L’accès au crédit des classes moyennes
Travailleurs Indépendants . Retraités Étudiants . CDD . Familles monoparentales...
Quels financements pour quels modes de vie ?
Sommaire Préambule Partie n° 1 Rapport d’étude
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Synthèse de l’étude réalisée par la société Ipsos entre octobre et décembre 2011
Partie n° 2 La parole aux associations
Leur regard sur l’accès au crédit des classes moyennes
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Partie n° 3 L’analyse du sociologue
La lecture croisée des souhaits et des projets personnels des classes moyennes par Nicolas Herpin, sociologue
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Préambule Un « livre vert » sur le crédit, pour quoi faire ? Depuis les temps les plus anciens, le crédit suscite de multiples controverses. Son histoire est jalonnée d’âpres discussions qui ont accompagné l’évolution de la société. Aujourd’hui encore, le débat reste ouvert. C’est tout le sens de ce « livre vert », entretenir cette discussion et surtout stimuler les réflexions sur ce que pourrait être le crédit de demain. Comment ? En donnant la parole à des personnes directement concernées par ce sujet, les classes moyennes dans toute leur diversité. Depuis près de deux ans, Cetelem réunit régulièrement des acteurs de la société (associations de consommateurs, familiales, caritatives, acteurs sociaux, politiques, institutions…) concernés par le crédit aux particuliers. Ces rencontres permettent d’échanger en toute transparence, de confronter des points de vue parfois contraires, de réfléchir ensemble avec pour ambition de faire évoluer les offres et les pratiques du crédit. C’est dans cet esprit qu’ont été instaurées en novembre 2010 les Rencontres
institutionnelles de Cetelem et nos ateliers de travail. La deuxième édition de ces Rencontres, en juin 2011, a été l’occasion de proposer aux parties prenantes de participer à la réalisation d’une étude sur l’un des thèmes fondamentaux de notre démarche de crédit responsable® : l’accès au crédit. Comment fluidifier l’accès au crédit ? Comment l’ouvrir à des populations pour lesquelles il est limité ? Comment le décliner sur des thématiques et des problématiques en phase avec les modes de vie actuels ? En résumé, comment répondre aux besoins de financement des classes moyennes d’aujourd’hui ?
Pourquoi les classes moyennes ? D’une part, parce qu’elles sont au cœur de l’économie, comme l’ont montré plusieurs ouvrages récents émanant tant d’économistes, de sociologues que de politiques. D’autre part, si les classes moyennes sont le premier moteur de la croissance économique de ces dernières années, ce sont aussi celles dont le moral a été gravement
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affecté par la crise en raison de la précarisation de leurs emplois, des difficultés de leurs enfants à trouver un travail en rapport avec leur niveau de diplôme, et d’un ascenseur social qui ne fonctionne plus. Ce sont donc celles qui, tout en jugeant avec lucidité leur situation matérielle présente, s’interrogent fortement sur leur futur. Enfin, si les candidats au crédit se concentrent majoritairement et traditionnellement parmi les classes moyennes, certains profils socio-économiques en sont paradoxalement écartés. Les classes moyennes ne forment pas pour autant une population homogène et ne sont pas éprouvés par la crise au même degré. Pour étudier la diversité des situations, six modes de vie ont été distingués selon l’étape que le ménage
Une étude en deux temps Pour réaliser cette étude qualitative, nous nous sommes associés avec l’institut Ipsos, expert en recueil d’opinions, et le sociologue de la consommation Nicolas Herpin, directeur de recherche émérite au CNRS. Autour du sujet central de l’accès au crédit, nous avons souhaité dans un premier temps, comprendre les priorités de vie, les aspirations, les besoins, les rêves des classes moyennes, mais aussi leurs inquiétudes, leurs difficultés à réaliser leurs projets, voire leurs frustrations. Dans un second temps, à partir de ces constats, nous avons cherché à identifier
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à la fois leurs besoins de financement et les pistes possibles permettant de répondre aux problématiques de vie rencontrées. Quels produits et services ? Quel accompagnement ? Quelle forme de relation commerciale ?
Une démarche collective Cette étude a été menée dans un esprit d’échange et de concertation avec les parties prenantes, partenaires associatifs et institutionnels qui ont souhaité nous accompagner dans cette démarche. Plusieurs associations ont ainsi participé à sa mise en œuvre (validation des partis-pris et de la méthodologie, analyse critique des résultats intermédiaires). Leurs connaissances des publics concernés et leur expérience du terrain ont par ailleurs permis d’enrichir les conclusions de cette étude de leurs remarques et de leur avis sans complaisance. Leurs contributions ont été intégrées à ce « livre vert ». Nous les remercions à la fois pour leur disponibilité et pour leur regard critique qui nous pousse à nous remettre en cause et plus généralement à construire le crédit de demain. Cetelem
1 Rapport d’Étude Synthèse de l’étude réalisée par la société Ipsos entre octobre et décembre 2011
Méthodologie 1. L’humeur des classes moyennes
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Bien privé et mal public Moi et les autres Un présent raisonnable, un futur prudent La famille, encore et toujours Focus sur six modes de vie
2. Le crédit… …oui, mais lequel
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L’épargne, avant tout Crédit, je t’aime moi non plus Accès ou excès ? Des financiers qui prêtent à caution Au service du crédit
3. Le crédit de demain Plus que du crédit Rétablir la confiance prêteur-emprunteur Le couple crédit-épargne Crédit sous contrôle personnel De l’organisme financier au « partenaire financier » Nouvelles attentes, nouveaux horizons : les propositions des classes moyennes • Plus d’accès • L’accès aux projets de vie • L’accès à la santé • L’accès aux savoirs • Plus de protection
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Méthodologie de l’étude Autour du sujet central de l’accès au crédit, le principe retenu a été d’organiser des focus groups rassemblant 80 personnes issues exclusivement de la classe moyenne telle qu’elle est économiquement usuellement définie : à savoir les personnes dont les revenus par ménage se situent entre les 20 % les plus hauts et les 20 % les plus bas de la population française.
Six groupes
Pour étudier la diversité des situations, six modes de vie ont été distingués selon l’étape que le ménage a atteinte dans son cycle de vie (composition et situation familiales, stabilité dans l’emploi…). L’étude distingue les segments les plus stables de la classe moyenne des plus vulnérables. Deux de ces groupes ont leurs ressources financières relativement peu affectées par la crise : ce sont les Familles et les Seniors. Deux autres sont les plus ébranlés par la crise : les Autres Ménages en emploi stable et surtout les Salariés ayant des revenus irréguliers. Les Jeunes et les Petits Indépendants sont dans des situations économiques intermédiaires. Les participants à ces focus groups sont pour moitié des hommes et pour moitié des femmes. Ils ne disposent pas d’un patrimoine
important ni de hautes qualifications universitaires (médecine ou droit, par exemple), ou acquises dans de grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce. Certains ont accès au crédit, voire en détiennent, d’autres, de par leur situation, ont ou auraient des difficultés à en obtenir. La ventilation tient aussi compte de la diversité (issus d’immigration, des Dom, enfants d’immigrés) et du statut de salarié public ou privé.
Une enquête qualitative de type focus group
Six rencontres ont été organisées à Paris dans les locaux d’Ipsos et autant en province (trois à Tours et trois à Lille). Dans chacun de ces focus groups, dont la sélection et l’animation ont été réalisées par Ipsos, six ou sept personnes, qui ne se connaissent pas, sont réunies pour converser pendant plus de deux heures. L’animateur (ou l’animatrice), qui est formé(e) aux méthodes de la dynamique de groupe, demande à chacun de formuler ses souhaits et ses projets et à tous les participants d’intervenir sur les obstacles que peut rencontrer leur réalisation. Aucune approbation n’est exigée. Les conversations sont enregistrées et filmées. Ces enregistrements sont la matière première des analyses ici présentées. >>>
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groupes, modes de vie
Les FAMILLES Âgés de 30 à 50 ans, ce sont des couples biactifs avec des enfants au foyer. Les conjoints sont salariés en CDI ou fonctionnaires titulaires. Ces ménages présentent une bonne répartition du nombre d’enfants (- de 2, + de 2). Ils sont le plus souvent propriétaires ou en accès à la propriété de leur logement.
Les Seniors Ils sont âgés de 50 à 70 ans. Ils sont pour moitié salariés actifs en fin de carrière et pour moitié retraités ou préretraités. Certains ont encore à charge de grands enfants en cours d’étude. Ils ont aussi à prendre soin de leurs propres parents en fin de vie. La plupart sont propriétaires de leur logement.
Les Petits Indépendants Les Jeunes Ils ont entre 18 et 30 ans, sont pour moitié étudiants et pour moitié actifs (CDI, CDD, Intérim, entrepreneurs, commerçants).
Les Autres Ménages en emploi stable Ils présentent un âge et un profil professionnel identiques au groupe des Familles (CDI, fonctionnaires). Ce groupe s’en distingue parce qu’il est formé soit d’une personne vivant seule ou récemment mise en couple sans enfant, soit d’une personne à la tête d’une famille monoparentale.
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Les Indépendants de la classe moyenne ne sont ni des professions libérales (avocats, médecins, notaires, architectes, etc.), ni des employeurs (gérants d’entreprise commerciale, chefs d’exploitation agricole). Leur groupe est composé de professionnels de la santé (infirmières exerçant en libéral, etc.), de l’audiovisuel (régisseurs photo, éditeurs de logiciel, graphistes internet) et de commerciaux (agents multicarte, négociateurs immobilier). Ils ont entre 30 et 70 ans.
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Les Salariés aux revenus irréguliers
En CDD du secteur public ou privé, en contrats aidés ou d’intérim, tous ont en commun de vivre depuis plus d’un an la précarité professionnelle, subie ou choisie. Ils sont diplômés et ont des expériences professionnelles variées. Certains ont quelques réserves (épargne, propriétaires d’un logement) qui s’épuisent avec la prolongation de la crise. Ils ont entre 30 et 55 ans.
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L’humeur des classes moyennes
Bien privé et mal public Les classes moyennes françaises ont indubitablement le sentiment d’être entrés dans une zone de fortes turbulences sans savoir quand ils en sortiront. Mais s’ils ont traditionnellement un sentiment mitigé quant à la situation globale du pays, ils sont relativement plus sereins pour ce qui les concerne personnellement. « En ce moment, on a l’impression que cela ne va pas super bien dans notre pays. » (Autres Ménages, Tours). Nul doute que ce climat économique et politique incertain exacerbe les inquiétudes. Le modèle social qui servait de référence aux classes sociales ne semble plus fonctionner comme auparavant. La déchéance économique d’une nation, avec ses conséquences funestes, ne paraît plus appartenir à la seule histoire passée. La trajectoire récente de la Grèce le démontre. Et, à tort ou à raison, les classes moyennes ont plus que les autres le sentiment de payer les pots cassés de cette crise présentée comme la plus forte depuis celle de 1929. Il en résulte une méfiance qui se propage vis-à-vis du système, en décalage avec la réalité de ce qui est vécu, un système qui ne sait pas s’adapter aux changements de la société. Les structures publiques sont particulièrement visées : Éducation nationale,
Assurance Maladie… Mais les entreprises privées ne s’en sortent pas indemnes. Banques et assurances sont ainsi souvent jugées « amorales », dans un contexte où le besoin d’éthique et de transparence est exigé. « J’ai payé une assurance et, au final, quand il m’est arrivé quelque chose, j’ai dû payer un avocat pour faire valoir mes droits. » (Autres Ménages, Tours.) De ce fait, le tissu associatif, particulièrement s’il valorise un mode social alternatif, est épargné.
Moi et les autres À l’opposé de ce collectif vacillant sur ses bases, l’individu résiste, trouve des moyens d’espérer. Le « je » s’affirme face au « nous ». « Je suis partagé : je suis serein pour le travail, pour ma vie, mais par contre, cette société n’est pas celle dans laquelle j’aimerais vivre. » (Salariés aux revenus irréguliers, Lille.) « Je ne baisse pas les bras. Je me dis que malgré tout, on peut s’en sortir. J’ai conscience du mal-être général, mais si on se lamente, on n’amène rien. » (Seniors, Paris.) On prête ainsi plus de vertu à l’énergie individuelle qu’à la solidarité collective. La cote de la confiance en soi remonte. « Résignée, c’est un adjectif qui ne me correspond pas. On ne peut pas se résigner, on a toujours la possibi-
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Rapport d’étude
lité de montrer son désaccord. » (Familles, Paris.) Pour résister, pour s’en sortir, peu importe parfois les moyens employés pour atteindre ses fins. Si le troc et l’entraide sont privilégiés, la débrouille, voire même la falsification, n’est pas écartée. Dans un contexte d’accrois sement important des loyers, surtout dans les grandes villes, la prolifération des fausses factures est ainsi une réalité comptable. Sans s’en offusquer, la conversation des groupes fait état des coups de canif à la légalité. Les fortunes qui se font dans les industries culturelles sont présentées comme plus immorales que le téléchargement illégal de la musique, du cinéma et bientôt du livre. La classe moyenne apparaît ainsi aujourd’hui plutôt désinhibée.
Un présent raisonnable, un futur prudent Au couple « je-nous » correspond un duo « présent-avenir » tout aussi contradictoire. Ce qui est possible dans l’immédiat est forcément raisonnable. « Je n’ai pas de grands projets : juste continuer à faire de la musique, me stabiliser professionnellement. » (Salariés aux revenus irréguliers, Paris). Les ambitions se réduisent. Les visées immédiates et terre à terre, dont on peut mesurer la réussite, sont retenues. Quand réussite il y a.Un projet de faire le tour du monde en bateau est jugé, en l’état, irréalisable. Certaines catégories comme les Salariés aux revenus irréguliers, les Petits Indépendants ou les Autres Ménages en emploi stable semblent devoir être entièrement focalisés sur ce présent aussi proche qu’éphémère.
Si le temps présent n’est pas propice au rêve, le futur ne semble guère non plus devoir s’y prêter. Ou alors un rêve mesuré, tout empreint de possible et de raisonnable. « Je suis en école de commerce. On ne nous cache pas que les années à venir vont être difficiles. Mais ça ne m’empêche pas d’être optimiste par rapport à mes projets. » (Jeunes, Paris.)
La famille, encore et toujours Alors, face à cet avenir qui inquiète, les classes moyennes se recentrent sur des valeurs qui, à leurs yeux, incarnent autant de certitudes. À mi-chemin entre l’individu et le collectif, la famille est la première d’entre elles, parents et enfants étant associés dans un seul et même devenir. « La réussite de mes enfants déterminera ma propre réussite » (Familles, Paris.) Le coût de l’éducation est anticipé avec réalisme mais aussi, surtout pour les parents d’enfants jeunes, avec inquiétude. Pour la plupart, l’objectif à atteindre est celui des diplômes délivrés par l’université ou les grandes écoles. Or, cet itinéraire est source de dépenses importantes. L’Observatoire Cetelem 2012*, consacré aux classes moyennes en Europe, souligne la priorité accordée à la famille, mais plus encore aux enfants. Pour 60 % des Français, leur avenir est une préoccupation majeure et 70 % des Européens se déclarent prêts à faire des sacrifices si nécessaire. Des sacrifices au profit d’une meilleure éducation, avec les dépenses que cela induit. Car, pour les classes moyennes, l’éducation est devenue un poste budgétaire à part entière, un investissement à long terme. Il convient de
* L’Observatoire Cetelem est réalisé sur la base d’une enquête barométrique menée par TNS Sofres dans douze pays, sur des échantillons représentatifs des populations nationales de 18 ans et plus.
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pouvoir payer les meilleures écoles, les cours particuliers si besoin, les sorties culturelles qui viennent compléter cet indispensable bagage, et les séjours linguistiques alors que la pratique d’une autre langue que la sienne est jugée indispensable. « Pour moi, j’aurai réussi ma vie quand mes enfants seront indépendants, qu’ils
auront les armes pour faire face aux difficultés de la vie, qu’ils seront heureux à la fois dans leur famille et leur travail. » (Famille, Tours.) Agrégés à ce socle familial, d’autres thèmes font également l’objet d’un consensus affirmé, tels le logement et la santé. l
Ce que nous avons appris es classes moyennes aux rêves réalistes D et malgré tout difficilement réalisables. Peu de grands rêves, des souhaits limités et réduits à des projets concrets.
Un rapport paradoxal à ce monde incertain.
Pessimistes quant au devenir collectif mais relativement optimistes quant à leur situation personnelle, les classes moyennes : • se sont aménagé des bulles de calme, de répit : leur foyer (le « chez soi ») et leur famille (le « entre nous ») ; • compensent le manque de confiance vis-à-vis du collectif par une relative confiance en soi : repli sur les ressorts personnels, la débrouille, le troc… autant de moyens pour rebondir.
ace à ce collectif sans repères et déréglé, F une classe moyenne désinhibée. « Tous les coups sont permis », triche…
e sentiment partagé que l’avenir sera pire L que le présent. Avec deux conséquences : • une difficulté à se projeter dans l’avenir et un surinvestissement du présent chez certains (Salariés aux revenus irréguliers, Indépendants, Autres Ménages) ; • un mécanisme de transfert des craintes et des ambitions sur les enfants.
ans un monde qui change dans le sens D de plus grandes difficultés, la classe moyenne : • n’est pas abattue et sait qu’elle a l’énergie pour rebondir ; • se concentre sur la famille, centre du bonheur ; • déplore l’absence de changement, le retard dans l’adaptation des structures, des organismes et du collectif.
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Focus sur
modes de vie
FAMILLES Les enfants sont naturellement leur grande préoccupation. À la fois la référence et l’objectif, leur réussite représente l’alpha et l’oméga. L’éducation apparaît ainsi comme la clé de voûte d’un parcours social digne de ce nom. Mais comme l’école est jugée défaillante, les cours particuliers et autres voyages linguistiques viennent compenser. Autant de dépenses qui constituent un poste budgétaire à part entière. Dans ce contexte éducatif inflationniste, le financement des études supérieures, au-delà des seuls frais d’inscription, nourrit une certaine inquiétude. Pour autant, les parents sont prêts à aider leurs enfants à s’installer afin de bien commencer dans la vie. Ils envisagent la propriété comme un moyen de transmettre un patrimoine. Ils anticipent une dépendance potentielle pour ne pas être à la charge de leurs enfants. « J’aurai réussi ma vie quand mes enfants seront heureux à la fois dans leur famille et leur travail. » « Je ne m’attends pas à ce que mes enfants me donnent de l’argent. Pour moi, ça marche dans le sens contraire. » « On ne fait pas des enfants pour qu’ils s’occupent de nous quand on sera vieux. »
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SENIORS La page professionnelle étant souvent tournée, il s’agit d’anticiper un changement de rythme et de niveau de vie. L’entraide occupe alors une place centrale, les Seniors jouant le rôle de pivot entre générations montantes et descendantes. Le choix d’une activité associative ou professionnelle permet de rester actif, de maintenir des liens sociaux, voire de compléter une pension jugée insuffisante. La retraite devient aussi le moment idéal où les projets longtemps repoussés se réalisent, au profit d’un épanouissement personnel devenu possible. Mais les Seniors ne perdent pas le sens des réalités. L’immobilier est au centre de leur attention comme solution pour aider les enfants, investir pour compléter leurs revenus, se prémunir en vue des dépenses futures. C’est en effet une solution patrimoniale parmi d’autres permettant d’anticiper leur propre dépendance, une situation à laquelle ils sont déjà souvent confrontés car ils ont dû ou doivent eux-mêmes s’occuper de parents devenus dépendants. « J’aimerais aider mes enfants à se loger. Si je pouvais, je leur achèterais un appartement. » « Être propriétaire, c’est un moyen de ne plus avoir à payer quand on sera à la retraite pour pouvoir en profiter. » « J’ai une assurance dépendance. Je prévois car, quand on voit le prix des maisons de retraite, c’est affolant. »
JEUNES Particulièrement critiques envers le système éducatif qu’ils jugent inadapté et le monde professionnel qu’ils n’estiment pas vraiment accueillant et motivant, les Jeunes souhaitent tracer eux-mêmes leur chemin. En se prenant personnellement en main, ils entendent repousser la routine et la stagnation. Pragmatiques, ils multiplient les stages et les expériences professionnelles pour à la fois compléter leur formation et choisir de façon sûre leur voie. Révélateur d’indépendance et de rêve, l’entrepreneuriat les attire. Face à un modèle social dont ils doutent de la pertinence, ils veulent se prémunir individuellement et devenir rapidement propriétaire. Enfin, leur horizon ne saurait se limiter à nos seules frontières géographiques. Apprendre une langue et voyager font partie de leurs aspirations. « J’ai horreur de la routine, que ce soit en couple ou professionnellement. » « L’orientation, actuellement, c’est une catastrophe. » « J’aimerais pouvoir voyager. Je sais que cela contribuerait à mon bonheur. »
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SALARIÉS AUX REVENUS IRRÉGULIERS
Pour ces intermittents, intérimaires ou salariés en CDD au présent incertain, l’avenir professionnel est la première préoccupation, un avenir qu’ils préféreraient stable. Si certains pensent gagner moins en CDI, leur choix (quand c’est un choix…) a pour prix une certaine précarité. Seul le fait d’avoir des enfants les inciterait à travailler « comme tout le monde ». Cependant, pour tous, la stabilité financière permettrait de mieux gérer les imprévus, de faire face aux dépenses de santé, de financer des projets, même mineurs. Faute de stabilité, la gestion quotidienne se fait précise et pointilleuse, les projets à long terme appartenant à un autre monde. Pour la plupart, le logement cristallise leur situation. Un logement qu’on rêve d’acheter, ce rêve restant trop souvent inaccessible. « Mon souhait, c’est de pouvoir continuer à gagner ma vie avec ma passion. » « Si je gagne 100 euros, je ne dépense pas 110 euros, je diffère mes achats. » « Ce que je souhaite, c’est la sécurité de l’emploi, un CDI, et je souhaiterais être propriétaire. Mais pour cela, il faudrait gagner au Loto ! »
PETITS INDÉPENDANTS Indépendants et fiers de l’être, telle pourrait être leur devise. Tout bien pesé, ils n’envient pas les salariés. Le choix des horaires, des clients, du lieu de vie et de travail, compense les difficultés inhérentes à leur statut. Et si l’activité est plus risquée, source d’incertitudes, la capacité à rebondir, à réinventer le présent fera toujours la différence. Pourtant, ce ne sont pas les incertitudes et les difficultés qui manquent. Les revenus par nature fluctuent. La couverture sociale et la retraite complémentaire posent question dans leur dimension obligatoire. L’accès au logement est problématique. Les loisirs et les vacances sont parfois inexistants, la vie de famille dut-elle en pâtir. Et le stress est souvent présent. « Mes projets, ce sont des projets professionnels pour la plupart. » « J’anticipe et je place dès que j’ai un bon mois. J’essaye de bloquer un peu pour les mois où ça fonctionne moins bien. » « Ca fait 33 ans que je travaille et je ne peux toujours pas m’acheter un appartement. »
AUTRES MÉNAGES EN EMPLOI STABLE Ils ou elles sont célibataires sans enfant ou divorcé(e) s ayant la charge d’enfant(s). Ils ont beau avoir des emplois stables (CDI ou fonctionnaires), la vie est dure quand il n’y a pas le salaire du couple biactif. Comme le dit un homme (Paris) qui s’est récemment installé en couple et qui a un emploi stable : « Le célibataire a une vie difficile. Ma vie a changé avec ma mise en couple. » Le quotidien remplit tout l’espace temporel et il est difficile de se projeter dans l’avenir tant le présent est en permanence au cœur des préoccupations. Si la personne n’a pas d’enfant, la nécessité de se projeter dans le futur ne saute pas aux yeux. Sans enfant, les raisons de résister à la pression d’en faire trop au travail sont moindres, d’autant que la situation matérielle qui en découle est appréciable. Pour celles et ceux qui élèvent seuls leur(s) enfant(s), les questions financières sont souvent sans réponse. Coûts de santé élevés, trésorerie sous tension, imprévus permanents, épargne impossible, accès au crédit limité, il est souvent difficile de boucler les fins de mois… L’éducation des enfants n’en est que plus cruciale, et toujours préférentielle, alors que la certitude d’y arriver financièrement est loin d’être acquise. Préparer sa retraite peut alors attendre. La solidarité familiale vient fort heureusement pallier en partie ces difficultés. « Le quotidien impose des choix : entre deux échéances, on voit quelle est la plus urgente. » « Ma fille veut faire une école de dessin, je ne sais pas comment je vais faire. » « La retraite ? On a trop d’aléas pour y penser. »
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Rapport d’étude
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Le crédit... ... oui, mais lequel ?
L’épargne, avant tout
Crédit, je t’aime moi non plus
Contrairement à de nombreux pays, notamment anglo-saxons, la France est un pays d’épargnants. Mi-2011, le taux d’épargne s’établissait à 17 % du revenu disponible brut, un score stabilisé entre 15 et 16 % ces dernières années. Pour ce Parisien (Autres Ménages en emploi stable), « L’épargne, c’est un matelas de sécurité en cas de coup dur. » L’épargne, outil de gestion du budget, est donc pour cette personne un moyen qui lui permet de maintenir son mode de vie habituel (sa capacité à se déplacer pour se rendre au travail si, par exemple, sa voiture est accidentée). D’autres, notamment parmi les jeunes ménages, s’équipent en utilisant le crédit sachant que leur consommation courante restera quasiment inchangée, qu’ils remboursent des mensualités de crédit ou qu’ils épargnent pour s’équiper dans le futur. Notons aussi certaines spécificités françaises comme les divers livrets d’épargne réglementée, souvent ouverts au nom des enfants. Une tradition bien vivante qui a contribué et contribue encore au taux d’épargne élevé des ménages français.
Le crédit n’est pas encore entré dans les mœurs en tant qu’outil budgétaire à part entière. Un Tourangeau (Familles) l’affirme : « Faire appel au crédit, c’est quand on n’a pas le choix ». Pour un autre habitant de Tours (Autres Ménages), « Les loisirs, les choses éphémères, les voyages, on ne veut pas les financer à crédit. Le crédit, ça doit être pour les indispensables. » Derrière ces points de vue, il apparaît que le crédit est une affaire trop sérieuse, voire dangereuse, pour être pris à la légère et être utilisé pour financer des projets dont la « superficialité » serait l’une des principales composantes. Cette image du crédit renvoie à celle souvent associée à l’argent dans des sociétés empreintes de valeurs paysannes. Aux xixe et xxe siècles, l’argent était thésaurisé pour acheter des terres et, à défaut, de l’or. Au xxie siècle, les Français dans leur ensemble n’ont pas la moindre réserve morale à l’égard du crédit quand il est pris pour acheter son logement et se constituer ainsi un patrimoine. Cela peut même être considéré comme un échec de ne pas réussir à devenir propriétaire au cours de sa vie active. Car cela revient à imposer à son
entourage (ses parents ou, plus tard dans le cycle de vie, ses enfants) son manque de prévoyance. Cette conviction est toujours très présente dans les esprits lorsqu’on parle crédit. Une morale enseignée même à l’école ; qui n’y a pas appris La cigale et la fourmi ? Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la religion n’est pas pour grand-chose dans cette orientation ancestrale. Aux États-Unis, où les citoyens sont très imprégnés de valeurs religieuses puritaines, le taux d’épargne est pourtant voisin de zéro.
Accès ou excès ? Aux yeux de beaucoup, le crédit n’est pas en résonance avec les situations de la vie et encore moins avec les rêves des classes moyennes, fussentils très raisonnables. Entre un crédit trop laxiste, trop irresponsable, trop « argent facile » et un crédit trop rigide, trop exclusif et excluant, il ne semble pas exister de juste milieu. « Il faudrait un produit qui évolue avec la vie du client. Quelque chose de moins linéaire, d’adaptable. » (Famille, Paris.) Mais en temps de crise, alors que le chômage atteint ses plus hauts sommets depuis des années, alors que l’insolvabilité financière gagne les États, le crédit fait également peur parce qu’il est, aujourd’hui, dans l’esprit des gens non plus un gage de situation meilleure mais un risque avéré de précarité. Plus précisément, il est très largement associé au surendettement. « Je n’ai pas envie que cela m’arrive », témoigne un Parisien (Pivot), « Mais ça peut arriver, c’est vrai ! Il suffit de l’énorme imprévu… ». La spirale de la paupérisation est globalement palpable. Seule une minorité estime que le surendettement est avant tout une question de responsabilité
individuelle et que si les gens ne savent pas gérer leur budget, il ne faut pas qu’ils empruntent.
Des financiers qui prêtent à caution Cette peur se double d’une grande méfiance envers leurs principaux interlocuteurs en matière de crédit. Les organismes financiers ne sont pas perçus comme les acteurs qui ont le plus pâti de la crise, bien au contraire. Leurs clients en revanche craignent qu’ils leur fassent supporter cette mauvaise passe (coûts supplémentaires, traitement dégradé…). • Il résulte de ce manque de confiance le besoin de reprendre ses affaires financières en main. « Être gestionnaire, c’est avoir la main, pouvoir contrôler », affirme un Parisien (Autres Ménages). Ce souhait est naturellement plus fortement exprimé par les clients qui estiment avoir les connaissances financières pour le faire, voire qui pensent que, eu égard aux turbulences récentes, ils devraient être capables de faire aussi bien que les professionnels pour gérer leur argent. • Seconde conséquence de cette suspicion, la revalorisation de la relation humaine. Comme pour faire barrage à une déshumanisation toujours plus forte du rapport marchand – mise en évidence et accentuée par le développement du commerce en ligne –, la demande de dialogue, de conseil, de contact « en chair et en os » est clairement exprimée. En ce sens, connaissance rime avec confiance. Une connaissance symétrique qui voit le conseiller « suivre » son client au quotidien et le client tisser des liens durables avec ce dernier. Pas étonnant qu’une banque se soit emparée de cette thématique pour valoriser le fait que ses conseillers restaient en place au-delà des trois années habituelles. Cette relation, synonyme d’accompagnement au long cours, semble particulièrement adaptée au crédit.
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Rapport d’étude
« En cours de crédit, notre conseiller pourrait nous appeler pour faire un bilan, un diagnostic et éventuellement nous aider à ajuster », suggère un Parisien (Familles.) Derrière cette demande émerge le souhait qu’un organisme financier ne soit pas seulement présent jusqu’à la signature du crédit et disparaisse ensuite totalement.
Au service du crédit Alors, qu’est-ce qui pourrait renforcer la confiance entre clients et organismes financiers ? La réponse est claire : le développement d’offres de services qui justifient vraiment que l’on considère le crédit comme un service financier à part entière. Ceci valide une évolution historique du crédit. Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, période
de reconstruction et d’équipement des mé nages marquée entre autres par le développement des établissements de crédit, le crédit servait exclusivement au financement de biens matériels. Aujour d’hui, il finance déjà des projets, comme les loisirs, et est promis à le faire davantage encore dans les années à venir. Les études, la formation, les soins, la dépendance sont autant de domaines pour lesquels la demande de crédit est potentiellement croissante. Et sur de tels sujets, qui ont trait à l’homme et non plus aux biens, les consommateurs attendent du crédit qu’il ne se résume plus au seul financement, que le conseil, l’accompagnement, les garanties et le risque du surendettement soient pris en compte au niveau de l’offre pour répondre à leurs attentes d’aujourd’hui. l
Ce que nous avons appris Une relation au crédit qui résulte de trois grands
éléments de contexte
Des Français traditionnellement épargnants. • Des comportements d’épargne à court terme et pour préparer les projets. • Un recours au crédit rentré dans les mœurs mais pas encore perçu comme un outil de gestion du budget. • L’angoisse de l’endettement qui renvoie à la peur de la spirale de la paupérisation. • L’association de valeurs morales à l’argent et à la façon dont on le dépense.
L’impact de la crise sur les attentes et sur l’image des établissements financiers. • Un doute général à l’égard de la bienveillance des établissements financiers et la volonté de reprendre la main. • La revalorisation de la relation de confiance et du conseil. • L’intérêt croissant pour des offres non financières (services, systèmes d’échange…).
Un nouveau paradigme de consommation et donc de nouveaux besoins de financement. • Des biens durables aux projets, aux services et à l’immatériel. • Du seul financement à la demande d’accompagnement, de services, de prestations complémentaires, de garanties…
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Le crédit de demain
Plus que du crédit La notion de crédit telle qu’elle est projetée par les participants aux focus groups se déploie bien au-delà de l’accès traditionnel au financement d’équipement en biens durables. D’une part, elle s’ouvre largement aux services : la santé, la formation, l’éducation, l’aide à la dépendance sont autant de domaines où des solutions de financement doivent pouvoir exister. D’autre part, elle dépasse celle du seul financement pour intégrer les services, les garanties, les conseils qui viendraient compléter l’offre de base. Elle ne saurait d’ailleurs exister sans son corollaire, l’épargne. Enfin, elle intègre des exigences morales et sociales fortes.
Rétablir la confiance prêteur-emprunteur Avant de décrire les multiples propositions suggérées dans les focus groups, il est nécessaire de parler de deux « attentes vis-àvis du crédit » sur lesquelles les consommateurs se sont largement exprimés. Elles ont rencontré une large unanimité.
• La première a été étudiée par la sociologie historique dans des travaux sur l’argent. L’argent n’est pas seulement un instrument dans l’échange marchand. Son usage doit obéir à une sorte de moralité. « Le taux d’intérêt devrait être en fonction de ce que l’on achète. Il faut que le taux soit moins cher pour le vital et plus élevé pour le superflu. » (Famille, Paris.) Le coût du crédit devrait être modulé en fonction de l’usage qu’on en fait et respecter la hiérarchie « naturelle » des besoins. Il est jugé immoral qu’on paie pour des dépen ses nécessaires (santé, éducation, etc.) le même prix que pour des dépenses super flues ou de luxe. Cette conception nourrit clairement en arrière-plan une revendication à connotation sociale. • La seconde attente est également morale, mais dans un tout autre sens. « On m’a refusé un prêt, car je n’avais pas la sécurité de l’emploi. J’avais de l’argent de côté, pourtant. Finalement, mon père a dû se porter garant. Je l’ai très mal vécu. » (Salarié aux revenus irréguliers, Paris.) L’emprunteur doit être respecté comme une personne libre : sa capacité à emprunter ne doit pas être soumise à la bonne volonté de son entourage familial.
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Rapport d’étude
Il attend du prêteur que ce dernier lui fasse confiance. En contrepartie, il peut donner des preuves de son comportement responsable. À une époque où le travail indépendant et les contrats précaires se développent, la fiche de paie ne doit plus être le seul critère d’accès au crédit. « Il faudrait quelque chose de plus souple et pertinent sur l’octroi des prêts. Par exemple, prendre en compte l’historique sur plusieurs années et non le revenu mensuel. » (Petit Indépendant, Lille.) Capacité d’épargne, historique bancaire, montant du loyer payé, secteur d’activité professionnelle (risque d’emploi) devraient faire partie des critères d’acceptation d’un crédit, histoire d’éviter l’injustice réelle ou ressentie. Le passé d’un emprunteur, auprès d’un même organisme notamment, est là pour prouver qu’il tient sa parole. Dans ce cadre, la bonne réputation, que le prêteur peut se faire confirmer par des tiers, lui donnerait des droits légitimes : un montant de crédit plus élevé, un coût plus bas… Il ne s’agit pas ici de s’interroger philosophiquement sur la cohérence de ces deux attentes. En revanche, il est clair qu’elles ne conduisent pas aux mêmes clés d’entrée pour envisager les crédits de demain ni peut-être à la même organisation de leur attribution/distribution.
Le couple crédit-épargne Une des autres pistes générales très fréquemment évoquées serait d’associer étroitement épargne et crédit. Une piste semblant offrir des perspectives pertinentes dans un pays où l’épargne est reine. « Plutôt que de mettre notre argent sur un compte bien rémunéré, la banque s’engagerait à nous faire un taux défiant toute concurrence, mais en contrepartie, elle ne rémunérerait que très faiblement le compte
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épargne » (Famille, Paris.) Cette idée de compte-crédit est évoquée par l’ensemble des groupes, pour toutes sortes de projets. Mais c’est bien l’épargne qui est « moteur » de ce compte d’un nouveau genre puisqu’elle conditionnerait l’octroi du crédit et que sa rémunération servirait à en rembourser les mensualités.
Crédit sous contrôle personnel Autre dimension attendue, la modularité. À ne pas confondre avec la variabilité. Il ne s’agit pas de bénéficier de crédits à taux variable, dont la diffusion abusive et les modalités irresponsables dans certains pays ont provoqué les effets néfastes que l’on connaît. Dans l’esprit de certains, c’est le contrôle de la vie du crédit par l’emprunteur, qui est en question. « J’aimerais gérer mon prêt de A à Z, le moduler en toute transparence. » (Autres Ménages, Paris.) Plus généralement la modularité garantit une meilleure prise en charge des aléas de la vie, avec des parcours désormais moins linéaires. Dans ce sens, l’idéal serait de pouvoir librement ajuster les mensualités, voire les suspendre. À l’inverse, un remboursement anticipé facilité apparaît comme une manière de repousser l’idée même d’endettement et sa face noire, le surendettement. Plus vite je rembourse, plus vite je me mets à l’abri.
De l’organisme financier au « partenaire financier » À la place des termes « banques » et « organismes financiers », les personnes interrogées s’accordent pour y substituer les mots de « partenaires financiers » avec tout ce que cela comporte, notamment en termes de relation : des interlocuteurs indiscutables
au plan de l’éthique et de la responsabilité, qui connaissent et reconnaissent leurs clients pour leur proposer des offres réellement personnalisées. D’un groupe cible à l’autre, cette notion revêt cependant des nuances. Pour les Jeunes, obtenir des conseils, des services et des offres personnalisées est primordial. Pour les Seniors, c’est la reconnaissance
du client qui prime, ce dernier bénéficiant d’un statut, et de produits qui vont avec, digne d’une banque privée. Pour les Familles, l’intérêt du client est clairement prioritaire sur l’intérêt du partenaire financier. Pour les Salariés aux revenus irréguliers, les Petits Indépendants et les Autres Ménages ce sont les conditions d’accès et les tarifs qui comptent avant tout. l
Ce que nous avons appris Pistes de solutions projetées Des produits associant épargne et crédit : des « comptes épargne-crédit ». Des offres de prêt intégrant des services, de l’assistance, voire des garanties. La possibilité de moduler ses remboursements et de les anticiper : • le « crédit dont vous êtes le gestionnaire » ; • le crédit « modulable », adaptable au projet et à ses aléas.
Des taux différenciés selon le type de consommation projetée (superflue vs nécessaire). La reconnaissance de la fidélité.
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Rapport d’étude
Nouvelles attentes, nouveaux horizons : les propositions des classes moyennes Nombreuses sont les propositions exposées au travers des focus groups. À ce stade, leur faisabilité, leur réalisme n’est pas en question. Mais leur richesse est à même de nourrir la réflexion sur le « crédit de demain », et de dégager une vision qui loin de se limiter aux seules frontières financières peut ouvrir résolument le crédit à de nouveaux horizons.
Plus d’accès
Des suggestions qui visent à favoriser l’accès au crédit en particulier des classes moyennes qui en sont aujourd’hui écartées (élargissement des critères d’octroi, reconnaissance du client…).
Attente 1
Attente 2
Attente 3
Tenir compte de l’historique client
Récompenser la fidélité
Ouvrir plus grand les portes du crédit
Principe : Si le profil de l’emprunteur est celui d’un « bon payeur », l’accès au crédit est plus rapide et moins contraignant. De même, sa capacité d’épargne, son historique bancaire, le montant de son loyer, la « qualité » de son activité professionnelle sont prises en compte pour l’octroi de son crédit.
Principe : La fidélité à un partenaire financier, en cas de nouveau crédit, est récompensée par des avantages tarifaires (taux réduit, mensualité offerte, rachat de crédit facilité, chèquescadeaux…), voire par un traitement privilégié (« proche de la banque privée »). Une carte de fidélité crédit matérialise ce statut.
Principe : Les futurs emprun-
Attente 4
Attente 5
Attente 6
Prendre en compte l’urgence des besoins de financement
Financer des projets propres aux retraités
Lier crédit et engagement social
Principe : Un compte épargne
Principe : Une partie du crédit
retraite donne droit à des avantages et réductions sur des voyages, des billets d’avion, des sorties culturelles…
est remboursée par des heures de bénévolat au sein d’une association.
Principe : En cas d’imprévu
(changement de chaudière en hiver, panne d’un véhicule professionnel…), un crédit est proposé à un taux préférentiel, différent de celui qui serait accordé pour un projet moins urgent.
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teurs accèdent à un « Club Crédit » moyennant le versement d’une cotisation mensuelle de 10 euros par mois. Cette « carte de visite » leur facilite l’accès au crédit à des taux préférentiels.
L’accès aux projets de vie Des attentes qui reflètent avant tout la demande de personnalisation et d’adaptation des solutions de financement aux besoins et aux modes de vie des différents profils.
Attente 1
Attente 2
Attente 3
Disposer d’un crédit qui couvre l’ensemble des besoins d’installation
Lier épargne et crédit, parents et enfants
Offrir une solution complète aux futurs automobilistes
Principe : Un compte épargne-
Principe : Un crédit « permis +
crédit joint « parents-enfants », alimenté par une épargne régulière des parents et par les bourses éventuelles et les revenus des « petits boulots » des enfants. Le crédit accordé aux parents bénéficie aux enfants.
auto » qui finance à la fois le prix du permis de conduire et celui de la première voiture, voire de l’assurance. - Un partenariat entre l’établissement financier et l’auto école qui s’engage sur un prix forfaitaire jusqu’à l’obtention du permis.
Principe : Ce crédit finance le
déménagement, les premiers mois de caution, les frais d’agence, les travaux éventuels, l’achat de meubles et d’électroménager : - les tarifs sont négociés auprès de prestataires partenaires choisis ; - il intègre une dimension services : conseils sur les formalités, contacts utiles, orientation vers des aides, gestion du budget…
Attente 4
Attente 5
Assurer le bon financement des travaux
Étaler les dépenses de réparation du quotidien
Principe : Bénéficier d’un taux aux
Principe : Moyennant une petite
mêmes conditions que celui du prêt contracté pour l’achat d’un bien immobilier.
somme épargnée mensuellement, ce compte donne droit à un volume de réparations déterminé, assurées par des artisans sélectionnés.
L’accès à la santé Dans le domaine de la santé, l’une des préoccupations majeures des classes moyennes, les attentes conjuguent allégement de l’impact financier et solidarité.
Attente 1
Attente 2
Attente 3
Favoriser l’accès aux soins à des tarifs sûrs
Tenir compte de la finalité du crédit
Anticiper les frais liés à la dépendance des parents
Principe : Parce qu’il s’agit Principe : Des accords de
partenariat sont signés avec des professionnels de santé qui : - acceptent le paiement en plusieurs fois avec un faible taux d’intérêt ; - ne pratiquent pas de dépassements d’honoraires ou en font peu.
de santé, le crédit est proposé à un taux d’intérêt très bas.
Principe : Tous les enfants
d’une famille cotisent à une assurance leur garantissant une aide financière en cas de dépendance de leurs parents. Un portail d’information sur les solutions liées à la dépendance et les aides complète le dispositif.
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Rapport d’étude
Attente 4
Attente 5
Optimiser la cotisation de complémentaire santé
Se regrouper pour payer moins
Principe : Si dans l’année,
un assuré n’a pas fait appel à sa mutuelle : - soit une partie de celle-ci lui est rendue ; - soit cette même partie est versée sur un compte épargne spécifique qui servira à financer des frais futurs non couverts par la mutuelle.
Principe : À la manière des
systèmes proposés par les sites communautaires, les emprunteurs bénéficient d’une réduction s’ils s’engagent à utiliser le même service santé.
L’accès aux savoirs Ce thème regroupe les attentes liées à l’éducation des enfants et à la formation, deux préoccupations majeures des classes moyennes.
Attente 1
Attente 2
Attente 3
Faciliter les études ou le passage des enfants dans la vie active
Compléter la formation scolaire, si nécessaire
Dissocier le temps de la formation de celui du remboursement
Principe : Une réserve de crédit
annuelle permet de financer un certain nombre d’heures de cours particuliers, dans toutes les matières, pour tous les enfants de la famille.
Principe : Le remboursement
Attente 4
Attente 5
Attente 6
Ajuster le crédit en fonction du métier futur de l’étudiant
Préparer au mieux ses études à l’étranger
Renforcer les liens entre le prêteur et l’emprunteur
Principe : Les critères d’accès
Principe : L’épargnant verse
Principe : Un partenaire finan-
Principe : Un compte épargne
est ouvert et alimenté régulièrement quand les enfants sont en bas âge. Quand ceux-ci débutent leurs études supérieures ou lorsqu’ils deviennent indépendants de leurs parents : - l’épargne est débloquée ; - un crédit à taux préférentiel est accordé ; l’épargne autrefois allouée pouvant servir à rembourser les mensualités de crédit.
au crédit pour une formation, voire le taux, tiennent compte du secteur et du métier visés. Plus ils sont porteurs, plus le crédit est facile à obtenir et avantageux.
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tous les mois une somme qui tient compte du coût du séjour. Des courtiers spécialisés permettent une comparaison « indépendante » des possibilités de séjour et de leur coût.
du crédit-formation commence seulement à partir du moment où la personne retrouve un poste. Un conseiller d’orientation suit le projet professionnel de l’emprunteur.
cier accorde un crédit en vue d’une formation. L’emprunteur s’engage, à l’issue de celle-ci, à placer chez lui une partie de son épargne.
Attente 7
Attente 8
Faciliter les formations en les finançant collectivement
Combiner le financement de concours, souvent très chers, et leur réussite
Principe : Selon une approche
similaire à la tontine ou à la coopérative, un groupe se constitue pour financer les formations de ses membres lorsque ceux-ci souhaitent se reconvertir. Cette solution peut également fonctionner pour gérer les imprévus.
Principe : En cas de réussite
à un concours, l’établissement financier offre une partie de la somme empruntée.
Plus de protection Ces suggestions expriment une attente forte de sécurité passant à la fois par plus d’autocontrôle et par une prise en charge plus large de la part des partenaires financiers*.
Attente 1
Attente 2
Attente 3
Être gestionnaire de son crédit
Adapter le crédit à la vie réelle de l’emprunteur et à ses aléas
Pouvoir réagir rapidement en cas d’imprévu
Principe : Dans le cadre d’une fourchette annuelle définie au préalable, l’emprunteur a la possibilité d’ajuster le remboursement de ses mensualités. Il peut également procéder à sa guise à un remboursement anticipé. Un accès internet spécifique lui permet une gestion autonome à distance.
Principe : Une somme Principe : Ce crédit offre
la possibilité, à la discrétion de l’emprunteur, de suspendre les remboursements plusieurs mois en cas de coup dur ou d’imprévu. En fonction de l’évolution personnelle de la situation de l’emprunteur, il pourra être réadapté tous les six mois : modalités de remboursement, durée, taux…
Attente 4
Attente 5
Garantir la bonne réalisation des travaux
Garantir la qualité du service proposé
déblocable deux ou trois fois dans l’année qui serait remboursée une fois la situation revenue à la normale.
Principe : Des services Principe : Le remboursement
du crédit commence seulement une fois les travaux finis.
spécifiques assortis au crédit : choix d’un réseau d’artisans proposant les meilleurs tarifs, assurance litige pour prévenir d’éventuels conflits.
* Quand elles sont envisagées par les travailleurs indépendants, certaines de ces propositions concernent le cadre du crédit professionnel.
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Rapport d’étude
Attente 7
Attente 8
Attente 9
Atténuer les problèmes de trésorerie des travailleurs indépendants
Parer aux imprévus rencontrés par les travailleurs indépendants
Tenir compte des variations d’activités
Principe : Sur présentation
de leurs factures, les travailleurs indépendants reçoivent d’un partenaire financier les sommes correspondantes, sans attendre l’échéance fixée.
Attente 10 Permettre les petits financements Principe : De petites sommes
à faibles taux, à partir de 500 euros, sont mises à la disposition des travailleurs indépendants pour financer des investissements modestes.
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Principe : Le remboursement Principe : Une réserve de crédit
est accordée en fonction du chiffre d’affaires. Elle est déblocable en fonction d’une liste d’imprévus définie au préalable : maladie, accident, panne matérielle importante…
du crédit repose sur le versement de mensualités différentes, selon qu’elles correspondent à des périodes de forte ou de faible activité.
2 LA PAROLE AUX associations Leur regard sur l’accès au crédit des classes moyennes
La parole aux associations Adie
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CLCV 28 Confédération étudiante
30
CRESUS
33
Secours Catholique
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UFC-Que Choisir
38
UNAF
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Par Thierry Racaud Directeur Études et Plaidoyer de l’Adie
Sans contenir d’enseignements véritablement inédits, l’étude réalisée pour BNP Paribas Personal Finance par Ipsos sur le thème de l’accès des classes moyennes au crédit à la consommation traduit bien l’empreinte de la crise sur le vécu du crédit et les attentes à son égard.
À PROPOS DE L’ADIE Reconnue d’utilité publique, l’Adie, Association pour le droit à l’initiative économique, aide les personnes exclues du marché du travail et du système bancaire classique à créer leur entreprise, et donc leur emploi, grâce au microcrédit. Pionnière du microcrédit en France et en Europe, l’Adie en est l’acteur majeur. Elle accompagne par ailleurs les porteurs de projet, afin de les soutenir en amont et en aval du lancement de leur microentreprise, pour en garantir la pérennité. Depuis sa création en 1989 par Maria Nowak, l’Adie a financé près de 106 000 microcrédits, générant plus de 106 000 emplois, avec un taux de pérennité après deux ans de 68 % et un taux d’insertion des personnes financées après deux ans de 79 %. L’Adie est présidée depuis mars 2011 par Catherine Barbaroux. Contact :
Pour l’Adie, première institution de microfinance d’Europe occidentale, la thématique des classes moyennes, quel que moyen qu’on retienne pour les définir, est assez éloignée de son public cible. Là où l’étude définit lesdites classes comme les personnes dont les revenus par ménage se situent entre les 20 % les plus hauts et les 20 % les plus bas de la population française, environ la moitié des clients de l’Adie se situent, au moment de la demande de crédit, en-deçà du seuil de pauvreté défini, on le rappelle, comme 60 % de la médiane du niveau de vie national. Pour autant, la thématique de l’accès au crédit est au cœur de la mission de l’Adie : lutter contre l’exclusion en donnant durablement accès au crédit et en accompagnant le plus grand nombre possible de personnes n’ayant pas accès au crédit bancaire et souhaitant créer ou développer leur entreprise. Ajoutons que l’association a développé depuis quatre ans une activité de microcrédit personnel pour l’emploi, visant à faciliter, pour des personnes démunies, le retour à – ou le maintien dans – l’emploi salarié. Comme praticiens du microcrédit, trois points dans cette étude retiennent particulièrement notre attention : l’accent mis sur la morale dans la relation emprunteur-prêteur, la mise en avant de concepts fondateurs de la microfinance et la nécessité de ne pas réduire le crédit à sa dimension financière.
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La parole aux associations
1. Moralité ou confiance L’étude, qui choisit de qualifier de « désinhibés » les représentants des classes moyennes interrogés, au motif qu’ils promeuvent des comportements simplement en marge de la légalité, met simultanément en avant leur demande de « moralité ». Ce paradoxe débouche sur une ambivalence : d’un côté, la moralité du crédit à la consommation s’incarnerait dans une distinction entre superflu et nécessaire, de l’autre elle viserait à réintroduire la confiance dans la relation emprunteur-prêteur. Distinguer entre superflu et nécessaire. Dans ce cas (« Il faut que le taux soit moins cher pour le vital et plus élevé pour le superflu. »), l’attente exprimée est caractéristique d’une période de crise et de doute : ce n’est plus la distribution de crédit qu’une dimension morale doit investir, ni même la tempérance dans son usage, mais sa destination même. Or, sur quels critères effectuer un tri consensuel ? Comment contractualiser une relation emprunteur-prêteur sur la base d’une distinction qui ne pourrait être établie qu’au regard d’un plus petit commun dénominateur de la morale collective ? « Le superflu est le premier des besoins » selon Flaubert, que ce constat n’empêchait d’ailleurs
l
pas de mettre en scène une forme anticipée de crédit à la consommation, conduisant à la ruine une Emma Bovary trop facilement séduite par les sirènes d’un « marchand de nouveautés », archétype du prêteur sans scrupules. l (Ré)introduire la confiance, notamment dans les critères d’attribution. C’est effectivement essentiel. L’étymologie du mot crédit est le verbe latin credere, croire. Croire, c’est ce que fait l’Adie, qui depuis vingt ans a financé les projets de près de 120 000 créateurs précaires, notamment des chômeurs et des allocataires de minima sociaux.
Le crédit à la consommation doit rester, ou devenir, une relation entre le prêteur et l’emprunteur basée sur la confiance, encadrée par l’État et exempte de considérations à géométrie variable sur la nature morale de la dépense envisagée. La confiance suppose un engagement réciproque et clair. A minima, c’est, du côté de l’emprunteur, le remboursement au rythme convenu, et du côté du prêteur une prise de décision étayée par une analyse sérieuse du dossier, des conditions financières et des méthodes de recouvrement raisonnables.
« Le crédit à la consommation doit rester, ou devenir, une relation entre le prêteur et l’emprunteur basée sur la confiance, encadrée par l’État et exempte de considérations sur la nature morale de la dépense envisagée. » 26
Au-delà de ces prérequis, l’étude laisse à juste titre entendre que, pour améliorer l’accès au crédit et asseoir cette confiance, il incombe aux organismes financiers de mieux gérer l’équilibre entre analyse sur le terrain du profil de l’emprunteur, ressenti du conseiller, calcul des capacités de remboursement et usage d’algorithmes de scoring qui n’aiguillent pas toujours correctement les flux financiers (sans pour autant constituer un bouclier efficace contre le risque en cas de choc économique brutal). De façon plus conjoncturelle, tant la crise des subprimes que les emprunts dits « toxiques » des collectivités locales, ont démontré l’importance
d’ancrer le cycle de vie du prêt dans des conditions claires et stables dès le départ. un principe qui va à l’encontre de l’idée de « modularité » suggérée par l’étude – un crédit autogéré à remboursement modulable – même si la facilitation des remboursements anticipés va évidemment dans le bon sens. Quant à la microfinance, rester fidèle à sa mission d’inclusion financière et maintenir la confiance c’est, ainsi que l’indiquait récemment un article du Microfinance Center1, s’interroger sur les conséquences potentielles d’une dérive des Institutions de microfinance et de leurs circuits de financement vers la recherche de profitabilité.
2. La mise en avant de concepts fondateurs du microcrédit Sans développer outre mesure, on notera que parmi les innovations suggérées, plusieurs font redécouvrir des concepts anciens ou des avancées plus récentes de l’histoire du microcrédit et de l’amélioration de l’accès au crédit. l Le couple crédit-épargne, et les modalités les liant (l’épargne « moteur » du compte crédit) reprend le principe des coopératives d’épargne-crédit, lancées en Allemagne au milieu du xixe siècle, notamment par Raiffeisen2, pour permettre aux agriculteurs ou aux artisans
ne disposant pas de garanties suffisantes d’accéder au crédit. l Le principe de la réserve de crédit déblocable pour parer aux imprévus rencontrés par les travailleurs indépendants fait écho à celui de la microassurance, à ceci près que cette dernière est – et fonctionne comme – une véritable police d’assurance.
l L’attente 10 (Permettre les petits financements, p. 22) réinvente le microcrédit professionnel !
3. L’accompagnement au cœur du crédit ? L’étude évoque également une dimension partenariale. Depuis des années, l’Adie a développé des services d’accompagnement à la création d’entreprise auxquels elle consacre des moyens importants : une équipe dédiée de 90 salariés et de plus de 1 400 bénévoles, des formations individuelles et collectives gratuites sur des thématiques couvrant le champ de la création (administration, fiscalité, comptabilité/gestion, développement commercial, communication, éducation financière, un suivi régulier et personnalisé)…
Pour le crédit à la consommation, le souhait exprimé – la mise en place d’une relation durable et suivie entre le client et son interlocuteur – appelle bien sûr des réponses moins formalisées. De même, le contenu de l’accompagnement concerne plus l’offre de crédit que son usage, ce qui justifie le terme de partenariat retenu par l’étude. Il n’en reste pas moins que ce sont les mêmes dimensions d’attentes qui se font jour : une personnification de la relation de confiance entretenue avec l’institution, une personnalisation du service fourni, une reconnaissance du statut de client et une légitimation par la compétence.
1 Why are we keeping silent ? A new intellectual and practical agenda for the industry. 2 Groupe bancaire suisse de coopératives.
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La parole aux associations
Par Reine-Claude Mader Présidente de la CLCV 1. Au cœur des classes moyennes On ne peut pas se livrer à une analyse des comportements des consommateurs si l’on ne se situe pas dans le contexte socio-économique. La situation est instable, la crise économique et financière est présente dans tous les esprits, le chômage touche toutes les couches de la
À PROPOS DE LA CLCV* Créée en 1952, la CLCV est l’une des plus importantes associations nationales de consommateurs et d’usagers. Elle intervient dans tous les domaines de la vie quotidienne et du cadre de vie. Elle est agréée comme association nationale de défense des consommateurs, de protection de l’environnement, représentant les usagers dans les instances hospitalières ou de santé publique, d’éducation populaire, et éducative complémentaire de l’enseignement public. Elle est reconnue comme une association nationale représentative des locataires et des copropriétaires. Son action est à la fois locale, départementale, régionale, nationale, et internationale. Elle est membre du Bureau Européen des Unions de Consommateurs et de Consumers International. Cette action s’appuie sur la compétence de ses experts et la force d’un réseau de plus de 400 associations locales, départementales et régionales, qui tient plus de 50 000 heures de permanences et d’accueil des consommateurs par an.
* Consommation loggement et cadre de vie. Contact :
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population, même si, pour certains, il n’engage pas de façon définitive leur avenir. Il en résulte un pessimisme ambiant. Le sentiment de délitement de la société qui en résulte amène les consommateurs à se recentrer sur ce qui est essentiel pour eux, l’entourage immédiat, la famille et le milieu associatif où ils savent trouver des personnes qui ont fait un choix de société désintéressé. Le paradoxe relevé par l’étude entre l’appréciation portée sur la situation collective et la confiance dans leur capacité à maîtriser leur situation personnelle s’explique par leur individualisme et leur capacité d’initiative qui les a amenés à se ménager un cocon protecteur. Les consommateurs connaissent de mieux en mieux leurs droits. Ils savent les utiliser. Ils mutualisent leurs connaissances via les réseaux sociaux qui sont la forme moderne du bouche-à-oreille dont on a toujours su qu’il avait un poids considérable même s’il n’est pas maîtrisable, rationnel. On ne peut que s’accorder sur le fait que le comportement des consommateurs évolue mais ce n’est pas une nouveauté. Le rôle respectif de l’offre et de la demande est difficile à déterminer, même si les méthodes de vente peuvent faire la différence. Les consommateurs ont toujours ajusté leur comportement à leur environnement. Une chose est certaine. Ils ont des projets, raisonnables par rapport à leur situation, et ils ne sont pas prêts à y renoncer, ils se mobilisent pour les réaliser.
« Les consommateurs vont être de plus en plus réticents à s’engager et de plus en plus exigeants quant à la qualité des produits qui leur seront proposés. »
2. Le crédit… oui, mais La situation des pays anglo-saxons est, pour une association comme la nôtre, un exemple à ne pas suivre. Les consommateurs français, que l’on a parfois décrits comme des acheteurs compulsifs, démontrent qu’ils ont une approche saine de leur gestion budgétaire. Le recours au crédit comme instrument de gestion est apprécié, mais il n’est pas un mode de vie pour la majorité des Français. Les paris sur l’avenir sont raisonnés. Ils préfèrent épargner pour disposer d’un « amortisseur » en cas de difficultés, de dépenses imprévisibles. La majorité des consommateurs voit dans le crédit un moyen utile d’investissement pour financer l’achat d’un bien durable, le financement des études de leurs enfants. À cet égard, même si cela ne rentre pas dans le cadre du « livre vert », il ne faut pas oublier le recours au crédit immobilier pour l’acquisition de la
résidence principale qui est jugée sécurisante pour garantir son avenir et celui de sa famille, un exemple très éclairant sur leurs motivations. Les consommateurs ne trouvent pas normal d’avoir besoin de recourir au crédit pour financer certaines prestations de services, notamment les soins, alors qu’ils contribuent par ailleurs à financer un système social, et qu’ils ont souscrit des assurances, ce qui ne nous étonne pas. Nous ne sommes pas dans un système libéral, en tous les cas dans l’esprit. Le fait que les consommateurs aient des doutes compte tenu des pratiques de certains établissements, du manque de conseil, de la crise financière dont ils pensent que l’on ne leur a pas tout dit, n’est pas surprenant. Même en faisant abstraction des craintes, des reproches, il est sain que les consommateurs veuillent contrôler leur situation.
3. Le crédit de demain Dans un contexte dont on ne prévoit pas qu’il s’améliore à court terme, les consommateurs vont être de plus en plus réticents à s’engager et de plus en plus exigeants quant à la qualité des produits qui leur seront proposés. Les vœux émis par les consommateurs qui se sont exprimés dans le « livre vert » vont dans ce sens. L’accent est mis sur un conseil personnalisé lors de la souscription et sur la nécessité d’un suivi avec à la clé la possibilité de moduler le montant de ses échéances en cas d’imprévu et même de rembourser par anticipation. On en revient à l’idée émise par les consommateurs selon laquelle ils veulent maîtriser leur gestion. Les consommateurs n’établissent pas de confusion entre revenus et crédit, et de notre point de vue, c’est une bonne chose. Les consommateurs attendent également des offres adaptées à toutes les situations. Ils déplorent que l’offre soit formatée pour des personnes dont les revenus sont stables, alors même que nombre d’entre elles ont des contrats
temporaires. Il est certain que c’est une situation à laquelle il faut remédier, dans des conditions acceptables. En revanche, l’idée que l’on puisse subordonner le taux du prêt selon l’utilité du bien à financer, pour fondée qu’elle puisse paraître, nous paraît difficile à mettre en œuvre. Il relève de la liberté de chacun d’investir dans les projets qui lui conviennent. Le « livre vert » présente l’intérêt d’aborder les questions liées au crédit autrement qu’à travers le prisme du surendettement et des situations très difficiles même s’il convient de les prendre en compte avant de développer de nouvelles offres. Les attentes qui sont exprimées par les consommateurs sont celles d’une majorité. Elles ne sont pas très différentes de celles formulées auprès de notre organisation lorsque nous faisons des études sans qu’elles soient orientées sur les litiges qui se focalisent sur les reproches faits aux établissements de crédit. Il convient donc d’y répondre.
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La parole aux associations
Par Baki Youssoufou Président national de la Confédération étudiante Que pensez-vous de l’accès au crédit en France ? À PROPOS DE LA CE La Cé est le syndicat étudiant qui fait ses propre choix, sans a priori partisan, afin de faire des changements souhaités par les étudiants une réalité. Fiers et libres, en 2007, nous avons obtenu une nouvelle mission dans la LRU : l’insertion professionnelle ainsi que le 6e échelon de bourse et manifesté nos préoccupations en matière de conditions d’études et de logement. En effet, depuis le CPE, la question de l’avenir des jeunes n’avait toujours pas trouvé de réponse. À la Cé, nous nous engageons en toute liberté, pour faire progresser les situations et pour réduire les inégalités existantes. Nous sommes jeunes et nous avons des rêves, des projets pour notre avenir. Nous avons du potentiel et nous pensons que c’est dès aujourd’hui que nous devons avoir la possibilité de le révéler. Contact :
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On a l’impression que depuis toujours, l’accès au crédit est lié aux mêmes critères, malgré l’évolution de la consommation des ménages et des situations individuelles. Cette façon de procéder exclut de fait notre génération. En effet, nous avons un handicap de taille : nous ne sommes pas considérés comme étant « stables » : ni par le fait de posséder un emploi en CDI, ni par celui d’avoir une famille à soi – être marié, avoir des enfants –, ni par l’installation définitive dans une ville, un appartement, une maison... Nous sommes de surcroît une génération qui n’a plus l’occasion, la possibilité, ni peut-être même l’envie de travailler pour le même employeur toute sa vie. Pourtant, nous ne sommes pas moins engagés. Nous avons pour la plupart travaillé pendant nos études, nous avons des projets de vie intéressants, et il n’est pas certain que nous soyons moins solvables que d’autres générations. Pourtant, les critères et les conditions d’accès au crédit reste inchangés et même quand ils changent, nous ne nous en rendons pas compte, car nous nous disons : « Ce n’est pas pour nous ».
Que vous inspirent les comportements des classes moyennes en général, leur relation au crédit en particulier ? Les banques, comme les organismes de crédit, visent et ciblent tous la même catégorie sociale nommée communément « la classe moyenne ». Cette situation expose particulièrement au surendettement une catégorie de la classe moyenne qu’on peut appeler les « ni, ni. » (ni trop pauvres, ni trop riches). Pas assez riches pour assumer leur niveau de consommation, pas assez pauvres pour bénéficier d’aides et/ ou éventuellement être éligibles aux crédits. Cette catégorie permet pourtant le dynamisme de l’économie, la relance de la croissance ; cependant elle est aussi souvent la plus exposée
à la crise. Elle est par exemple très vulnérable aux licenciements et on sait combien la perte d’un emploi entraîne une baisse abyssale du niveau de vie. Ainsi, nous retrouvons aussi dans le drame du surendettement la classe moyenne. Nous sommes donc au milieu d’un véritable changement des paradigmes par rapport à ce qui, jusqu’à présent, faisait les critères des banques et des organismes de crédit. Les jeunes ne peuvent pas accéder au crédit parce qu’ils n’ont pas une situation stable, la classe moyenne est sous la pression de la crise et de ses licenciements…
Quelle est votre perception des propositions qui ont émergé suite à cette étude ? Toute réflexion visant à rendre accessible le crédit à d’autres catégories de population est la bienvenue. Néanmoins, il doit y avoir une exigence sur le choix des crédits accordés et la définition des modalités de remboursement pour les travailleurs non stables, pour les jeunes, etc. Le travail de concertation de Cetelem peut
donc avoir un intérêt s’il aboutit à l’équation essentielle entre la facilitation de l’accès au crédit et la non-incitation au surendettement. Réfléchir ensemble sur l’accès au crédit pour ceux qui en sont généralement exclus revient donc à réfléchir sur l’accès à un premier crédit pour un premier emploi ou une première installation.
Avez-vous d’autres suggestions, d’autres propositions pour faire évoluer l’accès au crédit ? Les jeunes et surtout les étudiants en fin de formation se trouvent aujourd’hui dans un moment charnière de l’histoire de notre pays. Pour la première fois, une génération n’est pas assurée de vivre aussi bien que les générations qui la précédent, et cela en période de paix. Les transactions et transmissions de patrimoine se réduisent, car avec le vieillissement de la population, le patrimoine ne se transmet plus à une ou deux générations mais
à trois, voire quatre. Dans la même période, les dépenses liées à cette augmentation de la durée de la vie croissent (soins, prise en charge, retraite, occupation des biens immobiliers, etc.). Notre génération est celle qui subira donc le plus fort taux d’endettement jamais atteint, et son entrée dans le monde professionnel est de plus en plus éloignée. Il est donc clair qu’on nous laisse une dette économique, écologique
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et morale sans qu’on ait les moyens ni les armes d’affronter les difficultés qui en découleront. Il est alors essentiel de réfléchir à trois axes : l Comment gérer les moments de transition entre études et emploi, par conséquent quelles facilités dans l’accès au crédit d’installation (voiture, appartement, appareils ménagers…) ?
Comment encourager la création et l’innovation ? Un étudiant sur deux déclare vouloir créer son entreprise. Tous ne réussiront pas, mais ceux qui ont de fortes chances de réussite se trouvent souvent obligés d’abandonner pour des raisons purement alimentaires. Là encore, quel crédit en période de démarrage d’activité et quel type remboursement ?
l Comment considérer le facteur mobile (« non stable ») comme un avantage, car notre mobilité, loin d’être un facteur de non-engagement et de manque de sérieux, est un facteur de productivité et de développement qu’il faut accompagner. Dès lors, quel accès au crédit et quel remboursement en cas de mobilité interne comme externe ?
Il est donc essentiel de revoir les conditions et les critères d’accès et de remboursement de crédit pour la nouvelle génération. Il est également nécessaire – sinon obligatoire – de sensibiliser la catégorie des jeunes adultes sur la gestion budgétaire et de faire de l’information au surendettement.
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« Réfléchir ensemble sur l’accès au crédit pour ceux qui en sont généralement exclus revient donc à réfléchir sur l’accès à un premier crédit pour un premier emploi ou une première installation. » 32
Par Jean-Louis Kiehl Président de la fédération CRESUS En tant qu’acteur engagé depuis vingt ans dans le domaine de l’accompagnement et de la prévention du surendettement, CRESUS estime que les premiers résultats de l’étude conduite auprès des classes moyennes sur leurs modes de vie, leurs relations et leurs attentes en termes d’accès au crédit, apportent un éclairage stimulant sur ce que pourrait être le crédit de demain dans un contexte économique et social particulièrement tendu.
À propos de CRESUS La Fédération française des associations CRESUS, association participative reconnue d’utilité publique, est née en Alsace à partir d’un modèle d’accompagnement des ménages surendettés créé en 1992. Elle constitue un réseau de proximité dédié à la prévention de l’exclusion financière et du surendettement par l’éducation financière. Elle compte 26 associations réparties sur 20 régions et près de 530 bénévoles. En 2010, elle a accueilli et accompagné plus de 53 000 ménages surendettés, et instruit près de 840 dossiers de microcrédit personnel. Contact :
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De manière générale et contrairement aux idées reçues, la lecture attentive de cette étude conforte des tendances que nous constatons quotidiennement lors de nos rencontres avec ces consommateurs, parfois durement frappés par le phénomène d’exclusion, et qui sont autant de témoignages de la nécessité d’adapter l’offre de crédit aux nouveaux modes de vie qui se profilent (instabilité des cycles professionnels et familiaux – nouveaux besoins de financement) et de prévenir de façon dynamique les fragilités révélées en cours de relations contractuelles. Ce « livre vert » sur le crédit à la consommation s’inscrit dans un contexte de dégradation de l’image du crédit à la consommation et de ses acteurs, auxquels il est reproché de façon récurrente de contribuer au surendettement (notamment parce qu’ils sont dans l’impossibilité matérielle d’apprécier objectivement la solvabilité de leurs clients au moment de la phase d’octroi) alors même que le taux d’accès au crédit à la consommation reste relativement faible (ce taux d’exclusion du crédit serait de 40 % en France contre 25 % en moyenne dans les autres pays de l’Union européenne). Dans ce contexte dégradé, le « livre vert » présente l’immense mérite de dresser un portrait saisissant des consommateurs issus des classes moyennes, d’évoquer leur relation au crédit sans complaisances ni illusions, et de recueillir des propositions susceptibles de poser les jalons du « crédit de demain ».
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1. Au cœur des classes moyennes : une catégorie déstabilisée et fragmentée L’on retiendra que parmi les six groupes de ménages consultés, près des deux tiers incarnent des populations plus particulièrement frappées par l’instabilité (jeunes, travailleurs indépendants, salariés aux revenus irréguliers et autres ménages en emploi stable) et pour lesquelles notre association estime que le modèle traditionnel d’accès au crédit fondé sur la stabilité sociale et professionnelle se révèle inadapté. Quant aux deux groupes traditionnellement considérés comme étant stables : les seniors et les familles, leurs inquiétudes portent sur le financement de l’autonomie de leurs enfants et la recherche de leur propre équilibre économique. De manière plus précise, nous pensons que le crédit de demain ne peut évincer une réflexion approfondie sur les aspirations des salariés aux revenus irréguliers, et devra tenir compte de la montée en puissance du phénomène de l’autoentrepreneuriat et des « petits indépendants »
(catégorie hybride : consommateurs et entrepreneurs) dont les aspirations en termes de financement de leurs projets personnels sont souvent ignorés au nom d’une pratique de sélection du risque parfois inadaptée. Contrairement aux idées reçues, nous constatons sur le terrain une fragilisation des catégories traditionnellement réputées comme étant solides : « familles et seniors » et à l’inverse, nous remarquons une meilleure résistance des populations au parcours dit instable « jeunes, salariés aux revenus irréguliers… » car ces catégories sont dotées d’une bonne capacité à maîtriser leurs projets et les aléas de la vie auxquels elles sont quotidiennement confrontées. Ce focus sur le mode de vie des classes moyennes constitue, à nos yeux, une invitation à construire le « crédit de demain » et à répondre ainsi à l’évolution sociologique des nouvelles catégories consommateurs.
« Pour construire le crédit de demain, il conviendrait d’améliorer notablement l’efficience du conseil et construire des relations durables et interactives avec les consommateurs. » 34
2. « Le crédit… oui mais lequel ? » : des relations sans complaisance Le reproche que l’on fait généralement aux acteurs du crédit : « laxisme dans l’octroi » et « rigidité, voire exclusion d’une frange de la population » apparaît nettement au fil de cette étude. L’exigence d’une nouvelle donne en matière de relation clients est clairement posée et nous la partageons pleinement. Pour recréer des relations de confiance durables et atténuer les risques inhérents liés aux nouveaux modes de vie, il conviendrait de renforcer en amont la capacité de conseil, de pédagogie et en aval, de construire un accompagnement du client dès les premiers signes de fragilité en acceptant de rompre avec l’idée confortable selon laquelle « le surendettement est une fatalité ». À cet égard, l’expérience de terrain montre de réelles carences en matière de pédagogie lors de la phase d’octroi qu’il conviendrait de pallier par une construction plus attentive du budget, une meilleure évaluation de la pérennité du projet à financer et une capacité de conseils objectifs).
Ce constat est renforcé par une forme de défiance du consommateur face aux établissements financiers, qu’il faudrait parvenir à surmonter en démontrant un intérêt et une attention partagés. Nonobstant l’accident de la vie généralement considéré comme étant la cause de fragilisation financière, il est remarquable de souligner que dans près de 90 % des dossiers de surendettement accompagnés par nos associations et comportant des dettes bancaires, le consommateur estime n’avoir pas suffisamment maîtrisé sa situation d’endettement et admet n’avoir pas été alerté au moment où il souscrivait ses derniers engagements – ce taux atteint 70 % lorsqu’on interroge des ménages malendettés. En conséquence, pour construire le crédit de demain, il conviendrait d’améliorer notablement l’efficience du conseil et construire des relations durables et interactives avec les consommateurs.
3. Le crédit de demain : l’exigence légitime d’un pacte de confiance Les pistes de solutions projetées sont marquées par une véritable appétence des consommateurs à construire des relations de « partenariat financier » et il appartient désormais aux acteurs du crédit de traduire dans les faits cette exigence qui témoigne de la maturité du public.
l bâtir des mécanismes de fidélisation en termes de taux préférentiel et d’accès personnalisé à un accompagnement effectif « en cas de coup dur » de sorte à récompenser les bons comportements par un SAV efficient et proactif témoignant ainsi d’un « crédit responsable ».
Des propositions stimulantes sont évoquées au fil de cette étude :
En conclusion, nous partageons l’essentiel des attentes et des interrogations formulées par les consommateurs consultés à l’occasion de cette étude. Leur traduction effective serait de nature à renouer avec la confiance et le développement du crédit en France, tout en étant compatible avec des modalités de production de masse.
l créer des produits épargne-crédit, qui peuvent être une clé d’accès au crédit pour certaines catégories dites non stables ;
l construire une modularité « intelligente » des produits, des services, et « réinventer » les assurances pour faire face aux aléas avec une véritable exigence de service après-vente efficient ;
Cette évolution nous semble même inéluctable et à nos yeux, et participerait pleinement de la notion de « crédit responsable ».
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Par Alain Bernard Responsable du Département Emploi - Économie Solidaire du Secours Catholique
Les classes moyennes ne constituent pas, loin s’en faut, la majorité des publics que le Secours Catholique accueille régulièrement dans ses délégations.
À propos DU SECOURS CATHOLIQUE Fondée en 1946, cette association loi 1901 à but non lucratif et reconnue d’utilité publique lutte contre toutes les formes de pauvreté et d’exclusion. Sa mission essentielle est d’accompagner les personnes et les familles en difficulté. Membre du réseau Caritas International, le Secours Catholique est présent dans 62 pays. En France, il fédère un réseau de 62 900 bénévoles et près de 1 000 salariés dans 95 délégations départementales, et accompagne 1,5 million de personnes par an dans 2 440 lieux d’accueil.
Néanmoins la crise économique et financière actuelle nous amène à rencontrer de plus en plus de personnes – jeunes, salariés aux revenus irréguliers, autres ménages en emploi stable – qui sont autant de catégories concernées par l’étude conduite par Cetelem. Toutes les réflexions de nos partenaires financiers pour améliorer l’accès au crédit ne peuvent que retenir notre attention, et c’est avec plaisir que nous avons participé aux travaux initiés par Cetelem.
Contact :
« Refuser un crédit à une personne sans sécurité de l’emploi mais solvable par son épargne, est faire peu de cas de l’évolution de notre société où la mobilité professionnelle devient sinon la règle du moins la probabilité la plus forte. » 36
1. Au sujet de l’accessibilité bancaire L’accessibilité bancaire pose encore problème dans notre pays, même s’il n’est pas question de nier les efforts entrepris par les pouvoirs publics et les partenaires financiers, ou de défendre l’idée d’un droit au crédit. Les témoignages repris dans l’étude sont à cet égard significatifs et pointent les incompréhensions devant le comportement parfois brutal des « prêteurs de deniers » : refus de prendre en considération des situations atypiques, mais néanmoins fréquentes (travailleurs en CDI ou en intérim par exemple) ;
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manque de souplesse dans l’octroi et la gestion des prêts ;
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utilisation abusive du crédit renouvelable.
Les efforts de chacun contribueront à améliorer la situation, et les propositions récentes de Cetelem en direction des personnes en CDD vont dans le bon sens. Mais le problème ne se pose pas uniquement en termes d’accès au crédit ; la notion d’usage – du bon usage devrions-nous dire – des services financiers nous semble toute aussi importante. Le Secours Catholique a donc souhaité aller encore plus loin et a lancé – en associant la Croix Rouge française et l’UNCCAS* – un Manifeste pour l’inclusion bancaire des personnes fragiles, qui a pour ambition de modifier le comportement des institutions financières pour tendre à les rendre plus humaines, et encourager par des avantages compétitifs celles qui se montreront les plus entreprenantes dans le domaine de cette accessibilité et inclusion financière.
2. Zoom sur quelques attentes des classes moyennes L’attente, selon laquelle le coût du crédit devrait être modulé en fonction de l’usage que l’on en fait, est une idée généreuse mais peu réaliste. Comment construire une hiérarchie naturelle des besoins, quand il n’y a pas de modèle unique ? Comment alors établir une échelle des coûts du crédit en fonction de sa finalité ? Par ailleurs, attention à ne pas faire du crédit la seule réponse au financement des besoins fondamentaux (alimentation, santé, éducation…). Avant, il faut faire appel aux droits existants, et s’ils sont insuffisants, militer et œuvrer pour qu’ils s’élargissent. Le Secours Catholique est en revanche beaucoup plus sensible à une redéfinition des critères d’octroi d’un crédit. * Union nationale des centres communaux d’action sociale.
Au-delà du déni de confiance, refuser un crédit à une personne sans sécurité de l’emploi mais solvable par son épargne, est faire peu de cas de l’évolution de notre société où la mobilité professionnelle, géographique, voire familiale et sentimentale devient sinon la règle du moins la probabilité la plus forte. Plus largement, tout octroi fondé sur une « profondeur historique personnalisée » est plus pertinent que la seule prise en compte du revenu mensuel. Le Secours Catholique défend fortement ce point qui bute contre une donnée parfois implacable, celle du temps que le chargé de clientèle peut ou non passer afin de personnaliser sa réponse. À cet égard, le microcrédit a montré qu’il y avait là une vraie valeur ajoutée, mais comment faire lorsque le produit de prêt doit être industrialisé ?
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La parole aux associations
Par Alain Bazot
Président de l’UFC-Que Choisir Crédits et discrédits Autant que la perception du crédit à la consommation actuel, les attentes exprimées par le panel quant au crédit de demain sont particulièrement révélatrices du fossé existant et maintes fois dénoncé par l’UFC-Que Choisir, entre d’une part les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, et d’autre part la réalité du terrain.
À propos DE L’UFC-QUE CHOISIR Doyenne des associations de consommateurs en France et en Europe, l´UFC-Que Choisir compte 160 000 adhérents rassemblés dans 160 associations locales réparties sur tout le territoire (métropole et outre-mer), et qui traitent près de 100 000 litiges annuellement. Son mensuel, Que Choisir, est diffusé à plus de 500 000 exemplaires Contact :
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En effet, les demandes du panel pour plus « de dialogue, de conseil », et de « contact en chair et en os » traduisent parfaitement la lourde tendance, depuis plus de dix ans, à la déshumanisation de la relation au client (place croissante des centres d’appel), à sa dépersonnalisation (rotation accélérée des agents, remplacement de la mission de conseil par une activité exclusivement commerciale) Faut-il rappeler, qu’avant même la Loi Lagarde de 2010 portant réforme du crédit à la consommation, les établissements de crédit étaient assujettis à une obligation légale de conseil, que tout manquement à ce devoir est sanctionnable, et que l’honorabilité est un préalable à l’activité de préteur ? Ainsi, avant de faire de ce dernier un « partenaire financier » comme demandé, il serait bon d’encadrer plus strictement l’appellation actuelle trompeuse de « conseiller » crédit et/ou que cette qualification corresponde effectivement à la mission assignée. Le suivi du client est impératif pour le consommateur, dans sa dimension individuelle (vérification que le crédit souscrit correspond toujours à sa situation) et collective (prévention du surendettement). Les témoignages de ce panel montrent en outre le risque permanent de faire du crédit un substitut au pouvoir d’achat en berne des ménages, alors que la Loi Lagarde rappelle clairement que tel n’est pas sa finalité. La tentation est certes grande pour le consommateur en cette période de crise. Mais, sur nombre des domaines cités par le panel – études, formation,
soins, dépendance – le crédit ne doit en aucun cas se substituer à la solidarité nationale. Rappelons qu’aux États-Unis, où les études sont financées à crédit, la hausse du chômage chez les jeunes diplômés a entraîné une croissance de 31 % des défauts de remboursement des prêts étudiants ! La question se pose tout autant sur la dépendance : prendre un crédit pour financer sa dépendance, c’est être sûr de ne jamais pouvoir le rembourser. Alors que la mauvaise distribution du crédit a été directement à l’origine de la crise économique
sans précédent que nous traversons, il est assez paradoxal de l’élever aujourd’hui en réponse à cette même crise. Entendons-nous bien… Dire ceci ne signifie pas être hostile au crédit à la consommation, au contraire. Le crédit est utile et indispensable, car tout le monde n’a pas la possibilité d’avoir une épargne suffisante ou de pouvoir faire jouer la solidarité familiale. Mais le crédit doit toujours rester le révélateur de la foi dans l’avenir, à savoir le financement de projets ou d’équipements, et ne jamais pallier un déclin de la solidarité nationale.
« Le crédit doit toujours rester le révélateur de la foi dans l’avenir, à savoir le financement de projets ou d’équipements, et ne jamais pallier un déclin de la solidarité nationale. » 39
La parole aux associations
Par Corinne Griffond
Vice-présidente de l’UNAF, présidente du département Cohésion sociale et Vie quotidienne Associer crédit et familles, crédit et consommateurs, est toujours un exercice difficile, même si depuis de nombreuses années l’utilité du crédit est manifestement reconnue. Nous avons souvent, dans nos associations qui pratiquent beaucoup l’accompagnement social, une vision de l’endettement qui vire au surendettement. L’excès de crédit, le crédit qui sert à rembourser les emprunts en cours sont une réalité dont il est difficile de se détacher.
À propos DE L’UNAF* L’UNAF est née de la volonté d’organiser le dialogue entre les familles représentées par leurs associations, et les pouvoirs publics. Depuis 1945, l’UNAF est le partenaire institutionnel des pouvoirs publics dans tous les domaines de la politique familiale. Les familles sont de véritables « acteurs économiques et sociaux » de premier ordre. Elles jouent un rôle capital dans la croissance de notre pays, tant au niveau de la consommation que de la démographie ou du développement durable. * Union nationale des associations familiales.
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Il est indéniable que le crédit est un levier pour l’acquisition de certains biens ou services. Des dépenses d’investissement ou de confort ne peuvent être réalisées que grâce à cet apport financier dont le remboursement sera établi dans le temps. Mais les familles n’oublient pas que l’épargne est un moyen moins onéreux (lorsqu’elle est possible) pour couvrir des dépenses planifiées. Le crédit, par le service qu’il rend, a pour résultat de faire payer plus chers les achats qu’il finance. Et moins on a de ressources, plus on aura besoin d’y avoir recours ! Depuis quelques années, la distribution du crédit aux particuliers s’est rétractée, car les prêteurs sont plus exigeants en matière de garantie financière et les familles sont plus prudentes. Les établissements encourent une double critique : d’une part, ne pas assez prêter pour répondre à la demande, et d’autre part, trop prêter à des consommateurs vulnérabilisés par la crise. Le juste équilibre n’est pas facile à trouver ! Le cas particulier des publics spécifiques doit être distingué : les jeunes, les personnes ayant un emploi précaire, les seniors, les personnes présentant un risque de santé… ont un accès au crédit qui doit absolument être amélioré. Le risque financier que présentent ces publics est, semble-t-il, analysé de façon trop automatique sans considération des circonstances particulières qui permettraient de traiter leurs demandes positivement. C’est ainsi que l’UNAF, par l’intermédiaire du Collectif inter-associatif (CISS) dont elle est membre, s’est engagée dans la convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé) afin de faciliter la vie économique de ce type de familles. »
3 L’analyse du sociologue La lecture croisée des souhaits et des projets personnels des classes moyennes par Nicolas Herpin, sociologue
L’analyse du sociologue Analyse croisée n° 1 : Le retrait annoncé de l’État providence
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Analyse croisée n° 2 : Les devoirs des parents à l’égard de leurs enfants dans la classe moyenne
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Analyse croisée n° 3 : La résilience passe par le statut d’indépendant
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Analyse croisée n° 4 : Les transitions dans la vie et l’entraide familiale
Conclusion
La Shrinking Middle Class à la française
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Nicolas Herpin
Directeur de recherche émérite au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), Docteur en Sociologie et Maître de conférences à l’Université Paris VIII, Nicolas Herpin est membre de l’Observatoire sociologique du changement (Fondation nationale des sciences politiques). Quels sont les souhaits ou les projets personnels des classes moyennes et quelles difficultés rencontrent leur réalisation ? Quelles sont les situations et les dépenses pour lesquelles un individu doit arbitrer ? Dans cette étude, dont le terrain a été réalisé en décembre 2011, les principaux domaines balayés sont ceux du travail, de l’éducation (et pas seulement celle des enfants), de la santé, du logement (acquisition et rénovation). Les personnes évoquent aussi les coups durs et les incertitudes sur l’avenir : perte d’emploi,
reconversion professionnelle, accident survenant à soi-même ou à son entourage familial et risques de dépendance en fin de vie. Ces situations impliquent des dépenses imprévues dont le coût excède l’épargne accumulée, et qui ne sont pas couvertes intégralement par des assurances, ce qui suscite des besoins de financement dédiés. Observateur privilégié des six focus groupes, Nicolas Herpin nous livre son analyse. >>>
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L’analyse du sociologue
Analyse croisée n° 1 Le retrait annoncé de l’État providence
Aucune critique à l’égard des allocations familiales. La question n’est même jamais venue en discussion. En revanche, la question des allocations aux chômeurs est abordée. Elles ne sont pas contestées, même parmi les petits indépendants, les premiers à dénoncer la lourdeur des prélèvements de l’Urssaf. Ceux d’entre eux qui sont devenus indépendants, après avoir été licenciés de l’entreprise où ils étaient salariés, en ont bénéficié. En revanche, les critiques s’adressent au paiement d’une cotisation pour la retraite. Les jeunes évoquent la faillite, annoncée par la presse, des caisses de retraite. Certains d’entre eux épargnent déjà avec l’objectif d’acquérir un logement, car le fait d’être propriétaire leur apparaît comme une protection nécessaire à l’âge de la retraite. Certains voudraient même ne plus cotiser dès maintenant et utiliser ce montant pour accroître leur épargne. Un indépendant préférerait verser le montant de sa cotisation de retraite pour acheter une maison qu’il pourrait transmettre à ses enfants. Cette autre fonctionnaire vivant à Paris, et dont la famille vit en Haïti, préférerait renoncer à son assurance maladie obligatoire (« Je ne suis jamais malade ») et envoyer son montant pour soulager sa famille restée au pays. Les assurances médicales sont critiquées aussi pour l’insuffisance des prises en charge, mais aussi sur le principe de la mutualisation. Premièrement, la couverture est insuffisante pour les lunettes et l’orthodontie (CDI, CDD). Deuxièmement, on se croît protégé mais on ne l’est pas en réalité. Un troisième type de critique porte sur la qualité des soins en fin de vie. La dépendance des parents révèle aux enfants, à qui cette situation n’est pas encore arrivée, que rien ne leur garantit qu’ils aient accès à la qualité de soins dont ils espéraient bénéficier. Un Tourangeau a acheté une maison pour la mettre en location et payer son loyer et
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ses soins dans une maison de retraite. S’il meurt auparavant, la maison reviendra à ses enfants. Il trouve cet arrangement plus avantageux que de prendre une assurance particulière en cas de dépendance. Les critiques à l’égard de l’institution scolaire sont de plusieurs types. Les parents d’élèves du primaire et du secondaire réalisent que l’école publique est de moins en moins gratuite. Les couples biactifs, mais surtout les familles monoparentales ont du mal à faire face à des dépenses en constante croissance (fournitures scolaires, voyages de classe, cours particuliers) pour la scolarité obligatoire. Les études supérieures sont également plus coûteuses qu’avant pour les familles (frais de scolarité, logement dans la ville d’étude…) Parents et grands-parents organisent ou songent à organiser une épargne dédiée aux études supérieures des enfants ou des petits enfants. Les jeunes fraîchement sortis du système scolaire critiquent la formation qu’ils ont reçue dans l’Éducation nationale. L’absence d’une orientation précoce est tenue pour responsable de l’échec de leur scolarité obligatoire ou du moins des insuffisances de formation qu’ils ressentent. Les petits boulots pendant les vacances font mieux découvrir aux étudiants leur vocation que les cours à l’Université. Certains parents ne sont pas convaincus qu’il soit nécessaire de pousser les enfants à faire des études longues pour qu’un adolescent ait un métier en rapport avec ses goûts et ses aptitudes. C’est là une critique de l’éducation de masse qui ne vient pas de l’élite, mais d’une classe moyenne qui n’a pas confiance dans l’ascenseur social mais vise simplement à orienter ses enfants vers un métier épanouissant de type artisanal. Les compagnons du tour de France sont cités pour la qualité de l’apprentissage qu’ils donnent.
« Certains jeunes voudraient même ne plus cotiser dès maintenant et utiliser ce montant pour accroître leur épargne. »
Analyse croisée n° 2
Les devoirs des parents à l’égard de leurs enfants dans la classe moyenne Ces valeurs concernent les études des enfants, la propriété du logement et la situation de dépendance en fin de vie. Pour les participants du groupe « famille », trois principes dirigent leurs comportements à l’égard des enfants. Les parents doivent d’abord permettre à leurs enfants de réaliser des études leur offrant l’opportunité d’atteindre le niveau professionnel de leurs parents. Ces valeurs trouvent un écho particulier parmi le groupe des jeunes. Les étudiants l’illustrent bien quand ils rendent hommage aux parents qui les appuient dans leurs études. Les parents doivent ensuite laisser un patrimoine à leurs enfants dont la valeur correspond au moins à celle du logement des parents. Selon ce principe, donner en
viager son domicile principal est honteux. Plusieurs témoignages. Les parents ont acheté un logement à leur fille professeur des écoles, alors qu’eux-mêmes sont toujours locataires. Un homme divorcé avec deux enfants en bas âge, dont le logement a été acheté par les parents, va être enfin en situation de commencer à les rembourser (homme, CDI, Paris). Enfin, les parents en fin de vie ne doivent pas devenir une charge pour leurs enfants, faute d’avoir pris les mesures financières suffisantes. Plusieurs seniors qui ont eu à intervenir pour prendre en charge leurs propres parents en état de dépendance en témoignent. Ils sont résolus à prendre dès maintenant leurs dispositions, notamment financières, pour ne pas se trouver à l’avenir dans la situation qu’ont connue leurs propres parents.
Analyse croisée n° 3 La résilience passe par le statut d’indépendant La confiance en soi est essentielle pour survivre avec un statut d’indépendant. Elle s’acquiert par l’expérience. Les « petits indépendants » relatent leurs succès en la matière. Les statuts précaires (« Salariés aux revenus irréguliers ») apportent leur témoignage mais leur expérience s’est terminée par un échec. Leurs dettes à l’égard de l’Urssaf ont mis fin à leur espoir. Le récent statut d’autoentrepreneur, quant à lui, est considéré comme une falsification du vrai statut de l’indépendant. Chez les « jeunes », le projet de devenir son propre patron rencontre un franc succès. Les fonctionnaires, malgré la sureté de leur emploi, sont aussi tentés par l’idée de travail
indépendant, mais dans un horizon lointain. Le prof de gym en lycée et coach à ses heures a en tête un projet audiovisuel avec lequel il espère quitter la fonction publique. La femme divorcée avec deux grands enfants, fonctionnaire B de la fonction publique dans un des grands corps de l’État, voudrait ouvrir un restaurant. L’homme (Paris), qui va prendre sa retraite en créant un centre équestre, prévoit d’offrir à ses deux filles l’opportunité de devenir indépendantes en enseignant l’équitation. Situation identique pour un autre retraité soucieux de faire travailler son fils au chômage dans la rénovation de la propriété de famille. Ce dernier pourra ensuite se positionner sur le marché de l’emploi comme artisan du bâtiment.
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L’analyse du sociologue
Analyse croisée n° 4
Les transitions dans la vie et l’entraide familiale Sur qui et sur quoi compter pour donner corps à des souhaits et réaliser des projets à des moments clés de transition personnelle (prise de poste ou perte d’emploi, reprise d’étude, départ des enfants du foyer, etc.) ? En général, les Français interrogés reprochent à l’État de n’avoir pas défendu leur niveau de vie. Les entreprises ne suscitent pas de vocations parmi les jeunes. Les ménages sont sceptiques sur les remboursements des assurances et la prise en charge des mutuelles de santé. Les banques ne financent pas les projets, et même si les associations ont bonne réputation, leur pouvoir économique est limité. La famille intervient donc de la façon la plus sûre et souvent la plus efficace pour soutenir matériellement mais aussi pour son appui moral. Une jeune enseignante à Paris déclare à propos de ses parents : « Je sais qu’ils sont là et c’est rassurant, même si je n’ai pas besoin d’eux ». Pour les moins de 30 ans, les aides qui leur parviennent, pas seulement de leurs parents mais aussi de leur fratrie, sont de toute nature, y compris financières. Au-dessus de 30 ans, ce flux est moins important mais sa direction va toujours des parents aux enfants*. Les souhaits et les projets du groupe « famille » le confirment. Après avoir financé les études de leurs enfants, les parents se perçoivent comme un recours toujours possible en cas de difficultés dans l’emploi ou de dissolution des couples. Aux âges actifs, les échanges favorisent toujours le budget des enfants qui, bien qu’adultes, ne sont pas totalement autonomes financièrement. La jeune femme divorcée ne cache pas qu’elle compte sur sa mère pour garder ses petits enfants pendant les vacances. Les échanges qui mobilisent la fratrie sont jugés plus égalitaires : un frère, après son divorce, compte sur sa sœur pour s’occuper des enfants dont il a la charge. Les
vêtements pour enfants circulent entre les cousins et les cousines. Certains trentenaires dont l’emploi est précaire ou qui sont seuls pour élever leurs enfants se sortent d’affaire grâce au fait que leurs parents leur ont permis antérieurement d’accéder à la propriété. En retour, les enfants expriment leur gratitude à l’égard des parents. Une professeure des écoles a le projet d’acheter à son tour un appartement à ses parents. Une jeune femme voudrait pouvoir aider financièrement ses parents et sa famille en Haïti. Mais la direction du flux des aides restent des plus âgés vers les plus jeunes. En plus de l’aide à leurs enfants, les « familles » se préoccupent de leurs propres parents, à cause de l’insuffisance des retraites de ces derniers qui rendent leur situation économique difficile ou même menaçante, s’ils venaient à perdre leur autonomie. Les ménages les plus autarciques semblent bien être les couples en CDI, le plus souvent biactifs, avec au foyer de jeunes enfants et/ou des adolescents. Ils prennent soins de leurs enfants et, en particulier, constituent ou envisagent de constituer une épargne dédiée à l’éducation pour leur donner toutes leurs chances dans leur scolarité. Ils sont aussi les utilisateurs privilégiés du crédit à la consommation. Les livrets d’épargne ouverts au nom des enfants sont une institution ancienne encore bien en vie. Ils ont certainement contribué et contribuent encore au taux d’épargne exceptionnellement élevé des ménages français. Pourquoi ne pas faire évoluer cette institution pour familiariser dès l’enfance, et surtout à l’adolescence, aux dangers mais aussi à l’utilité du crédit ? Le nouveau livret d’épargne enregistrerait les dépôts et les retraits, mais donnerait aussi l’accès éventuel à une sorte de « minicrédit » suggère l’un des participants.
* N. Herpin et J.-H. Déchaux, « Entraide familiale, indépendance économique et sociabilité », Economie et statistique n° 373, Insee, 2004.
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« Après avoir financé les études de leurs enfants, les parents se perçoivent comme un recours toujours possible en cas de difficultés dans l’emploi ou de dissolution des couples. »
Conclusion
La Shrinking Middle Class à la française Au cours de la première décennie du XXe siècle, le niveau de vie de la classe moyenne n’a pas augmenté dans la plupart des pays de l’Europe occidentale et aux États-Unis. Cette stabilité globale cache deux mouvements en sens inverse dans les classes moyennes, l’un vers le haut, l’autre vers les bas. Un article du Wall Street Journal (13 septembre 2011) en donne une illustration pour la consommation. Une partie de la classe moyenne fait défection pour les produits de qualité qui ont été conçus à leur intention par Procter et Gamble ou H. J. Heinz. En sens inverse, au même moment, la demande pour les produits bas de gamme, mais aussi pour les produits de luxe augmente (Les ventes chez le bijoutier Tiffany et dans la chaîne de luxe NeimanMarcus sont en pleine croissance). La classe moyenne ne subit pas globalement un déclassement mais se scinde en deux, l’une ayant tendance à consommer comme les ménages aisés, l’autre se rapprochant tendanciellement des ménages modestes. Cette déstabilisation de la classe moyenne qui se produit dans des périodes de crise économique n’est ni un processus nouveau, ni propre à l’Amérique. Alain Lipietz (La société en sablier, La Découverte) l’évoque en 1996 pour analyser la situation française, tout comme Jean-Marc Vittori (L’effet sablier, Grasset) en 2009. L’enquête qualitative a été conçue dans l’hypothèse où cette stabilité apparente cacherait des mouvements de sens inverse, et ferait apparaître des populations qui bien qu’ayant tous les attributs, y compris financiers, des classes moyennes, n’ont pour autant pas accès au crédit en raison de leur mode de vie. Son apport spécifique vise à identifier les composantes de cet éclatement. Les
résultats montrent que les familles avec enfants avec deux conjoints actifs, et les ménages en fin de carrière professionnelle qui peuvent compter souvent sur deux retraites, sont conformes à la classe moyenne traditionnelle, tant par les projets et les souhaits que par les obstacles qu’ils rencontrent dans leur réalisation. En revanche, trois autres modes de vie sont sur une pente plus dangereuse. Il s’agit bien évidemment des salariés précaires (« salariés aux revenus irréguliers ») mais aussi des petits indépendants, et des célibataires ou familles monoparentales. Quant aux jeunes étudiants, en emploi ou à la recherche d’emploi, leur groupe est, certes, hétérogène par le parcours scolaire récent mais tous sont convaincus que leur avenir est devenu très incertain. Les modes actuels de financement ne semblent pas répondre à cette situation éclatée de la classe moyenne que décrit cette étude. Ce sont les participants aux focus groups qui font eux-mêmes la critique de l’offre de crédit. Bien évidemment, les plus vulnérables se plaignent des difficultés d’accès, voire des obstacles qui sont mis à l’obtention d’emprunts pour des biens de première utilité, sans lesquels ils se perçoivent stigmatisés. Les mieux nantis (couple où les deux conjoints ont un CDI) ne sont pas moins critiques. Ils observent avec réalisme le désengagement de l’Étatprovidence et, pour les jeunes ménages, anticipent d’avoir à prendre davantage à leur charge le coût des études pour leurs enfants, et les dépenses de santé pour leurs propres parents, d’abord, et, ensuite, pour eux-mêmes. Tous se sentent concernés par l’avenir menacé de leurs pensions de retraite, à commencer par les jeunes.
« La classe moyenne ne subit pas globalement un déclassement mais se scinde en deux, l’une ayant tendance à consommer comme les ménages aisés, l’autre se rapprochant tendanciellement des ménages modestes. »
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