que je mette des points sur les « i » que… quand il m’appelle parce qu’il est pas bien. Je suis le médecin et je suis pas sa sœur… (rires) Voilà. Mais il pourrait être suivi par un autre médecin généraliste ? Il ira pas. Il ira pas. C’est… comme il a un caractère très très particulier, les médecins tout ça… Quand il a été… hospitalisé… alors c’était pour quoi… Bon il est sorti plusieurs fois contre avis médical, bon parce qu’il en avait marre d’être à l’hôpital et parce que… c’est pas… c’est pas un patient patient ! (rires) et… et je pense que d’un autre côté alors il m’écoute pas mais… il a quand même… suffisamment confiance pour… faire attention quand même. Alors c’est paradoxal. C'est-à-dire qu’il va pas… m’écouter, il va dire : « Oooh bah non, non non. » et puis finalement il va peut être suivre quand même ce que je lui dis. Mais… il le manifeste quand il… quand ça lui plait pas il sait le manifester. Plus avec toi tu penses qu’avec un autre médecin ? Oui. Ouais, ouais, oui. Certainement oui… oui puisqu’il me dit « non je veux pas… tu peux bien me prendre en charge comme ça… » Et… je lui dis « non, je peux pas tout ! » (rires) Non, il le dirait pas à d’autres. Et concernant ta mère, est ce que tu peux me dire pourquoi tu as arrêté la prise en charge ? Parce que… parce que d’abord ça devenait lourd. Elle avait une insuffisance respiratoire, une insuffisance cardiaque, une arythmie, des… euh… une insuffisance coronarienne… et euh… notamment bon, elle avait un refus… enfin il avait fallu que je fasse appel à… à une sœur, pour qu’elle accepte une hospitalisation que je trouvais… enfin on pouvait pas faire autrement. euh… et… et puis sans doute que je présentais alors elle avait aussi… une hémorragie digestive. Longtemps avant son cancer, je pense qu’elle avait déjà son cancer à ce moment là… elle a jamais voulu repasser de fibroscopie gastrique et… et à ce moment là je n’étais plus son médecin, je m’en suis… enfin elle a pas voulu la passer même… avec le médecin traitant autre mais y avait… Je me dis qu’elle a peut être bien fait parce qu’elle aurait eu certainement des traitements lourds et elle aurait pas eu la même qualité de vie et peut être que ça ne l’aurait pas prolonger les 5 ans qu’elle a vécu. Non… ça devenait difficile de prendre en charge sans que l’affectif se… s’en mêle. Donc rester vraiment… uniquement professionnelle… euh… ça posait problème. Je pense que pour mon beau père, y avait ça aussi. Après quand bon… ils sont biens et tu découvres une maladie grave c’est pas pareil mais quand tu vois qu’ils… voilà ils vont manifestement… l’affectif entre en jeu et… ça devient trop lourd. Est-ce que tu penses que le fait de soigner un proche ça peut modifier les relations familiales ou amicales ou engendrer des conflits ? Euh… bon… ça pourrait engendrer des conflits si tu passais à côté de quelque chose, hein. Donc… t’as toujours la même… la même responsabilité mais… Je dis pas qu’avec un patient c’est pas grave (rires) mais… parce que tu peux toujours avoir… un procès ou… mais là dans… dans la relation de proche euh… T’as pas forcément de procès mais tu peux avoir… Tout le monde… et puis c’est pas que… que le proche… ça peut être tout le monde. Après… 56
après ils font pas… ils font pas toujours ce qu’on leur dit de faire. Donc la démarche diagnostique elle est pas toujours facile, alors les patients aussi mais ça te retombe quand même sur le dos quand c’est ta famille. (rires) Tu… c’est bizarre parce qu’ils ont… s’ils te demandent à être médecin c’est qu’ils ont une confiance qu’ils placent parfois au dessus… On rencontre ça parfois avec des patients, tu sais qui… qui veulent pas voir quelqu’un d’autre et puis… qui ont vu… qui sont allés aux urgences et puis…le lendemain ils t’appellent pour que tu confirmes que tu dises… On n’a pas la parole divine, on… voilà nous. Voilà, c’est ça des fois qui est un peu lourd, et c’est ça que tu rencontres quand tu soignes tes proches. Euh… c’est impossible que tu puisses te tromper. Bon c’est… c’est… préférable que tu te trompes jamais mais voilà pour eux… C’est une confiance aveugle ? Ouais et ça c’est… c’est parfois lourd. C’est peut être ça. C’est peut être ça aussi qui m’a amenée à… à ne plus prendre en charge, parce que cette confiance aveugle… avec… avec parfois… c’est pas une remise en cause de leur confiance, mais la confiance est telle que bah tu peux même faire sans hospitalisation ! voilà hein… tu peux tout faire ! Et bah non… tu peux pas tout faire. Et… euh… et donc dans les conflits… faut vraiment que les choses soient très claires et… dites et… et entendues et partagées pour que ça aille. Et est ce que cela peut avoir une influence sur ta place au sein de la famille, tu me disais à propos de ton beau père par exemple ? Voilà… après, c’était… bon tu me diras je donnais… comme à tout le monde… bon je sais pas tu es… peintre décorateur, ta famille elle va te demander ton avis pour décorer quelque chose… voilà mais ça se limite à ça. Bon hein… tu restes avec un savoir que tu veux bien… partager, dans une limite… faut pas… Est-ce que tu penses que ces situations de soin avec tes proches vont influencer ton bien être personnel ? Euh… J’ai résolu déjà… une partie en emmenant plus mes affaires à la maison (rires) puisque… puisque bon quand j’emmenais… t’es corvéable à… et t’es toujours disponible. Bah non, parce que le bien être passe aussi par une vie familiale qu’est pas forcément dérangeable à tout bout de champ même la nuit. Et… après, après moi je suis… je suis pas… j’aime bien rendre service. Tant que c’est rendre service, ça va, après bon… faut pas… faut pas dépasser bon y a des limites. Quand tu… quand tu es le médecin traitant de ta famille, faut vraiment poser des limites et… que les gens te vois comme… puisse te voir comme médecin un moment et comme proche autrement. C’est en fait… la difficulté elle est là et puis toi… toi pareil… rester aussi à ta place. Faut mettre des barrières. Est-ce que tu as d’autres remarques ou d’autres situations ? Je sais pas parce que peut être que je me suis beaucoup répétée, je sais pas si ça… ouais non, le mot final c’est ça c’est… savoir… savoir faire… mettre des barrières et les faire respecter et est ce que ces barrières vont… vont changer la… ta relation avec les autres, avec les proches ou les amis c’est… la question elle sera toujours débattue de toute façon, après… on fonctionne tous de façon individuelle donc c’est dans nos possibilités de… de… d’être assez… net pour dire : stop. Moi je sais que j’ai une… je me dis toujours bah… ils ont besoin donc… voilà on va… alors c’est pour ça que je me suis obligée à laisser mon cartable parce que c’est une façon de m’imposer à moi des limites. Parce qu’il faut que je me les impose à moi euh… avant de pouvoir les imposer aux autres parce que je me laisse facilement… mais 57
c’est à tous les niveaux. Bon avec les patients aussi… je… hier soir je finissais, j’ai vu un de mes patients qu’était… J’avais honte de m’en aller… alors que bon j’avais fait ma journée mais ici c’est la règle le soir… les patients peuvent être vus par les autres mais j’avais… j’avais honte de m’en aller, pas l’avoir pris… Tu penses que les soins que tu apportes à tes proches cela reflète ta façon de pratiquer ? C’est ma personnalité donc… on fonctionne tous avec ce qu’on est donc évidemment, je me vois pas alors… mettre une blouse et… changer de personne en arrivant dans mon bureau. Bon… on le fait un peu parce que… c’est ça aussi. On peut… avec les patients on peut avoir cette distance, en même temps proche et en mettant une distance qui permet que… que ça fonctionne. Avec les proches c’est… cette distance qui est tout le temps élastique et qui… voilà. De ta part et de leur part. Pas d’autres choses ? Je sais pas… peut être que plus tard parce que j’y repenserai mais… Et bien merci beaucoup.
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ANNEXE E : Analyse des résultats Devant le volume important des tableaux d’analyse, un seul extrait de verbatim par thème a été choisi. L’intégralité des tableaux a été transmise à chacun des membres du Jury en version électronique (Annexe E). Cette dernière est disponible auprès de l’auteur.
Tableau I, Avantages de la situation. Confiance du patient, situation rassurante
Bonne connaissance du patient Réévaluation clinique, suivi facilité Arguments pratiques et économiques Confiance du médecin, liberté de décision Absence de jugement, simplicité de la relation
« Je trouve à la rigueur que l’examen il est faciliter parce qu’ils ont moins peur… » (M9) « Comme on vit avec eux, on voit comment ils se comportent en fait. Comment ils se développent. On a même pas besoin d’examiner… à la limite… on voit qu’ils dorment bien, on voit qu’ils mangent bien. L’examen en fait, d’un vraiment proche c’est… c’est la vie » (M1) « on peut examiner, réexaminer, revenir… » (M4) « je lui ai fait 3 points sur la table de la cuisine et c’était, comme c’était un dimanche ça nous a évité 4 heures aux urgences pédiatriques bah… tu te dis c’est quand même vraiment commode ces jours ci » (M8) « J’étais peut être rassuré quoi en fait. Que ce soit moi qui… qui l’aide à prendre… les… les décisions » (M1) « un acte en plus qu’on va… qu’on fait pour rendre service donc on va pas être soupçonné de… d’incompétence, voire de… d’inaction, parce qu’on, a rien fait le premier jour. » (M9)
Tableau II, Problèmes pratiques ou techniques. Manque de matériel
Lieu inapproprié Éloignement
« On avait pas les moyens de faire ce qui aurait pu le sauver si jamais ça tournait mal. » (M9) si je suis dans des lieux qui ne sont pas forcément adaptés je… je ferais pas de geste particulier, je ferais pas… Je vais pas ouais je vais pas faire le cow-boy à… à prendre des positions qui soient inconfortables ni pour la personne que je soigne ni pour moi » (M13) « on est loin, on voit pas l’enfant… » (M15)
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Tableau III, La distance dans le soin.
La neutralité affective, perte d’objectivité
Sur ou sous investissement
Modification de la relation de soin
Surinvestissement, faire « plus » Sous investissement, retard de prise en charge, faire « moins » Modification de l’attitude du médecin difficultés dans la relation de soin, malaise
Le poids de la responsabilité, la peur de se tromper La responsabilité
Le manque de confiance en soi La trop grande confiance du patient La complaisance
L’observance et l’inobservance…
Fixer des règles
« C’est quand même toujours difficile de faire la part des choses entre le côté sentiment et la neutralité médicale. C’est un peu… (silence). Donc… je pense que c’est bien que… les gens aient quelqu’un de neutre en face d’eux et je pense que c’est plus facile même pour pas passer à coté de… d’un diagnostic ou… « (M3) « le risque de les écouter de trop et de les traiter tout de suite quoi » (M13) « donc c’est plus quand… le symptôme est bien avancé qu’on réagit. C’est vrai… moins rapidement que le patient qui amène son enfant pour telle raison » (M2) « … même si je tiens compte de sa plainte, je vais chercher à évaluer… le pronostic d’une façon… plus interprétative de ce que j’évaluais de son comportement. » (M4) « ça m’est arrivé quand même de suivre un petit peu au début… les cousins… plus ou moins éloignés qui… mais sans être à l’aise quoi. Ca m’a toujours… je me suis toujours sentie en porte à faux avec cette position quoi. » (M10) « heureusement que je m’étais pas trop investie c’est ce que je me suis dit sur ce coup là parce que quand il est décédé déjà le peu qu’il m’avait confié j’ai eu l’impression de pas avoir fait assez ou de pas avoir su l’aider… voilà quoi, qu’il était en partie mort à cause de moi » (M6) « Donc j’avais vraiment besoin d’un avis extérieur… pour ne pas mettre tout sur le compte de ma propre anxiété et peut être de mon incompétence… maternelle. Prendre tout seul la décision d’aller faire faire une fibroscopie à son premier enfant c’est pas si simple que ça » (M11) Y a ça, cette notion de… de parole dite et… et qui fait toute confiance et… Alors qu’on peut aussi se tromper » (M15) « où je me suis sentie mal à l’aise avec ma famille…c’était dans des demandes, plus d’ordre matériel. De reconnaissance par exemple de… pathologie qui… qui nécessitait un arrêt prématuré d’activité. » (M11) « il a du mal à me voir comme un médecin, je suis sa conjointe donc… quand je vais lui dire quelque chose… s’il est pas d’accord il va pas le faire… il va pas forcément adhérer à mon traitement… » (M6) « Je pense que si on ne met pas des règles ou si on n’est pas clair avec ça c’est hautement dangereux. Parce que à un moment donné y a un mélange des genres. Et c’est la seule manière de… déjà mettre des barrières et des contrôles à l’affectif. » (M16)
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Tableau IV, La pudeur, les difficultés d’examen. La pudeur du médecin Pudeur psychologique
La pudeur du patient
Pudeur physique, examen physique
Soins douloureux
« C’est vrai que j’étais un peu gêné du coup de… de l’interroger à la fois peut être sur les pratiques sexuelles » (M7) « on peut être amené à… bah par la légitimité de la pratique du soignant à… investiguer ou interroger l’autre, sur des aspects de sa personne… euh… qu’un ami n’aimerait pas, ou ne souhaiterait pas dévoiler à l’autre » (M4) « Pour toute la famille, c’est clair que ça c’est… c’est ma pudeur et je pense partagée de l’autre… Je sais que j’irais pas en dessous de la ceinture et au dessus des genoux » (M13) « Le père par exemple pour faire un vaccin pour son enfant je pense pas que ça aide, parce qu’on lui fait mal donc bon… l’enfant je sais pas si il comprend très bien ça. » (M5)
Tableau V, Refuser une demande de soin, décider de ne pas soigner ses proches. De part l’éloignement Compréhension du proche Refuser sans difficultés
Légitimité du refus
Refus collectif
Refuser avec malaise
Conséquences du refus
Motivation, justification du refus ou du fait de ne pas soigner ses proches
« j’étais pas sur place en cas de problème parce que y a 30 kilomètres pour y aller donc je pouvais pas… » (M12) « Bah un jour, je lui ai dit « écoute… non ça devient… ça me pose problème… Je peux pas… je peux pas être votre belle fille et votre médecin… Je pense que c’est mieux que vous alliez voir un… » Ca s’est entendu finalement » (M15) « il est très au clair par rapport au fait que je lui ai clairement dit que moi je voulais plus être… le médecin traitant. Parce que ça me parait pas sain et puis parce que… parce que j’ai 63 ans et qu’elle aura besoin d’avoir un médecin traitant pour toute sa vie de femme et sa vie de mère, y compris pour le bébé » (M16) « elle a sollicité les trois médecins de la famille, ses deux gendres et puis sa belle fille en se disant y en a bien un qui va me soigner, mais on a refusé tous les 3. Donc c’était simple, donc y avait plus le choix. » (M12) « C’est difficile… euh… je sais pas moi… parce que je sais pas dire non de façon général de toute façon à mes patients j’ai du mal à dire non aussi face à des sollicitations… » (M10) « puis il y a avait derrière l’idée de… ouais mais si on fait ça, ils vont peut être se dire : bah oui voilà, il veut plus nous soigner » (M2) « Y a aussi qu’elle pouvait avoir à aborder des sujets qui… où j’étais concerné, où j’étais éventuellement partie… partie prenante et que j’avais pas forcément à connaitre. Et en tous les cas que ça lui interdisait éventuellement d’aller sur un espace… d’intimité qui… qui est pas partagé dans un couple » (M16)
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Tableau VI, Décider de soigner ses proches. Sollicitations répétées, insistance La pression familiale et de l’entourage
Ne pas blesser…
Échange de bons procédés… Les confrères La place du médecin dans la société
Pourquoi on le fait même si ce n’était pas notre premier choix ?
La fierté, le regard des autres La personnalité et l’amour propre… Je sais le faire ! Ne pas déléguer L’inquiétude le désaccord sur une prise en charge Le sens du devoir Les circonstances, confort pratique du patient Le confort pratique pour le médecin Parce que cela ne pose pas de problème Motivation et justifications de ce choix
Choisir d’emblée de soigner ses proches
Absence de tiers Pourquoi seulement les proches vivant sous le même toit
Réévaluation aisée Pathologies plus bénignes Bonne connaissance du patient
« D’ailleurs quand il m’avait demandé de signer sa feuille j’avais fait de la résistance… Donc il m’avait un peu forcé la main quand même. » (M8) « mais je me suis toujours… dit que c’était pas une très bonne chose que de traiter sa famille donc… je le fais par je dirais… par sympathie, on peut pas dire bah « je veux pas vous traiter… » mais euh… je refuse un petit peu quoi. » (M5) « c’est des amis tu sais avec qui je… y a un échange entre guillemets de services » (M7) « Peut être pas à l’aise, tendance à te confier la surveillance plus. Alors que précisément si tu vas les voir c’est pour déléguer… » (M8) « Dans l’esprit des gens, les enfants de médecins…euh… normalement ça doit pas être malade. Parce que en fait, on doit être là tout de suite, prendre avant. » (M1) « c’est plutôt… en général flateur donc c’est ça qui… c’est ça le piège en fait… c’est que ça va être flatteur que quelqu’un de proche… nous nous… confie, enfin ait une confiance suffisante pour… nous mettre sa santé entre les mains » (M10) « … je pense que je suis quelqu’un qui… qui aime bien maitriser… qui aime bien maitriser les choses… être un acteur proactif… et… voilà on est dans sa vie personnelle comme on est dans la vie professionnelle ou dans la vie institutionnelle » (M16) « Il m’inquiétait, là il m’inquiétait, je l’ai pris sous le coude et je l’ai emmené moi-même aux urgences » (M2) « comme son médecin ne sait pas beaucoup de choses.. du coup j’étais obligée de m’en occuper » (M6) « Je peux pas sous prétexte que ce sont des amis, des cousins etcetera… euh… ne pas leur parler de leur prostate, de leur… du toucher rectal nécessaire. C’est pas facile, donc je le fais. » (M11) « Et puis on s’est retrouvé un jour férié » (M2) « Je me suis rendue compte : un que fallait aller loin, deux qu’il en faisait pas plus que ce que je faisais moi au cabinet, et trois que fallait attendre longtemps dans des salles d’attente ou y avait plein de malades… » (M8) « la prescription de pilule chez les copines… Bon ça… je vois pas pourquoi on pourrait pas… c’est… une chose facile à faire » (M13) « ça fait partie de mon travail parce que je me vois pas… exclure mes amis… ma famille de mes connaissances professionnelles » (M13) « Je suis le… j’allais dire, le chef de famille quoi en fait… j’ai pas de compte à rendre à d’autre qu’à moi-même » « Là entre le malade et moi, y a pas d’intermédiaire » (M1) « L’intérêt c’est d’avoir sous la main le patient en garde. (rires) Chose, qu’on peut pas faire avec un autre. Mais que avec les proches quoi… la famille… en fait les proches qui sont sous le toit en fait » (M1) « … C’est pas pareil parce que, c’est pas… C’est de la pathologie vraiment de médecin généraliste » (M2) « c’est différent quand tu vis avec quelqu’un toujours. On n’a même pas besoin de… des fois de les examiner. » (M1)
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Tableau VII, Répercussion sur les liens familiaux et amicaux. Secret médical, secret de famille… Modification de la relation préexistante Création de conflits Nos proches ont besoin de nous en tant que proches et vice versa ! Absence de répercussions / Répercussions positives Le statut de médecin et la répercussion sur les proches Confirmation du rôle (de chef de famille, etc…) Place au sein de la famille
Gérer les critiques des membres de la famille
Bouleversement des rôles, modification de son identité familiale Emprisonnement dans son identité familiale Des « proches-patients » Des autres membres de la famille
« qu’on te dit des choses qu’on dirait pas forcément à sa nièce, mais parce que t’es médecin. Donc sur le coup on te les dit après je sais pas comment les gens le vivrait… que tu saches autant de choses quoi » (M6) « si moi je voulais aborder le problème de la fin de vie de ma mère, quelques fois il se mettait très en colère en me disant que j’étais négative. Donc à un moment ça a forcément créé un conflit. » (M11) « trouve que c’est un geste qui reste agressif et douloureux et mon rôle de maman même si c’est un geste de protection, il est plus de le tenir dans mes bras et de le rassurer quand ça fait mal que de lui faire mal » (M6) « j’ai le sentiment que ça crée éventuellement une plus forte connivence avec… ces personnes là. » (M16) « c’est particulier à la médecine ça. Euh... avocat par exemple… on dira jamais, femme d’avocat ou enfant d’avocat, hein ? C’est… Y a quand même une relation forte entre… médecin et l’entourage… » (M1) « … j’étais aussi… chargé par mes frères en tant que frère ainé qui ne sont pas médecins, qui sont d’un milieu tout à fait différent au niveau professionnel, d’être un peu le… le référent dans cette affaire » (M16) « … c’est mon frère ainé, c’est l’ainé de la famille. Euh… lui dire non… c’est… Je sais pas comment l’exprimer, c’est difficile » (M15) « je pense que des fois mes frères et sœur me voient comme le frère mais des fois aussi comme le frère médecin » (M5) « … je pense que pour l’histoire abdominale, elle a retenu que j’ai pu sous estimer la douleur qu’elle avait. Que dans l’accouchement de N., ce sacré 14 juillet là, j’étais quand même pas très prévoyant… » (M4) « si tu te trompes de décision ou si on estime que tu t’es trompé de décision comment tu le vis après avec les autres ? C’est compliqué. C’est une grosse responsabilité. » (M6)
Tableau VIII, Ressenti et influence sur le bien être personnel du médecin. Répercussions positives Confusion vie privée – vie professionnelle
La médecine fait partie de notre identité…
Disponibilité permanente
Implication affective trop forte émotionnellement, nécessité de se protéger… Absence de répercussions
« C’est plutôt gratifiant » (M14) « tout le temps t’es sollicité tout le temps quoi. Et ça te met en responsabilité par rapport à ton entourage proche, ce qui est très inconfortable je trouve moi des fois. Après c’est un métier qu’on fait tout le temps quoi, même quand on est pas au cabinet ! » (M6) « t’es corvéable à… et t’es toujours disponible. Bah non, parce que le bien être passe aussi par une vie familiale qu’est pas forcément dérangeable à tout bout de champ même la nuit. » (M15) « ça j’avoue que… (rire) rien que d’en parler c’est pas facile… dire à son père : « t’as un cancer d pancréas et… y a pas grand-chose à faire » c’est difficile. » (M10) «ça me gène pas et ça modifie pas mon caractère ni… ma personnalité » (M14)
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Tableau IX, Les relations avec les confrères et les professionnels paramédicaux partageant le soin.
Le désaccord et la confraternité Sollicitations, attitude ambigüe du confrère Confusion des rôles
Difficultés à se positionner pour le médecin Attention plus particulière, meilleure qualité des soins, privilèges, soutien…
Modification de l’attitude des confrères
Moins de soutien, moins d’explications « L’étiquette » de médecin Absence de répercussion
Ressenti des confrères Regard critique des confrères
« chez certaines personnes c’est difficile… on risque d’avoir un avis plus important dans sa tête (…) alors que c’est pas notre rôle (…) Donc là je pense qu’il faut mieux entendre qu’un son de cloche et qu’il y ait qu’un référent. » (M9) « Peut être pas à l’aise, tendance à te confier la surveillance plus. Alors que précisément si tu vas les voir c’est pour déléguer… » (M8) « une situation pas facile non plus parce que j’étais le fils médecin mais bon… d’un patient plutôt… plutôt difficile quoi. C’est vrai que t’es… t’es des fois un petit peu entre deux quoi. Du côté soignant, du côté de la famille, du côté… » (M5) « Et puis on sait qu’on peut agir parce que ça change les choses… Quand j’accompagne ma mère aux urgences c’est complètement différent… elle le dit… elle est mieux prise en charge, les gens font attention à elle… » (M6) « Et donc, son impression était de se sentir seule… Après l’accouchement, avec le bébé… on l’a oui… dans sa chambre, parce que… parce que elle a pensé qu’on pouvait peut être imaginer que le médecin devait savoir se débrouiller de son bébé et… et voilà » (M4) « j’espère qu’à mon insu je ne le fais pas mais… de pas mettre en avant cette étiquette, parce que… globalement elle emprisonne plus qu’elle libère » (M4) « Je sais pas s’ils ont une attitude différente. Je crois pas. » (M2) « c’est peut être un honneur qu’un confrère envoie sa propre femme en fait, mais pour lui c’est un poids de plus » (M1) « j’avais pas envie qu’on me dise : « tu viens pour n’importe quoi … ». Ouais, ouais, ouais…vraiment ça a joué. J’avais peur de ce qu’on allait pensé de moi » (M6)
Tableau X, Les spécificités du médecin généraliste. Polyvalence, multiplicité des demandes Refus facilité par la non spécialisation Prise en charge globale, continuité des soins et suivi Demandes différentes, appréciation différente… Absence de spécificité
« Quand on est omnipraticien, on doit savoir tout » (M12) « Quand ça me dépasse un peu c’est peut être plus facile de dire… là faut demander l’avis de quelqu’un de spécialisé » (M9) « Nous en tant que médecin généraliste, c’est de la tête aux pieds, de 0 à 100 ans. Donc c’est la prise en charge globale » (M11) « Moi je vois le plus fréquent et lui il voit le plus grave en fait… C’est la différence je pense entre les généralistes et les spécialistes » (M9) « est ce qu’un médecin spécialiste va avoir les mêmes problèmes que nous ?... euh… oui je pense sans doute oui. » (M12)
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Tableau XI, Le couple médecin. Les avantages de la situation Création de conflits Le secret professionnel
« Mais c’est bien parce ça se complète, les choses… je sais qu’il va pas passer à côté de quelque chose de grave lui… » (M9) « c’est un sujet qui peut fâcher à la maison ça » (M13) « Le secret professionnel il est… il est vite passé… parce qu’on fait des prises en charges communes quoi des fois. » (M13)
Tableau XII, Conséquences de l’entretien et conclusion.
Réflexion globale sur la pratique
Réflexion globale sur les soins apportés à ses proches Enrichissement de sa pratique par les soins apportés à ses proches Soigner les médecins et leurs familles Autres difficultés rencontrées dans la pratique
Réflexion sur la santé du médecin lui même
« On est quand même très… très impliqué en tant que médecin et on perd un peu… sa… toute sa part entre guillemets d’humanité au sens de la relation humaine affective. C’est ce qu’on apprend à faire un moment donné quand on est médecin il faut… de plus en plus avec le temps parce que… l’affect du médecin s’amoindrit et augmente. C'est-à-dire que sa résistance s’amoindrit et sa capacité de… d’affect augmente, souffre avec les patients. Plus on les connait et plus on a partagé une vie longue. Je pensais qu’avec le temps j’allais me blinder, j’allais me mithridatiser contre tout ça et c’est pas du tout comme ça que ça marche, c’est tout le contraire. » (M16) « Je pense que quand même ça m’a alourdi la charge psychologique. » (M11) « … cette expérience là en tant que médecin m’a aussi encore conforté un peu plus mais… m’a fait aussi m’interroger sur… parfois un certain nombre de choses qu’on dit aux patients dont on n’appréhende pas forcément la portée et les conséquences » (M16) « C’est dur de soigner un… moi j’aime pas soigner un proche d’un médecin, c’est délicat… » (M10) là je me sens pas à l’aise parce que y a tout un attroupement… on est pas… en situation, on est obligé de se présenter comme médecin, on vient pas nous chercher mais… on se sent déontologiquement obligé d’aller porter assistance » (M9) « Pour la troisième grossesse j’ai été suivie par la même gynéco qui me faisait pas régler mes consultations, ce qui me gênait beaucoup » (M9)
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ANNEXE F Low-, medium-, and high-risk involvement by physicians in the care of a close friend or family member
Excerpted from “What do you do when your loved one is ill? The line between physician and family member” FROMME EK and Al., 2008
Low risk o Helping to explain medical information, such as diagnoses o Suggesting the patient should see a physician o Answering questions about whether the patient should see the physician o Answering questions about medications o Providing education, such as how to take care of a sprained ankle o Helping to navigate the health care system (for example, finding the right physician) o Attending medical visits o At medical visits, helping to ask the right questions and interpret medical Jargon
Medium risk o Suggesting that the patient does not need to worry about a problem or see a physician o Refilling a medication prescribed by the treating physician 1 time only o Suggesting over-the-counter medications
High risk o Prescribing a medication not being prescribed by the treating physician o Prescribing a controlled substance or psychoactive medication o Ordering tests o Checking results o Coordinating care o Making decisions without involving the treating physician or patient o Performing a procedure beyond first aid
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ANNEXE G : Complément sur support électronique
1) Retranscription intégrale des entretiens 2) Tableaux d’analyse des résultats •
Tableau I : Avantages de la situation.
•
Tableau II : Problèmes pratiques ou techniques.
•
Tableau III : La distance dans le soin.
•
Tableau IV : La pudeur et les difficultés d’examen.
•
Tableau V : Refuser une demande de soin, décider de ne pas soigner ses proches.
•
Tableau VI : Décider de soigner ses proches.
•
Tableau VII : Répercussions sur les liens familiaux et amicaux.
•
Tableau VIII : Ressenti et influence sur le bien-être personnel du médecin.
•
Tableau IX : Les relations avec les confrères et les personnels paramédicaux partageant les soins.
•
Tableau X : Les spécificités de la médecine générale.
•
Tableau XI : Le couple médecin.
•
Tableau XII : Conséquences de l’entretien et conclusion.
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