UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIE
ANNEE 2012
THESE
N°2012PA06F136
DOCTORAT EN MEDECINE Spécialité : PSYCHIATRIE par Mlle Nadège BOURVIS Née le 08 mars 1982 à Lyon ______________
PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT LE 21 décembre 2012
Phénoménologie expérientielle des crises d'Algie Vasculaire de la Face Essai de cartographie d'un territoire subjectif et indicible : la douleur
Directeur de thèse : Dr Jean VION-DURY Président de Jury : Pr Alain-Jacques VALLERON Assesseurs : Pr Marie-Germaine BOUSSER Dr Frédéric MAURIAC Dr Natalie DEPRAZ
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MERCI
Au Pr Alain-Jacques Valleron, pour m'avoir activement soutenue dans mon souhait de devenir médecin, pour avoir encadré mes débuts de vie de chercheuse, pour avoir donné sens à l'exigence, et fait le don inestimable de me laisser quand même avoir des idées bizarres ; Au Pr Marie-Germaine Bousser, pour avoir nourri mon goût pour la clinique, et démontré avec la force de l'évidence que rigueur, curiosité et générosité sont tout à fait compatibles entre elles ; Au Dr Frédéric Mauriac, pour m'avoir fait vivre l'éthique aérienne – mais profonde - de la responsabilité collective, et aussi la jubilation de sentir que celui-là même qui vous demande de l'aide est plus compétent que vous pour cela ; A Mme Natalie Depraz, pour sa capacité - rare - à partager la phénoménologie avec enthousiasme, conviction et clarté ; Au Dr Jean Vion-Dury, pour m'avoir conviquer aveaincue que je n'étais pas la seule à avoir des idées bizarres, et m'avoir accueillie avec bienveillance, énergie et optimisme dans son équipe ;
Au Dr Anne Ducros pour sa compétence clinique et scientifique, son expérience des céphalées et son humour ravageur, aux docteurs Dominique Valade, Caroline Roos, Cécilia Burcin, et toute l'équipe du CUC pour le plaisir à y travailler ; A Pierre Vermersch, pour son enseignement de l'explicitation, en particulier : la patience, la pudeur, le profond respect de ce que l'autre peut et souhaite donner à chaque instant ; Aux Docteurs Philippe Nuss, Laure Zeltner et Michel Cermolacce, trois rencontres très lumineuses sur mon chemin d'apprentie clinicienne ; A ceux qui ont accepté de participer à ce travail, ou qui l'ont inspiré, et de façon plus générale à tous les patients et impatients qui nous forment et nous déforment ;
A Marie, Alex, Sophie, Eva et Eva-Fleur, Quentin, Samson, Laure et Sara, Pauline et Dino, à Annie A mes parents, aussi, bien sûr
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Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, Site Saint-Antoine Liste des PU-PH AMARENCO Gérard Rééducation fonctionnelle et neurologique, Hôpital ROTHSCHILD AMSELEM Serge Génétique, Hôpital TROUSSEAU ANDRE Thierry Cancérologie, Hôpital La Salpétrière ANTOINE Jean Marie Gynécologie Obstétrique , Hôpital TENON ARACTINGI Sélim Unité de Dermatologie, Hôpital TENON ARLET Guillaume Bactériologie, Hôpital TENON ARRIVE Lionel Radiologie, Hôpital SAINT ANTOINE AUCOUTURIER Pierre INSERM U 712, Hôpital SAINT ANTOINE AUDRY Georges Chirurgie viscérale infantile, Hôpital TROUSSEAU BALLADUR Pierre Chirurgie digestive, Hôpital SAINT ANTOINE BARDET Jean Cardiologie, Hôpital SAINT ANTOINE BAUD Laurent Explorations fonctionnelles, Hôpital TENON BAUDON Jean Jacques Néonatologie, Hôpital TROUSSEAU BEAUGERIE Laurent Gastro-Entérologie, Hôpital SAINT ANTOINE BEAUSSIER Marc Anesthésie – Réanimation, Hôpital SAINT ANTOINE BENIFLA Jean Louis Gynécologie Obstétrique, Hôpital ROTHSCHILD BENSMAN Albert Néphrologie, Dialyse et transplantations pédiatriques, Hôpital TROUSSEAU BERENBAUM Francis Rhumatologie, Hôpital SAINT ANTOINE BEREZIAT Gilbert UMR 7079 Physiologie et physiopathologie, Jussieu BERNAUDIN Jean François Histologie biologie tumorale, Hôpital TENON
BILLETTE DE VILLEMEUR Thierry Neuropédiatrie, Hôpital TROUSSEAU BOCCON GIBOD Liliane Anatomie pathologique, Hôpital TROUSSEAU BONNET Francis Anesthésie réanimation, Hôpital TENON BORDERIE Vincent Ophtalmologie, CNHO des 15/20 BOUCHARD Philippe Endocrinologie, Hôpital SAINT ANTOINE BOUDGHENE STAMBOULI Franck Radiologie, Hôpital TENON BREART Gérard Gynécologie obstétrique, Hôpital TENON CABANE Jean Médecine interne, Hôpital SAINT ANTOINE CADRANEL Jacques Pneumologie, Hôpital TENON CALLARD Patrice Anatomie pathologique, Hôpital TENON CAPEAU Jacqueline Inserm U.680, Faculté de Médecine P. & M. Curie CARBAJAL SANCHEZ Ricardo Urgences pédiatriques, Hôpital TROUSSEAU CARBONNE Bruno Gynécologie obstétrique, Hôpital SAINT ANTOINE CARETTE Marie France Radiologie, Hôpital TENON CASADEVALL Nicole Hématologie biologique, Hôpital SAINT ANTOINE CHAZOUILLERES Olivier Hépatologie, Hôpital SAINT ANTOINE CHOSIDOW Olivier Dermatologie – Allergologie, Hôpital TENON CHOUAID Christos Pneumologie, Hôpital SAINT ANTOINE CHRISTIN MAITRE Sophie Endocrinologie, Hôpital SAINT ANTOINE CLEMENT Annick Pneumologie, Hôpital TROUSSEAU CLERGUE François Anesthésiologie, Ministère des Affaires Etrangères, Genève
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COHEN Aron Cardiologie, Hôpital SAINT ANTOINE CONSTANT Isabelle Anesthésiologie réanimation, Hôpital TROUSSEAU
GATTEGNO Bernard Urologie, Hôpital SAINT ANTOINE GENDRE Jean Pierre Gastro Entérologie, Hôpital SAINT ANTOINE
COSNES Jacques Gastro Entérologie, Hôpital SAINT ANTOINE
GIRARD Pierre Marie Maladies infectieuses et tropicales, Hôpital SAINT ANTOINE
COULOMB Aurore Anatomie et cytologie pathologiques, Hôpital TROUSSEAU
GIRARDET Jean Philippe Gastro entérologie et nutrition pédiatriques, Hôpital TROUSSEAU
DAMSIN Jean Paul Orthopédie, Hôpital TROUSSEAU
GIROT Robert Hématologie biologique, Hôpital TENON
DARAI Emile Gynécologie obstétrique, Hôpital TENON
GOLD Francis Néonatologie, Hôpital TROUSSEAU
DE GRAMONT Aimery Oncologie médicale, Hôpital SAINT ANTOINE
GORIN Norbert Hématologie clinique, Hôpital SAINT ANTOINE
DENOYELLE Françoise ORL et chirurgie cervico faciale, Hôpital TROUSSEAU
GRATEAU Gilles Médecine interne, Hôpital TENON
DEVAUX Jean Yves Médecine nucléaire, Hôpital SAINT ANTOINE
GRIMFELD Alain Pédiatrie orientation pneumologie et allergologie, Hôpital TROUSSEAU
DOUAY Luc Hématologie biologique, Hôpital TROUSSEAU DOURSOUNIAN Levon Chirurgie orthopédique, Hôpital SAINT ANTOINE DUCOU LE POINTE Hubert Radiologie, Hôpital TROUSSEAU DURON Françoise Endocrinologie, Hôpital SAINT ANTOINE DUSSAULE Jean Claude Physiologie, Hôpital SAINT ANTOINE FAUROUX Brigitte Gastro entérologie et nutrition pédiatriques, Hôpital TROUSSEAU FERON Jean Marc Chirurgie orthopédique et traumatologique, Hôpital SAINT ANTOINE
GRIMPREL Emmanuel Pédiatrie générale, Hôpital TROUSSEAU GRUNENWALD Dominique Chirurgie thoracique, Hôpital TENON GUIDET Bertrand Réanimation médicale, Hôpital SAINT ANTOINE HAAB François Urologie, Hôpital TENON HELARDOT Pierre Georges Chirurgie viscérale infantile, Hôpital TROUSSEAU HOURY Sidney Chirurgie digestive et viscérale, Hôpital TENON HOUSSET Chantal Inserm U. 680, Faculté de Médecine P. & M. Curie
FLEJOU Jean François Anatomie pathologique, Hôpital SAINT ANTOINE
JAILLON Patrice Pharmacologie, Faculté de Médecine P. & M. Curie
FLORENT Christian Hépatologie, Hôpital SAINT ANTOINE
JOUANNIC Jean Marie Gynécologie obstétrique, Hôpital TROUSSEAU
FRANCES Camille Dermatologie – Allergologie, Hôpital TENON
JUST Jocelyne Pneumologie et allergologie pédiatriques, Hôpital TROUSSEAU
FUNCK BRENTANO Christian Pharmacologie clinique, Hôpital SAINT ANTOINE GARABEDIAN Eréa Noël ORL et chirurgie cervico faciale, Hôpital TROUSSEAU GARBARG CHENON Antoine Bactériologie virologie, Hôpital TROUSSEAU
LACAINE François Chirurgie digestive et viscérale, Hôpital TENON LACAU SAINT GUILY Jean ORL, Hôpital TENON LACAVE Roger Histologie biologie tumorale, Hôpital TENON
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LANDMAN PARKER Judith Hématologie et oncologie pédiatriques, Hôpital TROUSSEAU
MURAT Isabelle Anesthésie réanimation, Hôpital TROUSSEAU
LAROCHE Laurent Ophtalmologie, CHNO des 15/20
NICOLAS Jean Claude Virologie, Hôpital TENON
LE BOUC Yves Explorations fonctionnelles, Hôpital TROUSSEAU
OFFENSTADT Georges Réanimation médicale, Hôpital SAINT ANTOINE
LEBEAU Bernard Pneumologie, Hôpital SAINT ANTOINE
PAQUES Michel Ophtalmologie, CHNO des 15/20
LEGRAND Ollivier Hématologie oncologie médicale, Hôpital HOTEL DIEU
PARC Yann Chirurgie digestive, Hôpital SAINT ANTOINE
LEVERGER Guy Hématologie et oncologie pédiatriques, Hôpital TROUSSEAU
PATERON Dominique Urgences, Hôpital SAINT ANTOINE
LEVY Richard Neurologie, Hôpital SAINT ANTOINE
PAYE François Chirurgie digestive, Hôpital SAINT ANTOINE
LIENHART André Anesthésie – Réanimation, Hôpital SAINT ANTOINE LOTZ Jean Pierre Cancérologie, Hôpital TENON
PERETTI Charles Siegfried Psychiatrie d’adultes, Hôpital SAINT ANTOINE
LOUVET Christophe Oncologie médicale, Hôpital SAINT ANTOINE MARIE Jean Pierre Hématologie, Hôpital HOTEL DIEU MARSAULT Claude Radiologie, Hôpital TENON MASLIAH Joëlle Inserm U.538, Faculté de Médecine P. & M. Curie MAURY Eric Réanimation médicale, Hôpital SAINT ANTOINE MAYAUD Marie Yves Pneumologie, Hôpital TENON MENU Yves Radiologie, Hôpital SAINT ANTOINE MEYER Bernard ORL et chirurgie cervico faciale, Hôpital TENON MEYOHAS Marie Caroline Maladies infectieuses et tropicales, Hôpital SAINT ANTOINE MICHEL Pierre Louis Cardiologie, Hôpital TENON MILLIEZ Jacques Gynécologie obstétrique, Hôpital SAINT ANTOINE MIMOUN Maurice Chirurgie plastique, Hôpital ROTHSCHILD MITANCHEZ Delphine Néonatologie, Hôpital TROUSSEAU MONTRAVERS Françoise Biophysique et médecine nucléaire, Hôpital TENON
PERIE Sophie ORL, Hôpital TENON PETIT Jean Claude Bactériologie virologie, Hôpital SAINT ANTOINE PIALOUX Gilles Maladies infectieuses et tropicales, Hôpital TENON POUPON Raoul Hépatologie, Hôpital SAINT ANTOINE RENOLLEAU Sylvain Réanimation néonatale, Hôpital TROUSSEAU RODRIGUEZ Diana Neuro pédiatrie, Hôpital TROUSSEAU RONCO Pierre Marie Néphrologie et dialyses, Hôpital TENON RONDEAU Eric Urgences néphrologiques – Transplantation rénale, Hôpital TENON ROSMORDUC Olivier Hépatologie, Hôpital SAINT ANTOINE ROUGER Philippe I.N.T.S., 6, rue Alexandre Cabanel 75739 Paris cedex 15 ROUZIER Roman Gynécologie obstétrique, Hôpital TENON ROZENBAUM Willy Maladies infectieuses et tropicales, Hôpital SAINT LOUIS SAHEL José Alain Ophtalmologie, CHNO des 15/20 SAUTET Alain Chirurgie orthopédique, Hôpital SAINT ANTOINE
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SEZEUR Alain Chirurgie générale, Hôpital des DIACONESSES SIFFROI Jean Pierre Génétique et embryologie médicales, Hôpital TROUSSEAU SOUBRIER Florent Département de génétique, Groupe Hospitalier PITIE SALPETRIERE TALBOT Jean Noël Biophysique médecine nucléaire, Hôpital TENON THIBAULT Philippe Urologie, Hôpital TENON THOMAS Guy Psychiatrie d’adultes, Hôpital SAINT ANTOINE THOUMIE Philippe Rééducation neuro orthopédique, Hôpital ROTHSCHILD TIRET Emmanuel Chirurgie digestive, Hôpital SAINT ANTOINE TOUBOUL Emmanuel Radiothérapie, Hôpital TENON TOUNIAN Patrick Gastro entérologie et nutrition pédiatriques, Hôpital TROUSSEAU TRAXER Olivier Urologie, Hôpital TENON TRUGNAN Germain Inserm U538, Faculté de Médecine P. & M. Curie TUBIANA Jean Michel Radiologie, Hôpital SAINT ANTOINE UZAN Serge Gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction, Hôpital TENON VALLERON Alain Jacques Unité de santé publique, Hôpital SAINT ANTOINE VAYSSAIRAT Michel Cardiologie, Hôpital TENON VAZQUEZ Marie Paule Chirurgie maxillo faciale et stomatologie, Hôpital TROUSSEAU WENDUM Dominique Anatomie pathologique, Hôpital SAINT ANTOINE WISLEZ Marie Pneumologie, Hôpital TENON
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“Suddenly a huge phantom bird sank three talons of its angry claws deeply into my head and face and tried to lift me. No warnings, no preliminary signs. Just wham ! A massive, killing pain came over my right eye. I clutched my head, stumbled out to the broad lawns and over the hedges to the deserted tennis courts and then, there in the dark, I moaned, I panted. Ballooned my cheeks, blew out short bursts of air, licked my hot lips, wiped tears that poured out of my right eye, and clawed at my head trying to uproot the fiendish talons from their iron grip. One racking hour later the talons let go. The paroxysm eased as suddenly as it had convulsed. Euphoria set in. It's gone ! Whopping headache, but it's gone !...” Frank Capra «The Name Above the Title» " Tout d'un coup, un énorme oiseau fantomatique planta avec fureur trois griffes de ses serres, profondément, dans ma tête et mon visage, et entreprit de me soulever. Avant, rien, aucun avertissement, aucun signe avant-coureur. Juste comme ça, vlan ! Une douleur intense, fulgurante sur mon oeil droit. Je me pris la tête entre les mains, sortis dehors en titubant, vers les grandes pelouses, puis derrière les haies jusqu'aux courts de tennis déserts et puis, là, dans l'obscurité, pantelant, je gémis. Je gonflais les joues, laissant échapper de petites bouffées d'air, je léchais mes lèvres brûlantes, j'essuyais des larmes qui dégoulinaient de mon œil droit et j'agrippais ma tête pour essayer de la dégager de l'emprise d'acier des griffes infernales. Après une heure de torture les griffes lâchèrent prise. Le paroxysme de la douleur cessa aussi vite qu'il s'était installé. Un sentiment d'euphorie m'envahit. C'est fini ! Une douleur à hurler, mais c'est fini »
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TABLE DES MATIERES I. INTRODUCTION : QU’EST-‐CE QUE L’AVF ?
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A. I.
13 13 15 16 16 17 20 20 23 23 25 25 25 26 27 28 31 31 33 33 36
II. III. IV. V. B. I. II. III. C. I. II. III. IV. V. D. I. II. III. E.
EPIDEMIOLOGIE DESCRIPTION CLINIQUE COMORBIDITES SOMATIQUES PRISE EN CHARGE MEDICALE IMPACT FONCTIONNEL ET SOCIAL DONNEES PHARMACOLOGIQUES TROUBLES DU COMPORTEMENT AU COURS DES CRISES D’AVF PREMIERES DESCRIPTIONS RECONNAISSANCE NOSOGRAPHIQUE INTERPRETATION L’AVF, UNE MALADIE DU SYSTEME NERVEUX CENTRAL SUSPECT N°1 : L’HYPOTHALAMUS. APPROCHES BIOCHIMIQUES IMAGERIE FONCTIONNELLE IMAGERIE STRUCTURELLE STIMULATION CEREBRALE PROFONDE QUELQUES DONNEES SUR HYPOTHALAMUS ET COMPORTEMENT LA PSYCHIATRIE CONNAIT-‐ELLE L'AVF ? COMORBIDITES PSYCHIATRIQUES CHEZ LES PATIENTS COMORBIDITES ADDICTOLOGIQUES L'AVF, UNE VARIANTE D'UN TROUBLE PSYCHIATRIQUE ? RESUME ET OBJECTIFS
II. METHODES : DEUX MODES D'EXPLORATION
38
A. I. II. III. IV. B. I. II.
38 38 39 39 39 40 40 42
III. A. I. II. III. B.
OBJECTIVATION DES SYMPTOMES PAR UN QUESTIONNAIRE SPECIFIQUE RECRUTEMENT INCLUSION ETHIQUE QUESTIONNAIRE ENTRETIENS SUBJECTIFS QUALITATIFS DE TYPE PHENOMENOLOGIQUE ACQUISITION DES TEMOIGNAGES : L'ENTRETIEN D'EXPLICITATION (EDE) INTERPRETATION : ANALYSE INTERPRETATIVE PHENOMENOLOGIQUE (AIP) RESULTATS QUESTIONNAIRE DESCRIPTION DE L'ECHANTILLON CLINIQUE DE L'AVF MANIFESTATIONS PSYCHOCOMPORTEMENTALES AU COURS DES CRISES ENTRETIENS D'EXPLICITATION
46 46 46 47 47 50
IV. DISCUSSION ET PERSPECTIVES
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A. I.
78
QU'EST-‐CE QUE FAIRE L'EXPERIENCE D'UNE CRISE D'AVF ? ANALYSE DE L'AUTOQUESTIONNAIRE : PREGNANCE DES MANIFESTATIONS COMPORTEMENTALES ET PSYCHIQUES AU COURS DES CRISES II. UNE PROPOSITION NEUROPHENOMENOLOGIQUE III. APPORTS SPECIFIQUES DES ENTRETIENS D'EXPLICITATION B. MAIS... C'EST QUOI CE TRAVAIL ?! REFLEXIONS EPISTEMOLOGIQUES I. GENEALOGIE D'UNE RECHERCHE II. POUR UNE SEMIOLOGIE DE LA COMPLEXITE ? III. POUR DES NEUROSCIENCES A LA PREMIERE PERSONNE ?
78 81 87 101 101 102 106
IV.
POUR UNE PRESENCE DANS LE SOIN
108
CONCLUSION -‐ QUE FAIRE DE CETTE THESE ?
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V. ANNEXES
113
A. B. I. II. C. D. I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX.
114 116 116 118 120 126 126 131 138 142 148 154 170 175 181
MODELE DE L'HETEROQUESTIONNAIRE INTRODUCTION A LA PHILOSOPHIE PHENOMENOLOGIQUE IDEE GENERALE ET CONCEPTS PRINCIPAUX QUELQUES ENJEUX NOTION DE VECU PRE-‐REFLEXIF ET ENTRETIEN D'EXPLICITATION RETRANSCRIPTION DES ENTRETIENS D'EXPLICITATION CU MB. NG. GC KH. SC. KTE NE OE
BIBLIOGRAPHIE
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PREAMBULE Au cours de l’hiver 2009, j’effectuais mon 3ème semestre d’internat dans le service du CUC (Centre Urgences Céphalées) dirigé par le Dr Valade, à l’hôpital Lariboisière à Paris. J’étais encore neurologue sur mon badge de l’Assistance Publique, mais je passais déjà pas mal de temps à écouter les patients me raconter leur(s) histoire(s). Un jour, un patient souffrant d’algie vasculaire de la face m’explique que les médecins ont beaucoup tardé à faire le diagnostic. Alors qu’il souffrait de douleurs atroces, répétées, survenant à heures fixes, sans facteur déclenchant, rien ni personne ne parvenait à lui apporter l’ombre d’une explication. Gentiment ou pas, avec condescendance ou exaspération, on lui suggérait que c’était peut-être « dans la tête, toute cette douleur». Il avait lui-même remarqué qu’il était particulièrement nerveux, « méchant » même pendant ces accès douloureux, ce qui contrastait nettement avec sa nature plutôt douce et réservée. Pendant une dizaine d’années, il avait consulté un psychanalyste dans l’espoir d'élucider le sens de ce « Mr Hyde en lui », qui s’exprimait parfois, par cet inhabituel symptôme. La cure analytique n’avait pas eu d’effet très notable (sur ce symptôme-là du moins), mais un jour, il avait croisé un ami d’ami qui connaissait la maladie et l'avait orienté vers le CUC, où il était désormais suivi.
Je lui ai renouvelé son ordonnance de sumatriptan injectable et de verapamil.
Et j’ai commencé à me demander ce qui pouvait bien se passer dans sa tête dans ces moments là. Pour que cette expérience soit vécue et revécue de façon si douloureuse, si déchirante. Si familière, si étrangère.
I. INTRODUCTION : Qu’est-ce que l’AVF ? A.
Epidémiologie
L’Algie Vasculaire de la Face (AVF) est une maladie rare, dont la prévalence est estimée à 1 à 3 pour mille en population générale, et dont le sex-ratio estimé est de 1 femme pour 4 à 7 hommes (Schürks et al. 2006; Fischera et al. 2008; Torelli et al. 2006). Les symptômes de la maladie débutent le plus souvent au cours de la 2ème décade et cessent ou diminuent vers l’âge de 60 ans (Schürks et al. 2006). i. Description clinique Cliniquement l’AVF s’exprime par des accès douloureux paroxystiques appelés crises, dont les caractéristiques sont les suivantes : ñ Une durée de 15 minutes à 3 heures, avec une fréquence pouvant aller de zéro à huit crises par jour. ñ La topographie de la région douloureuse : o chez la grande majorité des patients, les crises sont unilatérales, et affectent toujours la même hémiface, o le plus souvent le territoire sensitif de la branche orbitaire du nerf trijumeau est touché, avec une douleur rétro-orbitaire intense, mais toute la face et la région cervicale peuvent également être atteintes. ñ L’intensité de la douleur est exceptionnellement sévère, souvent décrite comme la pire des douleurs ressentie par les patients au cours de leur vie (supérieure à celle d’un accouchement sans péridurale ou d’une fracture de membre). ñ Les crises douloureuses sont typiquement accompagnées par des signes végétatifs ipsilatéraux témoignant d’une hyperactivité du système parasympathique, et pouvant associer des signes tels que : œdème palpébral, ptôsis, larmoiement, injection conjonctivale, rhinorrhée ou sensation d'obstruction nasale, hypersudation de l’hémiface.
Il existe deux formes cliniques de la maladie : 1. Dans la forme périodique, la plus fréquente, les patients présentent des crises quotidiennes sur plusieurs semaines consécutives appelées périodes (4 à 12 semaines en moyenne), séparées par des intervalles de plusieurs semaines sans crise. 2. On parle d’AVF chronique si pendant au moins un an il n’existe aucune période de rémission ou si les périodes de rémission durent moins de un mois. Un élément clinique original consiste en une périodicité circadienne des crises (i.e. survenue des crises aux mêmes horaires dans la journée, ou dans la nuit). Ainsi, une étude récente sur plus de 1000 patients aux USA, retrouve la récurrence des crises à heures fixes dans 82 % des cas (Rozen & Fishman 2011). Dans la forme périodique, on retrouve en outre fréquemment une périodicité circannuelle (i.e. survenue des périodes à la même saison dans l’année) Les critères cliniques consensuels de la maladie, définis par l’International Headache Society (IHS) en 2004 (Anon 2004) sont résumés dans le tableau suivant. A) Au moins 5 crises répondant aux critères B à D B) Douleur sévère ou très sévère, unilatérale, orbitaire, supra-orbitaire et/ou temporale, durant de 15 minutes à 3 heures en l'absence de traitement C) La crise est associée à au moins un des caractères suivants : - injection conjonctivale et/ou larmoiement ipsilatéral - congestion nasale et/ou rhinorrhée ipsilatérale - œdème de la paupière ipsilatérale - sudation du front et de la face ipsilatérale - myosis et/ou ptôsis ipsilatéral - agitation, impossibilité de tenir en place D) De 1 crise tous les deux jours à 8 crises par jour E) Crises non attribuées à une autre affection
Il faut enfin retenir que, en dehors des paroxysmes, l’examen clinique, la biologie et la morphologie cérébrale sont le plus souvent normaux. L’AVF est donc considérée comme une maladie alésionnelle (i.e. sans substrat organique décelable avec les moyens techniques actuels) et appartient donc à la catégorie des céphalées dites primaires.
ii. Comorbidités somatiques Les synthèses les plus récentes ne permettent de retrouver aucune association significative avec des pathologies somatiques. On notera néanmoins la forte prévalence du SAOS (Syndrome des Apnées Obstructives du Sommeil), diagnostiqué chez 14 % des patients AVF dans la cohorte américaine (Rozen & Fishman 2011). De façon surprenante, l'athérosclérose en général, les coronaropathies, et les accidents vasculaires cérébraux, ainsi que le cancer bronchopulmonaire sont plus rares que ce que l'on aurait pu attendre dans cette population de grands fumeurs. En effet, on retrouve chez les patients atteints d’AVF une forte comorbidité avec le tabagisme, qui concerne 85% des patients, avec des consommations quotidiennes souvent importantes. L’arrêt de l’intoxication tabagique semble sans effet sur les symptômes. Dans l'anamnèse, on retrouve assez fréquemment des ATCD de traumatisme crânien (Rozen & Fishman 2011) : 16-18% dans chez les sujets atteints d'AVF d'après les diverses études (Rozen & Fishman 2011; Turkewitz et al. 1992). Pour comparaison on évalue leur prévalence en population générale de 0.1 % (Amérique du Nord) à 0.3% (Europe) (Campus de Neurochirurgie s. d.), nous n'avons pas retrouvé de référence précise chez les populations de migraineux) .
iii. Prise en charge médicale En dépit de la spécificité des symptômes de l'AVF, le retard au diagnostic est très fréquent, y compris dans les formes typiques de la maladie. Ainsi, dans une étude hollandaise réalisée sur 1429 patients répondant aux critères d’AVF selon l’IHS, la médiane du délai entre le début des symptômes au diagnostic était de trois ans (les délais observés dans cette étude variant de 1 semaine à 48 ans) (van Vliet et al. 2003). Une étude américaine très récente confirme cet ordre de grandeur, avec une moyenne retrouvée de cinq ans (Rozen & Fishman 2011), précisant que le premier diagnostic évoqué est erroné dans 79% des cas, et que près d'un quart des consultants vont subir des interventions invasives dans le cadre de leur errance diagnostique (extractions dentaire, chirurgie sinusienne...). De plus, les patients (même correctement diagnostiqués) ne reçoivent que très rarement un traitement adapté (Bahra & Goadsby 2004). Une étude récente évalue le coût de la maladie pour le système de santé allemand (coûts directs liés aux prescriptions et coûts indirects liés à l'indemnisation de la perte de capacité de travail), à près de 1000 euros mensuels en moyenne par patient atteint d'AVF, quelle qu'en soit la forme (Gaul et al. 2011). Les auteurs soulignent que le coût des traitements peut être un obstacle à une prise en charge adaptée, notamment dans les pays où la couverture sociale est moindre. C'est également ce que révèle l'étude américaine récente sur la prise en charge de l'oxygénothérapie aux USA (Rozen & Fishman 2011). iv. Impact fonctionnel et social L’AVF est associée à une altération de la qualité de vie des patients, avec un retentissement fonctionnel pouvant être majeur. Il existe chez certains patients une restriction globale des activités (près de 80% des patients sont contraints de modifier leur mode de vie au quotidien en période de crise) (R. M. Jensen et al. 2007), ce qui a pu être évalué et confirmé par différentes échelles de handicap (Jürgens et al. 2011; D’Amico et al. 2002). Des témoignages individuels confirment cette altération majeure (Vaughan 2008).
En particulier, le retentissement professionnel est majeur chez ces patients jeunes : avec une efficience au travail diminuée selon 82 % d’entre eux, et des taux d’absentéisme très supérieurs à ceux des populations témoins (30% des patients rapportent au moins un jour d'absence lié à l'AVF contre 12% en population générale, sur l'année écoulée)
(Gaul et al. 2011)
. 16% des patients de la cohorte
danoise ont été contraints de quitter au moins une fois un emploi en raison des répercussions de la maladie, un chiffre qui s'élève à 20% des patients de la cohorte américaine.
v. Données pharmacologiques Il n’existe pas de traitement curatif de l’AVF, en revanche des traitements efficaces sont disponibles pour réduire les symptômes. On distingue les traitements d'action rapide, qui visent à interrompre une crise ayant déjà débuté, et les traitements de fond, qui visent la diminution de leur fréquence et intensité (Schürks et al. 2006; Tfelt-Hansen & Rigmor H Jensen 2012). a) Traitements de crise En première intention, deux traitements sont actuellement recommandés : ñ le sumatriptan injectable ou en spray intranasal. La classe des triptans correspond à des molécules agonistes des récepteurs sérotoninergiques de type 5-HT1B et 5-HT1D. La forme injectable, commercialisée sous le nom d'Imiject®, se présente sous la forme d'un stylo-injecteur sous-cutané monodose de 6mg. L'efficacité est rapide et fréquente : à 15 minutes le soulagement est observé dans 85 à 96 % des cas pour les études en ouvert, dans une étude en double aveugle (contre placebo injectable) le gain d'efficacité est évalué à 45 % (30% pour le placebo versus 75% pour le sumatriptan). La forme intranasale (Imigrane spray®), a un délai d'action est plus long et son efficacité est moins nette (en double aveugle 56% d'efficacité à 15 minutes, contre 26% pour le placebo). Les formes orales de triptans n'ont pas de place véritable dans le traitement de la crise d'AVF,
compte tenu de leur délai d'action, de l'ordre de la demi-heure. Les contre-indications des triptans sont les pathologies coronariennes. Il est recommandé de ne pas dépasser une posologie de sumatriptan SC de 12mg/ j, soit deux injections quotidiennes, ce qui peut être problématique pour les personnes sujettes à des crises plus fréquentes.
ñ
L'inhalation d'oxygène pur à haut débit (7 à 15L/min), pour une durée de 15-30 minutes
présente le même niveau d'efficacité à 15 minutes : 75 % de soulagement à 15 minutes soit un gain de 58% par rapport au placebo inhalé. Cependant, nos observations montrent que le délai d'action, au sein de ces 15 minutes, est plus long. Il n'existe pas de limitation de dose, pas d'effets secondaires particuliers. Cependant, ce traitement requiert un matériel peu maniable (bouteilles d'oxygène et masque antireflux, avec la prudence qui s'impose chez les fumeurs actifs), et il est bien sûr contre-indiqué chez les personnes souffrant de pneumopathie obstructive. D'autres thérapeutiques de la crise peuvent être proposées, avec un moins bon niveau de preuve : citons l'octréotide, un analogue de la somatostatine (hormone puissamment inhibitrice de l'axe hypothalamo-hypophysaire de la sécrétion d'hormones hypophysaires), l'application endonasale de lidocaine (anesthésiant local).
b) Traitements de fond Le traitement de fond de première intention est le verapamil, un inhibiteur calcique commercialisé en France sous le nom d'Isoptine®. Ce traitement diminue la fréquence des crises, sans les stopper complètement dans la plupart des cas. Il s'agit d'une molécule à l'effet bradycardisant, habituellement prescrite dans le cadre de l'insuffisance cardiaque à la posologie de 1 à 2 comprimés de 120mg/j. Dans le cas de l'AVF, la posologie efficace est nettement plus élevée, de l'ordre de 2 à 6 comprimés (240-720mg) par jour, parfois 8 voire 10 (960 - 1200mg/j). La tolérance cardiaque est
habituellement bonne, les effets indésirables les plus invalidants étant la constipation et une asthénie intense. Cependant, des électrocardiogrammes doivent être réalisés avant instauration du traitement et lors de l’augmentation des posologies quotidiennes à plus de 360 mg/j. En effet, des anomalies de conduction asymptomatiques surviennent fréquemment et contre-indiquent alors la poursuite de l’escalade des doses.
Les sels de lithium (carbonate de lithium Téralithe® ) sont recommandés en deuxième intention, compte tenu de leurs effets indésirables potentiels, et plutôt dans les cas d'AVF chronique. Leur efficacité est équivalente à celle du vérapamil. La posologie est à ajuster afin de se situer dans l'index thérapeutique de 0.4 à 0.8 mEq/L. Il a été remarqué que les sels de lithium pourraient être aggravants pour les patients migraineux (Peatfield 1981). Enfin, le topiramate (Epitomax®), ainsi que le valproate de sodium (Depakine®), deux anticonvulsivants GABAergiques, semblent être efficaces et sont prescrits en troisième ou quatrième ligne mais ils n'ont pas fait l'objet d'études contrôlées. Notons qu'un cas (fortuit) de régression totale de crises a été observé sous clozapine (Leponex®) (Datta & Kumar 2006), ainsi que sous olanzapine (Zyprexa®) (T D Rozen 2001) deux molécules habituellement utilisées en psychiatrie en tant qu'antipsychotiques.
Par ailleurs, plusieurs molécules de la famille des tryptamines sont utilisées par certains patients (Sewell et al. 2006), de façon « officieuse », car leur usage reste illégal dans la plupart des pays, y compris pour un usage strictement thérapeutique. Il s'agit de : ñ le LSD (Lyserg Säure Diethylamid), composé de synthèse puissamment hallucinogène, ou son analogue le LSA (Lyserg Säure Amid) naturellement contenu dans certaines graines. Un essai thérapeutique est d'ailleurs en cours, évaluant l'efficacité d'un analogue moins hallucinogène, le 5bromoLSD (Karst et al. 2010).
ñ
la psylocibine (issue de la consommation de champignons hallucinogènes) (Sewell et al.
2006). Certains patients nous ont rapporté une efficacité spectaculaire sur la diminution voire la disparition des crises, avec des doses de l'ordre de 4g de mycelium/mois. Les cultures sont réalisées de façon illégale, à partir de spores commandées en ligne (les spores ne contenant pas de principe actif, leur vente est autorisée). Des études très récentes d'imagerie fonctionnelle (IRMf) se sont penchées sur les mécanismes d'action de la psilocybine, et révèlent des effets plutôt de diminution de l'activité cérébrale dans certaines régions (Thalamus, Cortex Cingulaires Antérieur- CAA et Postérieur CAP, Cortex Préfrontal médial ou CPFm), et de diminution de la connectivité entre certaines de ces régions (notamment CAP et CPFm) (Carhart-Harris et al. 2012).
B.
Troubles du comportement au cours des crises d’AVF
Le corpus sémiologique de l'AVF comporte la notion de troubles du comportement. Ces troubles figurent dans les critères cliniques de l’IHS depuis la révision de la classification internationale des céphalées en 2004 (Anon 2004), sous une acception très peu spécifique («agitation» ; en version originale « a sense of restlessness or agitation »). Les études ayant spécifiquement abordé cette question sont rares. Nous allons les présenter en détail.
i. Premières descriptions L’existence de troubles du comportement a été rapportée dès les premières descriptions des crises d’AVF. Dès 1745, von Swieten rapporte- en latin - un cas conforme aux critères actuels pour l’AVF (Isler 1993). D'autres descriptions plus anciennes sont moins certaines (Koehler 1993; J.-A. Palma & F. Palma 2011). En 1952, Horton en publie une description précise dans le Lancet, sous l'appellation « céphalée histaminique » (Horton 1952).
De ces descriptions, on retient que le comportement du patient en crise d’AVF s'oppose à celui du patient migraineux en crise. Rappelons que ce dernier se présente le plus souvent en position de repli, dans l'obscurité et au calme, et bouge le moins possible. Pour les auteurs que l'on vient de citer, l'observation du comportement permet donc dans une certaine mesure le diagnostic différentiel entre les deux affections.
b. Les troubles du comportement comme objet de publication scientifique spécifique En 1993, le neurologue anglais J.N Blau propose de faire l’inventaire des troubles du comportement observables pendant les crises d'AVF. Dans cet objectif, il choisit une méthodologie originale, qui consiste à demander à ses patients de lui mimer leur comportement pendant les crises (Blau 1993) Sur un échantillon de 50 patients, il observe : o des troubles du comportement moteur très fréquents §
60% des patients marchent en se prenant la tête entre les mains,
§
50 % restent assis en faisant des mouvements de balancier,
§
26% se mettent à genoux et trépignent,
§
5 % piétinent sur place
o 80 % veulent être seuls pendant les crises o des comportements de « self harm » - traduisons « violence exercée à l’encontre de sa propre personne » - fréquents et inventifs : pression de la main ou d'un doigt sur le globe oculaire, chocs volontaires de la tête contre un support rigide, frottement de zones corporelles jusqu'à la sensation douloureuse, scarifications… o il note enfin la perplexité des patients lorsqu’une explication leur est demandée sur l'origine de ces comportements. Plus récemment, la problématique a été abordée par Torelli et Manzoni (Torelli & Manzoni 2005)
.
La méthodologie adoptée diffère largement de celle de l'étude précédente : on demande aux sujets de décrire par écrit, leur comportement au cours des crises. Sur un échantillon de 42 patients, les auteurs retrouvent : ñ 93 % d’incapacité à rester en place (« restlessness »). Ce critère est par ailleurs très sensible pour le diagnostic positif de l'AVF (90% des patients) ñ 35 % de mouvements répétitifs ñ 26% d’isolement.
Au total, d'après ces deux études, des modifications extrêmes du comportement sont retrouvés chez presque tous les patients en cours de crise, avec une sémiologie pour le moins spécifique : ñ
Incapacité à rester en place, déambulation, stéréotypies motrices, voire agitation
ñ
Recherche de stimulations thermiques ou douloureuses
ñ
Irritabilité, agressivité
ñ
Tendance à l'isolement, voire intolérance à la présence ou au contact physique avec autrui
D’autres publications font état d’idées suicidaires (Rozen & Fishman 2011; Markley & Buse 2006), voire de passage à l’acte - réussis (Rothrock 2006). L'AVF est d'ailleurs parfois appelée « céphalée suicidaire ». La prévalence des décès par suicide dans la population des patients atteints d’AVF n’est pas connue ; il semblerait néanmoins que la plupart des passages à l’acte ont lieu au cours des crises (Valade, communication orale). Des actes hétéroagressifs ont également été commis par des patients en cours de crise : violences corporelles d'un homme envers son épouse (répétées, et exclusivement lors des crises) (Torelli & Manzoni 2005), homicides (Rogado & Graham 1979; Kudrow 1974).
Enfin, il nous semble intéressant de remarquer que le contexte culturel exerce probablement une influence sur l'expression des troubles du comportement. Une étude réalisée à Taïwan montre une prévalence nettement plus faible du symptôme « agitation » que dans les populations occidentales, puisqu'il n'est retrouvé que pour 51 % des sujets (Lin et al. 2004). De façon plus analytique, une étude japonaise, s'est intéressée à 86 patients souffrant d'AVF. Les auteurs rapportent ce qu'ils appellent un « découplage » entre une « sensation d'incapacité à rester en place », ressentie par près de 70 % des sujets, et un comportement effectif d'agitation, objectivable dans 42 % des cas seulement (Imai et al. 2011). Leur hypothèse principale ? « One possible reason for remaining still despite feelings of restlessness is that Eastern cultures emphasize the importance of patience and serenity whereas Western cultures may place less emphasis on such values. » 1
ii. Reconnaissance nosographique Depuis la révision de la classification de l’IHS en 2004, les troubles du comportement font partie des critères diagnostics de l’AVF sous la désignation « a sense of restlessness or agitation ».
iii. Interprétation La question de l'origine des troubles du comportement au cours des crises n’a jamais été abordée de façon spécifique. Classiquement, ces troubles sont interprétés, et explicités aux patients comme des phénomènes psychologiques réactionnels à l’intensité de la douleur.
1 L'un des sujets que nous avons interrogés dans ce travail nous donnera d'ailleurs un exemple de possibilité de contrôle du comportement par la mise en jeu de techniques méditatives, directement issues de la culture orientale. (CU, 63).
La présentation clinique de l’AVF est donc très singulière, et la question des mécanismes physiopathologiques a été l’objet d’hypothèses variées. La diversité des appellations de la maladie du moins en Français - en témoigne (Algie Vasculaire de la Face, Céphalée histaminique de Horton, Névralgie du ganglion sphénopalatin de Sluder, Névralgie du ganglion ciliaire de Harris, ou de Charlin, Céphalée en grappe).
Aujourd’hui, cette question n’est pas résolue, mais le développement des techniques d’imagerie cérébrale et les interventions de neurochirurgie stéréotaxique ont permis de multiplier les données expérimentales en faveur d’une origine neurologique centrale des crises.
C.
L’AVF, une maladie du système nerveux central
Plusieurs données récentes de la littérature permettent de formuler l’hypothèse selon laquelle les crises d’AVF résultent d’un dysfonctionnement transitoire et réversible de structures cérébrales, en particulier de certains noyaux de l’hypothalamus postérieur. i. Suspect n°1 : l’hypothalamus. Approches biochimiques Le caractère périodique de la survenue des crises avait conduit à imaginer l’implication d’un « garde temps » (ou « horloge biologique ») interne à l’organisme dans la physiopathologie de l’AVF. Depuis les années 60, plusieurs études avaient permis de mettre en évidence le rôle de l’hypothalamus en tant que générateur du rythme circadien chez les mammifères (Reimann 1964), plus tard confirmées et affinées (Nishino et al. 1976). Dans les années 90, une équipe italienne a cherché à mettre en évidence cette implication chez les patients AVF, par des méthodes biochimiques (dosages des métabolites du système hypothalamo-hypophysaire, tests statiques et dynamiques). Elle retrouvait en particulier une altération des réponses aux tests dynamiques à la CRH (Cortico-Releasing Hormone) et à l’insuline chez les patients atteints d’AVF (M Leone & G Bussone 1993; M Leone et al. 1994). D’autres explorations ne conduisaient pas à des résultats significatifs. Au total cette approche conduisait à des résultats divergents et difficilement interprétables. ii. Imagerie fonctionnelle Les données d'imagerie fonctionnelle, en premier lieu par évaluation du débit sanguin régional (DSR) par Tomographie par Emission de Positons associée à une acquisition tomodensitométrique (TEP-scan)
(May et al. 1998) semblent mettre en évidence une
activation spécifique de certaines régions du SNC au cours des crises d'AVF. En particulier, on observe une augmentation du DSR au niveau de l’hypothalamus ipsilatéral
25
à la crise, plus spécifiquement au niveau des noyaux postéro-inférieurs.
Cette activation a été retrouvée : -‐
en cas de crises provoquées expérimentalement (modèle d’induction pharmacologique des crises par la nitroglycérine, chez les patients AVF) (May et al. 1998),
-‐
au cours de crises spontanées (Sprenger et al. 2004).
Il faut souligner que cette activation est retrouvée spécifiquement chez les patients atteints d'AVF (c’est-à-dire qu'elle est absente dans les autres situations de syndrome douloureux régional).
Une étude par d’imagerie métabolique par spectroscopie de résonance magnétique du proton montrent une diminution des rapports de métabolites (NAA/Cr et Cho/Cr) au niveau de l'hypothalamus chez les patients présentant une AVF épisodique (échantillon étudié de 47 patients, comparés à 21 sujets contrôles, et 16 migraineux). Ces observations ont été interprétées comme une dysfonction ou perte neuronale locale (S.-J. Wang et al. 2006). Ces résultats doivent bien sûr être pris en compte avec la prudence qui s'impose : en spectroscopie de résonance magnétique, à partir d'une étude unique, on a une probabilité supérieure à 50% que le résultat soit un artefact, en particulier si celui-ci concerne la région hypothalamique.
iii. Imagerie structurelle Des techniques d’imagerie structurelle de haute résolution spatiale, à savoir l’IRM morphométrique voxel par voxel, ont permis la mise en évidence de façon significative d’anomalies structurelles chez les patients atteints d'AVF. En particulier, il existe chez les
26
patients une augmentation du volume des noyaux gris hypothalamiques par rapport aux sujets contrôles (May et al. 1999). Ces données ont récemment été confirmées par une équipe chinoise (poster à l’AAN 2009, Wang et al.).
iv. Stimulation cérébrale profonde Sur la base de ces données fonctionnelles et morphologiques, des protocoles de stimulation cérébrale profonde ont été développés par plusieurs équipes depuis l’année 2000. Plusieurs publications
rapportent
désormais
l’intérêt
potentiel
de
la
stimulation
profonde
hypothalamique postérieure (stimulation électrique à haute fréquence, à visée inhibitrice) sur les patients atteints d'AVF réfractaire au traitement médicamenteux (M Leone et al. 2008; Massimo Leone et al. 2010; Magis & Schoenen 2012). D’après ces études non contrôlées, 60 % des patients sont répondeurs, 30 % ont une rémission totale de leurs symptômes. Cependant, le seul essai contrôlé de la stimulation cérébrale profonde, conduit par une équipe française, n’a pas montré de différence significative entre stimulation active et inactive (Fontaine et al. 2010). Par ailleurs, la stimulation cérébrale hypothalamique comporte un risque d’hémorragie cérébrale, un cas de décès à été rapporté dans la série belge. Cette technique a également permis de montrer que la stimulation à des fréquences activatrices (par erreur, au cours d'implantation des électrodes) peut déclencher des crises chez un patient (Brittain et al. 2009; Bartsch et al. 2008). Ces données sont donc des arguments supplémentaires pour l’implication de cette région cérébrale dans la genèse des crises.
27
v. Quelques données sur hypothalamus et comportement a) Chez l’homme : données médicales et chirurgicales En 2002, une équipe de neurochirurgie de la Pitié-Salpêtrière rapporte un incident survenu au cours d’une intervention d’implantation d’électrodes cérébrales profondes chez un patient atteint de maladie de Parkinson (Bejjani, 2002). Brutalement, en cours de test de stimulation, le patient présente un épisode d’agressivité, décrit comme « une rage furieuse » avec des cris, une tachycardie. Le retour à la normale est immédiat à l’arrêt de la stimulation électrique. L’analyse de l’incident permit de retrouver l’origine du problème. Au moment de la stimulation électrique, les électrodes se trouvaient dans la région postéro-médiale de l’hypothalamus (et non, comme visé, dans les noyaux sous thalamiques).
D’autres données de la littérature médicale confortent les liens entre atteinte hypothalamique et comportement agressif : ñ Tonkonogy rapporte deux cas de patients atteints de tumeurs de la région hypothalamique (craniopharyngiomes) révélées par des accès d'agressivité démesurée (Tonkonogy & Geller 1992) ñ Dans les années 70, l'équipe neurochirurgicale dirigée par Sano développe la « neurochirurgie sédative », dont l'objectif était de diminuer les tendances agressives des patients résistants aux autres approches thérapeutiques. Cet objectif semble avoir été atteint lors de la réalisation d'hypothalamotomies stéréotaxiques, mais les cas sont peu nombreux et les études non contrôlées (Sano & Mayanagi 1988). ñ Plus récemment, la neurostimulation profonde des noyaux hypothalamiques a été utilisée pour des cas de violence réfractaires au traitement médical (Angelo Franzini et al. 2005). Il s'agit de la même technique que celle du traitement des AVF réfractaires. 28
b) Données éthologiques L’étude du comportement animal permet classiquement de distinguer deux types de comportements agressifs : ñ comportement dit « d’attaque préméditée » ñ comportement de « rage défensive » “defensive rage behaviour”.
Le comportement de « rage défensive » a d’abord été décrit chez le chat (Siegel et al. 1997) : il s’agit d’un comportement observable en conditions naturelles, lorsque l’animal est menacé par un autre animal, de la même espèce, ou d’une autre espèce. L’animal présente alors un comportement d’agitation et d’agressivité, sans cible claire, qui s’accompagne de signes neurovégétatifs marqués (tachycardie, hypertension, sudation). Ses composantes sont comparables à ce qui est observé en cas d’hypoglycémie. Expérimentalement, ce comportement est reproductible par stimulation électrique de l’hypothalamus médial ou de la substance blanche périaqueducale (Shaikh et al. 1997). L’administration intrapéritonéale d’éthanol a une action facilitatrice sur ce comportement (diminution de la latence de réponse de façon dose dépendante et temps dépendante), avec un effet spécifiquement lié à la molécule en elle-même (absence d'effet lors de l'injection d'une solution saline). Enfin, ce comportement s’accompagne d’une augmentation de la pression partielle sanguine en CO2.
29
Chez le rat (Kruk 1991), la stimulation électrique d’une région limitée de l’hypothalamus latéral déclenche une réaction d’attaque de début immédiat, et qui cesse brutalement dès la fin de la stimulation. Cette réaction est dirigée contre les rats dominants ou non, mâles ou femelles, y compris anesthésiés, ou même décédés ; le rat stimulé saute sur la cible, et mord violemment la tête ou le cou. Les mâles semblent avoir un seuil de déclenchement plus faible que les femelles ou les mâles castrés…
Au total, l’hypothalamus des Mammifères semble donc impliqué dans un comportement de « rage », qui peut être décrit par : ñ un début et une fin brutaux ñ une réponse de type motrice (agitation) associée à des signes d’hyperactivité végétative, ñ un comportement d'agressivité développé envers les congénères, qui semble relativement indépendant du contexte expérimental précis et peu pertinent visà-vis de la menace réelle.
30
D.
La psychiatrie connaît-elle l'AVF ?
i. Comorbidités psychiatriques chez les patients La question de la comorbidité psychiatrique des sujets atteints d'AVF a été abordée par plusieurs études, explorant aussi bien les pathologies de l'axe 1 que de l'axe 2 du DSM. Une étude de 1982 a exploré les profils psychologiques et psychiatriques de 42 personnes souffrant de différentes céphalées primaires chroniques :migraine, AVF et céphalée de tension (Andrasik et al. 1982) et a montré que : ñ Chez les sujets présentant une AVF les paramètres d'anxiété / stress / dépression étaient semblables à ceux des populations de référence, alors que ces mêmes paramètres étaient plus élevés chez les deux autres populations de patients céphalalgiques (Andrasik et al. 1982). ñ Aucun diagnostic de trouble psychotique n'était retrouvé sur l'échantillon de 12 sujets atteints d'AVF.
Six autres études plus récentes, explorant les relations entre symptômes anxieux, symptômes dépressifs et AVF, montrent des résultats contradictoires. Ces résultats très contrastés pourraient en partie s'expliquer par des méthodologies très différentes.
31
Nous les avons résumés dans le tableau suivant : Effectif
Méthodologie
Echelle temporelle % dépression % anxiété
(Jorge et al. 1999) Argentine
21 AVFe
HDRS/HARS
1 an
(Robbins, 2004) USA
275
DSM IV guidelines Vie entière
(Donnet et al. 2007) France
113 AVFc HAD
(Jelinski et al. 2007) Canada
19
(Jürgens et al. 2011) Allemagne
48 AVFe 27 AVFc
0
24
29
24
Instantané
43
76
BDI-II
Instantané
21
N.E.
Mini DIPS
Vie entière
31/ 56
19/ 22
(Robbins et al. 2011) USA
32 AVFe PHQ-9/GAD-7 15 jours 6/ 16/ 17 AVFc 12 12 AVFe : AVF épisodique, AVFc : AVF chronique, HDRS : Hamilton Depression Rating Scale, HARS : Hamilton Anxiety Rating Scale, HAD Hospital Anxiety and Depression scale, BDI : Beck Depression Inventory, DIPS : Diagnostische Interview bei Psyschichen Störungen, PHQ : Patient Health Questionnaire, GAD-7: Generalized Anxiety Disorder 7-item scale
Il en est de même pour les travaux qui ont tenté d’évaluer l’existence de troubles de la personnalité chez les sujets atteints d'AVF. Pour Pfaffenrath et collègues, en utilisant le MMPI (Minnesota Multiphasic Personality Inventory) auprès de 30 sujets (Pfaffenrath et al. 1991), les patients présenteraient plus fréquemment des troubles hypochondriaques et hystériques. Ces résultats ne sont pas confirmés par une étude portant sur un plus large échantillon (Anon 2000). Une seule étude descriptive (Robbins 2008) sur un échantillon de 300 patients évalue la prévalence du trouble bipolaire toutes formes confondues - donc avec une acception large 2 - à 6.5 % … à comparer à une prévalence de plus de 4% en population générale et 8.6 % chez les migraineux. A notre connaissance, il n'existe pas d'étude abordant spécifiquement la question des troubles psychotiques dans l'AVF (spectre clinique, prévalence).
2 A savoir : ñ type 1 : ayant présenté au moins un épisode maniaque vrai ñ type 2 : au moins un épisode dépressif majeur et un épisode d'hypomanie ñ cyclothymie : nombreux épisodes dépressifs et hypomanes ne remplissant pas les critères du DSM, oendant une durée minimale de deux ans, sans période supérieure à deux mois de stabilité thymique ñ NOS (Not Otherwise Specified) : cycles rapides, tempérament hyperthymique prévalent, virage hypomanique sous antidépresseurs...
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ii. Comorbidités addictologiques Une étude récente fait le point sur les consommations de toxiques par les sujets atteints d'AVF (Rossi et al. 2012) ; 210 patients ont été soumis à un questionnaire exploratoire. Les résultats montrent : ñ 80% des patients sont des fumeurs de tabac (en comparaison : 35% dans la population contrôle testée, un échantillon de sujets italiens appariés sur l'âge et le sexe) ñ 26% sont des consommateurs réguliers de cannabis ñ l'usage de LSD et de psilocybine est également fréquent (donne des pourcentages); il est même pour certains recommandé pour son potentiel thérapeutique (cf. traitements), notamment par un site de patients, sous le nom de « clusterbusterstherapy ». ñ Néanmoins, il est à noter que dans 70% des cas décrits dans l'étude, la consommation de toxiques illicites avait débuté avant la survenue des premières crises.
iii. L'AVF, une variante d'un trouble psychiatrique ? Nous souhaitons ici attirer l'attention sur la parenté clinique et physiopathologique entre l’AVF et le trouble explosif intermittent (TEI), une entité diagnostique reconnue dans le DSM depuis sa troisième édition (1980). Il s’agit d’un trouble de l’axe 1, appartenant actuellement au groupe des « troubles de l’impulsivité non classables ».
33
Les critères actuels du DSM IV–R sont les suivants : A. Plusieurs épisodes d'incapacité à résister à des impulsions agressives, aboutissant à des voies de fait graves ou à la destruction de biens. B. Le degré d'agressivité exprimé durant les épisodes est sans commune mesure avec un quelconque facteur de stress psychosocial déclenchant. C. Les épisodes agressifs ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental (p. ex. une personnalité antisociale ou borderline, un trouble psychotique, un épisode maniaque, un trouble des conduites ou un déficit de l'attention/hyperactivité) et ne sont pas dus aux effets physiologiques directs d'une substance ou une affection médicale générale (p. ex., un traumatisme crânien ou une maladie d’Alzheimer).
Plusieurs éléments permettent d’envisager une éventuelle parenté physiopathologique avec l’AVF : ñ Terrain : le TEI touche plutôt les hommes (sex ratio 4/1), jeunes, débutant le plus souvent à la puberté avec une diminution des troubles à la sixième décade. ñ Comorbidités : dans la plus grande série de la littérature qui compte 27 cas, (McElroy et al. 1998), on retrouve une prévalence inhabituellement élevée de migraine sans aura. Celle-ci concerne en effet 44% des patients alors que 75% sont des hommes… ce qui correspond à une prévalence tout à fait inhabituelle sur ce terrain. On peut formuler l’hypothèse qu’un certain nombre de ces patients souffraient en réalité d’AVF ! (ceci nécessiterait des investigations supplémentaires car les crises douloureuses ne sont pas du tout décrites dans l'article) ñ Sémiologie : les patients décrivent une sensation de tension physique et psychique avant le début du comportement agressif, parfois associée à des signes d’activation neurovégétative (non spécifiés par les auteurs). Dans certains cas, le patient présente des conduites d’évitement de l’interaction avec autrui, pouvant aller jusqu’à l’isolement volontaire (McElroy et al. 1998). La phase agressive à proprement parler dure de quelques minutes à quelques heures. Au décours de cette « crise », le patient critique l’épisode, admet ne pas pouvoir en fournir de justification, et peut exprimer
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des remords, un sentiment de culpabilité. Ceci nous semble à mettre en parallèle de l'existence chez certains patients de crises d'AVF « partielles », c'est-à-dire des crises « sans signes végétatifs »... ou encore des crises « sans douleurs », avec avec seulement des signes végétatifs (larmoiement, nez bouché et rhinorrhée …) pendant 15 minutes à quelques heures (Ashkenazi & Silberstein 2004; Dilli & Dodick 2008; Haane et al. 2011). Finalement cela nous conduit à formuler la proposition suivante : l'AVF est une maladie se manifestant par des crises, caractérisées par un contenu sémiologique variable comprenant : douleur ± signes végétatifs ± comportement agressif. ñ Physiopathologie : elle reste méconnue dans la plupart des cas, l’hypothèse d'une origine ictale (au sens d’épilepsie) des crises a été formulée et débattue (Monroe 1989). Par ailleurs, plusieurs cas ont été rapportés dans la littérature (Tonkonogy 1992) de patients présentant des troubles du comportement agressif intermittent dans un contexte de lésions hypothalamiques. Les régions touchées étaient l’hypothalamus postérieur ou ventromédial. ñ Thérapeutique : Le lithium est considéré comme le meilleur traitement des TEI (McElroy 1999), sur des données de faible niveau de preuve compte tenu des faibles effectifs de patients disponibles.
35
E.
Résumé et Objectifs
Résumons ce que nous apprend ce survol des données actuelles sur l'AVF : i. L’AVF est une maladie méconnue – y compris des neurologues, sous-diagnostiquée, et à l’origine d’un retentissement personnel et social majeur. ii. l’AVF est une maladie chronique, se manifestant sous la forme de crises associant (mais pas nécessairement de façon simultanée) : -‐
de douleurs très intenses de l’hémiface,
-‐
des signes traduisant une hyperactivité neurovégétative
-‐
un comportement d’agitation irrépressible, voire d’agressivité (dirigée contre soi ou les autres)
iii. Les travaux portant sur la physiopathologie de l’AVF mettent en évidence l’existence d’une dysfonction hypothalamique postérieure au cours des crises. Mais cela ne permet pas de rendre compte de l'ensemble des manifestations cliniques de la maladie. L’idée de ce travail est de proposer une autre façon d'explorer la sémiologie de l'AVF, en se concentrant sur ce qui se passe du point de vue psychique et comportemental lors d’une crise du point de vue du patient et non du médecin. En d’autres termes de permettre au patient de répondre à la question : « qu’est-ce que cela vous fait d’avoir une crise d’AVF » ou « qu’estce que cela vous fait d’être un patient avec cette maladie ». L'objectif est de recueillir ainsi des éléments descriptifs de manifestations rarement explorées et dont la conscience est souvent douloureuse pour les patients ; d'élaborer une sémiologie psychocomportementale fine ; de dégager, si possible, des propositions complémentaires concernant la physiopathologie de la maladie.
36
En d’autres termes ce travail veut aborder la description de la pathologie concernée, non pas du simple point de vue descriptif mais du point de vue expérientiel.
37
II. METHODES : deux modes d'exploration A.
Objectivation des symptômes par un questionnaire spécifique
Le travail de recherche clinique que nous avons réalisé a débuté avec une étude descriptive au moyen d'un hétéroquestionnaire, élaboré spécialement dans ce but. i. Recrutement L'étude est monocentrique, les patients ont été recrutés au cours du mois de mars 2010 au Centre Urgences Céphalées (CUC) à l’hôpital Lariboisière, situé dans le 10e arrondissement de Paris. Le CUC est un centre spécialisé, unique en France, car réunissant à la fois : ñ des soins primaires : le CUC est rattaché aux urgences générales de l’hôpital ; toute personne consultant aux urgences de Lariboisière pour le motif « céphalées » est directement orienté vers cette structure, ñ des soins tertiaires : en proposant une activité de consultation programmée, à la demande du médecin traitant, par des neurologues spécialement formés dans le domaine des céphalées (donc « surspécialistes »).
L'équipe du CUC comprend 6 médecins à temps plein (3 seniors et 3 internes), tous neurologues, avec une formation complémentaire dans le domaine des céphalées. La file active des patients du CUC pour lesquels une AVF a été diagnostiquée est supérieure à 1000 patients, ce qui constitue un échantillon exceptionnel pour une maladie ayant cette prévalence.
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ii. Inclusion 35 patients ont été recrutés au cours du mois de mars 2010, dans l'ordre de leur présentation au CUC pour des soins primaires ou une consultation programmée. Les critères d'inclusion retenus sont ceux de la classification de l'IHS dans sa version de 2004 pour AVF épisodique ou chronique. iii. Ethique Une information orale sur l'objectif de l'étude a été délivrée aux patients, ainsi qu'un bref document écrit. Une autorisation par le CEERB Paris Nord (Comité d'Evaluation de l'Ethique des projets de Recherche Biomédicale) est en cours, dans le cadre de la « recherche biomédicale sans randomisation, et sans modification du traitement habituel du patient ». Les initiales des patients ont été modifiées, dans un souci de confidentialité. iv. Questionnaire Le questionnaire a été mis au point par nous-mêmes, à partir des données bibliographiques et de premiers entretiens informels avec des patients. Il se compose de 5 parties (cf. annexe A) : ñ données démographiques générales (sexe, date de naissance, latéralité) ñ ATCD médicaux, y compris psychiatriques, et traitements en cours ñ données générales sur l'AVF (latéralité, durée évolution, délai au diagnostic, forme clinique, existence de formes végétatives pures ou absence de signes végétatifs) ñ symptômes comportementaux et psychiques au cours des crises ñ existence de troubles comportementaux isolés.
La durée de passation est d'une quinzaine de minutes, explications comprises. Les passations ont été réalisées par un neurologue, au décours immédiat d'une consultation. 39
B.
Entretiens subjectifs qualitatifs de type phénoménologique
La question que nous souhaitions aborder dans cette deuxième étape du travail est la suivante, comme nous l’avons indiqué plus haut : "que se passe-t-il au cours d'une crise d'algie vasculaire de la face, pour celui qui la vit ?", ou bien, en référence à Nagel « qu'est-ce que cela fait, d'avoir une crise d'AVF ? » (Nagel 1974). Il s'agit ainsi d'une question ouverte, volontairement dénuée d'hypothèse sous-jacente, s'inscrivant dans une démarche phénoménologique classique de suspension du jugement. Pour le lecteur non familier avec la démarche phénoménologique, nous proposons une brève introduction en annexe B. i. Acquisition des témoignages : l'Entretien d'Explicitation (EdE) Les données ont été recueillies au cours d'entretiens individuels (1-1), d'une durée de 40 - 50 minutes, selon la méthode dite d'Entretien d'Explicitation (EdE), mise au point et formalisée par le psychologue français Pierre Vermersch dès 1994 (synthèse dans Vermersch 2006), et définie par « une aide à la prise de conscience pour passer de l'implicite de son propre vécu à son explicitation ». Il s'agit d'entretiens guidés par un professionnel ayant suivi une formation spécifique, au cours desquels le sujet est interrogé sur une expérience particulière ayant véritablement eu lieu (i.e. localisable dans le temps et l'espace) qu'il va décrire à la première personne, en utilisant ses propres mots. La personne qui le guide va l'aider à expliciter son récit, c'est-à-dire à lui faire produire une narration essentiellement descriptive (des faits, des circonstances, de son vécu, perceptif, émotionnel, cognitif..), et non explicative. Cela suppose de maintenir l'attention de la personne sur le moment de l'expérience singulière; 40
le rappel mnésique est préférentiellement convoqué par l'intermédiaire des souvenirs sensoriels et émotionnels associés à ce moment. Pour plus de détails sur les fondements théoriques (philosophiques et neurobiologiques) de l'EdE, sur les techniques de réalisation de l'entretien et ses applications, nous renvoyons le lecteur à l'annexe C, ainsi qu'aux ouvrages spécialisés (Vermersch 2006; Vermersch 2012; Depraz 2003). Trois points nous semblent particulièrement importants à souligner : ñ Cette technique d'entretien vise à mobiliser la mémoire passive, qui contient de nombreux éléments implicites, mémorisés dans chaque moment d’expérience mais inaccessibles à la conscience par le biais des rappels mnésiques tels que nous les effectuons le plus souvent dans la vie quotidienne (c'est pourquoi il faut éviter de chercher à forcer la mémoire sur des points précis de l'expérience). Ceci veut dire que le plus souvent nous nous rappelons de manière réflexive une sorte d’enveloppe de l’évènement (au sens où l’on dirait l’enveloppe d’un signal, ou d’une sinusoïde) : par exemple « je suis allé chez mes parents ». L’EDE vise au contraire à revenir sur l’ensemble de l’évènement (la sinusoïde dans son ensemble). ñ « L'art » de l'EdE réside en grande partie dans l'utilisation de l'effet des éléments de langage pour faire revenir le sujet à l'expérience elle-même. Ceci, en maintenant le rapport à une expérience perceptive, celle « du comment »- et pas interprétative, celle, plus habituelle, du « pourquoi », en respectant absolument la façon dont le sujet accède à son expérience (éviter les questions fermées) pour ne pas induire souvenirs ou formulations... « L'art » réside également dans la qualité de présence à l'autre tout au long de l'entretien. ñ Sur le plan éthique, la condition minimale de réalisation de l'entretien est l'obtention 41
systématique (et renouvelée tout au long de l’entretien) du consentement de la personne interrogée.
Les entretiens ont été filmés, avec le consentement des patients (enregistrements numériques). Le contenu des entretiens a été retranscrit par écrit in extenso (annexe D). Le verbatim est strict, les fautes syntaxiques ou mésusages sémantiques n'ont pas été corrigés, les répétitions ou mots prononcés à moitié ont été également notés, dans la mesure du possible. Certains éléments non verbaux (mimiques, gestes des mains, silences particuliers) sont mentionnés dans les retranscriptions.
ii. Interprétation : Analyse Interprétative Phénoménologique (AIP) Cette technique d'analyse qualitative des entretiens a été développée par Jonathan Smith, chercheur en psychologie britannique, et précisément exposée dans plusieurs textes et ouvrages (Smith 2008). Nous proposons ici une synthèse à partir de ces textes et renvoyons le lecteur aux textes sources pour une approche plus approfondie.
L'AIP est un outil de recherche inductif, dans la lignée de la démarche phénoménologique. L'objectif de recherche n'est pas de tester une hypothèse formulée a priori, mais au contraire de s'ouvrir aux différentes interprétations possibles de discours recueillis. Il s'agit d'une méthode de repérage qualitatif des traits communs présents dans la narration de l'expérience, permettant de dégager les grandes composantes de la structure de l'expérience, en faisant ressortir les variations possibles au sein de cette structure puis, éventuellement, d'en dégager des similarités ou structures communes.
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Cette méthode partage des caractéristiques avec d'autres méthodes d'analyse qualitative du discours, avec néanmoins des particularités notables, telles que la souplesse, la part laissée à l'intuition (supervisée), et l'importance de l'évaluation des résultats par plusieurs intervenants. Elle relève non plus d’une épistémologie de type cartésien où l’expérimentateur est distinct de l’objet soumis à l’expérimentation (ici le patient), mais d’une épistémologie de type quantique, ou relevant de la seconde cybernétique (Von Foerster), intégrant dans l’approche scientifique la problématique de la complexité, et acceptant en toute rigueur l’interaction du sujet avec l’objet observé (comme il est de règle en physique quantique) (Bourgeois 2006). L'effectif des patients interviewés est volontairement faible ; la qualité des entretiens, des retranscriptions et de l'analyse étant favorisée (Smith 2008), p.218-241).
Quatre étapes principales permettent de proposer une interprétation cohérente, plausible et argumentée : a) Codage descriptif La retranscription verbatim des entretiens est lue ligne à ligne, attentivement, dans le but de recenser tout objet pouvant avoir un intérêt du point de vue expérientiel pour le sujet. Faits, circonstances, perceptions, interprétations du patient, formulations... Il s'agit d'une étape longue, laborieuse, nécessitant rigueur, concentration et esprit d'analyse. b) Codage interprétatif Il s'agit ici de repérer les éléments émergents, répétés au sein du matériel expérientiel recueilli dans l'étape 1, et d'en proposer des regroupements thématiques. Cette étape suppose des capacités de synthèse, mais aussi de créativité et d'intuition.
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c) Structure et narration Dans cette étape, on cherche à repérer une organisation possible des thèmes entre eux et élaborer une narration, qui doit être structurée et illustrée. Cela revient, pour évoquer un autre cadre épistémologique, à déterminer la forme de l'expérience au sens de René Thom 2009),
(Thom
c'est-à-dire d'en dégager la structure, les attracteurs, les éventuels points de catastrophe.
d) Evaluation Elle est essentielle, et plurielle. L'enjeu est de valider la cohérence de l'interprétation, sa plausibilité, sa clarté, et le respect de la démarche phénoménologique. Cette évaluation commence par une autoévaluation, l'investigateur principal devant tenir compte de sa propre réflexivité dans le travail interprétatif, et savoir relire ses propositions interprétatives et narratives. Les co-chercheurs et superviseurs du travail de recherche, mais aussi les participants à l'étude, les sujets concernés par son objet ou les lecteurs plus « naïfs » peuvent également y participer.
Dans ce travail, un « journal de thèse » a été rédigé, dans la période de réalisation des entretiens et d'analyse des résultats, permettant d'objectiver (autant que faire se peut..) et de garder une trace des états internes de l'investigatrice... La question des thèmes émergents a été également
abordée
à
plusieurs
reprises
en
supervision
individuelle
avec
une
psychothérapeute.
Pour finir, notons que nous avons préféré cette méthode de l'AIP à celle de Claire Petitmengin (Petitmengin 2001) qui tend à construire un modèle basé sur une analyse de la structure
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synchronique et diachronique des entretiens, en s'inspirant de l'analyse des systèmes pour la modélisation informatique. L'AIP est plus souple, plus clinique et à notre sens plus à même de laisser émerger des processus subtils en raison de sa démarche intuitive non réductrice.
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III. RESULTATS A.
Questionnaire i. Description de l'échantillon
33 patients ont été recrutés, parmi lesquels 29 hommes et 4 femmes, ce qui correspond à un sex-ratio de 7.25. L'âge moyen des patients était de 43 ans. 4 patients étaient gauchers, 27 droitiers, 2 gauchers contrariés.
Les ATCD familiaux permettent de retrouver : ñ 5 cas de migraine chez un ascendant eu premier degré (4 chez les mères soit 12%, 1 père soit 3%), ñ des ATCD d'AVF dans 12 % des cas également, avec le plus souvent plusieurs personnes atteintes dans la même famille. A noter qu'un des patients a un frère jumeau indemne de la maladie. L'analyse des comorbidités somatiques retrouvait 3 cas soit environ 10% de traumatisme crânien grave avec perte de connaissance et coma prolongé pendant plusieurs jours , avant le début des crises.
Sur le plan psychiatrique, 6 patients soit 18% de l'échantillon rapportait un antécédent de dépression, diagnostiqué, traité ou vécu comme tel. Aucun trouble bipolaire de l'humeur n'a été retrouvé. Deux patients avaient fait des tentatives de suicide dans le passé hors crise. Sur le plan addictologique, deux patients rapportaient une prise régulière de cannabis, un évoquait une alcoolo-dépendance sévère, compliquée (cirrhose) mais sevrée. Notons que le tabagisme n'était pas une question spécifique, et qu'aucun patient ne l'a mentionné à la question « prise de toxiques.. » 46
ii. Clinique de l'AVF L'échantillon étudié compte 24 formes épisodiques et 9 formes chroniques. Les crises étaient unilatérales dans 31 cas, 17 à droite et 14 à gauche ; et 2 formes bilatérales (dites « à bascule »). L'âge moyen au début de la maladie était de 29 ans et demi. Le délai moyen entre le début de la maladie et le diagnostic était de 5.3 ans, avec des disparités importantes (0 à 28 ans, écart-type 7.6 ans).
97% des patients prenaient des traitements de crise : sumatriptan injectable le plus souvent (Imiject® 29 patients), sumatriptan en spray nasal (Imigrane®), oxygène. 75% prenaient des traitements de fond, le plus fréquent étant le verapamil à doses élevées (24 patients, doses de 2 à 6 comprimés de 120 mg/j), et beaucoup plus rarement des sels de lithium et du topiramate. 7 (20 %) patients déclaraient avoir eu des crises sans signe végétatif et 5 (15 %) patients ont rapporté des épisodes avec signes végétatifs isolés, sans douleur.
iii. Manifestations psychocomportementales au cours des crises Les manifestations les plus fréquemment retrouvées par notre questionnaire sont par ordre décroissant de fréquence : − un besoin de s'isoler chez 96% des patients interrogés (n=32), qui, lorsque l'on demande d'en préciser les motifs, fait apparaître de façon nette le besoin de s'isoler des autres (n=31, soit 94% des patients), bien plus que le besoin de s'isoler du bruit (n=12 soit 36%) ou de la lumière (n=9, soit 27%). Plusieurs mentionnent qu'il leur est particulièrement insupportable d'être touchés (au sens d'un contact physique) au cours
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des crises. − un sentiment d'irritabilité chez 30 patients, soit 91 % − une incapacité à rester immobile, un besoin de bouger chez 23 patients, soit 66% − 22 (63%) rapportent un « besoin d'air », 21 (60%) ont déjà eu recours à des autostimulations thermiques (spécifiquement chaud ou froid, ou les deux chez un même patient). 17 (49%) se font mal pendant les crises (se taper la tête contre les murs, se pincer, se piquer les gencives...) − des gestes répétitifs ou un comportement de déambulation est rapporté par 19 patients (55%) − 16 (47%) disent avoir eu des idées suicidaires lors des crises, aucune tentative de suicide n'est rapportée.
Par ailleurs, pour 23 sujets (66%), le comportement est perçu comme inhabituel, sans possibilité de contrôle. Enfin, pour plus de ¾ (n=25) des patients il est possible de repérer des prodromes de la crise, qui surviennent quelques minutes avant l'explosion douloureuse. On retrouve les manifestations prodromiques suivantes : ñ paresthésies de la région impliquée (picotements, tension musculaire, sensation de « vent » sur le visage) pour 21 patients ñ tension nerveuse, irritabilité pour 11 d'entre eux ñ apparition des signes végétatifs (n=3) ñ besoin irrépressible de se mettre en mouvement (n=7), besoin d'aller s'isoler rapidement (n =2) ñ angoisse (n=1)
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13 (38%) patients répondent par l'affirmative à la question de la survenue d'épisodes d'irritabilité ou d'agressivité inhabituelle (en dehors d’une crise d’AVF ), tant dans l'intensité que dans les raisons. La description de ces épisodes retrouve : ñ une durée brève de 10 minutes à 1h ñ 3 patients atteints d’AVF épisodique rattachent clairement la survenue des épisodes d’agressivité aux périodes actives d'AVF ñ une sémiologie comportant des cris (n=2), des pleurs (n=2), une agressivité verbale vis-à-vis des personnes présentes (n=4), voire physique (n=1), le bris d'objets (n=2).
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B.
Entretiens d'explicitation
Les enregistrements des entretiens sont disponibles sur le CD ci-joint. Les retranscriptions sont en annexe 4.
L'analyse des entretiens selon la méthode de l'IPA nous a permis de dégager trois axes principaux qui permettent de rendre compte du vécu de la crise d'AVF en tant qu'expérience existentielle : être-à-soi, être-au-monde, être-à-l'autre. Les grands thèmes dégagés pourraient paraître très classiques et déterminés a priori, mais nous souhaitons souligner que c'est bien l'analyse systématique du contenu qui a fait émerger ces dimensions.
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Etre-au-monde : de l'enfermement à la libération A. La crise : un enfermement La restriction physique a. L'espace vécu, constriction de l'espace réel Lorsque les sujets décrivent leur expérience de crise, la description de l'espace dans lequel la scène se déroule renvoie fréquemment à des espaces clos, petits, nettement vécus comme trop exigus voire oppressants.
Par exemple, KH relate un épisode qui survient dans une chambre d'hôtel, et évoque plusieurs fois sa chambre au début du récit, en insistant sur ses modestes dimensions, telles qu'elle les perçoit à ce moment-là : ñ KH 15 : « je suis seule, la chambre est très petite » ñ KH 19 : « la chambre était très petite » ñ KH 20 : « c'est vrai qu'elle était assez oppressante » « elle était tellement petite » ñ KH 23 : « elle était très petite »
Ce type de description se retrouve dans d'autres témoignages, la petitesse de l'espace habituel est clairement problématique : ñ KTE 45 : « Là, je suis dans une petite chambre. Alors je peux me lever mais... j'ai 2 m2 pour m'agiter, donc il vaut mieux pas que je prenne ce parti, parce que ça va pas fonctionner »
ñ SC 83 : « Et moi le problème c'est que au niveau de mon espace il devient réduit, et du coup je me retrouve que dans ma chambre et je peux plus me balader dans tout l'appartement. Parce que me balader dans tout l'appartement, ça me donne un espace supplémentaire pour souffler,
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pour souffler et là quand tout le monde se lève y a du bruit, en plus ça m'énerve et je suis obligé d'aller m'enfermer dans ma petite chambre et de tourner dans ma petite chambre, qui est un espace trop réduit, et là, euh, pff, ouh là là, c'est atroce, c'est atroce. » ñ CU 47 « C'est difficile, d'arriver à rester dans la voiture, à vrai dire. »
Dans quelques récits un glissement s'opère, la contrainte spatiale devient le support métaphorique d'un sentiment plus global de restriction : ñ NE 126 « Je me rappelle de ce jour-là parce que c'était contraignant. C'est-à-dire, j'étais pas là où j'aurais du être (..) là j'étais coincé (..) j'étais coincé dans mon truc. » ñ OE 56 « je suis pris là-dedans, je suis pris dans ce monde-là. »
b. le corps contraint Cette notion de constriction, de contrainte, se retrouve également dans diverses manifestations somatiques décrites par les sujets : tension musculaire, oppression thoracique, sensation d'obstruction cutanée... Il est intéressant de noter qu'elles peuvent être présentes dès le début de la crise, alors la douleur n'est pas encore intense : ñ KH 183 « j'avais l'impression d'être tendue », KH 186 « j'étais crispée » ñ GC 9 « quelque chose qui commence à se contracter » ñ CU 22 « je me souviens que je me tendais dans tous les sens, comme ça, je poussais les pieds (il mime), je ne savais pas comment se soulager de cette douleur, et j'ai l'impression... pourquoi j'ouvrais la fenêtre ? pour mieux respirer ou me calmer avec de l'air frais, je ne sais pas (..) Je crois que j'avais du mal à respirer, tout le corps se tend terriblement et mal à respirer,.. et la tension de tout le corps (..) ce besoin de s'étirer comme ça » ñ CU 61 « Il y a un truc avec la respiration, aussi, j'ai l'impression que.. (il souffle très fort, fait des mouvements avec sa main sur son torse) » ñ KH 23 « comme si que ma peau elle manquait d'air ; il fallait aérer les pores »
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c. la réduction des possibilités motrices et comportementales Dans le récit du déroulement de la crise, un accent particulier est mis sur le caractère automatique des comportements observés, il s'agit toujours des mêmes gestes, qui évoquent parfois de véritables stéréotypies motrices. Au fond, les possibilités d'expression du corps sont réduites à quelques schèmes moteurs sur lesquels la volonté du sujet a peu d'emprise : ñ KTE 43 « j'ai toujours les mêmes gestes, automatiques » ñ KTE 125 « mouvements de balancier » ñ KTE 145 « j'ai des automatismes au déclenchement des crises, et j'ai des automatismes à l'arrêt » ñ KH 27 « je me lève chercher mes médicaments limite spontanément, limite j'aurais pu le faire les yeux fermés quoi »
La restriction de la « puissance d'agir »3 Nous renvoyons ici le lecteur au paragraphe « réduction de la puissance d'agir et de l'intentionnalité » dans la partie suivante « être-à-soi » (p.55). C'est là que le sujet perçoit que les restrictions déjà abordées précédemment, s'étendent à toutes les sphères de son action possible sur le monde.
La réduction des possibles atteint son maximum lors de la conviction que toute tentative d'échappatoire à cet état est vaine : ñ OE 60 « Je me dis, c'est calculé pour te faire mal, au max, sans échappatoire. Voilà. T'as pas d'échappatoire. » ñ KTE 74 « J'ai l'impression que cette maladie je m'en débarrasserai jamais, qu'elle va continuer à me bouffer jusqu'à la fin de mes jours » 3
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B. S'en sortir ? En dépit des convictions douloureuses de l’absence d’échappatoire, différentes stratégies sont évoquées par les patients, plus ou moins réflexes, impulsives ou stratégiques, qui semblent correspondre à autant de stratégies « d'évasion ».
Sortir de là Le besoin de sortir, de partir, vite, loin, dehors, revient très fréquemment dans les entretiens. Il survient quasi instantanément avec les premiers symptômes douloureux, souvent réprimé dans un premier temps, puis irrésistible. ñ SC 22 « pour moi la solution c'est de pouvoir sortir de mon lit, pour trouver une échappatoire, en fait. » ñ KTE 110 « Je cours, je sors dans le jardin et par le jardin j'accède à la campagne et je pars en courant, et je cours jusqu'à ce que la crise s'arrête (..) et je cours, ouais, je cours. Ça me fait beaucoup de bien, ouais » ñ FH 239 « Donc je me barre, je vais dans le jardin, je vais promener le chien machin, donc je pars » ñ FH 401 « sortir pieds nus et {de} marcher dans la neige »
CU relie ce besoin au sentiment d'impuissance à soulager la douleur : ñ CU 75 « C'est très très particulier, dans le sens où on est talonné, on est pris au piège de cette souffrance (mime l'action de prendre avec les mains) et on voit pas ce qu'on peut faire pour la soulager. Du coup l'envie, justement je crois que c'est une façon de..., le fait de se lever, de marcher, d'arpenter la pièce, etc... c'est ça. (silence) Ouais. »
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Faire sortir Il peut être intéressant de relier le besoin de « sortir » soi-même à l'impossibilité de retenir les choses habituellement contenues : paroles blessantes voire injurieuses, gestes de colère, mais aussi vomissements...
Partir, différemment Parfois, quitter l'espace est impossible. Mais certains sujets développent alors des stratégies de dissociation provoquées, proches de l'autohypnose, permettant de se réfugier dans un ailleurs psychique. Certaines descriptions sont extrêmement précises : ñ MB 177 « Alors je me fais vomir, et je m'allonge sur la banquette arrière, je respire, je respire, je respire et je pense qu'au sommeil, parce que l'endormissement ça va être la seule issue. ñ MB 204 « Je vise l'endormissement. C'est ça qui était sympa. Comment je me suis senti dormir en ayant très mal. J'avais conscience que j'étais à 5-6-7-8 sur 10, je suis allongé sur la banquette arrière, et puis je dors. Je dors {il sourit}. Je bouge plus, je... {il lève les yeux au ciel, respire lentement}... Le souffle du mec qui dort... Pas de mouvement, le mec il dort. Mais je suis conscient, je sens que j'ai mal. Je dirais même que : je suis inconscient, je dors, et il reste plus que la douleur. Sans déc. Il reste plus que la douleur. Je dors complètement, il reste plus que la douleur et je sens qu'elle est là. »
ñ KH 195 « Je crois qu'à un moment je me suis endormie. Je crois qu'à un moment je me suis endormie (…) Franchement je me demande comment »
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Résister Les sujets décrivent la mise en place de méthodes permettant de résister à l'intensité douloureuse de l'épisode : manœuvres concrètes, contrôle mental des sensations, rationalisations...MB 200 « j'ai déjà mis en place des techniques pour me faire gerber, de m'allonger, d'essayer de me calmer, de pas paniquer. » « Le mental, sans déc » ñ CU 63 « j'essaie de, j'ai appris à méditer, j'ai pratiqué des exercices où on essaie de reprendre le contrôle sur la souffrance, j'ai souvent essayé de mettre en pratique dans ces moments-là, ça m'a aidé pour gérer la souffrance »KTE 177 « je me disais que j'allais être plus fort que la crise, plus fort que la douleur » ñ SC 57 « je me dis je prends cette maladie mais j'espère que mon frère et ma sœur ne seront jamais atteints de cette maladie. »
La crise peut être clairement identifiée comme un lieu de combat : ñ SC 112 « Moi c'est un combat, c'est pour ça que quand j'arrive à la fin de la crise, je me dis « j'ai gagné ». C'est un combat, c'est un combat entre moi et la douleur. » ñ KTE 190 « Là je lutte, je suis actif, ça fonctionne, je me laisse pas faire... c'est vraiment très plaisant (…) oui, c'est très satisfaisant »
C. La libération GC 136 « Et quand ça part en fait, on reprend la vie. »
Relâchement et euphorie La fin de crise est en général assez rapide, pour ne pas dire brutale. Elle se traduit bien sûr par une interruption de la sensation douloureuse, mais aussi par une sensation de détente musculaire, de relâchement profond : ñ GC 144 « Enfin y a un pfouuu, tu vois, dans le corps, on a été tellement contracté, là c'est
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comme un immense relâchement de tous les muscles. »
Ce relâchement peut même survenir avant la fin de la douleur : ñ MB 101 « Ca c'est quasiment à 100% des cas, au moment où je sens que je n'aurai pas plus mal pour cette crise-là, il y a un relâchement musculaire, je sais pas ce qui se passe, il y a un « ouf » qui arrive, et ça me met la gerbe, je transpire, pas avant la douleur, mais au moment où je m'aperçois que j'aurais pas plus mal pour cette crise là, je suis en même temps content et puis, physiquement c'est un pffou.., heu.. j'ai pas encore plus mal, hein, mais physiquement je sens que je commence à me détendre. »
Ces sensations s'accompagnent d'un bien-être intense, quasi-euphorique : ñ CU 131 « Quel bonheur, simplement d'être là, d'être normal. C'est un soulagement immense. C'est un relâchement total. C'est un relâchement total. (..) une détente générale, très certainement. » ñ KTE 135 « un bien-être physique quasi absolu », « une grande sérénité »
Une libération totale, brutale, presque trop Après la crise, le retour à la normale est total, aucune séquelle n'est visible, aucun stigmate de la crise...: ñ MB 58 « Comme si on me pinçait une couille, heu c'est pas terrible, comme si on me pinçait une glande... euh, le cœur d'un poulet qu'on vient de cuire, il reste le cœur ou le foie, hein, un abat, pour moi c'est comme si on pinçait quelque chose de, euh, une gomme, c'est comme si on pinçait une gomme, pour moi, comme douleur, quelque chose qui revient à sa place quand on n'a plus mal. Quelque chose d'élastique, une balle pour les gamins qui rebondit » ñ GC 108 « après la crise vous redescendez, vous avez le sourire, y a rien qui transparaît sur vous, quoi. »
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A ce moment-là, l'évolution est très rapide : ñ OE 123 « la douleur s'arrête, la douleur tombe, elle tombe en chute libre. D'où elle part, il faut le temps qu'elle arrive en bas, mais voilà, elle tombe en chute libre, et d'un coup, paf c'est fini. Mais alors, plus rien, quoi, t'es comme là, sauf que t'es épuisé. T'es comme là, normal, tranquille. Trente secondes. »
Tellement rapidement, après un tel niveau d'intensité douloureuse, que cela pose la question de la crédibilité dans le regard de l'entourage : ñ NG 87 « y a un espèce de truc qui est que, euh, on va déguster au maximum de l'échelle de la douleur et puis une heure après potentiellement ça sera plus là donc ça va sembler un peu ridicule. Le fait de pouvoir monter, et qu'après y ait un truc chimique qui fasse redescendre, y a un côté fake, et on veut pas imposer ce fake-là, moi je pense, vraiment. » ñ RC « Parfois y a eu des matins ou j'ai eu la crise, et à midi, midi trente, y avait plus rien, mais plus rien tu vois. Pour une personne « malade », ca se voit pas du tout ! Même moi, j'étais gêné. »
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Etre-à-soi : de la déformation à la dissolution A. La déformation de soi Sentiment de modification de l'apparence physique Dès le début de la crise, les premiers symptômes coïncident avec la sensation d'une déformation physique, d'anomalies visibles, en particulier du visage. Elle peut être liée aux symptômes végétatifs réels : ñ KH « être comme ça (…), bon, c'est pas très glamour, quoi » «la paupière qui tombe, l'œil qui pleure, le nez qui coule (...) c'est d'être pas bien, d'être pas jolie »
Mais pas nécessairement : ñ MB 60 « Au début de la crise c'est comme si la balle elle était ronde, je commence à avoir mal, il y a quelque chose qui appuie ou qui déforme la balle. »
La modification est ressentie comme évidente aux yeux des autres, s'accompagne d'un vécu de centralité : ñ MB 75 « Je regarde les gens, qui me regardent et doivent se dire « qu'est-ce qu'il fait celui-là, il doit encore être en train de se droguer ou... » Je regarde ceux qui s'inquiètent, les visages inquiets. Ils se demandent bien qu'est ce qui se passe. Qu'est-ce qu'il fait celui-là ? »
« Je ne suis pas comme d'habitude » Le changement ne touche pas que l'apparence du sujet, mais aussi ses comportements, ses réactions : ñ CU 152 « et j'étais irritable dans ce sens... j'ai un souvenir de l'avoir pas bien reçue… Je
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n'arrivais pas à contrôler cette souffrance pour bien la recevoir. Alors que d'habitude ça se passe très bien, très très bien. » ñ FH 225 « Maman, me fais pas chier. Et ma mère, je lui parle jamais comme ça. Maman, me fais pas chier, fous-moi la paix. Et je me barre. »
B. Perte de la puissance d'agir et de l'intentionnalité Renoncer et subir Lorsque la crise arrive, rien d'autre n'est possible que de la vivre. La première idée, c'est qu'on ne peut qu'attendre, impuissant, que la maladie fasse de vous ce qu’elle veut, arbitrairement : ñ MB 22 « Je suis déçu, je suis vexé, je suis dégoûté, quoi. Parce que j'aurais bien fait autre chose, ou continué à me détendre, ou engagé autre chose, et puis ben, ça va encore me faucher » ñ MB 8 « Et mon cerveau, je sais pas, comme s'il se mettait à dire « j'ai plus rien à faire ». » ñ OE 38 « On peut plus se défendre, voilà. Donc quand je parlais du monde très hostile là, c'est comme Moïse sur les flots qui est ballotté, là, mais en bien plus méchant puisque Moïse, il craignait rien, il était ballotté, moi je suis agressé en plus dans cette affaire. Sans défense, quoi. » ñ CU 66 « On est démuni parce qu'on doit endurer une souffrance physique très forte et qu'on, qu'on subit véritablement. Si tu veux il y a le sentiment de… on est démuni dans le sens où c'est particulier comme souffrance, c'est-à-dire que.. (silence) (..) Là, on n'a pas de répit, c'est une souffrance, aucune posture ne peut diminuer cette souffrance, donc on est talonné par une souffrance qui est là, qui nous talonne, et qui ne nous donne aucune possibilité de répit, donc on est démuni face à ça, parce qu'on n'a pas la main, on n'a pas le pouvoir, on n'a aucune clé pour échapper à cette souffrance. C'est dans ce sens-là qu'on est démuni. C'est très très particulier, dans le sens où on est talonné, on est pris au piège de cette souffrance (mime
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l'action de prendre avec les mains) et on voit pas ce qu'on peut faire pour la soulager. » ñ CU 97 « il faut faire avec, il n'y a rien d'autre à faire et appeler à l'aide ça ne servirait à rien... Appeler à l'aide ben non, ça sert à rien, il faut que je me coltine cette douleur. »
ñ NG 30 « Je sais, c'est une vraie crise, on va voir jusqu'où ça va aller et il va falloir que j'attende le maximum. Y a un moment je commence un peu à chialer, à flipper, à me dire merde, merde, va falloir que j'attende, que j'attende.» ñ NG 44 « à ce moment-là, moi je sais que ça va aller jusqu'au bout (…) je vais déguster. »
ñ GC 81 « Changer de position ne change rien, mettre la tête en haut, en bas, se retourner, ne change absolument rien. » ñ GC 90 « Alors on attend, on guette, on l'espère, quand y a le moindre petit repos on se dit « ça y est c'est le médoc qui agit » et puis PAF, ça y est, y a une autre salve qui arrive. On a le sentiment d'être torturé »
Dans le récit d'FH, on retrouve même une incapacité de se faire l'injection d'Imiject au cours d'une crise (FH 68-149), un geste pourtant simple et rapide, qu'elle sait faire. L'impossibilité d'agir reste inexplicable. ñ FH 122 « je sais qu'à la fin de cette clope je vais y aller et je vais me piquer, sans problème. Je finis la clope, et même scénario : je ne peux pas. »
L'effraction corporelle et psychique La douleur s'impose, donc, et plus que cela : elle vient violer l'intimité corporelle et psychique : ñ NG 8 « Je viens de m'endormir et je suis réveillé par un truc très désagréable qui dit « ça va
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pas être possible, ça marche pas, ça va pas ». » ñ NG 20 « Là c'est plutôt un truc qui est piquant et qui vient de l'extérieur, et même dans le sommeil (...) Quelque chose d'extérieur qui rentre dans mon sommeil, du coup je sors de mon sommeil sans trop piger. (...) ça me harcèle, et comme c'est un truc qui pique et qui est extérieur »
Elle vient littéralement tout envahir, elle prend toute la place : ñ MB 25 « Tout s'arrête et ça me.. prend tout mon mental » ñ MB 126 « lorsque la douleur elle arrive, tout s'arrête (…) tout est balayé par la douleur, y a plus que ça qui compte, ça prend toute la place dans mon esprit, y a plus que ça qui compte, tout est balayé. Après, voilà, je vais pas oublier mes gamins à l'école, je vais pas oublier les grandes lignes de ma vie, quoi, mais tout ce qui me paraît pas survie, pas... tout s'arrête, tout est balayé, ça prend toute la place dans mon esprit »
Le corps incontrôlable, étranger La crise s'accompagne de la perte de la possibilité de contrôler ses manifestations corporelles : ñ MB 17 « Cet engourdissement c'est comme si je ferme mon poing, comme ça, mes muscles se contractent (il me montre). C'est pareil, sauf que là ça vient tout seul, sans que j'actionne rien de mon propre chef. » ñ CU 87 « C'est difficile de se contrôler. »
Les signes physiques les plus révélateurs de l'intime perdent leur signification, les larmes ne sont pas des pleurs de tristesse, juste un œil qui coule : ñ GC 62 « j'ai des larmes de souffrance qui me viennent, c'est des larmes, c'est bizarre, on n'a
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pas la sensation de pleurer » ñ NE 63 « Et l'œil pleurait, (…) l'œil pleurait, et au début je m'en suis surtout aperçu comme ça. »
Les pensées folles Dans l'intensité de la douleur et de l'impuissance, émergent des « pensées folles », projets délirants visant à interrompre l'épisode. Certains sont construits autour d'un « projet » d'exérèse du facteur douloureux. Dans l'expression de ce projet, il apparaît que la localisation de l'objet est en réalité confuse, un lieu entre le soi et le non-soi, révélant par là-même le flou des limites corporelles, la quasi personnification de la douleur, qui est un autre que soi. ñ GC 120 « y a des pensées complètement folles qui me viennent. La pensée de « je vais me foutre la tête contre le mur », qui peut arriver. Y a une pensée encore un peu plus stupide qui consiste à dire « je ferais ptet un trou dans cette tête pour que ça s'en aille » (..) Et j'ai vraiment imaginé me faire un trou dans la tête. Où, quand, comment : non, mais... On est désespéré, on n'a pas de solution, et je vous dis, on fonctionne que sur le cerveau reptilien. Le cortex, on a retiré les fusibles, donc on est dans un état, voilà de reptile, et on se dit, la chose apeurée comment elle va faire pour plus avoir mal ? Ah elle a mal à la tête ? Alors schématiquement, je vais me retirer la tête, c'est un peu ça quoi. » ñ CU 60 « je voudrais m'arracher l'œil (il mime le mouvement, rit), enlever ce nœud de douleur que j'ai dans l'œil c'est creuser, cureter l’œil, pour enlever ce qu'il y a... c'est une image, hein, mais il y a ce sentiment qu'on voudrait vraiment, il y a un nœud de douleur, on voudrait plonger la main pour pouvoir arracher ça, pour pouvoir être libéré. » ñ SC 67 « Penser à se cogner la tête contre un mur, ça j'y ai pensé.. parce que je me dis qu'en me taper la tête contre un mur, ou me mettre quelque chose dans les yeux pour pouvoir atteindre la douleur et me l'enlever, ça sera terminé. » « Quand j'ai ces pensées suicidaires, j'ai pas envie
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de me faire mal au reste du corps, j'ai envie de faire mal qu'à ma tête j'ai envie de trouver une solution pour pouvoir rentrer dans ma tête, pour pouvoir atteindre la douleur, et la prendre, en fait. »
A posteriori, la conscience du caractère délirant de ces pensées ou de ces actes est nette : ñ FH 157 « on fait des trucs qui servent à rien, des trucs un peu déraisonnés » ñ FH 377 « Mais la douleur elle est tellement intense que je pense qu'elle rend fou, elle rend fou sur le moment. Le fait de se taper la tête avec un marteau, faut être fou. Le fait de sortir pieds nus et de marcher dans la neige, faut être fou, c'est pas un comportement normal »
Mais l'adhésion à l'instant peut être totale : ñ NG 92 « Cette fois-là, donc, je me suis levé du lit et il m'est arrivé un truc très bizarre, c'est que (...) j'ai oublié les solutions que j'avais (…) je me suis dit « putain », mais, euh, ça je me suis rendu compte après coup, j'ai oublié que je pouvais appeler mon pote, et j'ai oublié que je pouvais aller aux urgences.»
C. La dissolution La perte du cadre temporel de l'expérience GC 30 « le temps, je pense, la sensation du temps elle est un peu foutraque à ce moment-là »
Face à cette perte de l'évidence naturelle du temps qui passe, d'autres stratégies sont élaborées, puisque les crises sont de même durée chez un patient donné : ñ KTE 188 « une crise ça se calcule en temps (…) moi je passe mon temps à regarder l'heure »
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Une expérience « limite » A un certain niveau de douleur, les sujets décrivent clairement le sentiment d'avoir atteint une limite de ce qui est supportable, de ce qui permet de maintenir son intégrité : ñ KTE 100 « Je suis vraiment au maximum. C'est une douleur que je peux tenir peut-être ¼ d'heure, mais après, euh... après non, c'est pas possible, je... je... » ñ GC 130 « Ce mal-là... ça dépasse les capacités de résistance », une expérience « au-delà » ñ MB 67 « Même quinze ans après on peut pas s'y faire à une douleur de ce niveau là, on peut pas s'habituer à cette douleur là »
Place de la pulsion suicidaire Il est alors possible qu'émerge une véritable pulsion suicidaire. Car interrompre cette expérience, c'est-à-dire annuler la douleur, cela passe par l'annulation de soi, en tant qu'agent ou contenant de cette douleur. On ne retrouve pas d'affect de tristesse dans ce mouvement suicidaire, mais plutôt un appel irrésistible vers un mode d'apaisement de cette douleur. ñ KTE 100 « Là dans ces cas-là on pense vraiment à se tuer, c'est pas possible » ñ NE 120 « On aimerait disparaître. On voudrait ne plus exister. On pense pas à la mort, je me dis jamais « j'ai envie de mourir », on voudrait être absent » ñ NG 112 « Je m'en souviens bien j'étais dans le salon, moi les poignées de fenêtre c'est un immeuble moderne donc elles sont à cette hauteur-là, donc à un moment j'ai agrippé les poignées pour faire {il halète bruyamment}... Et j'ai juste ouvert pour voir si l'air frais ça me ferait du bien, et je me souviens très bien, je me suis dit « putain, je pourrais me foutre en l'air, ça irait mieux ». Voilà.(...) Et donc ce que j'ai fait c'est qu'il y avait la table à côté de... la table du salon, donc, euh, et donc là j'arrivais plus à tenir debout donc je suis tombé, et je me suis agrippé - c'est des gros pieds, des gros pieds cette table – et donc je me suis agrippé comme ça {il mime, embrassant avec les deux mains} euh, en me disant qu'il fallait que j'agrippe, le pied, qu'il fallait que je tienne quelque chose pour ne pas, pour pas, euh, avoir envie soit de
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bouger, soit de sauter en l'air, soit de me... Ouais, ouais il fallait que j'agrippe un truc (...) Et j'ai enlevé ma ceinture en me disant « tiens, si ça merde je vais m'accrocher aux, je vais m'accrocher aux pieds de la table». Dans l'idée de.. chais pas, se ceinturer. S'accrocher à quelque chose quoi. Pour pas... soit pour pas sauter, soit pour pas courir en gueulant, soit pour juste le besoin de s'accrocher à un truc. »
ñ OE 62 « Et là, et là... et c'est là le drame, c'est là qu'il devient évident que pour arrêter la douleur, il faut arrêter la vie. C'est vraiment ça. Mais c'est devenu d'une évidence et d'une logique implacables, que je me suis dit « Ben voilà, t'as trouvé ! Et ben vas-y ». Et je me suis levé, je suis allé sur le balcon, je me suis retrouvé devant le garde-fou, là, en béton, épais comme ça, hein, machin, et, euh, je regarde en bas, « 8 étages, enfin 7 étages plus les garages en bas, c'est bon, arrivé en bas t'as plus mal. » Et je commence à enjamber le truc »
L'expérience du basculement A l'étape suivante, si l'on peut dire, le point-limite est franchi, et le sujet fait véritablement l'expérience d'un basculement, passage dans un autre type de réalité où les règles habituelles n'ont plus cours, où le concept même de soi est démantelé, écrasé sous le poids de la douleur : ñ GC 29 « Petit à petit, la maladie va occuper de plus en plus de place (..) à ce moment-là, je n'ai plus d'autre réflexion, pensée, qui soit autre que la maladie. Je ne pense qu'à ça (..) Au moment du basculement, je n'ai plus aucune autre pensée que ça » ñ GC 58 « La crise fait qu'à son plus fort, vous devenez animal (..) moi je me suis vu me balancer comme un enfant, gémir » ñ GC 83 « Quand il est à son paroxysme, voilà, vous n'êtes plus rien que souffrance, tout est concentré là-dessus, vous êtes un espèce d'animal, en train de gémir, en train de pleurer, en train de se contracter »
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ñ MB 204 « je suis inconscient, je dors, et il reste plus que la douleur. Sans déc. Il reste plus que la douleur. Je dors complètement, il reste plus que la douleur et je sens qu'elle est là. »
ñ OE 29 « Et là, ce jour-là, je commence à changer de monde. La douleur commence à m'aspirer dans son monde. (..) Je perds le réel. Je perds le réel parce que marcher sert plus à rien. Appuyer là sert plus à rien. On peut plus se défendre, voilà. Donc quand je parlais du monde très hostile là, c'est comme Moïse sur les flots qui est ballotté, là, mais en bien plus méchant puisque Moïse, il craignait rien, il était ballotté, moi je suis agressé en plus dans cette affaire. Sans défense, quoi. La douleur absolue. La douleur absolue. Ca te bouffe. (..) C'est pas vraiment une aspiration. J'ai parlé d'aspiration oui, mais c'est plutôt comme une bascule. C'est si, voilà, y avait plus ce truc {il désigne le repose bras du fauteuil sur lequel il est assis}, je glisse, voilà, et je change de monde. C'est comme, tu vois cette série à la noix, la porte des étoiles, et à un moment donné, on voit le... ils sont comme euh... ils basculent, à travers un tunnel, un tunnel de, euh… on sait pas trop, enfin un tunnel de magma, on voit, ils basculent et ils changent de monde. Et moi, je suis là, je le vois comme un nuage, comme des nuages noirs agressifs, bruyants, c'est électrique, c'est terrible partout. Je glisse, et hop je tombe, comme Moïse sur les flots, et ben moi je suis dans les nuages, porté par les nuages. Je vois les nuages, ou le magma, enfin c'est des nuages d'orage, enfin, noirs méchants gris, qui m'entourent. Alors, je suis pas englué, je peux faire ce que je veux, mais je suis pris là dedans, je suis pris dans ce monde-là. Et dans ce monde-là y a plus de logique. Enfin si, une autre logique. J'insiste sur cette logique. Y a une logique. Mais c'est pas la même. Et en plus c'est pas la bonne. »
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Le vide, la mort L'image évoquée par le patient à la fin de l'extrait précédent ressemble à certaines expériences de mort imminente ou Near Death Experience (NDE), au cours desquelles les sujets ne perçoivent pas le désormais « classique » tunnel lumineux dans un vécu de plénitude, mais plutôt ce type de monde, dans une expérience très désagréable. L'une des expériences fortes lors du basculement est donc sans doute proche de l'expérience du vide :GC 95 « Mais moi dans les phases les plus aiguës, y a plus de pensée. Y a plus de pensée. Moi vraiment dans les phases aiguës c'est un vide. (silence) C'est une espèce de retour à l'état primitif. On est plus… que ça, cette souffrance, y a rien d'autre. »
… qui signe probablement l'évidence d'une mort imminente : ñ GC 196 « Y a un sentiment de mort quand on vit ça (..) On est à la lisière de la vie » ñ MB 233 « j'ai peur, j'ai peur de.. je suis en train de mourir. je vais mourir. j'ai peur, je vais mourir » ñ OE 58 « ça monte encore d'un pic, et là gnnn, « je vais mourir ? » » ñ CU 114 « qu'est ce que je peux dire de plus par rapport à l'état dans lequel je suis cette nuit là ? J'ai des pensées d'anéantissement. Tout à coup le sentiment d'être détruit, qu'est ce que je vais devenir, avec ça. Le sentiment d'un basculement assez horrible (…) un sentiment d'anéantissement total. »
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Etre-à-l'autre : de la solitude impérative à la possibilité d'une présence sans mots
A. L'isolement Evidence et nécessité Pour la quasi-totalité des sujets, le moment de la crise est synonyme de solitude radicale ; il s'agit d'une épreuve que l'on vit seul, sans recours possible au soutien d'autrui : ñ KTE 63 « on est seul face à la crise » ñ CU 95 « il faut faire avec, il n'y a rien d'autre à faire et appeler à l'aide ça ne servirait à rien... Appeler à l'aide ben non, ça sert à rien, il faut que je me coltine cette douleur. » ñ KTE 81 « J'ai vraiment, vraiment, vraiment pas envie qu'on me voie dans cet état. C'est pas possible. C'est pas possible. C'est pas supportable. C'est pas supportable (..) Je ne supporte pas la présence des autres pendant une crise. Je supporte pas quoi. J'ai un besoin d'isolement absolu. Vraiment je n'y arrive pas. J'ai pas besoin d'être très loin des autres mais il me faut une distance » ñ CU 143 « Dans une grande douleur, comment recevoir quelqu'un, tout simplement, tu n'es pas en état de recevoir quelqu'un, il y a ce côté là... parce que je me bagarre, je suis en bagarre avec moi-même, je peux même pas regarder, je peux pas regarder, je peux pas parler. »
Plusieurs façons d'être seul lorsque la crise survient a. Fuir le regard de l'autre ñ NG 67 « je me tire, je vais me mettre dans un coin. » ñ MB 108 « Limite si je sais que mes voisins sont dans ma rue en train de discuter, je vais faire un détour pour ne pas qu'ils me voient arriver » ñ MB 140 « je commence à avoir mal au casque, je file. Dès le premier engourdissement d'épaule, ce que je te disais tout à l'heure, j'attends même pas le 0.5/10, je file au chiottes a
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quatre pattes »
b. Le faire partir ñ KTE 28 « je préviens ma compagne, que je vais m'isoler, pour qu'elle sache qu'il ne faut pas me déranger » ñ CU 152 « maman, quand (..) elle est revenue, et je lui ai demandé de me laisser seul. J'étais pas du tout accueillant, j'étais très irritable, je l'ai mal reçue. Très irritable. Elle me posait des questions et j'étais absolument pas en état de... et j'étais irritable dans ce sens.. j'ai un souvenir de l'avoir pas bien reçue.. Je n'arrivais pas à contrôler cette souffrance pour bien la recevoir. Alors que d'habitude ça se passe très bien, très très bien. J'ai le souvenir de mon énergie négative, et je l'ai presque envoyée balader, j'ai ce souvenir, un peu de ça. »
Les explications du besoin d'isolement L'autre s’avère insupportable, d'autant plus qu'il parle, qu'il veut des mots, des explications : ñ KH 115 « c'était oppressant, parce que j'avais déjà mal à la tête, et elles arrêtaient pas de parler (...) elles parlaient de trop (...) elles parlaient énormément » •
SC 110 « Moi je suis en train de gérer la douleur le pic, je suis en train de lutter, quotidiennement, là, et elle même y a ma mère qui me parle, et elle me dit des choses, et ça c'est pas possible de cumuler. »
ñ KTE 106 (il vient de donner un coup de poing dans la porte). « Ça effraie mon amie à côté. Qui panique. Et moi je suis dans un moment où vraiment je peux pas lui expliquer, il faut qu'elle comprenne par elle-même, quoi, et elle comprend pas, elle ouvre la porte (…) Je lui crie de sortir, de fermer cette porte, et elle, elle veut pas comprendre »
L'autre est ressenti comme une diversion mal venue car l'essentiel serait de pouvoir se 70
concentre ; plus violemment encore, il est le miroir de l'angoisse, et de l'impuissance propre du sujet : ñ FH 321 « C'est arrivé qu'Alex au début vienne, essaie de me réconforter (elle mime le fait de prendre dans les bras), que je lui explique « laisse-moi gérer, etc.. », que la personne comme elle nous aime a du mal à comprendre, et que je lui dise « fous-moi la paix ». Fous-moi la paix. C'est insupportable. C'est pas un sentiment où on le déteste, c'est juste : « je te demande une chose, c'est de dire « tu ne peux rien pour moi », autant que moi je ne peux rien de plus pour moi à part de faire l'injection ou de prendre l'oxygène », « tu ne peux rien pour moi, ne me gonfle pas, à me concentrer sur autre chose. » » ñ FH 331 « à ce moment-là, quand je lui dis, qu'il vient en disant mais qu'est-ce que je peux faire, machin, qu'il prend dans les bras, alors que nous on est dans cette *, dans ce mouvement d'autiste, de mouvement à bascule, et qu'il faut pas, il faut surtout pas nous immobiliser, il faut qu'on puisse être libre de nos mouvements, et qu'il fait des bisous, alors que tout ce dont on a envie, à ce moment-là c'est d'autre chose, parce qu'en plus on peut pas rendre cette affection, cette attention... c'est juste à ce moment-là d'être brutal, pour lui faire comprendre, c'est dire « mais fous-moi la paix, je ne peux pas m'occuper de toi » ñ FH 342 « à ce moment-là, non, il faut pas venir. Il faut pas venir me demander « ça va ? ». Non, ça va pas. « Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? » Rien. En fait la conversation elle est stérile, ça mène à rien, la conversation, ce qu'il peut faire...ça mène à rien. »
ñ SC 96 « C'est toujours ma mère, toujours. Elle vient me voir directement dans ma chambre, parce qu'elle sait ce que j'ai. Elle a toqué, elle m'a proposé un petit déjeuner, et moi, pour moi, c'était non. Quand elle toque, c'est, heu...elle me demande comment ça va, et heu je lui réponds sèchement. Parce qu'elle sait, elle sait que je vais pas bien. Moi je sais qu'elle le demande pour mon bien, mais moi je peux pas m'empêcher de lui donner une réponse agressive, parce qu'à ce moment-là je suis dans une période de forte douleur, donc pour moi
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faut qu'elle puisse comprendre que c'est pas la peine d'essayer. »
ñ NG 71 « j'ai le sentiment que les gens qui assistent à ça peuvent pas se rendre compte, déjà. (..) et puis moi j'ai pas envie d'étaler ma souffrance parce que je sais qu'elle est extrêmement, enfin quoi, moi, j'ai le sentiment qu'elle est extrêmement angoissante pour ceux qui la voient. »
Le comportement de l'autre, à ce moment-là, révèle à quel point le contenu de l'expérience est impossible à partager : •
KTE 68 « Là, je suis en train de prendre la décision de me séparer d'elle (..) parce que ça va pas être possible (..) c'est pas un truc qu'on peut affronter en couple, ou en tous cas pas dans ce couple. Donc, euh... j'y pense rapidement, ma décision elle est prise en quelques secondes, ça me traverse l'esprit, voilà. »
ñ KTE 154 « Il y a toujours un moment où mes résolutions partent en lambeaux et je ré-éprouve ce besoin absolu, irrépressible, d'isolement total. Les résolutions c'était de vivre cette période de crise avec une femme (..) et le constat c'est un échec. Ce n'est pas possible »
A. L'angoisse de la solitude et de la singularité Le besoin d'isolement, voire le rejet de la présence de l'autre n'empêche pas une certaine ambivalence, centrée autour de la peur de la solitude : ñ SC 100 « Mais au fond de moi j'aime, j'aimerais qu'elle vienne me voir. C'est bizarre, c'est paradoxal, c'est particulier. Parce que si elle vient pas ça veut dire qu'on s'intéresse pas à moi, qu'on me laisse, tout seul, dans ce genre de problème-là. Et j'ai besoin qu'on vienne me soutenir. »
L'insoutenable anomalie dans le regard de l'autre 72
ñ KTE 80 « L'autre me voirait moi, et ça rajouterait à ma douleur » (sic) ñ MB 75 « Je regarde les gens, qui me regardent et doivent se dire « qu'est-ce qu'il fait celui-là, il doit encore être en train de se droguer ou... » Je regarde ceux qui s'inquiètent, les visages inquiets. Il se demandent bien qu'est ce qui se passe. Qu'est-ce qu'il fait celui-là ? (..) Le principal sentiment que j'ai, après c'est peut-être moi qui interprète, il y a peut-être une certaine parano qui s'installe, je ne sais pas : les gens ils pensent « Ouh là là qu'est-ce qu'il est en train de faire, ce jeune, avec sa barbe ? Qu'est-ce qu'il est en train de faire celui-là ? » Ils doivent se méfier, ils doivent flipper. Si j'ouvre ma fenêtre pour demander ma route, c'est sûr que personne ne va me répondre. » ñ MB 146 « Ce qu'elle se disait elle ? Ben, qu'elle en avait marre de se traîner un handicapé. Que j'étais pas là à 100% dans toutes activités qu'on faisait ensemble. Souvent elle allait faire ses activités à elle, parce que moi je pouvais pas suivre, quoi. Par exemple, chais pas, soirée salsa, apéro, machin, tout ça c'est pas pour moi, ça. Il va faire super chaud. Je te disais, alcool ou douche chaude prolongée, moi c'est vraiment pas pour moi, grosse chaleur prolongée c'est crise dans 70% des cas, alcool 100%, alors ces soirées-là, moi, je les fuis quoi, je les fuis. Et puis voilà, partir 48 h en balade en voiture en week-end, c'est tout un pataquès, quoi, elle, elle me... excuse moi, j'ai perdu le fil de ta question. »
ñ CU 150 : « Je voulais surtout pas qu'Aurore, ma fille, me voie dans cet état-là. Parce que c'est une souffrance de voir quelqu'un qu'on aime souffrir. »
ñ MB 167 « Je viens de voir partir les autres, je suis seul, dégoûté, déçu de ne pas être à la hauteur de quelqu'un de normal quoi, je me sens inférieur, je me sens diminué, je me sens pas à 100% de mes moyens, je me sens pas normal. »
ñ FH 242 « Je me dis que cette douleur fait chier, puisque personne ne trouve, que les
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médicaments classiques qui soulagent les gens normaux de leur maux de tête ne fonctionnent pas, que ma mère essaie de me faire manger des médicaments que j'ai déjà pris maintes et maintes fois et que ça fait aucun effet. »
Le caractère impartageable ñ NG 71 «j'ai le sentiment que les gens qui assistent à ça peuvent pas se rendre compte, déjà. (..) et puis moi j'ai pas envie d'étaler ma souffrance parce que je sais qu'elle est extrêmement, enfin quoi, moi, j'ai le sentiment qu'elle est extrêmement angoissante pour ceux qui la voient. » ñ NG 77 « Donc y a aussi ce truc-là de pas foutre les gens dans sa propre terreur, ça sert à rien la terreur, y a un moment où on se dit, la terreur, ça sert à rien de la partager (..) De toutes façons, ça serait pas possible de la partager. Bah non. Bah oui. » ñ NG 97 « A ce moment-là, j'en voulais extrêmement fort à mon ex-femme (..) parce qu'elle m'a dit, heu, t'avais qu'à t'organiser, laisse-moi dormir, et j'étais là vvvvv {il mime des cercles avec sa main, et grimace du visage}, et je me souviens très bien à me dire oh là là c'est bien que c'est un truc personnel parce que même elle qui est infirmière, qui sait ce que c'est la douleur, qui a déjà vu des crises, qui te dit ça, c'est que de toute façons c'est pour ta gueule, quoi, donc tu te mets dans le salon, tu fermes toutes les portes et maintenant tu te démerdes pour que ça passe (silence). C'est à toi, c'est à toi de... c'est à toi d'encaisser quoi. »
ñ FH 238 « j'ai tellement de colère après ma mère qui est sensée me comprendre et qui me comprend pas »
L'expérience de la crise renvoie à celle de l'incommunicable, de l'indicible. Les mots usuels sont inaptes à rendre compte de la réalité.
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ñ OE 131 « Il me dit « qu'est-ce qui vous arrive? » j'ai dit « j'avais mal là, et j'ai plus mal ». Alors ça fait court, hein, je suis d'accord, pour un diagnostic. Il me fait répéter, je dis « j'avais mal là, et j'ai plus mal », je pouvais pas dire autre chose. »
Etre un danger pour l'autre Eviter l'autre, c'est aussi le protéger. Car les modifications de comportement lors des crises peuvent conduire à une agressivité verbale ou physique, dont les sujets ont pleinement conscience. Conscience d'autant plus douloureuse que ce comportement tranche nettement avec l'habitude et qu'il échappe en grande partie au contrôle. ñ KTE 38 «On sait jamais à quoi va ressembler la crise (...) Y a des crises qui peuvent être vraiment plus fortes que d'autres et induire une modification de notre comportement. C'est le cas ce fameux jour » ñ FH 267 « Et moi j'étais dans la chambre, un coup de nerfs monstrueux... (..) je file dans le salon en hurlant, mais de façon complètement disproportionnée, en disant « mais Morgan ! (..) qu'est-ce que t'es con ! T'es même pas foutu de l'écouter ou d'avoir du respect pour lui !Il s'est fait chier à te faire le petit-déj, c'est pas ton père, il est gentil avec toi, aie au moins la décence de lui répondre » et tout.. et là le gamin te regarde et te dit {air bête} « ben quoi ?».. Et là ça part... il a cinq ans, ça part en cacahouète, je l'attrape par le col, je le soulève, je le fais voler je le mets dans la chaise, ça part dans tous les sens. Je le frappe pas, mais je l'insulte de tous les noms, en disant qu'il est con, que Alex a pris le temps de lui faire son petit-déj, que c'est pas une merde, que ça fait trois fois qu'il lui parle, qu'il pourrait au moins lui répondre, etc... ñ FH 290 « Au moment où je reviens dans la chambre, j'ai aucune...euh.. j'ai une notion de ce que je viens de faire, mais aucune culpabilité. Je suis super énervée. » ñ FH 319 « c'est vrai que cet accès de colère, je... peut-être que ça explique qu'on ait besoin de s'isoler, on veut pas faire de mal, on veut pas blesser... »
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C. La possibilité de l'Autre Finalement, après une quasi-unanimité sur l'impossibilité d'être accompagné dans la crise, nous retrouverons (dans 4 témoignages sur 10) la trace d'un autre qui fait du bien.
Cet autre présente une caractéristique tout à fait discriminante, retrouvée dans les 4 cas : celle d'être là, et de se taire.
ñ KH 159 « même si la personne elle fait rien, d'ailleurs je lui demande rien du tout, hein (..) juste d'être là. Là, avec mon copain, je lui tiens sa main. On discute pas vraiment (…) Il cause pas trop non plus, mon bonhomme. Donc, il parle pas, il me laisse gérer ma crise. Il cherche pas à comprendre, il pose pas des questions, il est juste là »
ñ KH 206 « je crois même qu'il avait accepté de rester dans le noir sans rien faire »
ñ GC 103 « Donc j'ai attrapé la main tendue, je me suis dit : peut être que ça va faire quelque chose, je sais pas {la voix devient chevrotante}, donc j'ai passé le reste de la crise en lui tenant la main. Et je me souviens que je lui serrais la main en fonction de la douleur que j'avais, donc ça allait d'une pression normale à une pression qui devait lui faire mal à certains moments, mais c'était pour moi une façon de lui communiquer, presque de lui apprendre ce que je vivais »
ñ OE 94 « Elle m'a pas posé de question. Elle s'est habillée. Pour que je la réveille, c'était grave. Je l'avais réveillée, donc c'était grave, donc y avait pas de question à poser, elle l'a fait. Elle m'a aidé en tenant la porte, en me guidant parce que je pouvais pas ouvrir les yeux, c'est pas que je craignais la lumière, mais je devais avoir peur. {silence}. Oui, je devais avoir peur {il
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pleure}» ñ OE 136 « Quand je l'ai réveillée, elle m'a juste demandé : « à quel hôpital tu veux aller ? ». J'ai dit « je sais pas ». Elle m'a dit « à Sainte Marguerite ? » J'ai dit oui. (..) Après elle a du me dire un « ça va ?», ou un truc du genre, mais elle savait qu'il fallait pas trop parler. C'est moi, même, qui lui ai dit « ça va un peu mieux » » ñ OE 146 « Il fallait tenir, elle a tenu, et elle était là »
ñ FH 286 « C'est A., mon conjoint, qui me voit et me dit « c'est pas bon du tout ce que t'es en train de faire, pour le petit » Enfin il me le dit pas, il me le fait comprendre. » ñ FH 354 « (…) y a que mon père. Il fait rien, il ne parle pas. Il ne parle pas. Il pose pas la question « est-ce que ça va mieux » ou quoi que ce soit ».
La présence est simple présence, sans mots, sans recherche d'explications, une présence muette.
On observe également le potentiel de contenance opéré par l'intermédiaire de la présence d'êtres... pourtant physiquement absents à ce moment-là. Ainsi, dans cet extrait où OE raconte comment le sentiment de présence de ses enfants, ou bien le rappel à sa conscience de leur existence, l'empêche de passer à l'acte suicidaire : ñ OE 72 « d'un coup je, euh... c'est au moment où je me suis tourné pour enjamber, y a ma tête qui a tourné vers là où se trouvait la chambre, enfin les chambres de mes enfants, et je me suis dit « ça serait trop injuste pour eux ». Alors j'ai rebasculé (il mime, par dessus le balcon). Je suis revenu. »
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IV. DISCUSSION ET PERSPECTIVES A.
Qu'est-ce que faire l'expérience d'une crise d'AVF ? i. Analyse de l'autoquestionnaire : prégnance des manifestations comportementales et psychiques au cours des crises
La structure de l'échantillon, en termes d'âge et de genre, correspond à ce que l'on peut retrouver dans le études cliniques de l'AVF, avec un âge plutôt jeune, et une majorité de sujets de sexe masculin (Ekbom et al. 2002; G C Manzoni 1998). On retrouve 15% de gauchers, ce qui correspond à la population générale, sans latéralité particulière pour l'AVF.
Les formes chroniques sont sur-représentées dans cet échantillon, ce qui correspond probablement à un biais de recrutement lié au centre où nous travaillons. Il s'agit en effet d'un centre de consultation tertiaire, attirant donc particulièrement les situations les plus délicates sur le plan thérapeutique (dont font partie les cas chroniques d'AVF). Ce biais de recrutement explique probablement la fréquence de patients traités selon les recommandations actuelles, largement supérieure dans notre échantillon à celle des patients recrutés en population générale. Dans cette série, on retrouve chez trois patients un antécédent de traumatisme crânien sévère (avec perte de connaissance prolongée) précédant le début de la maladie. Il s'agit d'une comorbidité déjà décrite dans la littérature à travers plusieurs cas rapportés[75], [76], et des tentatives de synthèse, conduisant à des hypothèses physiologiques [77], [78] : traumatisme mécanique conduisant à des lésions des nocicepteurs périphériques, révélateur d'une vulnérabilité hypothalamique, ou bien association statistique en rapport avec un style de vie plus orienté vers la prise de risque chez les patients AVF. Nous n'avons pas retrouvé dans notre échantillon d'autre condition potentiellement impliquée dans une AVF secondaire. 78
De la même façon, peu de comorbidités somatiques ont été détectées, ce qui est cohérent avec la composition démographique de l'échantillon (hommes jeunes). Nous retrouvons également dans trois cas l'existence d'antécédents familiaux, ce qui correspond à une fréquence conforme à la littérature.
Sur le plan des comorbidités psychiatriques, on recense dans notre échantillon 4 cas de dépression. Concernant cet item, il faut noter d'importantes limites de notre questionnaire : la question posée était très générique, peu précise. Un dépistage spécifique de ces comorbidités, même rapide (MINI) aurait clairement du être associé au reste du questionnaire. Il en est de même en ce qui concerne les comorbidités addictologiques : le questionnaire ne contenant aucune question spécifique sur la consommation tabagique ou cannabique. Notons cependant l'existence d'une étude récente encours de publication par la même équipe sur « AVF et cannabis », réalisée dans les mêmes conditions (même lieu de recrutement, centre urbain ; n= 139 patients, 74% de patients fumeurs de tabac, 32 % rapportant un usage de cannabis dans les six derniers mois).
Nos résultats confirment clairement les études précédentes sur AVF et les modifications comportementales lors de la crise [23], [24], montrant la forte prévalence de ces modifications (Tableau récapitulatif).
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Blau n = 50 ; 31 eCH, 19 cCH
Torelli et al. n = 42 eCH
Actuel n = 35 ; 24 eCH, 9 cCH
Incapacité à rester en 82 % place lors de la crise
88 %
70 %
Gestes stéréotypés ou 64 % répétitifs
41 %
57 %
Stimulations thermiques
N.E.
46 %
63 %
Modifications de la N.E. respiration
20 %
66 %
Gestes hétéroagressifs « fréquents »
N.E.
50 %
Besoin d'isolement 79 % sensoriel
70 %
96 %
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ii. Une proposition neurophénoménologique Dans cette partie, nous proposons de faire la synthèse de la sémiologie classique de l'AVF, avec celle que nous avons recueillie dans les questionnaires et les entretiens d'explicitation. A partir de ces données, il est possible de proposer des hypothèses selon le modèle classique de la neurologique clinique, en termes de : 1. mécanisme 2. structures anatomiques impliquées
a) déroulement de la crise Le déroulement de la crise d'AVF répond aux caractéristiques suivantes : ñ Manifestations stéréotypées chez un même patient (« c'est toujours le même scénario ») ñ Le plus souvent installation rapidement progressive des symptômes en quelques minutes, selon une « marche » elle aussi stéréotypée (i.e. succession des manifestations toujours dans le même ordre) ñ Association de symptômes « positifs » : paresthésies, douleur, signes neurovégétatifs locaux, hypermotricité... ñ Fin rapide, en quelques minutes, voire brutale (secondes) ñ Asthénie post-critique, durant quelques minutes à quelques heures ñ Facteurs déclenchants : consommation d'alcool pour la quasi-totalité des sujets, exposition à des stimuli visuels particuliers (stimulations lumineuses intermittentes, écran ordinateur mal réglé, cinéma..), augmentation brutale de la température corporelle. 81
Il est également intéressant de noter que les crises peuvent être interrompues brutalement, lorsque le sujet vit une émotion intense et brutale. Ainsi, une patiente nous rapporte dans un questionnaire l'arrêt brutal d'une crise au moment où elle apprend que sa fille vient d’accoucher; NE se rend compte qu'une crise s'est arrêtée immédiatement après avoir échappé de justesse à un accident de moto. D’autres observations du même type ont été retrouvés sur les forums de discussion entre patients (notamment le site des associations de patients : www.afcavf.fr, www.clusterbusters.com). Dans la littérature, on retrouve en particulier la description de crises brutalement interrompues lors de la survenue d'un orgasme (Gotkine 2006), ce qui a été confirmé par plusieurs témoignages de nos patients. Il est à noter que ces mêmes facteurs peuvent être déclenchants des crises (d’AVF ?), ce qui peut également s'observer chez des patients atteints d’autres affections neurologiques paroxystiques, par exemple de crises comitiales partielles temporales [79].
Au total, l'ensemble de ces caractéristiques pourrait apparaître ainsi évocateur, dans le cadre de la nosographie neurologique, d'un trouble de type comitial, en fait d'une activation synchrone de plusieurs régions cérébrales reliées entre elles. A ce titre, soulignons que des parentés physiopathologiques ont déjà été évoquées par plusieurs auteurs entre migraine et épilepsie [80], [81]. Nous rappelons aussi que plusieurs auteurs ont pu rapporter des éléments en faveur d'une implication du tronc cérébral, en particulier des noyaux de la réticulée, dans la genèse de crises convulsives généralisées de type absence chez l'homme [82] ou tonicocloniques dans un modèle animal [81]. b) Structures anatomiques impliquées Considérons la nature des symptômes observés en cours de crise : ñ
Douleur, et troubles sensitifs (paresthésies) de l'hémiface, toujours centrés autour 82
de l'œil. Cette topographie symptomatique correspond au territoire de la branche ophtalmique du trijumeau (V1). Sur le plan neuroanatomique, les neurones correspondants ont un corps cellulaire situé dans le ganglion périphérique de Gasser, localisé à la face antéropostérieure du rocher, qui relaie les influx extéroceptifs issus de la peau, des muqueuses faciales, des dents et des méninges. Dans leur partie rétrogassérienne les trois racines du V sont regroupées en une racine unique, puis, dans leur segment juxtapontin, elles se redistribuent en fonction de leurs modalités fonctionnelles (thermoalgiques en position inférieure, tactiles en position supérieure). Les terminaisons faisant relais dans le noyau gélatineux, de localisation bulbo-pontique, ou de façon plus diffuse dans la réticulée bulbaire. ñ
Signes neurovégétatifs de type activation du parasympathique (ou inhibition du
sympathique) : a. locaux (rhinorrhée, larmoiement, hypersialorrhée, myosis), b. généraux (dyspnée, relâchement sphinctérien).
Du point de vue anatomique, les centres neurovégétatifs parasympathiques sont localisés de façon diffuse dans le tronc cérébral (noyau d'Edinger-Westphal, mésencéphalique; noyaux salivaires à la jonction bulbopontique, noyau lacrymomuconasal). Les réflexes neurovégétatifs peuvent être déclenchés par des stimulations segmentaires spécifiques ou des activités suprasegmentaires. Ces dernières sont organisées autour de l'hypothalamus et des différents noyaux de la formation réticulée, recevant eux-mêmes des afférences du néocortex cérébral, en particulier orbitofrontal, et du système limbique. ñ Signes neuropsychiques : anxiété, peur, colère, désespoir. On peut soit les relier à l'activation de certaines régions du système limbique (Cortex Cingulaire Antérieur, Insula), qui appartiennent à ce que l'on appelle la « matrice de la douleur » ou Pain Matrix, c'est-à-dire
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les structures cérébrales activées pour tous les types d'expériences douloureuses. On évoque aussi l'implication de la Substance Grise PériAqueducale ou SGPA, qui est une structure médiane de niveau mésencéphalique, composée de noyaux cellulaires entourant l'aqueduc de Sylvius. Cette région a été identifiée comme pouvant être à l'origine de comportement de défense avec hyperactivité motrice en cas de stimulation chez le rat (Bandler 1991). ñ Tension musculaire localisée puis diffuse. Cela évoque une participation des noyaux bulbaires plutôt noradrénergiques de la réticulée intervenant dans la régulation du tonus (cf. perte de tonus en sommeil paradoxal). ñ Hypermotricité, ressentie comme un besoin de se mettre en mouvement (pas d'impatiences dans une région du corps en particulier), déambulation, fuite, agitation, voire comportement agressif. Ces éléments sont compatibles avec une activation de l'hypothalamus postérieur (cf. introduction) ou de la SGPA, ou encore une inhibition du cortex frontal, luimême inhibiteur de ces régions. ñ
Régularité nycthémérale des crises, évocatrice d'une implication hypothalamique,
peut-être antérieure (noyaux supra-optiques).
Ces manifestations semblent donc finalement impliquer quatre localisations cérébrales : ñ CAA et insula dans le cadre assez peu spécifique de la matrice de douleur ñ la région bulbo-pontique, où se situent le noyau gélatineux (principal noyau sensitif du V), ainsi que les noyaux magnocellulaires de la coulée réticulaire (régulation de l'endormissement, du tonus végétatif) ñ certains noyaux hypothalamiques, en particulier ventro-postérieurs (régularité des crises, hypermotricité, agressivité, sensibilité aux variations thermiques) mais peut-
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être aussi supra-optiques. Remarquons que des voies descendantes issues de ces noyaux projettent directement sur les noyaux précédemment évoqués et exercent un contrôle sur leur activité. ñ La substance grise périaqueducale (signes neuropsychiques)
où : •
l'activation de (1) est aspécifique de la maladie (commun à toutes les manifestations douloureuses)
•
l'activation
de
(2)
est
commune
à
toutes
les
TAC
(Céphalées
TrigéminoAutonomiques) •
l'activation de (3) est spécifique à l'AVF... ce qui est aussi en corrélation avec la spécificité du symptôme d'agitation... c) synthèse
Au total, l'examen détaillé des manifestations au cours des crises d'AVF permet de proposer une physiopathologie : ñ de type épileptique, dans le sens d'une décharge synchrone , ou plutôt plusieurs, population(s)de neurones, ñ avec des populations neuronales essentiellement sous corticales, associant probablement des cellules de localisation bulbo-pontique et hypothalamiques postérieures. Ceci pourrait être favorisé par l'existence de projections importantes entre ces deux régions cérébrales.
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d) AVF et autres douleurs La crise d'AVF est l'un des rares cadres sémiologiques où l'expérience douloureuse s'accompagne d'un comportement d'agitation, mais il n'est pas le seul. On le retrouve classiquement décrit dans les douleurs de type colique hépatique ou néphrétique. Il serait particulièrement intéressant de réaliser des EdE à propos de ce type d'expérience, et de les corréler avec une imagerie cérébrale fonctionnelle (une hypothèse testable serait celle d'une activation hypothalamique ou de la SGPA, en plus des structures plus typiques de la « pain matrix »).
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iii. Apports spécifiques des entretiens d'explicitation a) L’expérience de la souffrance Le recueil des entretiens, puis leur retranscription et enfin leur analyse, nous a révélé un contenu de l'expérience de la crise d'AVF d'une intensité et d'une richesse inattendues. Nous proposons dans cette partie de reprendre les grands axes de l'analyse proposée dans la partie III, et de les confronter aux travaux antérieurs réalisés sur ces thématiques. Nous nous référons ici à plusieurs disciplines à savoir la psychologie, la sociologie, la philosophie et plus spécifiquement la phénoménologie existentielle. Ici encore, nous renvoyons le lecteur non familier à l'annexe B pour une synthèse de la démarche phénoménologique. Nous ne citerons ici que quelques extraits d'Heidegger [83] : Le terme phénoménologie exprime une maxime qu’on peut ainsi formuler : « droit aux choses mêmes » pour l’opposer à toutes les constructions échafaudées dans le vide, à toutes les trouvailles dues au hasard, à la prise de concepts qui n’ont de bien-fondé que l’apparence, aux questions fallacieuses qui vont souvent se propageant d’une génération à l’autre comme autant de «problèmes».(p 54, § 28) Sera dénommé « phénoménal » ce qui se donne et se laisse expliciter en présentant le visage du phénomène ; ainsi parlera-t-on de structures phénoménales. En revanche tout ce qui relève de la monstration et de l’explicitation et tout ce qui constitue l’appareil conceptuel requis dans cette investigation s’appelle « phénoménologique ». (p 64, §37)
Que nous apprend donc la phénoménologie de la crise d'AVF ? L'un des premiers étonnements lors de l'analyse des entretiens a été de constater la relative
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absence de la douleur dans les descriptions des vécus. Alors que le sujet la connaît bien, qu'elle est identique d'une crise à l'autre, cette douleur est finalement présente en arrière-plan des témoignages, en filigrane. Ou plutôt, elle est le cœur ineffable autour duquel va se structurer le reste de l'expérience. Elle est ce trou central du discours sur le moment, ce dont le langage ne peut rendre compte, ce à quoi il n'a peut-être pas même accès. Par exemple, on songe au moment où OE arrive aux urgences après la crise, il est confronté à la demande de l'interne qui lui demande de décrire ce qui vient de se passer : ñ OE 133 : « Je suis arrivé, je pouvais plus parler à l'interne. Il me dit « asseyez-vous là, couchez-vous ». J'ai refusé (...) J'aurais bien voulu coopérer davantage mais y avait pas moyen. Il me dit « qu'est-ce qui vous arrive? » j'ai dit « j'avais mal là, et j'ai plus mal ». Alors ça fait court, hein , je suis d'accord, pour un diagnostic. Il me fait répéter, je dis « j'avais mal là, et j'ai plus mal », je pouvais pas dire autre chose. »
C'est là que les mots manquent, là que le langage est impuissant à donner à partager la violence de l'expérience qu'il vient à peine de traverser.
Précisons que nous faisons ici, et dans la suite de l'analyse, la distinction entre douleur et souffrance, de façon assez classique, où : ñ la douleur est la sensation qui touche le corps segmentaire (un ou plusieurs segments), c'est-à-dire le corps biologique, spatial, finalement anatomo-physiologique. C'est celui que l'on nomme en allemand : der Körper. ñ la souffrance est le vécu qui touche le corps matriciel, c'est-à-dire ce corps qui vit mon rapport au reste du monde, aux objets, à autrui, celui qui me fait participer à la chair du monde, pour reprendre l'expression de Maurice Merleau-Ponty. On l'appelle aussi en français le corps « propre », en allemand : der Leib. 88
Ou autrement dit, en citant Paul Ricoeur [84] : « On s'accordera donc pour réserver le terme douleur à des affects ressentis comme localisés dans des organes particuliers du corps ou dans le corps tout entier, et le terme souffrance à des affects ouverts sur la réflexivité, le langage, le rapport à soi, le rapport à autrui, le rapport au sens, au questionnement». Bien sûr, cette distinction ne s'inscrit pas dans une perspective d'exclusion mutuelle des expériences, ou d'un quelconque dualisme ; il s'agit plutôt de préciser comment les choses s'articulent entre elles. Le sociologue David Lebreton, dans son ouvrage Expériences de la douleur [85] propose une distinction d'usage : la douleur étant plutôt un concept médical, que l'on pourrait rapprocher de « nociception », alors que la souffrance est le concept du sujet qui la ressent, dans toutes ses dimensions. Finalement, pour l'exprimer de façon précise, c'est bien la douleur, au sens de nociception ressentie dans le Körper, qui tient peu de place dans les entretiens de nos patients, et c'est l'atteinte du corps matriciel qui constitue l'essentiel de l'expérience dicible. En premier lieu, la façon dont le monde apparaît, dont l'espace est vécu, dès les premiers instants, est celle de la réduction (thématique de l'être-au-monde, I-A). Plusieurs sujets rapportent cette sensation, au cours de laquelle des espaces parfois familiers sont vécus comme subitement restreints. La projection du sujet y est douloureuse, celui-ci pressentant l'insuffisance de l'espace par rapport à son besoin. Le rétrécissement du territoire propre devient alors le support métaphorique d'une restriction des possibles, les actions en cours sont interrompues (MB : « je suis fauché »), les projets suspendus, les gestes stéréotypés. Cette description fait écho à l'analyse de Ricœur sur la souffrance [84], qui adopte comme « hypothèse de travail que la souffrance consiste dans la diminution de la puissance d'agir » laquelle conduit le sujet à une diminution des possibilités du Dasein, selon la problématique Heideggérienne.
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On retrouve par ailleurs, alors que l'intensité de la douleur commence à croître, une difficulté à faire des choses banales, ou prendre des décisions pourtant évidentes (NG et FH 68-149, analysé dans Etre-à-soi II-B). Ces difficultés se distinguent clairement des formes cliniques neurologiques de troubles de l'initiation ou de réalisation de l'action telles que l'aboulie ou l'apraxie ; ou encore l'apragmatisme du patient déprimé ; il nous semble retrouver ici comme une perte du sens évident de l'action, un non-pouvoir-être au sens de Blankenburg [86] psychiatre phénoménologue qui s’inspire de la phénoménologie Heideggerienne.
La douleur modifie également le rapport au temps ; elle « fige l'écoulement du temps », le corps douloureux devient un pôle d'attraction qui déforme radicalement le mouvement général de la temporalité au point de la dénaturer. Dans l'incapacité de saisir lui-même ses propres repères, le sujet cherche alors des points de repère externes, permettant de se raccrocher, presque prothétiquement, à sa connaissance de la chronologie habituelle de la crise. Mais il vient parfois à lâcher cette prise, et tombe dans le vide, le souvenir comme le futur deviennent inhabitables.
C'est à ce moment que l'attaque du soi comme entité se fait sentir : la douleur devient l'objet qui révèle la perte de netteté des limites corporelles et psychiques. Est-elle à moi, moi, en moi ? L'intuition qui saisit les sujets est de tenter de l'enlever comme on enlève un accessoire, ou comme on procède à l'exérèse d'une tumeur profonde (être-à soi II, GC 138 « la chose apeurée comment elle va faire pour plus avoir mal ? Ah elle a mal à la tête ? Alors schématiquement, je vais me retirer la tête, c'est un peu ça quoi. »). Comme l'exprime Elaine Scarry dans son ouvrage « Le corps en douleur » [87] « même si elle advient en soi, elle est
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immédiatement identifiée comme n'étant pas soi, pas moi, quelque chose de si éloigné qu'elle doit être éliminée ». De plus, dans les explicitations recueillies, l'envahissement ne se limite pas à mon corps segmentaire. Mon comportement, mes actes en cet instant, si différents de l'habitude, sont-ils encore miens ? Et mes pensées ? Il semble qu'à ce moment-là, l'intrusion corporelle de la douleur fasse perdre la cohérence interne du monde du sujet.
Les modalités de la dissolution de soi sont rapportées avec une grande précision : quand il n'est « plus que douleur », quand il est « vide », quand il « bascule » dans un monde de nuages sombres, c'est là que la mort fait irruption, en tant que mode possible de résolution de l'intolérable de l'angoisse. La pulsion suicidaire est brutale, s'impose à la pensée au détour d'un moyen létal aperçu par hasard, le plus souvent violent (fenêtre ou balcon, arme blanche). L'espace d'un instant, l'adhésion au projet est totale, puisque seule peut être pensée la perspective d'un soulagement imminent (OE 65 « c'est là qu'il devient évident que pour arrêter la douleur, il faut arrêter la vie. C'est vraiment ça. Mais c'est devenu d'une évidence et d'une logique implacables »).
Plusieurs auteurs ont abordé la question de l'atteinte du soi dans l'expérience douloureuse. Smith et Osborn [88], [89], en réalisant des entretiens qualitatifs phénoménologiques auprès de patients atteints de douleurs lombaires chroniques, retrouvent ce qu'ils nomment un « self assault » par la douleur, une altération du sens de soi, de l'estime de soi, du sentiment d'intrusion par la douleur. Le Breton [85] parle d'un possible « démantèlement de soi » dans l'expérience douloureuse, en soulignant que celui-ci peut être recherché pour lui-même dans certains cadres culturels ou expérientiels. Par exemple, l'anéantissement de l'autre est souvent
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l'objectif réel de la torture (bien plus que la récupération d'informations). Le démantèlement est également l'effet recherché dans des rites initiatiques utilisant la douleur, en tant qu'incorporation du processus symbolique en jeu, à savoir l'expérience du changement radical, d'une transition de l'individu d'un statut à un autre. Mais comme le souligne l'auteur, dans le cas de l'initiation le sujet n'est pas seul avec son souffrir. Il s'agit d'un paradoxal « démantèlement encadré ». Le groupe, par sa cohésion, par sa présence, par l'histoire et la culture qu'il incarne, prend valeur d'enveloppe, protectrice et sensée. « La douleur consentie du rite initiatique est une puissance de métamorphose dont il importe de ritualiser l'usage et la nature pour ne pas détruire l'initié (…) Sa force de démantèlement en fait un ingrédient de choix pour opérer une transformation existentielle sous l'égide du rite et du contrôle des aînés. La douleur est en ce sens une expérience du sacré, mais sur un mode propice puisque l'initié ne cesse d'être sous le regard de ses aînés, lors d'une progression jalonnée de la cérémonie en compagnie des autres jeunes de sa classe d'âge ».
Ces cadres a priori très différents de l'expérience douloureuse nous permettent de penser la question du sens de la douleur attribuable par le sujet. L'absence de sens est évidente pour la plupart des douleurs chroniques - qui s'opposent en cela aux douleurs aigües, supposées vectrices d'une information, voire d'une alarme sur l'état somatique du sujet - et elle le devient pour les tortures « gratuites ». A contrario, dans l'expérience initiatique, le groupe transforme une douleur apparemment gratuite, donc en soi in-sensée, en une « expérience du sacré ». Nous pouvons ainsi formuler l'hypothèse selon laquelle la présence du groupe, sa cohésion, constituent une protection qui serait précisément la limite entre l'expérience existentielle et l'anéantissement de soi.
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Or la douleur de la crise d'AVF est une douleur dont la durée est limitée dans le temps, mais elle n'en présente pas les caractéristiques qui font habituellement un support de sens : ñ elle n'est pas informative sur une lésion, et en particulier son intensité est sans rapport avec la gravité d'un trouble sous-jacent, ñ elle se répète à l'identique chez un même patient.
FH l'exprime très clairement (hors explicitation): « Tu vois, une maladie grave (...) moi je considère qu'une maladie grave, c'est le SIDA, le cancer, vraiment les maladies qui font que, on vous maintient en vie et on meurt. (…) Donc c'est des maladies qui tombent de façon injuste, mais il y a une finalité, c'est la mort. Donc la personne qui, un jour, est diagnostiquée du cancer ou du SIDA, sait que, grâce à une trithérapie, une chimiothérapie, une radiothérapie, va vivre un peu plus longtemps, mais à un moment, mise à part la rémission du cancer, sait qu'elle va mourir. C'est un peu dur ce que je vais dire. Nous, dans notre cas, c'est « tu es malade, mais tu vas pas forcément en mourir ». Donc c'est-à-dire que ça va tomber au hasard (...) et surtout tu vas pas en mourir. Tu vas souffrir, tu vas souffrir, le plus longtemps possible, le plus longtemps que tu vivras – aujourd'hui l'espérance de vie s'allonge donc génial, tu vas souffrir longtemps, et ça n'a aucune finalité, c'est-à-dire que ça ne détruit pas, je parle pas des traitements ou de la neurochirurgie, ça ne détruit rien, tu souffres. Dans le cancer, y a une destruction des organes, des tissus, là tu ne détruis rien (..) c'est des maladies qui ne servent à rien, qui ne font pas mourir, qui font juste souffrir. Le cancer fait mourir, et l'un des éléments qui tournent autour de la maladie, c'est la douleur. Nous on souffre.. pour rien. C'est même pas prévu qu'on meure à la fin. »
C'est là que se trouve le sujet douloureux, dans cette conjonction de douleur intense, d'absence de sens, et d'isolement ; c'est là que se noue l'expérience de dissolution de l'être.
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Et l'expérience de cette dissolution nous apparaît en de nombreux points convergente avec celle d'une expérience psychotique – ici transitoire et totalement réversible.
Autour de cette question de la proximité de l'expérience douloureuse aiguë avec l'expérience dissociative, il est intéressant de remarquer le recours de certains patients à des stratégies de dissociation provoquées, décrites avec de nombreux détails, de type auto-hypnose. Il faut préciser qu'il s'agit d'une stratégie élaborée par le patient lui-même, en l'absence de toute influence théorique ou pratique extérieure : MB « Je m'allonge. Allez ça va passer. Eux ils s'éclatent et pas toi mais bah ça, tu fais ton deuil, c'est dur mais c'est comme ça. Je vise l'endormissement. C'est ça qui était sympa. Comment je me suis senti dormir en ayant très mal. J'avais conscience que j'étais à 5-6-7-8 sur 10, je suis allongé sur la banquette arrière, et puis je dors. Je dors (il sourit). Je bouge plus, je... (il lève les yeux au ciel, respire lentement). Le souffle du mec qui dort, pas de mouvement, le mec il dort. Mais je suis conscient, je sens que j'ai mal. Je dirais même que je suis inconscient, je dors, et il reste plus que la douleur. Sans déc. Il reste plus que la douleur. Je dors complètement, il reste plus que la douleur et je sens qu'elle est là. Pendant 3 ans, c'était ma technique. »
Cette technique rappelle celle des fakirs, ascètes soufis de l'Inde, ayant développé des capacités particulières de tolérance de stimuli douloureux. Dans son ouvrage Changer le Corps, la sociologue Stéphanie Heuze cite le fakir Musafar : « Si tu peux apprendre à séparer la conscience et ton attention de ton corps, tu peux lui faire presque n'importe quoi et ne pas ressentir la souffrance (…) cela dépend de votre entraînement, de comment vous vous êtes conditionné et de l'état dans lequel vous pouvez vous mettre » [90]. Ces propos sont précisés dans l'analyse de Gabriel
Mazars (ancien neurochirurgien à la Pitié-Salpêtrière et à Sainte Anne) [91] « L'analgésie du fakir repose sur sa capacité à fixer son attention sur une analyse ininterrompue de toutes les
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sensations tactiles, d'observer sans la moindre distraction la pénétration de l'aiguille ou de la lame tranchante, d'en percevoir la température ; l'épaisseur, la force de pression, et de traiter cet instrument agressif comme un objet normal de l'environnement (...) la banalisation du geste réputé douloureux semble suffisante pour bloquer non seulement la douleur, mais même la nociception »
(Mazars 1994). Subie ou provoquée par le sujet lui-même, l'expérience dissociative apparaît comme une voie commune de réponse de l'appareil psychique à une douleur d'intensité intolérable. Ricœur, citant Jean-Jacques Kress [84], l'envisage comme ce « point limite », atteint lorsque, dans l'expérience du souffrir, « il n'y a même plus de place dans la condamnation de soi ». Nous formulons pour notre part la possibilité d'un mécanisme d'auto-protection de l'appareil psychique, une « déconnection », un passage dans une forme amputée de la présence au monde. Une forme d'absence à soi qui, seule, permet de poursuivre dans la vie.
b) L'expérience de la présence Si le Soi est malmené dans l'expérience de la douleur intense de la crise d'AVF, jusqu'à la possibilité d'une absence à Soi, la question de la présence d'Autrui apparaît également comme nodale. Elle a été abordée, d'une façon ou d'une autre, par tous les sujets au fil de leurs descriptions de crises. Le premier aspect, étonnant, s'impose comme assez spécifique de l'AVF : dès le début de la crise, presque tous les sujets recherchent l'isolement, la soustraction au regard d'autrui... comportement assez contre-intuitif et qui se distingue assez nettement d'autres moments douloureux où la présence d'un proche, est recherchée, ou au moins acceptée. Ici la fuite est impérative, même de ceux que l'on aime, et diverses justifications sont envisagées : honte d'être malade ou handicapé, peur d'exposer l'autre à sa propre angoisse, inquiétude à l'idée de 95
ne pas pouvoir maîtriser son comportement et risquer un acte hétéroagressif (être-à-l'autre, I, B). On peut tenter de comprendre cette difficulté à se soumettre au regard d'autrui à partir de l'analyse phénoménologique que fait Maurice Merleau-Ponty du phénomène de membre fantôme
[92] : « le temps personnel est noué (…) le bras fantôme est donc comme
l'expérience refoulée d'un ancien présent qui ne se décide pas à devenir passé » p. 101 Dans le membre fantôme, une mutilation inacceptable bloque le corps du sujet à un présent, qui a pour lui valeur d'exception au vu de l'historique du corps vécu. La persistance de sensations du membre fantôme se comprend phénoménologiquement comme la manifestation de l'intégration du corps vécu au corps physique, et exprime la persistance de l'engagement du sujet dans son monde propre, un monde ouvert au projet. Dans notre travail, nous l'avons vu, l'expérience corporelle de la souffrance peut mener à la dissolution du sentiment de soi, au démantèlement de l'identité. Nous pouvons ici tenter de transposer l'analyse Merleau-Pontienne du sujet amputé d'un membre, au sujet faisant l'expérience de la douleur intense, que nous envisageons comme une amputation, non d'un membre, mais du cœur de l'être. L'autre et sa présence « trop présente » offre comme un miroir qui fait obstacle à ce refoulement, à ce déni.
Mais ici, une analyse plus fine permet de préciser qui est l'insupportable : à savoir le bavard, le curieux, à la recherche d'explications, ou celui manifeste avec bruit ce qu'il appelle son « empathie » (KH 112 « C'était oppressant, parce que j'avais déjà mal à la tête, et elles arrêtaient pas de parler. Me donner des choses, m'apporter des solutions ça je voulais bien, mais elles parlaient de trop, en fait (…) Elles parlaient énormément... ») .
Ce point nous fait évoquer l'un des points de souffrance majeurs chez les sujets, l'isolement dans la douleur, dans l'expérience non partagée. Reprenons l'analyse de Merleau-Ponty : dans 96
la douleur, je fais une expérience qu'Autrui ne peut partager. Je lui suis dès lors radicalement étranger, je n'ai plus rien de commun avec lui, je ne peux donc plus faire monde commun, je suis retranché dans mon corps, exilé malgré moi de ce sol irréfléchi, prépersonnel et indivis, « auquel nous participons tous comme sujets anonymes de la perception » (p. 410-11).
Et si la souffrance est, comme le dit Ricœur, « une crise de l'altérité que l'on peut résumer par le terme de séparation », c'est non seulement en raison du caractère insubstituable de mon expérience, mais aussi de son incommunicabilité. Le souffrir est ce que les autres ne comprennent pas, et le sujet souffrant est atteint dans le pouvoir que donne la parole sur les choses et sur soi-même. Le langage est ici tout particulièrement inapte à recréer le lien avec le monde et les autres. D'abord la douleur physique résiste au langage mais elle le détruit, provoquant un retour à un état antérieur au langage, un retour au râle, au gémissement, au cri (GC 83 « vous êtes un espèce d'animal, en train de gémir, en train de pleurer, en train de se contracter, (...) aaaahhhh »). Ensuite, l'extraction du sujet hors d'une réalité temporelle rend toute narration impossible : « La souffrance apparaît comme rupture du fil narratif, à l'issue d'une concentration extrême, d'une focalisation ponctuelle, sur l'instant. L'instant, il faut le souligner, est autre chose que le présent, si magnifiquement décrit par Saint Augustin dans les Confessions : alors que le présent se nourrit de la dialectique entre la mémoire (qu'il appelle le présent du passé), l'attente (ou présent du futur), l'attention (ou présent du présent), l'instant est arraché à cette dialectique du triple présent, il n'est plus qu'interruption du temps, rupture de la durée ; c'est par là que toutes les connexions narratives se trouvent altérées » [84]
Or, pour le sujet qui la vit, l'expérience de la douleur constitue l'exemple le plus vibrant de la 97
certitude, alors que, pour l'autre, la douleur dont il entend (si mal) parler invoque le doute. La difficulté à rendre la douleur aussi présente pour l'interlocuteur que pour soi-même, à travers le langage, amplifie encore le vécu d’impossibilité de partage. Une déchirure est ouverte, entre le vouloir dire et l'impuissance à dire.
A ce stade de notre analyse, le sujet douloureux est comme amputé de son cœur matriciel, isolé dans un vide encore renforcé par l'impossibilité de la communication de l'expérience selon des modalités habituelles. Pourtant, quelques sujets (4/10) ont évoqué des moments de présence apaisante. De façon remarquable, dans tous les cas rapportés, cette présence se caractérisait par la parcimonie, voire l'absence complète de parole échangée. ñ KH 159 « On discute pas vraiment (…) Donc, il parle pas, il me laisse gérer ma crise. Il cherche pas à comprendre, il pose pas des questions, il est juste là »
Le toucher est, à ce moment-là, une modalité possible de contact, de communion, voire de communication : ñ GC 103 « j'ai passé le reste de la crise en lui tenant la main. Et je me souviens que je lui serrais la main en fonction de la douleur que j'avais, donc ça allait d'une pression normale à une pression qui devait lui faire mal à certains moments, mais c'était pour moi une façon de lui communiquer, presque de lui apprendre ce que je vivais »
Il semble donc ici que le caractère non partageable soit d'ordre conceptuel, réflexif, linguistique. Alors que la le caractère partageable existe dans la présence, de façon athématique, préréflexive et sensorielle.
Dans le silence, se dégage une qualité particulière de présence immédiatement reconnue, et qui, seule, permet de sentir un autre-là.
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Qu'en saisir ? Cela soulève pour nous la question de la place du langage, et celle de la présence muette dans la confrontation à un autre qui souffre, de façon générale. Face à une expérience dont le caractère non partageable ne peut être surmonté, qu'attendre de l'échange de mots ? Il semble que la solitude radicale de cet instant ne puisse être dépassée que par un autre qui, restant muet, dit simplement « je suis là ». Et comme le dit Lévinas, dans son attitude et sans rien en dire signifie : « je ne te laisserai pas seul face à l’inexorable » [93]. Un autre qui puisse saisir exactement le seul partageable de cet instant : la présence. Une conscience envahie pouvant être accueillie par une conscience qui se tait.
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c) Synthèse L'expérience de la douleur aigüe intense de la crise d'AVF est intense, mais aussi éphémère et totalement régressive. Elle correspond à un vécu de déflagration de l'être qui est finalement touché dans : ñ son expérience de l'intentionnalité, avec un vécu d'anéantissement du sens, et du pouvoir-être, ñ son expérience de l'ipséité, avec un vécu d'explosion des limites de soi et de l'expérience du monde à la première personne, ñ son expérience de l'intersubjectivité, où le partage de vécu ne peut se réaliser que dans une présence muette.
Ces éléments correspondent à ce que Blankenburg nomme la triade autistique de la schizophrénie [86], reprise par Parnas [94].
On peut supposer que la perte de l'être-pris-dans-son-évidence-naturelle est peut-être ce par quoi le mouvement suicidaire est facilité dans cette expérience de douleur.
Cette possibilité, chez des sujets ne présentant aucun trouble psychique, ni préexistant, ni lors des périodes intercritiques, pose de façon brutale cette possibilité de l'être. Autrement dit : l'expérience de la douleur aigue intense pourrait-elle être un des modes possibles d'accès à une expérience psychotique chez un individu indemne de maladie mentale ?
d) Remarque Dans cette analyse, nous avons parfois fait référence à l'expérience relatée par les sujets comme étant celle de la « douleur aigüe ». En toute rigueur, le seul cadre expérientiel de référence dans ce travail est celui de la crise d'AVF, et il n'est pas possible, à ce stade, d'affirmer précisément ce qui lui est spécifique. 100
B.
Mais... C'est quoi ce travail ?! Réflexions épistémologiques i.
Généalogie d'une recherche
Permettons nous un instant de nous arrêter, de suspendre notre étude, et de considérer notre travail comme un objet épistémologique. Il s'agit d'abord d'en retracer la généalogie, c'est-à-dire de faire affleurer à nouveau le processus par lequel il est advenu, par couches successives : 1. le premier temps a été celui de l'étonnement d'une clinicienne en formation, devant le décalage constaté entre la théorie récemment acquise sur une pathologie, l'algie vasculaire de la face, et ce que les personnes atteintes lui donnaient à entendre, ou à supposer, sur leur vécu. 2. S'en est ensuit une enquête locale (nouveaux patients, pairs, seniors, consultation de la littérature), et la formulation progressive d'une question clinique. 3. La première stratégie d'investigation a été l'élaboration d'une grille d'items comportementaux, élaborée à partir des premiers entretiens informels exploratoires, avec l'objectif de rendre les anomalies quantifiables et par là-même objectivables. 4.
Puisque le questionnaire par grille préconçue ne semblait pas pouvoir rendre compte de la richesse du spectre de l'expérience, il fallait envisager autre chose. C'est dans ce questionnement que se produit la rencontre avec la phénoménologie, et la formation correspondante.
Ce cheminement illustre que la thèse de médecine peut être une véritable opportunité pour un jeune clinicien-chercheur. Dans notre cas, elle a été une contrainte suffisamment souple pour
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permettre la naissance d'une véritable question clinique, à la jonction entre deux disciplines (neurologie et psychiatrie), et la mise en place de stratégies de recherche variées pour tenter d'y répondre.
ii. Pour une sémiologie de la complexité ? L'idée initiale de ce projet de recherche était de préciser de la façon la plus fine possible la sémiologie de l'AVF, en particulier dans les domaines psychique et comportemental, car ceux-ci apparaissaient comme porteurs d'une symptomatologie riche et mal connue. Les enjeux d'une telle démarche étaient multiples : compléter la description clinique d'une maladie, se donner la possibilité de mieux saisir la physiopathologie sous-jacente. Par cette démarche, nous étions proche de la démarche décrite par Kurt Goldstein, neurologue et phénoménologue allemand dans son ouvrage de référence édité pour la première fois en 1934 : La structure de l'organisme [95]. Il y développe notamment sa conception de l'élaboration de la pensée du clinicien et du biologiste, à partir de l'étude de patients cérébrolésés. Dès les premières lignes, il critique le concept de simplicité appliqué à la biologie et à la médecine, et de l'approche traditionnelle des phénomènes complexes par l'étude des phénomènes dits « élémentaires ». L'organisme est irréductible à une sommation de phénomènes simples, et, si l'enjeu est de saisir quelque chose du vivant, les tentatives de division itératives ne peuvent se solder que par un échec. La véritable tâche du biologiste est finalement autre : il s'agit de « décrire systématiquement les êtres vivants dans l'être original qui est le leur à un moment déterminé » (p.12)
Comme le souligne Pierre Fédida dans sa préface de l'ouvrage, l'étude de la sémiologie est cruciale pour la compréhension de l'organisme d'après Goldstein : le symptôme « n'est pas 102
une expression concomitante de la maladie dont l'intérêt serait résiduel : il est ce à partir de quoi se comprend concrètement un comportement et, de là, s'engage une conduite thérapeutique au regard de l'organisme dans son entier ».
L'un des points essentiels dans l'étude des symptômes, et en particulier dans la richesse de la clinique neurologique, est bien de colliger l'ensemble des signes cliniques : « la clinique est l'affaire de l'attention aux plus petits détails symptomatiques car ceux-ci donnent accès à une compréhension interne d'un organisme humain vivant, en débat avec lui-même et en dialogue avec son environnement ». Car la démarche habituelle d'investigation peut être trompeuse, pour plusieurs raisons : ñ la signification des symptômes et signes n'est pas donnée d'elle-même : « Comme il n'est pas possible de démontrer directement l'altération d'une fonction, on en est réduit, pour la découvrir, à la déduire des opérations altérées que sont les symptômes. Mais on ne peut y réussir qu'à la suite d'une analyse de toutes les opérations qu'on trouve altérées » (p. 17) ñ et les phénomènes essentiels ne sont pas nécessairement ceux qu'on a découverts en premier lieu, en particulier parce que ce sont les déficits qui apparaissent le plus spectaculairement au clinicien, et qu'il va considérer comme le symptôme par excellence, au risque de négliger une part importante de la sémiologie véritable du trouble.
Goldstein énonce finalement trois exigences méthodologiques pour une analyse rigoureuse des faits cliniques : 1. tenir compte de tous les phénomènes que présente un organisme, par
103
exemple malade, et dans la description qu'on en fait, ne donner a priori la préférence à aucun d'entre eux 2. élucider les phénomènes en eux-mêmes (en prenant garde de se méfier des parti pris théoriques, grands pourvoyeurs de biais dans la constatation des faits), et dans leur complexité4, 3. toujours considérer les phénomènes en référence à l'organisme et la situation dans laquelle on l'observe (et donc aussi en référence au récit de vécu fait par le patient).
Pour compléter cette réflexion sur la construction de la sémiologie médicale, il nous semble important de souligner que ce travail nous a permis de mettre au jour une clinique de l'AVF pour le moins spécifique sur le plan qualitatif, à savoir psychiatrique ou neuropsychiatrique. Cette symptomatologie manifestement « bruyante » comme en témoignent les entretiens recueillis, centrale dans l'expérience des sujets n'est pas totalement absente des descriptions « officielles » de la maladie, mais reste limitée à un laconique « sense of restlessness ». Comment le comprendre ? Cela nous semble soulever la question du symptôme de nature psychiatrique dans les pathologies non exclusivement psychiatriques. Ce cas de figure est fréquent, notamment en neurologie lorsqu'il existe une atteinte du système nerveux central, mais pas seulement. Combien de « c'est réactionnel », « c'est un(e) anxieu(se) », « c'est dans la tête », comme autant de mises à distances disqualifiantes d'une clinique trop encombrante ? Sans doute par
4 Pour mémoire, bien que très postérieure chronologiquement à Goldstein, rappelons la définition de la complexité par Edgar Morin « Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot "complexus", "ce qui est tissé ensemble". Les constituants sont différents, mais il faut voir comme dans une tapisserie la figure d’ensemble. Le vrai problème (de réforme de pensée) c’est que nous avons trop bien appris à séparer. Il vaut mieux apprendre à relier. » in La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité, in Revue Internationale de Systémique, vol 9, N° 2, 1995.
104
les difficultés d'identification des mécanismes sous-jacents, sans doute par une incapacité à les prendre en charge... peut-être aussi par les questions que de telles manifestations posent, sans détour, au clinicien : l'angoisse, l'être, la mort... Goldstein soulignait déjà le statut particulier - qu'il constatait de fait – du symptôme psychique, invitant le clinicien à garder à son égard la même rigueur d'analyse que pour le symptôme physique.. Rappelons-nous ici que l'analyse des comorbidités psychiatriques chez les sujets souffrant d'AVF, et en particulier celle des troubles anxieux et dépressifs est assez difficile à établir (cf.introduction). Cela tient sans doute en partie aux variations méthodologiques qui caractérisent les différents travaux réalisés... mais il existe également des recoupements symptomatiques évidents entre les deux pathologies, sans que l'on puisse parler de véritable comorbidité. Dans le récent travail de Jürgens et coll. [12], les auteurs recherchent la présence de symptômes sur la vie entière, et soulignent leur forte prévalence chez les patients souffrant d'AVF. Or, à lire les entretiens que nous avons recueillis, est-ce étonnant de constater fréquemment des symptômes de la phobie sociale, des symptômes de l'agoraphobie, des idées suicidaires chez des personnes qui vivent ce type de crises douloureuses ? Rappelons nous les perturbations du sommeil liées aux crises, le sentiment d'enfermement, le besoin d'isolement tel qu'il nous a été formulé. Faut-il en conclure qu'il s'agit de personnes souffrant de trouble anxieux généralisé, d'épisode dépressif majeur ? Dans une autre publication, la même équipe s'intéresse aux manifestations d'agressivité que peuvent présenter les patients [96], sans distinguer les moments de crises du reste du quotidien. Là encore, il semble que des approches trop génériques, cherchant à faire entrer les sujets dans des cadres nosographiques préétablis conduisent parfois à des réductions bien trop déformantes de la réalité.
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Il est vrai que la place du symptôme psychiatrique n'est pas univoque, son interprétation est complexe, et semble dépendre du moins en partie du cadre conceptuel ou théorique dans lequel on se place a priori. Mais est-il possible de faire de la clinique, de la sémiologie, de la recherche autrement ? C'est la démarche que nous souhaitons suivre : considérer le symptôme psychiatrique, sans le négliger ou le disqualifier par une psychologisation condescendante, avec la même exigence de rigueur descriptive que les autres champs symptomatiques, sans interprétation abusive de sa signification, tout en prenant acte, sans intimidation excessive, des enjeux existentiels qu'une telle sémiologie réveille.
iii. Pour des neurosciences à la première personne ? La démarche phénoménologique utilisée dans ce travail nous est apparue comme particulièrement féconde en tant que support d'une réflexion physiopathologique.
En effet, en dépit de l'accumulation -malgré tout restreinte - de données expérimentales qui restent cependant toujours problématiques d’une part en raison des limites méthodologiques des instruments et d’autre part de la pauvreté relative du cadre interprétatif qui en plus génère la structure de la démarche expérimentale, les mécanismes à l'origine de l'AVF et du déclenchement des crises restent encore peu clairs. Or, la démarche expérimentale suppose la formulation d'une hypothèse précise, qui doit être testable, évaluable par des mesures. Mais la première partie de notre travail nous a montré que des hypothèses peut-être trop précises pouvaient devenir un a priori trop limitant dans son potentiel exploratoire. En un sens, l'ouverture phénoménologique de notre méthode d'investigation a été une réponse à cette constatation, à ce besoin d'élargir le champ des hypothèses compte tenu de ce que nous proposait la réalité clinique. 106
De façon symétrique, l'exploration phénoménologique de processus biologiques en général permet de formuler des propositions physiopathologiques au sein d'un cadre qui soit en accord avec l'expérience du sujet qui le vit. Dans les sciences cognitives, en neurosciences de l'émotion, en clinique neurologique ou psychiatrique, cette démarche nous semble fondamentale, puisque l'objet même de l'investigation est intrinsèquement lié au contenu de vécu... au moins autant, sans doute, qu'à ce que l'on peut en mesurer « de l'extérieur ». De sorte que, dans ce domaine de recherche, assimilant le réseau de neurones qui nous intéresse à la fameuse « boîte noire », la question la plus pertinente n'est peut-être pas « que se passe-t-il DANS la boîte noire ? » mais bien « que se passe-t-il POUR la boîte noire? ».
Le psychiatre Henri Ey, père de l'approche psychodynamique, soulignait déjà ce point [97] . Plus récemment, Francisco Varela et ses successeurs ont exploré cette voie de réflexion, à la recherche d'une méthodologie pour combler le gouffre existant entre le vécu expérientiel et les données neurophysiologiques. L'idée centrale de la neurophénoménologie est de concevoir les deux approches de façon intimement et constamment liées, exerçant des contraintes génératives mutuelles [68], [98], [99].
Ce travail sur l'AVF a été influencé par cette proposition de cogénération par contraintes mutuelles et tente, modestement, d'en rendre compte. Ainsi la proposition physiopathologique que nous formulons dans la partie précédente en termes de localisations neuroanatomiques et de mécanisme électrophysiologique résulte de l'analyse systématique des récits de vécu de sujets atteints d'AVF. Réciproquement, la forme clinique des crises d'AVF, et ce que l'on sait de leurs mécanismes a clairement orienté nos investigations. Les données récentes sur
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l'implication du SNC dans la physiopathologie des crises, ont sans aucun doute orienté notre regard vers cette sémiologie. Et ces données « scientifiques » nous conduisent finalement à repenser la phénoménologie du corps souffrant, du sentiment de soi, et peut-être, de sa rupture dans la psychose.
iv. Pour une présence dans le soin Le souci du soin a été profondément présent à toutes les étapes de notre travail.
Tout d'abord, en tant que questionnement éthique face à la contradiction apparente entre l'injonction « d'abord, ne pas nuire », et la volonté de faire un travail d'investigation autour de moments difficiles pour les sujets volontaires. Il s'agissait en effet de leur faire revivre des instants douloureux, sans pouvoir proposer d'amélioration de leur prise en charge individuelle. Nous voudrions souligner le fait que tous les patients à qui nous avons demandé de participer à l'étude ont accepté (aussi bien pour le questionnaire, d'une durée de 15 minutes, que pour l'entretien d'explicitation qui nécessitait de se rendre disponible pendant 2h). Les retours qualitatifs après entretiens n'ont pas été étudiés de façon systématique, mais ont révélé des suites généralement positives. Il s'agissait pour les sujets participants d'un moment difficile de nouvelle confrontation avec la maladie et sa violence, mais aussi un moment rare voire unique de partage, sans jugement moral ou évaluation psychologique. Pour ces personnes, il n'est pas aisé de trouver un interlocuteur qui puisse recevoir un tel récit, en termes de disponibilité, et de capacité d'accueil et de contenance de l'intensité de l'expérience.
Cela nous évoque ce que Ricœur appelle la « fonction restauratrice de la mise en récit », en 108
réponse à la déchirure de la trame narrative opérée par l'irruption de la souffrance. De façon plus générale, de nombreux autres auteurs ou courants psychothérapiques convergent sur l'idée d'une valeur thérapeutique de la narration de soi...
De fait, la démarche phénoménologique nous semble tout à fait rejoindre ce que certains appellent un impératif humaniste de la pratique médicale. En effet, rares sont les patients qui arrivent en consultation avec une plainte formulée en termes de déficits neurobiologiques. N'oublions pas qu'il s'agit, en médecine, de prendre soin d'un individu. Pratiquer l'entretien phénoménologique, s'ouvrir à cette posture, c'est se donner la possibilité d'exercer la médecine sous la forme de rencontres intersubjectives, d'accueil d'histoires et de complexités, loin du seul projet de normaliser les paramètres d'un organisme déviant.
Certains résultats de notre recherche sur l'AVF constituent d'ailleurs une illustration, ou mieux : un prolongement de ce propos. En effet, nous avons vu que l'expérience de la douleur intense lors de la crise pouvait conduire à un vécu de distorsion de la temporalité, de perte des limites corporelles, de dissociation psychique. Dans cette épreuve de rupture de l'unité de l'être, une certaine contenance peut être restaurée par la présence de l'autre. Non par un verbiage érudit ou un discours technique, non par une pseudo-empathie bruyante, mais par une présence – qui se tait.
Est-ce à dire que le silence est en soi un mode d'accès à un certain type de présence ? On pense ici aux nombreuses pratiques de la présence qui s'accompagnent d'un respect du silence (prière, méditation, retraites... psychanalyse ?), des « formes réussies de la présence humaine », qui transcendent cultures et époques.
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Sans vouloir exclure toutes les autres façons possibles de prendre soin, se pourrait-il que la présence, dans une qualité que seul peut-être le silence permet, ait toute sa place dans une relation thérapeutique ? C'est, en tous cas, ce que notre expérience clinique, certes récente et modeste, nous a déjà enseigné.
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CONCLUSION - Que faire de cette thèse ? Nous avons volontairement opté pour un format et un style rédactionnel qui laisse saisir le processus par lequel les choses ont émergé. Style des auteurs sans doute, mais aussi nécessité épistémologique, car un tel travail ne va pas de soi.
Pour autant, il nous semble important ici de souligner ce qui constitue à nos yeux les résultats principaux, que nous chercherons à approfondir et valoriser dans le cadre de publications spécifiques : 1. Rediscuter l'approche traditionnelle des comorbidités psychiatriques de l'AVF, en montrant en quoi l'approche phénoménologique des crises peut permettre une relecture des symptômes à notre sens plus pertinente qu'une approche critériologique incomplète. 2. Proposer d'enrichir les critères diagnostics de l'IHS pour l'AVF, en reconsidérant en particulier l'item « a sense of restlessness ». Notre travail permet de prendre en compte et de préciser la violence du vécu de la crise, ainsi que certaines spécificités sémiologiques de cette expérience douloureuse. 3. Formuler et argumenter l'hypothèse de crise comitiale impliquant plusieurs populations très localisées de neurones corticaux et sous-corticaux, confronter cette hypothèse aux hypothèses actuelles sur la physiopathologie de l'AVF, et envisager des approches expérimentales de validation. 4. Revenir sur le processus épistémologique à l'oeuvre dans ce travail et montrer en quoi cela illustre que l'expérience subjective et les méthodes en première personne doivent trouver leur place dans les neurosciences cliniques.
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Pour nous et notre pratique de la médecine, enfin, ce travail aura été l'occasion de consolider ce que l'on pourrait qualifier de « conversion éthique ». Aborder en profondeur la subjectivité du symptôme demande du temps. Or, donner ce temps à l'être, c'est lui redonner de l'être. La médecine n'est probablement pas qu'un problème d'organes dysfonctionnels, de déséquilibres physico-chimiques que la technique doit détecter et annuler. C'est aussi l'histoire d'un corps, vécu par un sujet, à propos duquel il vient demander à ne pas rester seul.
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V. ANNEXES
113
A.
Modèle de l'hétéroquestionnaire
Etiquette patient
Téléphone
Neurologue examinateur :
Date :
Données générales Sexe ..........
Age ............. Latéralité ............
CSP ……………………….
ATCD familiaux (céphalées et autres ATCD) ………………………………………. ATCD médicaux ............................................................ ATCD psychiatriques ............................................................ Traitements en cours (hors AVF) ............................................................ Année de début de l’AVF ................ épi……….
Année de diagnostic ……....
Latéralité AVF ........... Forme chro ou
Traitements AVF en cours……………………………………………………………………………………………………… ATCD ttt et leur efficacité ........................................................................................................................................................... Imagerie cérébrale éliminant cause secondaire ? ?.......................................................................................................................................................... EVA moyenne…………………..
Prodrom es
Amplitude EVA………………………………………..
(i.e. symptômes survenant juste avant la douleur faciale)
: délai de survenue avant la crise,
symptômes (rechercher en particulier troubles du comportement)
Facteurs déclenchants des crises
(si patient ne dit rien spontanément, suggérer : alcool ?) :
Facteurs non médicamenteux interrompant crise
(si patient ne dit rien, rechercher : épisode de peur intense,
émotion forte)
Crises incom plètes : Crises sans signes végétatifs ? Signes végétatifs isolés ?
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Com portem ent lors des crises
Jamais Lors crise
Juste avant crise Hors crise
Incapacité à rester en place, besoin de bouger Déambulation, mouvements répétitifs Stimulation thermique (application de chaud ou de froid) Sensation de besoin d’air (se mettre à la fenêtre…) Autostimulation douloureuse (donner exemples : appuyer très fort sur l’œil, se pincer…) Besoin d’isolement (bruit, lumière, autrui ?) Comportement agressif, irritable Idées suicidaires Tentative de suicide Comportement agressif, irritable
Impression de réagir différemment du comportement habituel, sans pouvoir maîtriser ce comportement ? Le patient donne-t-il une justification spontanée des raisons de son comportement ? Si oui laquelle ? Si non lui demander « et comment expliquez vous ce qui se passe ? »
Episodes d’agressivité isolés : si oui intensité du cpt agressif totalement disproportionné par rapport au stimulus déclencheur, actes violents hétéro ou autoagressifs perpetrés durée des épisodes, fréquence, clusters, nombre total d’épisodes
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B.
Introduction à la philosophie phénoménologique i. Idée générale et concepts principaux
La méthode phénoménologique c’est selon le terme consacré par Edmund Husserl [100], la réduction, que l’on doit entendre ici dans son étymologie latine de « retour ». Il s’agit d’un essai de « retour aux choses mêmes », d’une méthode qui doit permettre autant que possible de se défaire de ce que l’on sait ou croit déjà savoir, de ses préconceptions sur les choses du monde. La suite de cette partie s'inspire largement d'un ouvrage récent de Natalie Depraz [101].
Ce « retour vers les choses mêmes » se fait en 3 gestes : ñ le geste de suspension du jugement, ou épochè transcendantale (!), qui met en scène mon doute quant à la nature des choses qui se présentent à moi, ñ le geste de conversion réflexive, ou conversion du regard, qui me conduit à envisager chaque objet non pas en lui-même, mais depuis l'acte de conscience qui le vise et le porte, ñ le geste de variation éidétique, qui consiste à identifier les invariants repérables dans des objets singuliers, et de proposer une catégorisation possible à partir du repérage de ces « essences ».
Par exemple, supposons que je sois en train de regarder un livre sur mon bureau. Je peux suspendre la croyance que ce livre est là, devant moi, et qu’il existe de manière réelle (geste d'épochè). Je vais maintenant porter mon attention non plus sur la présence du
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livre mais sur le vécu qui apparaît quand mon regard se porte sur le livre (geste de conversion) ; mon attention ne va plus être orientée vers ‘l’extérieur’ mais se tourner vers ‘l’intérieur’, par exemple sur la manière dont les sensations chromatiques (ombres, contrastes, etc..) se donnent à moi.
D’un côté nous avons donc la perception de la chose « en soi » et de l’autre un nouveau concept de perception qui n’est pas lié à la chose en elle-même, mais à une attitude réflexive sur mon propre vécu. Nous avons ainsi affaire à deux modes de donation. L’apparition de la chose est qualifiée de transcendante pour la première et d’immanente pour la seconde. Qu'est-ce que cela signifie ? Visuellement, le livre sur la table m’apparaît sous une seule face, jamais complètement. C’est parce que je ne peux l’englober en un unique acte perceptif que je sens qu’il excède ma perception actuelle. C’est dans ce sens qu’il est transcendant, c’est-à-dire en dehors de moi. Ce n’est qu’au travers de plusieurs esquisses reliées entre elles par une « conscience de l’identité » que l’objet peut se constituer davantage mais sans jamais l’être totalement. A l'opposé, je vois certes le livre en dehors de moi, sur la table, mais je suis, en tant qu’être vivant, le siège de cette perception. Comme cette dernière a lieu en moi, elle est donc littéralement immanente.
Nous avons vu donc que la réduction phénoménologique reposait sur la séparation entre deux modes de donation. En réalité elle ne peut être complète qu’en mobilisant un troisième type qualifiée d’eidétique. Celle-ci désigne le mode de donation dans laquelle la chose se donne comme un exemplaire d’une classe abstraite. Dans notre exemple précédent, l’objet sur la table se donne sous la catégorie ‘livre’, qui est elle-même incluse dans une classe plus
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abstraite, disons par exemple, des objets solides appartenant à l’espace.
ii. Quelques enjeux La première prise de conscience, l'épochè, met donc « les choses», c'est-à-dire la façon usuelle dont nous concevons ces choses, en suspension. Ce qui caractérise la réduction phénoménologique c’est qu'elle permet dès lors de s’étonner de ce qui semble tout à fait évident, de voir ce qui est étonnant dans ce que l’on nomme « normal », « vrai » ou réel.
En pratique, la phénoménologie nous permet de prendre conscience du fait que « le monde en soi », la réalité, est inconnaissable, que ce que nous croyons être « vrai », ce sur quoi nous fondons notre action est toujours une construction personnelle de la réalité, créée par l’interaction entre notre conscience et le monde. Elle nous permet de prendre conscience du contenu de l’intentionnalité c'est-à-dire des filtres, des perspectives qui sous-tendent notre regard (par exemple : le livre sur la table peut être la référence philosophique principale de la thèse sur laquelle je travaille avec joie depuis des années, ou bien le projectile de poids par lequel je projette de me défendre contre la bête sauvage qui vient de franchir le seuil de la porte), et dans quelle mesure elle habite cette interaction, finalement modèle véritablement la perception que j'aurai de l'objet.
La réduction phénoménologique - retourner au phénomène plutôt que de le confondre avec la réalité - nous permet de partir à la recherche de comment se crée « le réel », de comment fonctionne la construction de la réalité et comment nous y participons.
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C.
Notion de vécu pré-réflexif et Entretien d'explicitation
Nous présentons ici un extrait d'un article récent traitant de ces notions, de façon claire et synthétique (Balzani et al.)
« {peut-on} avoir accès de manière détaillée aux contenus et à l’organisation de sa conscience, hic et nunc, dans la vie quotidienne, sans avoir à lire toute la phénoménologie? (..) Par exemple, si j’écoute un son, je peux dire que c’est un son de cloche. Dans ce cas, ma description s’arrêtera rapidement à cette constatation et éventuellement à une évocation particulière. Mais si je pose la question « comment ai-je entendu ce son de cloche ?» s’ouvre alors un champ étonnant d’exploration de mon expérience auditive, exploration qu’en général un sujet non formé ou non habitué ne peut faire.
Cette simple question du « comment » et les réponses apportées dévoilent un double aspect de la conscience : ce que l’on appelle la conscience réflexive (qui me fait dire que j’ai entendu un son de cloche) et ce que l’on appelle la conscience pré-réflexive, qui va contenir les réponses au « comment ? » de cette expérience. Pour mieux comprendre ce dont il s’agit, considérons que, quand nous conduisons tout en parlant à notre passager, nous nous concentrons sur notre conversation, mais qu’en général, nous assurons aussi la conduite de notre automobile de manière satisfaisante. Ce qui nous permet de conduire en parlant est la conscience pré-réflexive.
Notre vécu conscient ne se limite donc pas à la réflexivité, c’est-à-dire la conscience que l’on a d’être conscient (« consciousness »). Cette conscience réflexive médiate, attentive, constitue en quelque sorte une couche « superficielle » de notre conscience au sens large, c’est-à-dire
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de ce qui dans notre vie n’est pas inconscient. Un second niveau est celui d’une vigilance ouverte, d’un accueil panoramique, d’une conscience de base minimale, graduelle et ouverte . C’est ce que l’on dénomme « awareness ». Ce second niveau, cette conscience pré-réflexive, couche profonde et épaisse de notre expérience subjective est multimodale, pré-conceptuelle et pré-cognitive. Elle est présente avant toute séparation de nos modalités sensorielles. C’est ainsi que l’on peut comparer notre vie mentale au globe terrestre : celui-ci est entouré d’une fine écorce (correspondant à la conscience réflexive) et entre le noyau et cette écorce circule l’épais magma du manteau qui correspond, dans notre métaphore, à la conscience préréflexive ; le noyau terrestre pourrait alors représenter l’ensemble des processus inconscients. Cet accès à l’ « awareness » est aujourd’hui privilégié dans la troisième vague des thérapies cognitivo-comportementales dont le chef de file est la « mindfulness». (...) Si, dans les conditions de santé mentale, nous avons quotidiennement et à tout instant accès à notre conscience réflexive, laquelle nous permet d’avoir une vie mentale et intellectuelle d’une grande richesse et accessoirement nous permet d’écrire cet article, si nous acceptons le principe que cette vie de la conscience réflexive n’est pas forcément le tout de notre expérience de chaque instant, alors il nous faut prendre le moyen d’explorer ces vécus préréflexifs. Ce moyen, nous l’avons vu, s’appelle « entretien d’explicitation » (EDE) de la conscience pré-réflexive.
L’entretien d’explicitation a été mis au point par P. Vermersch, et ses approches théoriques et pratiques sont décrites dans diverses références. Notons dès à présent qu’il s’inspire en partie des techniques de la Programmation Neuro-Linguistique (PNL) qui a pour projet l’étude de la structure subjective de l’expérience. L’EDE emprunte à la PNL l’observation et la prise en
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compte des indicateurs non verbaux et de l’épi-verbal ainsi qu’une partie des catégories descriptives de l’expérience. En revanche l’EDE assume l’arrière-plan philosophique de la phénoménologie qui en « polarise » la théorisation, autorisant ainsi le développement d’une phénoménologie pratique. (...) Sur le plan pratique, l’entretien d’explicitation ressemble à un entretien clinique et en possède au moins le caractère intimiste et la qualité d’écoute. La personne qui mène l’entretien propose au sujet (nous les appellerons par commodité respectivement B et A, selon la nomenclature de P. Vermersch), de revenir sur une expérience personnelle vécue quelconque. Le choix est ici immense. Il peut s’agir d’une expérience passée, mémorisée, ou d’une expérience qui vient juste d’avoir lieu et qui a été proposée par B, par exemple dans un protocole scientifique. (...)
1) Début de l’entretien. La personne qui conduit l’entretien (B) va d’abord instaurer un climat de confiance et de bienveillance avec la personne qui sera « explicitée » (A). Pour ce faire, elle lui propose un contrat, point essentiel, qui va définir l’objet de l’entretien. Par exemple : « Si tu veux, nous allons décrire comment tu as écouté ce poème et nous allons faire plus particulièrement attention aux sensations visuelles ». On définit ainsi un(des) « vécu(s) nodal(aux) »
(ici
les
sensations
visuelles)
qui
constituera(ont)
la(les)
cible(s)
d’approfondissement de l’EDE. Un autre élément absolument primordial du contrat, à toujours préciser, est qu’il ne s’agit pas d’un entretien de psychologie et qu’aucune interprétation de ce qui est dit ne sera faite. B se met dans une position éthique d’accueil ouvert et bienveillant de ce que A dit. On pourrait dire que celui qui mène l’entretien suspend tout jugement sur ce qu’il accueille de A attitude qui correspond au geste phénoménologique de l’épochè ; il laisse venir ce que dit l’autre dans une disposition neutre d’écoute. Ce qui est
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aussi caractéristique de la position phénoménologique est, outre cette épochè, le réquisit de l’extrême précision de la démarche de description, laquelle laisse de côté toute volonté explicative ou interprétative.
3) Comment B amène-t-il A à son vécu ? Après le survol de ce qui s’est passé , s’organise un échange sur le « comment cela s’est passé ? » . B choisit un moment de l’expérience qui a été signalé par A et pose des questions du type : « Qu’est-ce qui s’est passé ? », « Comment ça s’est passé ? », « Comment tu te sentais à ce moment-là ? », « Comment as-tu fait pour le savoir ? », « Comment fais-tu pour faire cela ? ». Parce qu’il s’agit d’une description phénoménologique et non d’une recherche causale, les questions qui contiennent sous une forme ou une autre le « pourquoi » sont proscrites. Cellesci en effet relèvent des dimensions dites satellites de l’expérience (contexte, rationalisations) mais elles éloignent le sujet de son expérience. De plus B reformule de temps en temps, et ce par les mots mêmes utilisés par A, ce que A a dit de son vécu. L’entretien contient donc toujours une alternance de questions sur le « comment » et de reformulations des réponses. Pour que le sujet A revienne à son expérience, c’est à dire - et il faut y insister - la revive , il lui est nécessaire de se mettre lui aussi dans une disposition d’esprit proche de l’époché, qui suspend la tendance naturelle à l’interprétation spontanée de ses vécus pour laisser place au re-vécu de son expérience. Ce moment particulier nécessite un triple mouvement intérieur de suspension du jugement, de conversion de l’attention et de lâcher-prise ou d’accueil. Ces gestes intérieurs permettent de se débarrasser des causalités explicatives pour ne plus considérer que le vécu lui-même. (...)
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Eléments assurant la qualité du recueil de l’expérience
1) Le respect du contrat. Tel que décrit plus haut, il est indispensable au bon déroulement de l’entretien et son respect est aussi garant de la qualité des informations recueillies.
2) La neutralité des questions. C’est un élément primordial de l’EDE. B doit veiller à ne pas induire de réponses particulières. Ainsi la question « que s’est-il passé ? » n’induit aucune réponse qui ne serait pas reliée à l’expérience. En revanche, une question de type « quand vous avez entendu le son de la cloche, n’avez vous pas eu une image de cloche à l’esprit ? » est une question très inductive et donc à proscrire.
3) La mise en évocation. Nous insistons à nouveau sur le point fondamental de l’entretien d’explicitation qui est d’amener le sujet non pas à se souvenir de l’évènement mais à le revivre dans (..) ce que l’on appelle la mise en évocation5. Celle-ci n’est pas un processus spontané, sauf chez certaines personnes très douées qui se découvrent phénoménologues en apprenant la pratique de l’EDE, ou bien chez les personnes ayant une pratique méditative. Le rôle de B est de savoir guider A dans les dispositions de lâcher-prise et de conversion de l’attention. B peut s’assurer de l’état d’évocation dans lequel se trouve A par des indicateurs verbaux et non verbaux : modification de la prosodie, regard dans le vide, moments de silence correspondant aux moments d’introspection, usage de métaphores ou d’expressions inhabituelles... 5
Il faut bien distinguer ici la notion d’évocation dans le sens quotidien (j’évoque un souvenir) qui est en quelque sorte un sens faible relevant plus de l’allusion ou de l’acte de faire penser à, alors que la mise en évocation suppose un sens fort à « évoquer », qui alors en condense le sens étymologique (ex-vocare, appeler de) pour en signifier que cet accueil de l’expérience passée, dans son re-vécu est aussi en quelque sorte un appel lancé à sa propre vie intérieure.
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4) L’accordage affectif. Le revécu par A du moment de conscience suppose donc un certain lâcher-prise de sa part et, pour que celui-ci s’opère, une mise en confiance avec B. Celle-ci est favorisée par l’accordage affectif. Quand les subtiles variations de la posture, du rythme des mouvements et de la parole, du ton voire du timbre de la voix sont en concordance entre A et B, on parle d’accordage affectif. (...)
5) La qualité de la reformulation. Il est remarquable de constater que si la reformulation est approximative ou déviante, A corrige immédiatement B de manière ferme. Inversement, si A ne corrige pas des déviations de la reformulation de B, il n’est pas certain qu’il ait été au contact même de son expérience. Il est extrêmement important de faire attention à l’aspect prosodique : le caractère identique de la prosodie de la reformulation au regard de la formulation initiale signe l’accordage affectif.
Si la description de l’EDE que nous avons réalisée ci-dessus peut apparaître comme une pratique facile ou simpliste, en réalité une formation assez longue est le plus souvent nécessaire pour pouvoir conduire des entretiens de qualité. Il est à noter que les psychologues et les psychiatres, le plus souvent habitués aux entretiens peu ou non inducteurs, sont en général plus à l’aise pour apprendre la technique de l’EDE ».
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D.
Retranscription des entretiens d'explicitation i. CU
Je peux peut-être commencer par te raconter comment c'est venu la première fois. Pas la toute première avant la Mongolie en 2005, c'est trop loin, non, la première en février 2010. Ca a commencé de façon progressive, j'étais à Bruxelles, en train d'enregistrer des bruitages sur un film. J'ai le souvenir que j'étais peut-être un peu bluesy en fait, à Bruxelles, je n'avais pas forcément envie à ce moment de ma vie, de partir là-bas, j'avais 8j de bruitages à faire. De mémoire, j'ai commencé à avoir mal au crâne, un premier soir, heureusement après ma première journée de bruitage. Et puis après, ah mais oui, maintenant ça me revient, puisque j'ai du chercher, à Bruxelles, de la codéine. C'était pas identifié comme Algie Vasculaire de la Face, de toutes façons je connaissais pas le diagnostic, mais aussi c'était moins fort, mais quand même, j'avais mal, et j'ai repensé à cette molécule qui m'avait fait du bien. J'ai tenté d'en trouver à Bruxelles, c'était pas exactement la même, mais le pharmacien m'a dit que c'était la même chose dedans. Sans doute, ça s'est répété quelques fois, une, deux, peut-être trois, pendant le travail. Et puis, fin du boulot, je rentre à Paris, 3h de route. Arrivé au niveau de Roissy CDG, embouteillage, le soir, et là j'ai eu une première crise extrêmement violente. Ca commence. Je suis en voiture, la nuit, j'ai pris la route le mois de février après le travail, parti vers 20h disons, de Bruxelles, et là, dans les embouteillages, je commence à avoir extrêmement mal à l'oeil. (...comment ca commence) Ah oui, j'ai souvenir, tiens, par rapport à l'air, du coup, il faisait très froid. Ca commence à avoir du mal à ouvrir les yeux à cause de la lumière. Mais je n'ai pas froid, en fait j'ai très chaud, et je ressens le besoin tout à coup d'ouvrir la fenêtre alors qu'il fait très froid dehors, je me souviens, ouvrir la fenêtre pour avoir de l'air. Et tout à coup cette douleur dans l'oeil, qui s'intensifie. (…préciser) je me souviens que je me tendais dans tous les sens, comme ça, je poussais les pieds (il mime), je ne savais pas comment se soulager de cette douleur, et j'ai l'impression... pourquoi j'ouvrais la fenêtre ? pour mieux respirer ou me calmer avec de l'air frais, je ne sais pas. (…intensité de la douleur) je ne mets pas ça au même niveau que les crises que j'ai pu avoir par la suite, c'est monté progressivement. A ce moment là, la douleur est déjà très intense, c'est déjà... mais gérable quand même, j'ai pu continuer à conduire. Je crois que j'avais du mal à respirer, tout le corps se tend terriblement et mal à respirer,.. et la tension de tout le corps, c'est.. tu vois, comme pour tout effort peut-être, je peux pas t'en dire beaucoup plus (… d'où ça vient) ce besoin de s'étirer comme ça ? Hmm.. (silence, il cherche longuement) Me remettre dans la situation...Tu sais, c'est quand....Heu. (… ce que tu te dis) D'abord je me demande ce que ça peut être, et je reste sur l'idée que c'est une sinusite qui a gagné l'oeil.. parce que... ah oui.. je ne sais plus, il me semble que j'avais fait un AR déjà à Bruxelles, est-ce que c'était plus d'une semaine ? Ça m'étonne.. ah oui, c'était bruitage plus post-synchro, donc il y avait déjà eu une semaine à Bruxelles, j'étais déjà revenu à Paris avant, et quelqu'un était venu le WE et m'avait donné des médocs pour la 126
sinusite, et il m'a même donné des antibiotiques. Et je pars à Bruxelles à nouveau, ça s'amplifie. Je reviens, et voilà ce que je me dis, c'est une sacrée sinusite, c'est ce que je me dis... c'est intenable ce problème de sinusite, avec, un peu, le sentiment de lui en vouloir un peu à ce docteur de ne pas m'avoir donné les médicaments qu'il fallait. Ca ne va pas plus loin que ça, je gamberge en me disant..Mais, non, je ne lui en veux pas, c'est un bien grand mot. J'arrive à me traîner jusque là, en voiture, je sors la valise, etc..., je m'allonge, et de mémoire, il me semble que ça se soulage. (… la suite du trajet) c'était long pour arriver, il y avait beaucoup d'embouteillages, genre ça a mis une heure. Je ne me suis pas arrêté, l'idée c'était d'arriver le plus vite possible pour pouvoir ne plus avoir à conduire, être soulagé. Il y a juste cette lutte pour arriver malgré cette difficulté de conduire, avoir les phares dans les yeux c'est une agression terrible. C'est difficile, d'arriver à rester dans la voiture, à vrai dire. D'arriver, malgré la douleur, à rester concentré sur la conduite, alors que l'envie ç'aurait été de n'avoir rien à faire, pour me consacrer à essayer de calmer cette douleur. (… comment tu fais pour rester concentré) je fais comme d'habitude, tu sais, la volonté, j'ai souvent l'habitude, tu vois, de lutter contre. Je fais souvent des grosses, des longues journées de travail, 24h en mixage, j'ai vraiment l'habitude de lutter pour rester concentré, même si physiquement il y a des besoins, ça, je suis extrêmement rôdé à ça, malgré des signaux corporels je parviens à les contrôler pour mener à bout ce que je dois faire, et là je pense que je mobilise les mêmes ressorts. 14 ' (...si tu ne contrôlais pas) je voudrais m'arracher l'oeil (il mime le mouvement, rit), enlever ce nœud de douleur que j'ai dans l'oeil, c'est creuser, cureter l'oeil, pour enlever ce qu'il y a... c'est une image, hein, mais il y a ce sentiment qu'on voudrait vraiment, il y a un nœud de douleur, on voudrait plonger la main pour pouvoir arracher ça, pour pouvoir être libéré. Je suis assez démuni face à ça. Presser l'oeil, j'ai le sentiment de presser l'oeil, très très fort, (grimace), je crois que je fais ça à chaque fois que j'ai eu ces crises. Il y a un truc avec la respiration, aussi, j'ai l'impression que (il souffle très fort, fait des mouvements avec sa main sur son torse) alors j'essaie de, j'ai appris à méditer, j'ai pratiqué des exercices où on essaie de reprendre le contrôle sur la souffrance, j'ai souvent essayé de mettre en pratique dans ces moments-là, ça m'a aidé pour gérer la souffrance. 15'30 (comment tu sais qu'on est démuni) On est démuni parce qu'on doit endurer une souffrance physique très forte et qu'on, qu'on subit véritablement. Si tu veux il y a le sentiment de.. on est démuni dans le sens où c'est particulier comme souffrance, c'est-à-dire que.. (silence) La méningite c'est une souffrance, assez grande, bien moins grande, mais, à un moment, mais si je fermais les yeux, j'avais un bandeau à l'époque, si on reste sans bouger, qu'on ne se dresse pas, on peut arriver à trouver des postures qui minimisent cette souffrance. Si on.., on peut se fouler la cheville, que sais-je, bon, on bouge plus, on arrive à... Là, on n'a pas de répit, c'est une souffrance, aucune posture ne peut diminuer cette souffrance, donc on est talonné par une souffrance qui est là, qui nous talonne, et qui ne nous donne aucune possibilité de répit, donc on est démuni face à ça, parce qu'on n'a pas la main, on n'a pas le pouvoir, on n'a aucune clé pour échapper à cette souffrance. C'est dans ce sens-là qu'on est démuni. C'est très très particulier, dans le sens où on est talonné, on est pris au piège de cette souffrance (mime l'action de prendre avec les mains) et on voit pas ce qu'on peut faire pour la soulager. Du coup l'envie, justement je crois que c'est une façon de..., le fait de se lever, de marcher, d'arpenter la pièce, etc.. c'est ça. (silence) Ouais. Et donc je rentre ici, (il souffle) donc, ouf, soulagé. Et là je fais revenir un médecin, SOS médecins, ce qui, définitivement je 127
crois il faut arrêter parce que je-sais-pas-qui débarque, mais c'est pas des bons, apparemment... C'est parfois des très sympathiques mais je sais pas s'ils sont très compétents, et le médecin m'ausculte, me regarde, et me dit : « Non, mais compte tenu de votre poids on ne vous a pas donné d'antibiotiques assez costauds, je-sais-pas-quoi, il me recharge la mule avec des nouveaux médocs, comme ça, sans aller plus loin » C'est un problème dans ces crises-là, moi j'étais incapable même de demander de l'aide, même pas faire un numéro de téléphone, c'est difficile. C'est difficile de se contrôler. C'est pour ça, je pense dans la voiture, c'était pas encore l'intensité d'après. C'est encore contrôlable. (…) De mémoire, quand j'arrive ici c'est descendu. Par contre ca s'est réactivé après. J'ai du rentrer le vendredi soir, ça a du se réactiver le samedi soir, et ensuite, j'ai appelé SOS médecins, soit le samedi, soit le dimanche matin. Mais j'appelle toujours après la crise. (…) Je n'ai pas envie, je crois, d'appeler pendant la crise. Je suis tellement démuni, à ce moment, je savais même pas ce que c'était, je restais persuadé... on m'avais dit c'était ça : une sinusite. Les sinus, ça peut irradier là... et du coup je me dis il faut être patient, il faut attendre, il faut endurer, et du coup je reste dans cette logique-là ça va se calmer, c'est une inflation très violente, une infection, une inflammation très violente, ça va se calmer, il faut faire avec, il n'y a rien d'autre à faire et appeler à l'aide ça ne servirait à rien... Appeler à l'aide ben non, ça sert à rien, il faut que je me coltine cette douleur. (…) même en dehors des crises, à ce moment je suis dans une logique de la sinusite... donc c'est une infection, une inflammation... donc, antalgique, je me dis pourquoi ils me donnent pas un truc pour calmer la douleur ? Ca c'est ce que je me dis en dehors des crises, mais pendant les crises je suis juste entièrement accaparé à gérer ma souffrance. (…pour gérer la douleur...) Je me plonge la tête dans un oreiller, j'appuie. Je râle, je pense que je crie aussi, il m'arrive de crier. (silence) C'est violent, hein, c'est très violent. (silence, il souffle). Je... On ressent... C'est quelque chose d'épuisant, épuisant, et j'attends... j'attends. J'espère et je compte le temps et.. parce qu'à partir d'un moment, on sait que ça revient, c'est des crises... j'attends le moment où ça va rechuter. J'ai le sentiment que ça monte, ca monte, je sens que oh non ça repart, et en même temps, je sais qu'ensuite ça diminue. Au début les crises durent une heure, puis ça grandit petit à petit, on passe à une heure et demi, puis deux, puis quatre heures. Il y a eu une crise qui a commencé à minuit - 1h, jusqu'à 6h du matin, et là je me dis « il me faut de l'aide », et je vais aux urgences. (...pdt la crise la plus longue, qui a duré toute la nuit) : j'avais tout à coup un sentiment de colère qu'on ne puisse pas soulager cette douleur, le docteur m'avait filé des antalgiques, il a mis des doses plus grosses mais pourquoi on me soulage pas de cette putain de douleur, avec les bons médocs qu'il faut, c'est ça... le sentiment que j'ai... (silence) qu'est ce que je peux dire de plus par rapport à l'état dans lequel je suis cette nuit là ? J'ai des pensées d'anéantissement. Tout à coup le sentiment d'être détruit, qu'est ce que je vais devenir, avec ça. Le sentiment d'un basculement assez horrible, parce que ça faisait une semaine que je vivais ça, tout à coup le sentiment que je ne peux plus rien faire, un sentiment d'anéantissement total. J'avais des choses à faire. J'ai des moments de répit, alors je me jette dessus pour faire ce que j'ai à faire. Je peux lire.. C'est un sentiment apparu quand je me suis rendu compte que je commençais à m'installer dans une situation de crise 128
(l'anéantissement ? ) C'est de la gamberge, chez moi. Physiquement ? Le problème c'est que ces crises ça ne laisse quasiment pas de répit. Il y a ces crises extrêmement intenses où on ne peut rien faire, puis ça se calme et on s'installe sur un plateau de douleur comme ça, un mal au crâne permanent, où on peut vivre avec, mais on ne peut rien faire avec, on ne pas pas voir un film, on ne peut pas prendre un bouquin, on n'a pas envie d'être en connexion, on est déjà mal avec soi-même alors on peut pas voir des amis.. on est comme sur un plateau de malaise, de mal-être physique, en permanence, et puis tout à coup, pouf, ça disparaît. Presque d'une seconde à l'autre, c'est comme un bruit de frigidaire qui est en permanence là, et puis qui s'arrête. Quel bonheur, simplement d'être là, d'être normal. C'est un soulagement immense. C'est un relâchement total. C'est un relâchement total. En fait, la douleur est localisée de façon très précise, toujours un seul côté, c'est asymétrique, très localisé. Et après le mal au crâne. Mais du coup, en effet le corps se tend, face à ça. Et après, une détente générale, très certainement. (30 ' épisode de la visite de la maman) : La pauvre. La pauvre parce qu'elle est arrivée en pleine crise. J'étais en train de me dépatouiller avec moi-même... J'étais là. J'avais mal. J'étais en train de rien faire, c'est-à-dire en train de marcher, en train de souffrir, enfin, essayer de me dépatouiller avec mon mal. Je marchais dans le salon, c'était la fin de matinée, peut être début d'après-midi, je sais pas. Ca avait commencé depuis un moment, et elle a débarqué, elle a sonné. Ces premières crises c'était quand même moindre, dans un moment de grande douleur j'aurais pas été capable d'ouvrir, j'aurais pas ouvert. Dans une grande douleur, comment recevoir quelqu'un, tout simplement, tu n'es pas en état de recevoir quelqu'un, il y a ce côté là... parce que je me bagarre, je suis en bagarre avec moimême, je peux même pas regarder, je peux pas regarder, je peux pas parler. C'est-à-dire que c'est vraiment une lutte, j'ai l'impression d'être en train lutter avec un démon à l'intérieur, c'est une lutte au corps-à-corps. Et pour comprendre c'est donc une bagarre, on peut pas discuter avec quelqu'un, c'est ça, c'est une lutte terrible, une lutte avec un démon intérieur, une lutte contre le dragon qu'on doit terrasser, c'est vraiment une lutte au corps-à-corps pour pas laisser.., une lutte physique. Je voulais surtout pas qu'Aurore, ma fille, me voie dans cet état-là. Parce que c'est une souffrance de voir quelqu'un qu'on aime souffrir. Donc, je sais que maman, quand elle est venue, elle m'a demandé ce qu'elle pouvait faire pour moi, je lui ai dit il faut que tu ailles me chercher ce médicament à la pharmacie, j'ai besoin de ça à tout prix parce c'est ça qui me soulage, et j'en ai plus et ensuite elle est revenue, et je lui ai demandé de me laisser seul. J'étais pas du tout accueillant, j'étais très irritable, je l'ai mal reçue. Très irritable, elle me posait des questions et j'étais absolument pas en état de... et j'étais irritable dans ce sens.. j'ai un souvenir de l'avoir pas bien reçue.. Je n'arrivais pas à contrôler cette souffrance pour bien la recevoir. Alors que d'habitude ça se passe très bien, très très bien. J'ai le souvenir de mon énergie négative, et je l'ai presque envoyée balader, j'ai ce souvenir, un peu de ça. En plus, elle avait pas trouvé de pharmacie, je sais pas quoi, elle est revenue sans médicament (rire) Elle était un peu, je la sentais un peu, euh, consternée, de me voir comme ça. Enfin, 129
consternée, oui, non, consternée, non, c'est trop fort, un peu inquiète, un peu surprise, et inquiète, oui, et je lui ai pas donné le choix, je lui ai dit juste « va à la pharmacie, va trouver ce médicament », c'était absolument.. c'était pas une demande, c'était presque un ordre. Ca a duré 2-3 minutes et elle repart, elle revient, elle avait pas trouvé, je la renvoie chercher ailleurs, elle est revenue, c'est pas très précis. Je pense qu'après j'ai du lui dire, j'ai besoin d'être seul on peut pas discuter, ça s'est terminé comme ça. Ce qui est étonnant, rétrospectivement, c'est long une semaine à souffrir, d'être tout seul, j'ai pu appeler personne. Je n'ai pu appeler quelqu'un que lorsque j'ai su ce que c'était, lorsque j'ai rencontré ce neurologue à la Pitié qui m'a dit, voilà ce que vous avez, c'est une AVF, enfin j'ai pu mettre un mot. C'est en sortant que j'ai appelé mes parents, dans la voiture, en disant écoutez voilà, ça fait une semaine que... je me suis effondré en pleurs, effondré mais véritablement, dans une sorte de pfiouu, enfin.. parce j'ai pas le souvenir d'avoir pleuré comme ça quand j'étais seul, mais là je me suis effondré en pleurs de partager cette souffrance avec quelqu'un, dans une sorte de grand relâchement, qui faisait du bien, de lâcher, après l'impression d'avoir passé une semaine tout seul face à ce démon et là ça y est, on avait un nom, et un médoc pour me soulager. Après je suis rentré, j'ai appelé ma sœur Cécile, dont je suis très proche, elle a beaucoup d'empathie, elle m'a demandé ce qu'elle pouvait faire pour moi je lui ai dit ce qui me ferait vraiment vraiment plaisir c'est que tu viennes me préparer une bonne soupe de légumes comme celle qu'on mangeait chez bon papa et bonne maman, avec les légumes en petits morceaux. 51 ans AVF épisodique, seulement deux épisodes en 2005 et 2010. Ne prend actuellement aucun traitement. Célibataire, une fille adolescente. Proche de ses parents et de sa fratrie. Monteur et mixeur pour le cinéma, voyages fréquents Entretien réalisé le 2 février 2012 à son domicile
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ii. MB. Et ben je descends de mon bateau, je suis speed. Je passais une après-midi à la pêche, tranquille, enfin speed, mais j'aime bien quoi. C'est je sais pas quelle saison, mais c'est un bon moment, il fait beau, tout va bien pour moi, je suis speed, je me bouge, je finis tout ce qu'il y a à faire sur mon bateau. Je charge ma voiture, j'enlève mon manteau, je claque la porte, je respire 2-3 fois pour me dire « aaaaah, ca y est, j'ai fini de ranger » (regard dans le vide, il mime avec sa main). Et au moment où je passe à la phase détente, j'ai mal au casque (le ton change, plus sec, il me regarde). J'ai posé mon manteau, j'ai chargé ma voiture, je me dis que j'ai plus rien à faire par rapport à l'après-midi de pêche. Et mon cerveau, je sais pas, comme s'il se mettait à dire « j'ai plus rien à faire ». Et j'ai mal au casque. Je suis dans la voiture, j'ai claqué la porte depuis trois minutes. J'ai démarré, j'ai mis le GPS. Et la crise arrive, parce que j'ai fait une activité physique pendant quelques heures. Et tout à coup je m'assois, et puis, ben... (… ca commence par quoi) D'abord je suis engourdi dans l'épaule, l'épaule droite, pendant 23 minutes. Et je sais ce qui va se passer parce que c'est le même scénario depuis 15 ans. Et je commence à flipper. Je suis anxieux. (… décrire l'engourdissement) Cet engourdissement c'est comme si je ferme mon poing, comme ça, mes muscles se contractent (il me montre). C'est pareil, sauf que là ça vient tout seul, sans que j'actionne rien de mon propre chef. Je peux dire que ça monte, l'épaule, le cou, la nuque, en 2-3 minutes. Dès les premières crispations, c'est toujours le même scénario depuis quinze ans, donc, ben, je sais très bien ce qui va se passer. (… quand tu te dis que tu sais ce qui va se passer) Je suis vexé. Je me sens (silence). Je me sens.... pas à 100% de mes moyens et je supporte pas d'avoir un problème et d'être réduit, de pas être.. Je me supporte pas. Parce que tout s'arrête. Tout s'arrête et ça me.. prend tout mon mental, les premières minutes, et si je me soigne pas tout de suite, ça me prend toute mon énergie, toute la gouache, tout l'énergie, quoi. Et je pense plus qu'à ça. Je pense plus qu'à ça. (… ce que c'est être vexé) Je suis vexé, je suis déçu parce que la journée se passait bien, je me suis détendu l'après-midi, mais j'étais un peu speed sur mon bateau, parce qu'il y avait des trucs à faire, quoi.. et au moment où c'est le moment de se détendre, je suis vexé parce que je vais encore pas pouvoir me reposer ou me détendre comme je veux. Je suis déçu, je suis vexé, je trouve pas les mots pour dire ça mieux que ça, mais, euh, je suis déçu, je suis vexé. Je me sens réduit, à mon âge, à 34 ans, je me sens incapable. Je suis vexé de perdre mes moyens même si c'est temporairement, c'est temporairement plusieurs fois par jour depuis quinze ans et tout le temps, donc, ben... Je serais bien allé voir un pote faire un truc et tout, et puis non, je vais me brancher à l'oxygène et je vais encore perdre mon temps, je vais être fatigué, je vais me désocialiser 131
encore à ce moment-là. Je continue à rouler. Mon 3 m3 d'oxygène est derrière moi en permanence, avec le masque au frein à main. Je me branche. Depuis 2006, j'ai fait mon deuil, je m'oxygène en roulant, sans problème, avec la poche à haute concentration. Je suis déçu, je suis vexé, je suis dégoûté, quoi. Parce que j'aurais bien fait autre chose, ou continué à me détendre, ou engagé autre chose, et puis ben, ça va encore me faucher, parce que même si je me soigne tout de suite, parce que psychologiquement la trace elle va encore rester quelques heures, parce que j'arrive pas à me dire que c'est normal, parce que c'est pas normal d'avoir tout le temps mal à la tête comme ça, et aussi fort, c'est pas normal. Maintenant je démarre l'oxygène dès le début, je laisse plus rien s'installer. J'attends le 0.5/10 à l'oeil, je laisse passer ça (il montre son épaule droite et sa nuque, en faisant un mouvement ascendant), 2-3 minutes mais, maximum, j'attends le 1/10 le début de ça, là, (il fait un mouvement d'extension de ses doigts autour de l'oeil) le début de la grappe, quoi, et je démarre tout de suite à l'oxygène. (… comment ca fait mal) Moi c'est à droite (il mime avec sa main autour de l'oeil) : 1minute, 3 minutes Comme si on me pinçait une couille, et c'est pulsatile, comme ca.. Si je laisse rien faire, c'est tout ça qui est pris, ça rejoint la partie engourdie, là, ça prend tout à droite. Et ça s'arrête, là, à la cloison nasale, c'est hallucinant, ça dépasse jamais, ça dépasse jamais, jamais, la partie gauche de ma tronche. Comme si on me pinçait une couille, heu c'est pas terrible, comme si on me pinçait une glande... euh, le cœur d'un poulet qu'on vient de cuire, il reste le cœur ou le foie, hein, un abat, pour moi c'est comme si on pinçait quelque chose de, euh, une gomme, c'est comme si on pinçait une gomme, pour moi, comme douleur, quelque chose qui revient à sa place quand on n'a plus mal. Quelque chose d'élastique, une balle pour les gamins qui rebondit. Au début de la crise c'est comme si la balle elle était ronde, je commence à avoir mal, il y a quelque chose qui appuie ou qui déforme la balle, je commence à avoir mal. Quelque chose qui lance, et c'est pulsatile. Pas au début, les premières minutes. (… d'autres choses qui viennent en même temps) Il y a la détresse hein. Même quinze ans après on peut pas s'y faire à une douleur de ce niveau là, on peut pas s'habituer à cette douleur là. On peut s'y faire et dire « c'est bon, je vais pas me tirer une balle tout de suite » mais, il y a toujours la détresse, la panique, tout le monde la gère pas bien. Moi perso je trouve que ça se passe pas mal pour moi,je panique plus je me retrouve plus à courir partout. Je déambule, je bouge mais je me panique plus comme les premières années. Sinon, ben heu, je suis dans mon Kangoo, ça fait trois minutes que je suis branché à l'oxygène, je rentre chez moi, je roule, je suis à 12L/min, je connais le mano par cœur, main gauche derrière moi, derrière la banquette (il fait le mouvement de se retourner vers l'arrière et tourner le manomètre) Je regarde les gens, qui me regardent et doivent se dire « qu'est-ce qu'il fait celui-là, il doit encore être en train de se droguer ou... » Je regarde ceux qui s'inquiètent, les visages inquiets. Il se demandent bien qu'est ce qui se passe . Qu'est-ce qu'il fait celui-là ? Pourquoi il s'arrête pas, pourquoi il est pas à l'hôpital avec son oxygène, parce que oxygénothérapie tout de suite, 132
c'est médical, oxygène c'est grave, c'est grave de prendre de l'oxygène. Y a ceux qui ont un peu le sourire, y a ceux qui sont inquiets. Le principal sentiment que j'ai, après c'est peut-être moi qui interprète, il y a peut-être une certaine parano qui s'installe, je ne sais pas : les gens ils pensent « Ou là là qu'est-ce qu'il est en train de faire, ce jeune, avec sa barbe ? Qu'est-ce qu'il est en train de faire celui-là ? » Ils doivent se méfier, ils doivent flipper. Si j'ouvre ma fenêtre pour demander ma route, c'est sûr que personne ne va me répondre. Je me sens... inférieur, quoi. Diminué. Pas à 100% de mes moyens. Dépendant. à l'oxygène parce que sans lui ce serait la 2348è injection d'Imiject, et j'essaie de faire au maximum à l'oxygène pour diminuer les injections. J'ai changé de boulot exprès. Personne ne peut continuer à y avoir recours toute la vie. Je suis à 12L/min. J'en suis à peu près à 10 minutes et là je sens que je passe le point où je n'aurai pas « pluss mal ». Moi je n'ai pas de petite crise ou de grosse crise, les crises sont toujours les mêmes. Quand je passe 10-12 minutes, parfois 20, ça dépend si j'ai un peu traîné au départ de la crise pour prendre l'oxygène, je sais très bien le point, il y a toujours un point où je sais très bien que je n'aurai pas pluss mal. Donc la douleur monte, on est à 10-15 minutes, il y a le point où je n'aurai pas pluss mal. C'est le zénith de la douleur. Je sais pas comment je repère. Mais par exemple je suis à 4/10 et là j'aurai pas pluss mal parce que j'ai commencé l'oxygène assez tôt. Ca arrête d'augmenter pdt 1 à 2 ou 3 minutes, et j'aurais pas pluss mal cette crise là, parce que je m'y suis pris assez tôt. C'est une certitude, je sais que je n'aurai pas pluss mal (il fait un geste horizontal avec la main). Je... (il cherche) suis content, et puis je me viderais par les deux bouts, physiquement. J'ai la gerbe, et puis il faudrait que je m'arrête aux toilettes. Ca c'est quasiment à 100% des cas, au moment où je sens que je n'aurai pas pluss mal pour cette crise-là, il y a un relâchement musculaire, je sais pas ce qui se passe, il y a un « ouf » qui arrive, et ça me met la gerbe, je transpire, pas avant la douleur, mais au moment où je m'aperçois que j'aurais pas plus mal pour cette crise là, je suis en même temps content et puis, physiquement c'est un pffou.., heu.. j'ai pas encore plus mal, hein, mais physiquement je sens que je commence à me détendre. Je suis toujours en train de conduire, du moment où je stagne la douleur, il me reste 20, 30 minutes d'oxygène, je pense comme tout le monde, hein. Je rentre chez moi, ouais. Limite si je sais que mes voisins sont dans ma rue en train de discuter, je vais faire un détour pour ne pas qu'ils me voient arriver avec le masque. Cette fois-ci j'ai croisé des gens que je connaissais pas. Il y a des gens avec qui je m'assume, d'autres un peu moins, ça dépend des états d'âme du jour aussi, quoi. Ca roulait, 3-4-5/10, je commence à me détendre entièrement, je me rends compte que je n'aurai pas plus mal, je continue l'oxygénothérapie le temps qu'il faut, 10-15 minutes, quand j'arrive à 0 je continue encore 5 minutes. Cette fois-ci je suis arrivé à 0 alors que j'étais sur la Rocade, entre Etrets (?) et chez angoulins (?), un truc comme ça, à 70 à l'heure. Ca s'arrête un tout petit peu moins vite que ce que ça monte (il fait le geste, comme ça). C'est mon ressenti, en tous cas. (18'20) A la fin de la douleur, on est crevé, c'est comme si j'avais fait une demi-journée de boulot, comme si j'avais taillé une haie pendant 4h ou fait un service de 30 couverts tout seul, à l'époque où j'étais cuisinier, je suis crevé. Je suis crevé physiquement, je suis crevé psychologiquement. Et je peux pas m'empêcher de repenser à la prochaine, dans 4h, 6h, ouais, 133
je peux pas m'empêcher d'y repenser. Ou alors le..., non, voilà, je pense à ça, à la prochaine crise dans 4h, 6h, et je me dis qu'il me reste plus que ce temps-là pour aller faire trois courses à Leader, décharger ma bagnole, essayer de faire quelque chose de mon corps, essayer de me rendre utile, aller faire 2h de boulot chez un client, je sais pas, faire quelque chose. Ne pas louper le créneau où ça va parce que dans 4h, dans 6h je vais encore être fauché par ce truc (geste de la main sur fauché). Fauché ça veut dire que lorsque la douleur elle arrive, tout s'arrête. L'activité qu'on était en train de faire que ce soit physique ou mental, si je suis en train de bosser sur un projet de jardin, de conception, tout est balayé par la douleur, y a plus que ça qui compte, ça prend toute la place dans mon esprit, y a plus que ça qui compte, tout est balayé. Après, voilà, je vais pas oublier mes gamins à l'école, je vais pas oublier les grandes lignes de ma vie, quoi, mais tout ce qui me paraît pas survie, pas... tout s'arrête, tout est balayé ça prend toute la place dans mon esprit, et ça prend mon temps aussi, pour me soigner. (21')Un dimanche midi chez mes beaux parents, avec mon ex-femme. On est en train de bouffer le gigot d'agneau tranquille, dans le Limousin, à Limoges, on est à table, ils sont tous à l'apéro Ricard, vin rouge et compagnie, « alors Ludo tu bois toujours pas d'alcool ? » « ben non » « Ah bon, tout ca, machin » Rien que l'odeur du Ricard j'ai mal au casque. L'odeur de l'alcool, tout de suite, y a un lien, je sais pas. Rien que l'odeur. L'odeur. Je sais que le beau-père il va me questionner sur qu'est-ce que tu fais en ce moment au boulot, et un peu me prendre la tête sur les bords, j'ai une petite anxiété par rapport à la conversation qu'on va avoir, je commence à avoir mal au casque, je file. Dès le premier engourdissement d'épaule, ce que je te disais tout à l'heure, j'attends même pas le 0.5/10, je file au chiottes a quatre pattes et je me fais un Imiject, et je commence mon repas avec eux. Voilà. Personne n'a rien vu, sauf mon ex qui me connaissait, enfin elle me connaît toujours, mais à l'époque on était encore ensemble, d'un simple regard elle savait où j'en étais, de ma douleur. Et puis après un Imiject, on a une tête de drogué quoi, faut dire ce qui est (il mime des yeux globuleux et mouvements vers l'avant avec les deux mains). Ce qu'elle se disait elle ? Ben, qu'elle en avait marre de se traîner un handicapé. Que j'étais pas là à 100% dans toutes activités qu'on faisait ensemble. Souvent elle allait faire ses activités à elle, parce que moi je pouvais pas suivre, quoi. Par exemple, chais pas, soirée salsa, apéro, machin, tout ça c'est pas pour moi, ça. Il va faire super chaud. Je te disais, alcool ou douche chaude prolongée, moi c'est vraiment pas pour moi, grosse chaleur prolongée c'est crise dans 70% des cas, alcool 100%, alors ces soirées-là, moi, je les fuis quoi, je les fuis. Et puis voilà, partir 48 h en balade en voiture en week-end, c'est tout un pataquès, quoi, elle, elle me... excuse moi, j'ai perdu le fil de ta question. Au début il y avait de la compassion « mon pauvre ptit père c'est pas cool ce que t'as », et puis les années suivantes, marre de me traîner un handicapé, l'oxygène » (crise avant oxygène) Ah oui je me souviens très bien comment c'était avant l'oxygène. Alors, toujours même scénario (il mime bras, épaule, nuque, oeil ) et puis j'ai mal au casque dans les 5 minutes. Alors, je me fais vomir, parce que.. On est au surf, à Hossegor - Cap Breton. Je mets ma combi, je sors ma planche et j'ai mal au casque, déjà ça commence super bien (il rit). Ca fauche. Voilà, moi ça m'a fauché toute ma 134
vie, dans tout ce que j'ai entrepris, donc c'est un truc de fou, quoi. J'ai mal au casque. Tout le monde se barre à la plage. Pas moi. Là, je sais même pas que j'ai une algie vasculaire de la face. Je sais plus si je garde ma combi, non, bref, je range mon matos dans la bagnole. J'avais remarqué qu'il n'y avait pas une crise qui se passait sans que je me chie dessus et que j'aie des nausées, alors avant que j'aie l'Imiject et l'oxygénothérapie, je me faisais vomir de suite, je me faisais vomir (mouvement deux doigts vers la bouche). Je viens de voir partir les autres, je suis seul, dégoûté, déçu de ne pas être à la hauteur de quelqu'un de normal quoi, je me sens inférieur, je me sens diminué, je me sens pas à 100% de mes moyens, je me sens pas normal. Je recherche pas d'aide. Toute ma vie j'ai emmerdé le moins de monde possible avec ça, je me plains pas. Mon ex m'a quitté, mais je pense vraiment pas que ce soit parce que je me sois plaint, c'est plutôt pour la vie qu'on mène quand on a une AVF. Je commence à avoir mal au casque. Je sais pas que j'ai une AVF et je connais pas l'imiject, O2 et le verapamil. Alors je me fais vomir, et je m'allonge sur la banquette arrière, je respire, je respire, je respire et je pense qu'au sommeil, parce que l'endormissement ça va être la seule issue. Alors peut-être que 2-3 fois je suis sorti de la voiture pour aller gerber ou pour me vider par le bas, parce que c'est vraiment hard comme douleur, ça te tue, quoi. Alors je me fais vomir, je m'allonge sur la banquette arrière et je pense plus qu'à m'endormir, ça va être la seule issue. Je dirais pas tomber dans les pommes, mais au début quand je laissais des crises aller au bout, je dirais pas que je tombais dans les pommes, mais la seule issue c'était l'endormissement, la somnolence quoi, et garder mon calme, ne pas paniquer. Au maximum, quoi. (27'30) Paniquer ? Rentrer dans la voiture, sortir. Dans la tête : qu'est-ce que je fais ? Je pars en courant à l'hôpital ? J'ai une tumeur. Qu'est-ce que j'ai ? Je sais pas ce que j'ai. Pourquoi j'ai aussi mal. Pourquoi moi ? Est-ce que c'est si grave que je le crois ? Parce que j'ai mal, mais heu... cette fois-là du surf, ça fait déjà un an ou deux que j'ai mal au casque, alors je me dis que je vais pas mourir encore cette fois-ci. Mais les premières crises on a tous cru qu'on allait mourir, c'est une douleur insupportable, on croit que c'est l'AVC, ou... tout nous passe par la tête. Moi perso, tout m'est passé par la tête. Oui, avant d'avoir l'oxygénothérapie, cette fois-là au surf, je descends, je remonte dans la voiture. Faut rester zen et je m'allonge sur la banquette et je pense plus qu'à une chose, c'est l'endormissement, ça va être la seule issue et là je suis parti pour une demi heure à 4h ou une demi-heure à 6h de douleur. Je sais que j'ai déjà dormi, ou dans un état de sommeil, alors que j'avais très très mal. Je sais pas comment te dire, mais je sais que c'est possible. Ouais, je sais pas. Bon on est entre nous, on peut se dire des trucs, c'est une sorte de mental. Sans aucun orgueil, hein. Sans déc. Sans déc. Je me dis que ça va s'arrêter, je me dis que, je sais pas, je vais m'acheter une canne à pêche, je me dis que y a un truc qui me fait plaisir, que quand ils vont revenir on va aller bouffer, et ça va être cool, ptet que ca ira mieux, je pense que ça va s'arrêter, parce cette crise là au surf, j'ai déjà un an ou deux derrière d'avf là, et je sais que ça s'arrête, je sais que je suis pas parti pour 24h, et je sais déjà que je vais pas mourir. C'est les premières crises où je croyais que j'allais mourir, je sais que je vais pas mourir et que ça va pas durer 24h, j'ai déjà mis en place des techniques pour me faire gerber, de m'allonger, d'essayer de me calmer, de pas paniquer. Ah oui : auto-persuasion, que c'est pas grave. Autopersuasion, je sais pas si c'est le bon mot mais c'est ce que je pense. Que c'est pas grave. Je m'allonge. Allez ça va passer. Eux ils s'éclatent et pas toi mais bah ça, tu fais ton deuil, c'est dur mais c'est comme ça. Je vise l'endormissement. C'est ça qui était sympa. Comment je me suis senti dormir en ayant très mal. J'avais conscience que j'étais à 5-6-7-8 sur 10, je suis allongé sur la banquette arrière, et puis je dors. Je dors (il sourit). Je bouge plus, je.. . (il lève 135
les yeux au ciel, respire lentement). Le souffle du mec qui dort, pas de mouvement, le mec il dort. Mais je suis conscient, je sens que j'ai mal. Je dirais même que je suis inconscient, je dors, et il reste plus que la douleur. Sans déc. Il reste plus que la douleur. Je dors complètement, il reste plus que la douleur et je sens qu'elle est là. Pendant 3 ans, c'était ma technique. Ya bouger et bouger. Ya bouger, se déplacer. Et bouger, paniquer, quoi. Paniquer, c'est traverser la ville en courant « aidez-moi, aidez-moi », secouer le premier passant, ça, ça m'est déjà arrivé, « aidez moi », ca m'est déjà arrivé. Tu veux que je te raconte ma première crise ? Ma première crise j'étais bidasse, à 18 ans. J'étais à Chateauroux, on a sniffé du poppers, j'ai eu mal au casque comme jamais j'ai eu mal au casque, c'était ma première crise. J'ai respiré du poppers une fois dans ma vie, et ça a été ma première crise. Voilà. On a du.. heu.. tequila paf, machin, un peu d'alcool et tout... c'était les bidasses en folie. C'était l'année des appelés, voilà, j'étais bidasse. Hop. A l'époque j'avais encore pas mal au casque donc je m'autorisais à picoler un peu. Donc je respire ce truc, là, le poppers, que je connaissais pas, c'était la première fois. L'armée c'est là où on, euh.. c'est là le pire.. On rentre, on se couche, quelques heures plus tard dans la nuit je me lève, je réveille tout le monde, je dis les gars, emmenez moi à l'hosto ça va pas du tout, il se passe un truc, grosse panique. Je dormais, ça m'a sorti du lit carrément. Bon, décembre 1996, j'ai eu très mal au casque, j'ai flippé, j'ai réveillé tout le monde « Vas-y, Ludo, arrête », « Non, jte jure, arrête, aide-moi » Ils m'ont emmené au.. enfin à l'armée on peut pas appeler ça un médecin, le mec qui était dans le bureau avec la croix rouge au dessus quoi... Dafalgan avec la codéine, que d'alle et tout. Panique totale. Les escaliers de haut en bas (il mime), aidez-moi. Je sais plus comment il s'appelle, « aide moi », « non, non, je dors », je redescends en bas, hop, « aidez moi », panique totale Je me suis habillé plusieurs fois, je me suis recouché, je me suis rhabillé, je me suis recouché (il mime), (il mime avec ses mains le fait de dormir) 5 minutes, non, c'est pas possible. j'ai peur, j'ai peur de.. je suis en train de mourir je vais mourir j'ai peur, je vais mourir j'ai une tumeur, ya un truc pof , ya un truc qui a pété, c'est pulsatile hein quand même, ya du sang qui fuit dans ma tête, ya un truc comme ça. j'ai quand même attendu d'avoir bien mal plus du milieu de l'échelle, plus de 5 avant de réveiller les autres dafalgan codéiné, boîte verte, je me souviens, ça n'a pas marché j'ai vomi mes tripes, je me suis vidé par les deux bouts, comme je disais avant, mais pas tout seul, naturellement enfin, c'est venu tout seul, quoi et puis la somnolence, enfin je sais pas comment ca s'appelle dans le milieu médical, je pense je me suis évanoui de douleur. Des convulsions, enfin le mec complètement.. Délire de reparler de ça, quand même. Pfff. Ben ouais, ca fait 16 ans, 16 ans, truc de fou.
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AVF chronique Divorcé, 2 enfants Jardinier (reconversion professionnelle en raison des conséquences de l'AVF, était cuisinier) Entretien réalisé le 16/02/2012 à l'hôpital Lariboisière
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iii. NG. Cette crise-là, comme toutes les autres, je viens de m'endormir. Je viens de m'endormir et je suis réveillé par un truc très désagréable qui dit « ça va pas être possible, ça marche pas, ça va pas ». et donc là je... ouais, crise de nuit. Donc je sais pas trop ce qui se passe, je suis en train de dormir, après je suis réveillé et je me sens pas bien, et c'est à ce moment-là que je commence à comprendre que c'est l'algie. De mémoire en fait ça merde dans mon sommeil, y a un truc qui... alors moi j'ai du mal à me souvenir de mes rêves, je sais pas si ça merde dans mes rêves ou pas, mais, heu, y a quelque chose qui vient me réveiller dans mon sommeil, ça va pas être possible dans mon sommeil, quoi, je vais pas continuer à dormir. Je suis encore dans le sommeil, là. Je, j'ai souvent eu, ça, par un truc aigu qui vient vous emmerder, et que vous connaissez. Par exemple, moi j'ai pissé au lit quand j'étais petit, je savais qu'il y avait un truc qui venait. À un moment y a un truc qui venait c'était chaud et tu te réveilles parce que tu sais que t'as pissé au lit. Et là à un moment y a un truc qui vient piquer dans le sommeil. Ouais, un truc qui vient te piquer dans la tête, mais vous voyez, plutôt un truc aigu, comme quand vous avez mal au bide, ou quand vous avez, je sais pas moi heu, quand vous avez une douleur résiduelle d'une fracture, quand y a un changement de température ou un truc comme ça, c'est un truc qui vient de l'intérieur et qui est pas aigu. Là c'est plutôt un truc qui est piquant et qui vient de l'extérieur, et même dans le sommeil. Je m'en rends compte une fois que ça me réveille, ça me pique la face gauche. Quelque chose d'extérieur qui rentre dans mon sommeil, du coup je sors de mon sommeil sans trop piger, et c'est au moment où je sors de mon sommeil que je me dis « la crise elle va monter », parce qu'en vrai elle est pas encore là, je suis pas encore en crise à ce moment-là. Au moment où je me réveille, généralement, avant de faire de l'Imiject j'attends de me dire que là je tiens plus, parce que sinon je le ferais tout de suite. Donc là j'attends, j'essaie de me dire... je fais pas le vrai système de j'attends de 1 à 10 sur la douleur, mais quand je pique c'est que... Cette nuit-là, en fait j'avais pas d'Imiject. Ca arrive, ça monte. Au début, moi j'ai mal à l'oeil, j'ai mal à la mâchoire, et après c'est simple, après c'est un pieu. Ca c'est le moment normalement moi où je shoote, mais ce souvenir-là, je m'en souviens très bien, euh.. oui, à un moment on a l'impression qu'il y a un truc qui rentre dans la tête là (il montre le haut de son crâne, à gauche)... le temps, je pense, la sensation du temps elle est un peu foutraque à ce moment-là mais ça rentre dans la tête, ça sort de la tête, quelque part par là, dans la cou là, quoi, dans le menton, et après ça rentre là, et on a l'impression que ça va continuer à descendre. Ca descend pas en fait, mais on a l'impression que ça va continuer à descendre. Ca, ça vient pas tout de suite, au début ça monte, ça monte, ça monte, mal à l'oeil. Au moment où je sors du sommeil, je me dis « merde, c'est une vraie crise ». Je sais, c'est une vraie crise, on va voir jusqu'où ça va aller et il va falloir que j'attende le maximum. Ya un moment je commence un peu à chialer, à flipper, à me dire merde, merde, va falloir que j'attende, que j'attende. Généralement je me mets à gigoter dans mon lit, euh... Je sais pas, je fais comme ça moi (il mime un gigotement).. Parce que, parce que ça me harcèle un peu, ça me harcèle, et comme c'est un truc qui pique et qui est extérieur, voyez, quand vous avez mal et que vous avez mal au ventre vous faites comme ça (il se plie légèrement en deux) et vous bougez plus. Mais même quand on est un petit enfant et qu'on a une gastro, on se met comme ça et on bouge plus. Et moi c'est le contraire, faut que je bouge, j'essaie de respirer, heu, mais je pense que c'est un mélange de panique, quoi, de stress de ce qui va arriver, hein. Parce que 138
là, à ce moment-là, moi je sais que ça va aller jusqu'au bout. Sur cette crise c'est différent j'avais plus d'Imiject, j'avais plus d'Imigrane donc je savais que soit ça allait prendre le temps de soit aller aux urgences, soit il fallait qu'elle passe, mais c'était en début de crise. Donc là, je me souviens c'est « merde, ça revient et je suis pas prêt. » J'ai pas les médocs chez moi, et là ça c'est la super angoisse parce que je vais déguster. Alors si c'est la petite crise de début d'épisode – c'est ce que j'ai cru – parce que ce jour-là, si j'avais su ce que j'allais me prendre derrière, parce que je me suis accroché à la table après. Euh.. ; ce jour là si j'avais su, j'aurais fait ce que j'ai fait cette année, c'est-à-dire que j'aurais appelé un taxi tout de suite, et soit j'aurais foncé là où j'ai les médocs, soit j'aurais été à Lariboisière, soit j'aurais appelé un autre ami qui a lui ça aussi, et on s'est mis d'accord entre nous deux pour que si y en a un qu'il l'ait, on se.. hein Donc là je me réveille, je me souviens très bien, ça devient insupportable, je tourne dans mon lit, envie de pleurer, et je commence à chialer, là je chiale à ce moment-là, d'abord un, de ce côté là (il montre l'oeil gauche), et puis des deux, parce que je me dis merde, ca y est j'ai une crise et j'ai pas de matos. Panique. C'est vraiment le grand flip. De dire, merde, ça recommence. A ce moment-là, l'autre sensation qui vient c'est qu'à un moment il faut se lever. Là vraiment la douleur elle est montée. Pour le coup, je crois que j'ai vraiment appris, sur la vraie échelle de celle qui connaissent leur indice, c'est-à-dire que 5, c'est déjà une vraie vraie grosse douleur – là par exemple j'ai fait le couillon, je me suis cassé le doigt de pied, je suis allé aux urgences j'ai dit je suis à 4-5, j'aurais pas dû (rires), mais parce que je connais ma vraie échelle. Donc là, vraiment je pense que c'est 6-7 à ce moment-là, donc là.. Là c'est pleurer en suffoquant. Bon, à ce moment-là j'avais mon ex-femme dans mon lit, donc je me suis, généralement je me tire, je vais me mettre dans un coin. Haann. A ce moment-là, déjà moi j'ai le sentiment que les gens qui assistent à ça peuvent pas se rendre compte, déjà. Ho, ça va recommencer, je vais encore avoir l'air pas ridicule, mais, dfaçons, moi j'aime pas, hein, me mettre à pleurer devant quelqu'un, ni devant une femme, ni devant un homme d'ailleurs... et puis moi j'ai pas envie d'étaler ma souffrance parce que je sais qu'elle est extrêmement, enfin quoi, moi, j'ai le sentiment qu'elle est extrêmement angoissante pour ceux qui la voient. Ca, je l'ai vu avec, euh, avec mon ex-femme, mon frère jumeau qui a déjà assisté à des crises... il avait pas assisté, je lui avais déjà raconté 10 fois, 20 fois et tout et tout, une nuit du coup j'étais chez lui et j'arrivais même pas à déboucher l'Imiject donc je lui ai dit de me le déboucher et tout, et il m'a dit qu'il avait été terrorisé. Donc y a aussi ce truc-là de pas foutre les gens dans sa propre terreur, ça sert à rien la terreur, y a un moment où on se dit, la terreur, ça sert à rien de la partager. De toutes façons, on est là pour en chier, on est là pour en déguster. De toutes façons, ça serait pas possible de la partager. Bah non. Bah oui. Moi je veux qu'il y ait quelqu'un juste si, juste au moment où j'arrive pas à me shooter, parce qu'en plus c'est mal fait, c'est des gros boutons, mais, vous ratez une fois, faut rechoper l'autre, moi quand j'y vais je suis à la fin, donc y a des fois j'arrive même pas à l'attraper, vous voyez comme il est, hein le gros bouton, même le gros bouton j'arrive même pas à le choper, quand je shoote. Moi je pense que je me dis ça ouais, partir du regard de l'autre, et puis, euh, oui, on est mieux à en chier tout seul, ça sert à rien, ça sert à rien quoi, y a un espèce de truc qui est que, euh, on va déguster au maximum de l'échelle de la douleur et puis une heure après potentiellement ça sera plus là donc ça va sembler un peu ridicule. Le fait de pouvoir monter, et qu'après y ait un truc chimique qui fasse redescendre, y a un côté fake, et on veut pas imposer ce fake-là, moi 139
je pense, vraiment. Cette fois-là, donc, je me suis levé du lit et il m'est arrivé un truc très bizarre, c'est que d'abord j'ai fermé les portes parce qu'il y avait mes deux enfants, et là alors c'est hors de question que mes enfants me voient dans cet état-là, hmm, et je me suis dit ça va pas passer, ça va pas passer, j'ai pas de médoc et tout, et j'ai oublié les solutions que j'avais. Je sais que j'avais vraiment super mal, je me suis dit « putain », mais, euh, ça je me suis rendu compte après coup, j'ai oublié que je pouvais appeler mon pote, et j'ai oublié que je pouvais aller aux urgences. Je me suis mis à tourner, en gueulant. A ce moment-là, j'en voulais extrêmement fort à mon ex-femme, d'ailleurs cette histoire a été une des causes de notre séparation, enfin, causes multiples, mais je lui en voulais extrêmement parce qu'elle m'a dit, heu, t'avais qu'à t'organiser, laisse-moi dormir, et j'étais là vvvvv (il mime des cercles avec sa main, et grimace du visage), et je me souviens très bien à me dire oh la la c'est bien que c'est un truc personnel parce que même elle qui est infirmière, qui sait ce que c'est la douleur, qui a déjà vu des crises, qui te dit ça, c'est que de toute façons c'est pour ta gueule, quoi, donc tu te mets dans le salon, tu fermes toutes les portes et maintenant tu te démerdes pour que ça passe (silence). C'est à toi, c'est à toi de... c'est à toi d'encaisser quoi. Et en même temps super en colère, parce l'épisode recommence, super en colère parce que moi-même je suis pas prêt – j'ai pas l'Imiject j'ai pas l'Imigrane – mais ça ça me le fait tout le temps, chaque fois que je vais quelque part où j'en ai pas je me dis t'es vraiment un connard, et puis, en colère parce que voilà, ça peut encore monter. A ce moment-là je suis dans le salon en train de crier et de tourner. C'est trop dur. C'est trop dur. C'est trop dur. C'est trop dur. Et moi, on m'en avait déjà parlé plein de fois, mais c'est la seule fois où j'ai eu des vraies, j'ai eu des vraies envies de me foutre par la fenêtre. Je m'en souviens bien j'étais dans le salon, moi les poignées de fenêtre c'est un immeuble moderne donc elles sont à cette hauteur-là, donc à un moment j'ai agrippé les poignées pour faire (il halète bruyamment) et j'ai juste ouvert pour voir si l'air frais ça me ferait du bien, et je me souviens très bien, je me suis dit « putain, je pourrais me foutre en l'air, ça irait mieux ». Voilà. Mais je le savais, puisqu'on m'en avait déjà parlé, on m'en avait déjà parlé des pulsions suicidaires, donc je le savais, mais, vous l'envisagez. Ca c'est la seule fois où ça me l'a fait donc c'est pour ça que je vous raconte cette crise-là. A ce moment-là je sais que j'ai eu super les boules parce que je me suis dit « en fait ça peut encore monter, donc chrouic, j'ai fermé la fenêtre (il mime), j'ai fermé la fenêtre en me disant « ca sert à rien de rester ici en me disant que l'air frais c'est pas mal, puis que c'est vrai que ça pourrait s'arrêter, là j'étais vraiment vraiment, j'étais vraiment pas bien, là, hein. Et euh.. (silence) Et donc ce que j'ai fait c'est qu'il y avait la table à côté de... la table du salon, donc, euh, et donc là j'arrivais plus à tenir debout donc je suis tombé, et je me suis agrippé- c'est des gros pieds, des gros pieds cette table – et donc je me suis agrippé comme ça (il mime, embrassant avec les deux mains), euh, en me disant qu'il fallait que j'agrippe, le pied, qu'il fallait que je tienne quelque chose pour ne pas, pour pas, euh, avoir envie soit de bouger, soit de sauter en l'air, soit de me... C'était de la vraie panique, hein, je pense, c'était de la vraie panique. Ouais, ouais il fallait que j'agrippe un truc, ca m'est réarrivé là.. J'ai besoin de serrer, quoi (il mime, serrant quelque chose très fort, grimaçant, convulsant), pour tenir, quoi. A ce momentlà généralement quand j'en suis là, je bave comme un pvjiou, comme un cheval, et là c'était le cas. Et j'ai tenu, en vrai, là en gueulant je crois que j'ai tenu bien un quart d'heure-vingt 140
minutes, je crois, parce qu'en fait à ce moment-là j'ai enlevé ma ceinture. J'avais mis mon pantalon, j'avais remis mon jean quand je suis sorti de ma chambre. Et j'ai enlevé ma ceinture en me disant « tiens, si ça merde je vais m'accrocher aux, je vais m'accrocher aux pieds de la table. » Dans l'idée de.. chais pas, se ceinturer. S'accrocher à quelque chose quoi. Pour pas... soit pour pas sauter, soit pour pas courir en gueulant, soit pour juste le besoin de s'accrocher à un truc. Ça je m'en souviens très bien, et alors le temps que je fasse ce truc-là, que j'aie cette idée-là que je grrlioiou, j'étais à plat ventre, j'essaie de me relever, euh, ah et puis d'abord c'est exténuant, hein, là j'étais complètement mort, et puis là j'étais à bien... depuis le moment où ça m'avait réveillé je devais être bien à une heure, ce qui est très long, ce qui est la crise la plus longue que j'ai eue. Il fallait s'accrocher. Moi je chialais aussi, parce que je sais que chialer ça fait passer la douleur, donc je me laisse chialer, mais, heu... s'accrocher, et respirer en fait, j'essaie de respirer. Ma sœur est médecin en fait, donc on avait déjà quand même pas mal parlé des trucs de douleur comme ça, notamment parce que j'avais déjà dit que je me trouvais pas beaucoup aidé par mon ex-femme dans ces histoires-là, où il y avait plus un truc de « c'est ton problème, démerde-toi », truc que j'ai intériorisé, d'ailleurs, depuis, et c'est pour ça aussi que j'essaie toujours de me mettre seul dans mon coin, mais non non, colère, pleurer, respirer, s'accrocher quoi, s'accrocher fort. Et après, après, donc ouais le temps que j'aie l'idée de machintruc, que je commence à y penser, en plus rien que d'enlever une boucle de ceinture d'est dur dans ce moment-là, tout semble compliqué, c'est comme euh... tout est compliqué. Oui, je crois que ce jour-là, le temps que je fasse tout ça.. ah bah si, non non, c'est ça, le temps que je fasse tout ça c'est à ce moment-là que ça a commencé à descendre. En fait au début on se rend pas compte que ça descend, c'est comme quand on vient de se faire casser la gueule, on s'en rend pas compte au début qu'on vient de finir de se faire casser la gueule, on a juste pris une dérouillée et puis à un moment, objectivement, on se dit tiens, c'est en train de se calmer, même si on a pas repris son souffle, si on a mal partout, si on n'a pas... A ce moment-là je me suis dit « c'est pas normal », à ce moment-là, moi je suis toujours en colère et enragé, « c'est pas normal d'aller à niveau de souffrance, c'est pas normal de souffrir autant, c'est pas possible », mais, heu... Oui, parce qu'à ce moment-là je sais que c'est du niveau d'un truc violent de torture, en fait, pour avoir lu pas mal de bouquins, et moi j'ai fait mes études au Cambodge et c'est vrai que les Khmers Rouges sont passés maîtres dans l'art d'enfoncer des ongles sous la peau et puis de se servir des têtes de gens vivants pour poser des théières vivantes, et oui, putain, à ce moment-là c'est à ce niveau-là de torture et c'est pas normal, et je suis en colère. Ce qui m'avait été confirmé, parce qu'après cet épisode-là j'ai dû prendre des anti-inflammatoires de la gueule, juste pour soigner la violence de la crise, et le médecin, m'avait dit, après m'avoir posé tout un tas de questions « probablement ce qui s'est passé, avec les pulsions suicidaires, si ça se trouve vous êtes allé à un niveau de douleur qui approche une amputation sans anesthésie ». Ce qui fait que les fois d'après vous vous dites, merde, si ça va jusque-là... C'est encore plus angoissant en fait. L'idée de torture elle vient pendant la crise, parce que je vous dis, il y a comme un pieu, là. Mais j'ai pas d'idée de bourreau, je me dis « t'as qu'à pas être un mec entre trente et quarantecinq ans, et qui est sujet à ça, pas de bol, mauvaise pioche ». Ah non non non, c'est encore pire d'ailleurs. Mais le sentiment, c'est une torture qui existe, que faisaient les Khmers Rouges, c'est accrocher quelqu'un à un massif de bambous, et une pousse de bambou grandit 141
de 4 centimètres par jour, et c'est dur comme du bois. Voilà. Donc ils forçaient les gens à se faire empaler par en dessous, par l'anus, donc très sympa, et c'est une mort atroce, c'est ce sentiment là que ça fait, voilà. C'est pour ça que moi je l'associe à ça. A un pieu, quoi. Alors bon c'est localisé, hein,.. Alors moi ca redescend, là et je me dis, non seulement je viens de me prendre une dérouillée monumentale que j'ai jamais connue, mais en plus ça annonce qu'il y en a d'autres derrière, donc... Le lendemain, je suis mort... C'est comme quand on s'est fait casser la gueule, vous vous êtes peut-être pas fait casser la gueule, mais le lendemain, il faut s'en remettre. Et je me dis, voilà ça recommence, va re-falloir que je me shoote dans le cul et je vais redevenir un vampire. Le vampire c'est venu après, en 2010, je prenais l'Isoptine et en fait je le vis mal l'Isoptine, ça me fatigue et je le vis mal, avoir l'air d'un escargot qui est sous traitement, je déteste ça. Donc non seulement la crise elle me rend craintif qu'elle arrive et tout, et le médicament me faisait ça, donc j'avais tout le temps envie d'être chez moi, dans le noir et au calme. Donc j'ai commencé par en rigoler parce qu'il faut quand même que j'envoie du répondant en disant « je vais faire mon vampire ». Après, quand j'étais pas là ou que je ratais des réunions, je signais M le vampire. En plus depuis cette année je supporte plus du tout la lumière, donc.. (il sort une paire de lunettes de soleil), j'en ai 4 paires, dès que je les ai pas, j'ai mal à l'oeil. Le vampire il sort le soir, et sinon il est dans son trou. Y a ce coté-là, j'ai besoin d'être dans un trou, d'être enfoui dans un trou, tout seul et au noir. Et puis je suis pas productif, au boulot. Ça ça va de soi, mais c'est vrai que je suis incapable d'écrire. C'est toujours quelque chose qui vient de l'extérieur, ça vient là, ensuite ça m'attaque là... mais j'ai jamais le sentiment que ça vient de l'intérieur, non, non. Là par exemple en ce moment j'ai mal là, j'ai plus de salive de ce coté, donc s'il fallait que je parle en présentation ça me ferait chier, même si personne n'entend forcément, moi j'ai le sentiment de pas avoir à 100% mon élocution, dans une salle de présentation on fait toujours des putain de powerpoint donc on allume on éteint les lumières et PAF ! Dès qu'on rallume.. on éteint, dès que je suis bien on rallume, c'est présent, ça me fait chier. Le soir si je regarde un film et que je veux voir le journal après, je dois arrêter à cause du scintillement. J'y pense plus maintenant avec cette douleur résiduelle à la lumière. Les jours où j'ai oublié mes lunettes, je stresse comme un malade.
AVF épisodique depuis 2002 Pas de ttt de fond habituellement N'est pas en période au moment de l'entretien Divorcé, vit avec une compagne, deux enfants Un frère jumeau qui n'a pas la maladie ! Directeur – fondateur d'une agence de com/publicité Entretien réalisé le 5 mars 2012 dans son agence (Paris XVIII)
iv. GC Je crois que celui qui m'a marqué le plus, c'est celui où ma compagne était avec moi. Parce 142
que c'est peut-être la seule fois où j'ai partagé ça. Pour une fois j'ai pas été seul, parce que c'est un grand moment de solitude, une crise. J'étais chez moi, et comme à chaque fois, je suis monté dans ma chambre. Ca devait être un samedi matin ou début d'après-midi. Ca commence toujours un peu pareil, il y a des signes précurseurs. On commence à sentir, euh.. on se touche un peu, comme ça, parce moi c'est toujours du côté gauche. C'est comme s'il y avait une légère gêne, on sent qu'il y a quelque chose qui commence à se contracter, alors on cherche à se décontracter, on se masse un peu la tempe, on passe le doigt sur l'arcade sourcilière, comme ça, et petit à petit on sent que ça se contracte de plus en plus. J'ai la narine qui commence à se boucher, l'oeil qui commence à pleurer. En fait moi je fais des phases dans les crises, il y a une phase où je suis encore sociable, c'est-à-dire je peux encore parler aux gens, je peux encore les écouter. Mais quand la crise amplifie, il y a un moment où je deviens a-sociable. C'est-à-dire je peux plus parler avec les gens, je peux plus les écouter, je peux plus être là, quoi. 3'00 Ce jour-là j'étais en bas, en train de vaquer, de faire un peu de ménage, je me souviens pas exactement de ce que j'étais en train de faire à ce moment-là. Mais j'ai jamais fait de corrélation entre ce que je fais et le moment où la crise démarre. Ce qui vient au début, c'est de se dire « est-ce que ça va être une vraie crise, ou est-ce que ça va passer ? » Parce qu'on a toujours l'espoir, de temps en temps la crise avorte. Donc, comme je sais que le café, c'est plutôt bon, je commence par me faire un café. Je suis attentif à l'augmentation des signes. On a aussi l'attente qui devient douloureuse. Contrairement à une migraine, euh, le mal est bien physique, si on appuie sur la tempe, ça va vous faire mal, c'est pas uniquement à l'intérieur du cerveau, Donc ici, moi j'ai une veine, et je sens qu'elle durcit, qu'elle enfle, et donc je suis attentif à ça, en posant ma main dessus, comme ça, à voir si ça devient dur ou pas dur, si ça bat avec le cœur, ou pas. C'est ce que je fais, à ce moment-là. Donc je me fais un café, je m'assois, j'essaie de me mettre au calme. J'essaie aussi de m'hyperventiler, je sais pas si c'est instinctif ou pas, on m'a dit que l'oxygène ça pouvait être la solution au problème, donc j'inspire beaucoup plus fort. Petit à petit, la maladie va occuper de plus en plus de place à ce que vous êtes en train de faire. Là j'étais en train de balayer, de faire du ménage, et je peux continuer, petite gêne, je continue, je continue. Et puis à un moment la maladie grignote un peu du pourcentage d'intérêt, d'activité cérébrale, et il y a un moment où on ne pense plus qu'à ça, donc, euh.. voilà. J'ai aussi à ce moment-là une légère raideur de la nuque et aussi ici d'ailleurs, l'endroit où on me fait les injections de corticoides, donc je fais ça, je me masse un petit peu là. Et puis là arrive le moment où je suis obligé de monter dans ma chambre. C'est le moment où toute l'activité qu'on a est concentré sur la maladie. À ce moment-là je n'ai plus d'autre réflexion, pensée, qui soit autre que la maladie. Je ne pense qu'à ça. Je pense à la souffrance. Moi j'ai l'habitude de regarder l'heure, je sais qu'une crise c'est une heure et demie, donc l'heure est très importante. Tout de suite, je regarde l'heure. Je pense à la souffrance que je vais ressentir, je me donne de l'espoir en me disant heu.. qu'il va y avoir une fin. Parce qu'au début on ne sait pas qu'il va y avoir une fin, là on sait qu'il va y avoir une fin. Et je me dis, courage pepère, il va falloir que tu t'accroches parce que.... Alors il y a des crises qui sont vraiment très très douloureuses, qui sont extra douloureuses, mais vraiment au moment du basculement je n'ai plus aucune autre pensée que ça, et déjà décrypter ce qui va se passer dans la suite pour moi. Est-ce que j'ai pris un almogran ? J'essaie de choisir dans l'arsenal thérapeutique que j'ai ce qui va être le mieux dans la crise. Le problème c'est que l'Almogran 143
met beaucoup de temps à agir, et on ne sait pas encore comment va être la crise, si elle va être dans les 150% de souffrance, dans les 200% de souffrance, ou dans les 100% ou dans les 75 qui va être vivable. Donc il faut pas que je me trompe, parce que si je prends un Almogran, je vais pas pouvoir prendre un Imiject. C'est à ça que je pense à ce moment-là. Donc j'ai cherché l'heure, un repère dans la crise, et je pense déjà à ce que je vais faire pour l'enrayer, parce qu'à cette époque-là j'avais déjà cet arsenal. Donc si je prends un almogran, je vais avoir l'angoisse du fait que ça va être une très grosse crise, et je sais alors que je vais souffrir. Ce jour-là je n'ai pas pris d'almogran, donc là j'ai laissé venir la crise, et j'ai attendu de me faire l'imiject. Ce jour là, je peux pas rester dans le salon, pour plusieurs raisons. Il y a d'abord une raison sociale, une raison d'image qu'on doit donner aux autres. Si on reste là, on va vivre la crise à son plein, devant des tiers. C'est pour moi une chose qui est un petit peu difficile parce que, la crise fait qu'à son plus fort, vous devenez animal. Vous n'êtes plus qu'une chose recroquevillée, en position foetale, moi je me suis vu me balancer comme un enfant, gémir, j'ai des larmes de souffrance qui me viennent, c'est des larmes, c'est bizarre, on n'a pas la sensation de pleurer. Mais tellement ça vous fait mal, ça coule. Ça coule, ça coule, ça coule. Et ça, on a envie de le cacher, on a envie de le cacher. La deuxième raison, c'est pas thérapeutique, mais un peu, on a envie d'être dans un lieu chaud, où on peut bouger un peu, se recroqueviller. Je baisse les rideaux aussi. Le bruit dérange. Enfin, tout dérange (rires). C'est pour ça qu'on se dit « il vaut mieux que je sois tout seul, pour vivre ça ». Je préviens ma compagne que je monte, que je suis en train d'avoir une crise. Je préviens toujours quand je monte, parce que je vais m'injecter, on sait jamais, l'Imiject c'est un médicament qui est fort. Une fois que je suis là haut, pourquoi je me pique pas tout de suite ? Non, en fait je dis des bêtises, en fait j'avais déjà pris un almogran, donc je sais que je ne vais pas me piquer. Donc la crise va durer une heure. Donc je monte en haut, joli pléonasme, j'ai ce rituel, de fermer les volets, d'éteindre la télé, la radio, parce que je suis même plus capable d'écouter un fond de radio. Moi j'écoute beaucoup les infos, heu... là c'est impossible. Et je commence a souffrir, je me mets au lit, et là je commence a dandiner, comme ça (il se dandine sur la chaise, en crispant le visage, assez longuement). Quand on dandine, on cherche une réponse corporelle à un mal qu'on a, et on ne le trouve pas. Changer de position ne change rien, mettre la tête en haut, en bas, se retourner, ne change absolument rien. Moi l'image qui me vient c'est toujours quelqu'un qui essaie d'enfoncer un crayon dans votre œil (il pointe le coin interne de son œil G), et qui essaie de le remonter ici dans le cerveau. C'est un peu l'impression que ce mal me fait. Quand il est à son paroxysme, voilà, vous n'êtes plus rien que souffrance, tout est concentré là-dessus, vous êtes un espèce d'animal, en train de gémir, en train de pleurer, en train de se contracter, d'essayer de tenir, parce que ça arrive aussi par salve, ça pousse et au moment où ca vient comme ça, on se contracte on se dit ahhhh (cripe le visage, voix rauque), on se dit quand est-ce que ça va arrêter, on serre les mains, comme ça, on se berce comme un enfant, j'avais l'impression d'être comme dans vol au dessus d'un nid de coucous (il gémit longuement), vous voyez ? D'être pratiquement déficient mental. Je trouve juste la force d'ouvrir une paupière, parce que les yeux ils sont fermés, pour regarder cette putain d'horloge et dire « combien de temps, combien de temps », et puis à attendre, à quémander l'effet du médicament.. « Est-ce que ça va venir ? » Alors on attend, on guette, on l'espère, quand y a le moindre petit repos on se dit « ca y est c'est le médoc qui 144
agit » et puis PAF, ça y est, y a une autre salve qui arrive. On a le sentiment d'être torturé. Y a les questions pourquoi moi ? Est-ce que ça va partir ? Ce genre de choses. Mais moi dans les phases les plus aiguës, y a plus de pensée. Y a plus de pensée. Moi vraiment dans les phases aiguës c'est un vide. (silence) C'est un espèce de retour à l'état primitif. On est plus.. que ça, cette souffrance, y a rien d'autre. Quand l'esprit commence à revagabonder, mon Dieu, c'est le signe que c'est en train de passer. Ca dure quasiment une heure comme ça. Au début je suis seul et ensuite ma compagne vient, ce qui est rarissime. Quand elle ouvre la porte de la chambre je l'entends. Je parle pas, non plus, parler c'est un effort. Quand elle entre, je suis en train de faire l'asticot dans le lit, ouais, un asticot à ce moment-là, j'ai plus de cervelle, enfin si, celle qui souffre mais bon. J'ai quand même, chais pas. (doucement) A ce moment-là on est pire qu'un petit enfant. Donc j'ai attrapé la main tendue, je m suis dit : peut être que ça va faire quelque chose, je sais pas (voix un peu chevrotante), donc j'ai passé le reste de la crise en lui tenant la main. Et je me souviens que je lui serrais la main en fonction de la douleur que j'avais, donc ça allait d'une pression normale à une pression qui devait lui faire mal à certains moments, mais c'était pour moi une façon de lui communiquer, presque de lui apprendre ce que je vivais, parce que je vous l'ai dit, l'entourage est très démuni, après la crise vous redescendez, vous avez le sourire, y a rien qui transparaît sur vous, quoi. On a un peu tendance à penser que c'est psychosomatique, qu'on se laisse un peu aller, qu'on fait un grand plat d'une migraine, et donc voilà c'était pour moi important de lui communiquer ça à ce moment-là et de dire « vois ce que je vis » « tu vois bien que là c'est pas une migraine qu'on soigne avec un aspégic, tu vois bien que là je suis comme un animal ». Est-ce que sa présence m'a soulagé ou pas ? Quelque part je crois que j'étais content qu'elle voie ce que je vivais. Et moi j'étais dans un moment de solitude, de très grande solitude. Parce que quelque part vient aussi l'idée « et si ça s'arrêtait pas ? ». Y a toujours un moment où ça vient. Parce qu'on aimerait tellement que ce soit mathématique « la montée c'est 10 minutes, la souffrance c'est 15 minutes, la redescente c'est 15 minutes », malheureusement même si c'est assez stable comme processus, c'est pas à la seconde près, quoi. Donc vous regardez la pendule en vous disant « merde, il est 30, ça devrait être passé, quoi » (rire). Moi j'ai jamais eu de pensées morbides. Par contre y a des pensées complètement folles qui me viennent. La pensée de « je vais me foutre la tête contre le mur », qui peut arriver. Y a une pensée encore un peu plus stupide qui consiste à dire « je ferais ptet un trou dans cette tête pour que ça s'en aille ». après tout, si y a quelque chose... moi j'ai jamais eu de pensée suicidaire. Par contre, ouais, l'idée de taper contre le mur pour que ça s'arrête, ouais. Et j'ai vraiment imaginé me faire un trou dans la tête. Où, quand, comment, non, mais.. on est désespéré, on n'a pas de solution, et je vous dis, on fonctionne que sur le cerveau reptilien. Le cortex, on a retiré les fusibles, donc on est dans un état, voilà de reptile, et on se dit, la chose apeurée comment elle va faire pour plus avoir mal ? Ah elle a mal à la tête ? Alors schématiquement, je vais me retirer la tête, c'est un peu ça quoi. Alors peut-être que j'ai la chance d'être quelqu'un d'assez structuré, de posé, mais les idées sont venues, oui. C'est-à-dire que c'est un mal qui dépasse votre capacité de résistance. J'ai déjà eu mal, comme tout le monde, mal au ventre et devoir aller aux urgences, avec de la viscéralgine, ça c'est le mal qu'on dit à 100%. Mais ce mal-là... Ca dépasse la capacité de résistance. Et quand ça part en fait, on reprend la vie. C'est, comme je te disais tout à l'heure, les phases, on les fait à l'envers. On revient de l'animal. Quand on redescend, 200%, 150%, 100%, on se met à entendre à nouveau, je veux dire j'ai trois enfants, dans la maison normalement ça fait 145
du bruit et quand je suis dans la crise, j'entends rien, je suis dans ma bulle. Donc là y a les bruits qui reviennent, et puis la vue, je vois ma femme qui est toujours là dans la chambre. Et puis ensuite tout le reste : le langage. la pensée. la mémoire. ya tout ça qui revient, une chose après l'autre, et on redevient normal. C'est assez rapide, finalement, encore plus rapide avec l'Imiject. C'est même bizarre comme c'est rapide avec l'Imiject, on se rend même pas compte de la progression. En même temps, oui, il y a la douleur qui diminue, il y a pas d'autre sensation physique... non. Enfin y a un pfouuu, tu vois, dans le corps, on a été tellement contracté, là c'est comme un immense relâchement de tous les muscles. C'est tout ce qu'il y a. Et la fatigue. Une autre explicitation Je suis dans l'ascenseur, et j'ai une crise très fulgurante puisqu'elle me prend pratiquement le temps de monter au 9è étage. Donc là j'arrive chez mes amis, et dès l'entrée j'avais l'oeil qui pleurait, ben voilà, tous les signes, la narine bouchée, le mal qui commençait vraiment à venir. Je suis rentré chez eux, j'étais, je dirais à 80-85% de la souffrance donc tout de suite je leur ai dit, je vais dans la chambre, je vais m'injecter. Il se trouve que ce jour-là le résultat de l'injection a été particulièrement rapide, je sais pas si c'est parce que j'étais pas encore au plus violent de la crise et donc ça a réussi à l'enrayer plus rapidement, mais il se trouve qu'en quelques minutes j'étais redevenu moi-même, quoi. Au moment de faire l'Imiject, ce jour là, je suis dans l'attente d'avoir une réponse forte, je ne peux pas prendre un Almogran, je ne suis pas chez moi, je ne peux pas me cacher et surtout j'ai pas envie de ne pas être sociable. Donc j'emploie tout de suite la grosse Bertha de façon à arrêter la crise. Donc j'ai pas de réflexion, je me dis pas ça va te piquer, ma problématique ce jour-là c'est vraiment de répondre le plus vite possible à cette crise, donc je n'hésite pas. Je m'allonge, je me pique dans le haut de cuisse, en haut, là. Je sors le petit appareil, je regarde s'il est bien chargé. Moi ça m'est arrivé de rater une injection, donc c'est très emmerdant car on ne sait pas la dose de produit qui est rentré dans votre corps, donc on se dit « est-ce que je me repique ou pas ». Par exemple, quand je parlais des crises où on a des idées folles... on le sait qu'on n'a pas le droit de se piquer deux fois, on le sait qu'on n'a pas le droit de prendre un Almogran et de se piquer derrière... mais malgré ça... l'injecteur il est à côté ! Et on se dit « putain, mais je prends ça, et en quatre minutes ça s'arrête ! » « Mais le médecin il m'a dit de pas le faire », et puis, on se dit, « mais le médecin, je m'en fous royalement, il faut que ça s'arrête » Moi j'aurais été capable de le faire, de me piquer deux fois. Au moment où je me pique, sur le plan physique, ça fait un tout petit peu mal, au moment où le produit rentre, mais par rapport à ce que vous êtes en train de vivre c'est tout à fait supportable. Moi j'ai l'habitude de me frotter un peu là où je me suis piqué, je me frotte un peu machinalement, pour échauffer, aussi, voilà. Assez vite j'ai une petite sensation je sais pas, de frisson, ou de chaleur, et puis (il frappe brutalement son torse, de façon assez inattendue), un peu comme un coup au cœur quand même. Hhhhhuuuu Pfiouuuu, voyez. C'est très rapide. Et puis après ya « putain, je me suis piqué, et ça passe pas » (rires). Le doute. Est-ce que j'ai bien, est-ce que l'aiguille a bien été plantée, est-ce que le produit est bien rentré dans mon corps, si on a la force, parce que des fois quand on a mal on foire quand on met la capsule dans l'appareil, donc si on a la force on vérifie, mais là j'ai du mal à faire quelque chose d'autre, c'est difficile. Enfin arrive le soulagement, et là avec l'Imiject la descente est très rapide. Avec l'Imiject c'est pschhhhhhhhhhiouu. Et puis je me félicite de m'être piqué. Parce que c'est pas évident. Je suis un garçon, moi, je 146
voulais pas. Et puis, ça coûte cher, aussi. J'avais des a priori comme ça. Là, je me dis « t'as bien fait , bon, ca va passer», et puis, je m'accroche, comme ça. Je m'accroche pas de la même, parce que je connais le produit (il sourit), je vous dis ça avec une espèce de gourmandise, je sais pas si vous voyez, on sait que ca va passer, on sait que c'est super efficace, on sait que c'est la réponse... Alors on trouve toujours que ça traîne un peu, par rapport à d'habitude, on a peut-être une perception du temps un peu différente, c'est pour ça que j'ai besoin de beaucoup de repères temporels, parce que les minutes durent des heures, les secondes durent des minutes... on a qu'une hâte, psychologiquement, c'est que ça fasse son effet, et qu'on puisse enfin reprendre le cours de sa vie, quoi. (…) Je ne circule plus jamais sans avoir un Imiject sur moi, c'est impensable. Chez moi, il y en a un sous mon lit, un dans l'armoire Le sentiment de détente est encore plus fort, parce que c'est pas vous qui vous détendez, c'est le produit qui vous détend, j'en sais rien, y a un effet comme ça. Pour cette maladie, c'est la baguette magique, faut bien le dire. Je sais pas si on peut en abuser ou pas, parce que moi j'étais arrivé à 2 Imiject par jour, et quand je dis par jour, c'était 2 toutes les 20h, hein, je trichais un peu. Le plus difficile, c'est l'impression de solitude. On a l'impression, heu... c'est une pathologie qui n'est pas reconnue... d'être seul à avoir ce mal, quoi. Et puis ce mal, instinctivement, on lui donne une mauvaise réponse. Y a un sentiment de mort, quand on vit ça. On est tellement fatigué par la souffrance qu'on est à la lisière de la vie. Heureusement que ça dure pas plus longtemps, on m'a dit qu'il y a des gens qui ont 8 crises par jour (silence). Là, je pense qu'on peut être suicidaire, à 8 crises par jour (silence). Je pense que l'état psychologique doit jouer dedans, mais j'ai pas réussi à mettre de corrélation dessus, en tous cas. Moi ca a commencé à un moment difficile de ma vie privée, l'amorce de mon divorce, j'ai fait une dépression, mais à ce moment-là ça avait déjà commencé.
AVF épisodique Pas de crise ni de ttt de fond actuellement Divorcé, une compagne, (au moins) deux enfants Journaliste free-lance Entretien réalisé le 10 mars 2012 au domicile de sa compagne à Sceaux
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v. KH. Je pense à une crise que j'ai eue, c'est la première crise que j'ai eue quand j'étais au travail. J'étais en escale et ça m'a pris la nuit. J'avais terriblement mal mais cette fois-ci j'avais mes médicaments. Ca m'a réveillée, j'étais endormie. Ce qui m'a réveillée, comme d'habitude, c'était vraiment toute la face, comme ça, vraiment, de la tempe jusqu'en dessous la mâchoire (elle couvre son visage avec sa main), ce qui m'a réveillée c'est les picotements, comme des mini décharges électriques sur tout le visage, comme si que ça remontait à la surface, heu, c'est difficile à expliquer, comme si qu'on m'enfonçait des aiguilles en fait sur toute cette partie-là, et la veine qui bat très fort, quoi, qui bat très fort. A ce moment là j'ai chaud, j'ai chaud. J'ai pas l'impression de suffoquer mais c'est comme si que ma peau elle manquait d'air, il fallait aérer les pores, et c'est vrai que dans ces moments-là j'ai besoin de quelque chose de froid, un glaçon, une canette fraîche, même de l'eau froide, j'ai besoin de me me rafraîchir le visage. A ce moment-là, ce qui me réveille, ce qui me pousse à me lever, c'est les médicaments, faut que j'aille à la recherche mes médicaments pour soulager la souffrance. Je suis seule, la chambre est très petite. Il faisait pas moche, j'étais à Venise, on était sortis découvrir un peu la ville, j'avais bu un cocktail qui s'appelle un Spritz, c'est un mélange de vin et d'une liqueur qu'ils ont. J'étais pas particulièrement fatiguée, mais bon on va dire mine de rien que la marche en sortant du vol ça m'avait peut-être complètement épuisée. La chambre était très petite. Il faisait ni trop froid ni trop chaud, mais c'est vrai qu'elle était assez oppressante. Je sais pas si c'est ce jour ou un autre jour, elle était tellement petite, et il y avait des miroirs vénitiens (elle mime avec ses mains) et, un de ces quatre, c'était tombé, je sais pas si c'était ce jour-là ou pas, mais ça pouvait être un facteur de stress. C'est tout ce qui me revient sur la chambre, elle était très petite, et c'était pas très agréable de dormir là. Spontanément je dirais qu'il était une heure, deux heures du matin... parce que j'ai l'impression que ça m'arrive jamais vraiment tard dans la nuit, j'ai l'impression que ça m'arrive après un cycle de sommeil. « Ah fais chier, ça y est, ça recommence ». Pas d'autre sensation à part que le fait j'ai chaud, mon nez j'ai l'impression qui coule sur la partie gauche de la face, mes yeux aussi, mes yeux pleurent. Quand je réalise que c'est bien la migraine qui arrive, je me lève pour chercher mes médicaments, limite spontanément, limite j'aurais pu le faire les yeux fermés quoi. Les médicaments sont dans mon sac de voyage, je les garde toujours près de moi. Il y a la cartouche, et d'autres doses supplémentaires. Il y a toujours une cartouche prête à l'emploi. Donc je prends le stylo, et c'est vrai que, avant de m'injecter, il y a toujours, malgré la douleur, il y a toujours un petit moment d'hésitation parce que je sais que ça pique, je sais que ça fait mal, je sais des fois aussi quand on déclenche le stylo des fois ça marche pas, donc y a toujours cette petite appréhension, mais la douleur elle est tellement euh, tellement puissante qu'à un moment ça prend le pas sur l'hésitation et là j'y vais franchement, quoi. Il doit se passer ptet une dizaine de minutes même moins, hein entre le début de la douleur et le moment où je m'administre le médicament. Le temps déjà de réaliser, parce que c'est vrai que quand je dors et que j'ai la crise qui arrive, je pense que dans ma tête, au début dans ma tête c'est qu'un rêve, et puis la douleur elle devient tellement forte qu'après, je me réveille et je me dis « mince ça y est c'est la migraine ». Et ensuite il y a un autre temps, c'est « allez faut 148
que tu te bouges » il faut que j'aille prendre mes médicament, après je prends le stylo et... j'y vais. Je sais pas... je sais pas. Quand je prends le stylo, je dirais même que des fois, prendre le stylo, ça estompait quelque part la douleur. Mais pendant vraiment un court instant, une nanoseconde quoi. Et à ce moment-là, quand je l'applique ce qui me passe à travers l'esprit c'est « j'espère que je vais pas me louper, j'espère que ça va bien se déclencher ». Parce que ça m'est arrivé plusieurs fois d'appuyer et puis que ça se déclenche pas, ou bien d'appuyer et je sais pas si je vais trop fort ou pas mais je me fais saigner, et après j'ai des bleus. Donc ouais, c'est ce qui passe dans ma tête à ce moment-là. J'ai peur de me faire mal, de rajouter de la souffrance à la souffrance. Je me dis que si ça déclenche pas il va falloir recommencer avec la même crainte de « et si ça se déclenche pas, et si je me fais mal ? » et donc j'aimerais bien que ça se déclenche du premier coup. Quelques fois, mais pas cette crise là, je me suis demandée « et si c'était trop ? », oui, ça m'est déjà passé par la tête. Au moment où je déclenche, alors là c'est euh... C'est le gros shoot. C'est vraiment une bouffée de chaleur, où ce qu'il faut vraiment que je sois allongée (yeux révulsés vers le haut, bras sur les côtés), je peux rien faire pendant, on va dire, environ 10 minutes. Au moment de me piquer je suis assise, pas debout, assise et je l'applique comme ça, et je déclenche, et quand je déclenche je redépose le stylo, et faut que je sois couchée, parce que sinon je tiens pas. Ca arrive par les extrémités des pieds, et on sent comme des fourmillements, on a l'impression d'avoir comme un grosse vague de chaleur qui part des extrémités, et qui remonte comme ça le long du corps, et puis on a les bras et les jambes très lourds, donc, voilà, en gros c'est ça. Ca vient très rapidement, quelques secondes après avoir appuyé sur le stylo. C'est un peu déroutant, c'est un peu déroutant, mais en même temps c'est pas vraiment désagréable. Parce que douleur passe. Est-ce que la douleur elle passe tout de suite ? On a l'impression qu'elle passe tout de suite la douleur mais je pense pas Je sais pas si c'est le médicament qui fait que ça nous shoote, que la douleur est toujours là mais on la sent pas, je sais pas. Ca m'est déjà arrivé de me dire « putain, j'espère que je vais pas mourir », parce que les effets comme ça, on a l'impression qu'on est shooté, ça fait bizarre, c'est peut être une épreuve pour le cœur. Etre shooté c'est avoir tout les membres lourds, pas pouvoir marcher normalement. J'étais toute seule aussi, et j'aime bien prendre le médicament en étant accompagnée. Du coup c'est un peu inquiétant, parce que on se dit que s'il se passe quoi que ce soit, les gens ils le verront pas dans la nuit, même pas dans l'heure. On va dire que pour cette crise là j'étais plus en état d'alerte. Enfin en état d'alerte, c'est un grand mot. Mais le téléphone était près de moi, au cas où il se passerait quelque chose. Le téléphone est toujours près de moi (rires) Le téléphone il est toujours près de moi. Je suis en état d'alerte, dès le début, dès que ça me réveille, avant de prendre le médicament, il faut que tout soit prêt, pour voilà, quoi, pour quand je serai dans cet état, justement. Le fait d'être seule, à l'étranger, au boulot, je me dis que, si il y a quelque chose de plus grave, j'aimerais bien alerter quelqu'un. Le téléphone il est très souvent sur la table de chevet, donc là c'est juste un regard, il fallait pas aller le chercher, le téléphone, donc, voilà, le téléphone 149
est là. Sincèrement je pourrais pas dire combien de temps ça prend avec l'Imiject. Pour se dissiper, je dirais 15-20 minutes, je dirais, je sais pas vraiment en fait. La sensation de chaleur, c'est tout de suite, on se sent raplapla tout de suite, on a la sensation que la crise elle passe instantanément et, heu on se sent fatigué, 20-30 minutes après on se sent encore fatigué, mais on peut se lever. Sur le coup dès qu'on se l'injecte, c'est impossible, c'est impossible de se lever, enfin c'est l'impression que j'en ai. Pendant que ça se dissipe, je reste allongée. Si j'ai chaud, je cherche à me ventiler, ou de me mettre des glaçons, ou quelque chose de frais, j'attends de reprendre mes esprits avant de faire quoi que ce soit. Généralement quand la crise elle est passée, je me lève, je me lave le visage, je m'hydrate, et puis je vais me recoucher. Ouais, je vais me recoucher (sourire, un peu triste). Après cette crise là, je m'étais recouchée, mais je m'étais pas rendormie. J'avais allumé la télé, regardé un petit truc, mais pas très longtemps. Je sais pas pourquoi, d'ailleurs. Et puis après fallait dormir parce qu'il y a avait le boulot le lendemain. (une crise qui aurait duré plus longtemps) Une des premières crises, que j'ai eues, c'était en Guadeloupe, j'avais 15 ans, on était parties jouer sur la plage. Alors je suis d'une famille super superstitieuse, hein, et nos shorts, on avait retiré nos shorts, j'étais avec mes copines, en train de jouer sur la plage, on avait retirés nos shorts parce qu'ils avaient été mouillés par la mer, et on les avait mis à sécher sur les rochers. Donc on jouait.. Quand on a été prêtes à partir, on constate que nos shorts ils avaient été volés, enfin ils avaient pas été volés, ils avaient été je pense emportés par la mer, mais on s'en était pas aperçu. Bon, après la journée se déroule normalement, mais plus tard j'ai eu une crise, et alors, toutes mes grandes tantes, ma grand mère, toutes elles ont commencé à dire « oui, on t'a fait de la sorcellerie... » La crise elle a commencé dans l'après midi, je me souviens plus trop - j'avais 15 ans. Ils m'ont donné du café, ils m'ont mis du camphre, un linge rempli de camphre. Je me revois juste sur le lit, ayant très mal à la tête, et me tenant comme, ça quoi, comme d'habitude, cachant une partie du visage. Donc ils m'ont donné du café, c'est pas passé. C'était ma mère et ma grandmère, ma grand-mère, avec ses petits remèdes, et ma mère, qui est aide-soignante, m'administrait les médicaments. C'était oppressant, parce que j'avais déjà mal à la tête, et elles arrêtaient pas de parler. Me donner des choses, m'apporter des solutions ça je voulais bien, mais elles parlaient de trop, en fait, ces histoires de sorcellerie, j'avais déjà mal à la tête (rictus, cf. capture d'écran), tout ce que je voulais c'est que ça passe. Elles parlaient énormément... Et puis ça me faisait peur, en fait, parce que je savais pas ce que j'avais, je savais pas si c'était grave ou pas, c'était la première fois, ça me faisait super mal, je prenais des médicaments mais rien ne passait. Ca m'avait tellement effrayée, que mine de rien, pourtant je suis pas croyante et tout, ces histoires de sorcellerie, ça m'avait tellement effrayée que pendant un moment ma croix de communion que je me mettais là (elle mime sa croix sur le front), parce j'avais fini par croire à leurs conneries, toute solution était bonne à prendre, quoi. Le camphre ça m'avait fait du bien, ouais, parce que ça apportait une certaine fraîcheur encore. Ouais. D'ailleurs, pendant un certain temps, je me mettais de la crème à base d'Aloe vera, c'est une crème pour les sportifs, donc je me mettais ça et ça apportait de la fraîcheur. J'étais allée chercher ma mère tout de suite, parce qu'elle avait la petite pharmacie qui va bien en Guadeloupe, donc je sais que ma maman elle a les médicaments et je lui faisais confiance, c'est ça.. (elle sourit) quand on a super mal, on sait pas quoi faire. 150
C'était pendant l'hiver, mon copain venait d'arriver en France, il était venu me voir un aprèsmidi, on avait regardé la télé, et on avait joué aux jeux vidéo, je me rappelle, on avait joué à un jeu vidéo, et à un moment j'ai eu cette crise violente, et au final j'ai un peu gâché l'aprèsmidi parce qu'on a du rester dans le noir, allongés, sur le canapé et puis moi avec ma grosse poche de glace, comme ça (elle mime). Je pense qu'on était toujours en train de jouer à ce jeu vidéo – c'était « Need for speed », un jeu de voitures, ça a du me prendre pendant qu'on jouait parce que je me vois pas faire autre chose. Je me vois sur le canapé en train de jouer, et à un moment m'allonger sur ses jambes, et il s'est levé et il m'a ramené de la glace, quoi. Ca a du commencer avec quelque chose par là, cette espèce de décharge électrique, là comme ça (..) mais après je pense quand je me suis arrêtée de jouer, c'est là où j'ai du ressentir le mal, et là aussi, ouais. C'est que ça devait m'empêcher de continuer à jouer en fait. Et quand je me suis arrêtée de jouer, la crise elle a du s'installer dans les minutes qui suivaient. Alors j'ai pris... à l'époque c'était du propofan qu'on m'avait prescrit, donc j'ai pris du propofan, et en fait le propofan ça m'a jamais fait effet, (…) et puis la glace, et mon copain il était apeuré, parce qu'il savait pas trop, c'était la première fois qu'il me voyait lors d'une crise, il a été super génial pour ça... Mais malgré le fait qu'il soit là... Ca me gênait un petit peu, d'ailleurs je lui ai dit « je suis désolée désolée, désolée.. » « ben tu sais c'est pas grave ». Et puis je me sentais coupable d'avoir gâché l'après-midi, et puis aussi d'être comme ça, parce que bon, c'est pas très glamour, quoi. Etre comme ça, c'est avoir la paupière qui tombe, l'oeil qui pleure, le nez qui coule... et puis je me rappelle cette crise-là j'avais aussi eu des nausées... enfin c'est être pas bien, quoi... c'est d'être pas bien, d'être pas jolie (rires). Dans ma tête je me dis pas qu'il se dit « oh ben mince, je pensais pas passer l'après-midi à jouer les infirmiers.. »... Je pense pas qu'il se dit ça, je sais que c'est pas grave, et je sais qu'il sera là pour moi. Mais, heu... mais moi ça me gêne. Voilà. Je sais que je fais des malaises aussi et ça m'est déjà arrivé de m'évanouir en public, et c'est la même gêne. J'aime pas être malade devant des gens. Je reste quand même avec lui, parce que je sais qu'il va prendre soin de moi. C'est toujours mieux d'être accompagné, que de vivre la crise seule. Même si la personne elle fait rien, d'ailleurs je lui demande rien du tout, hein, si ce n'est aller me chercher de la glace, ou des petites choses comme ça. Mais juste d'être là, et que je puisse lui serrer la main. Avant c'était ma grande sœur, quand j'habitais encore chez ma mère, avant c'était ma grande sœur qui assumait ce petit rôle-là, donc ouais ça fait du bien d'avoir quelqu'un à côté. (Ma mère et ma grand mère,) c'était trop négatif, en fait, dans ces moments là on souffre tellement qu'on a besoin de paroles rassurantes, on a besoin d'une écoute, on n'a pas envie que quelqu'un nous fasse la morale, ou nous pollue le cerveau avec des idées négatives. Là avec mon copain, je lui tiens sa main. On discute pas vraiment. Je dis j'ai mal. Je dis : « J'ai mal, j'ai mal », il dit « je sais, je sais » (rires). Il cause pas trop non plus, mon bonhomme. Donc il parle pas, il me laisse gérer ma crise. Il cherche pas à comprendre, il pose pas des questions, il est juste là. Moi dans ma tête, je me parle, des fois. Je me dis : Ca va aller. Calme-toi. Respire. T'as pas mal, t'as pas mal. Essaie d'oublier la douleur.. Voilà ce que je me dis. Quelquefois je me suis dit « plutôt mourir » (sur un ton léger). Parce que ça faisait vraiment trop mal, et ça durait des heures et des heures, avant que j'aie l'Imiject. Déjà « vaut mieux mourir » je pense que je suis pas suicidaire donc je le dis mais je le ferai jamais. 151
Les pensées comme ça, elles viennent spontanément, ça apparaît comme ça. Je me dis ça pour me rassurer, moi, pour me calmer, moi. J'ai l'impression... soit ça doit jouer sur ma respiration, ou sur.. je sais pas. Sans réfléchir, ça vient en même temps que la douleur. Ce sont des petites choses à moi pour essayer de me calmer. Quand on est en crise on a la respiration qui s'accélère, en plus on a chaud, tout ça... Quand je me dis ça c'est plus pour essayer de me calmer, de m'apaiser, d'essayer prendre une respiration plus lente, de me détendre voilà, je me dis quelque part ca va peut-être m'aider... et puis.. parce que quand j'ai la crise, j'ai l'impression d'être tendue, en fait, donc j'ai l'impression de vouloir me détendre. C'est plutôt par rapport à la veine qui... comme elle bat super fort, j'imagine c'est comme si que le sang passait super fort, comme si c'était tendu, quoi. J'ai la qui se tend aussi (elle montre la nuque) Le reste du corps est crispé. Lors de cette crise-là et avant que j'aie l'Imiject, j'étais crispée, très crispée lors des crises, et justement il fallait que je me dise détends-toi lors des crises, pour que j'arrive justement, à me relaxer. C'est pas forcément tout le corps qui est crispé, par exemple, ça peut être la main, par exemple, si j'ai mal, serrer fort la main, ou je sais pas, je peux aussi tendre la jambe comme ça (elle montre). Ouais, c'est ce que je vois, comme.. Ouais. Franchement cette crise elle a duré très très très longtemps. Parce qu'elle a commencé en fin d'après-midi, il faisait encore jour, et je nous revois encore, moi avec la glace, ma tête posée sur ses genoux, et il faisait nuit. Ca veut pas dire forcément qu'il était tard, hein, je pense qu'il devait peut être 19h, 18h30-19h, et je me disais, putain ça va jamais passer, quoi, ça va jamais passer. Et je sais pas comment c'est passé, je crois même qu'à un moment je me suis endormie. Je crois même qu'à un moment je me suis endormie sur ses genoux. Je crois que c'est comme ça qu'elle est passée, d'ailleurs, la crise, il me semble. Mais c'est comme ça qu'elle passait, avant. Avant l'Imiject, j'avais tellement mal, mal pendant des heures que je finissais par m'endormir, et je me réveillais, alors des fois je me réveillais avec une autre crise, et d'autres fois je me réveillais, sans crise. Franchement je me demande {comment je faisais pour m'endormir pendant une crise}. J'ai l'impression que la douleur, elle est telle que quelque part ça doit fatiguer, en fait. Et j'ai l'impression que c'était ça, avant. Toutes les fois où je me suis endormie avec la douleur, je me suis jamais vue partir, je me suis jamais sentie m'endormir. Je me suis jamais sentie... Je me rappelle pas précisément, mais il me semble m'être réveillée sur ses genoux, mais je sais pas qu'est-ce qu'il faisait... Je crois même qu'il avait accepté de rester dans le noir sans rien faire, parce que c'est vrai que moi je supporte pas la télévision, ou quoi que ce soit, il faut vraiment que ce soit le noir, l'obscurité complète. Et je me rappelle plus précisément, mais je sais que quand il est parti, je l'ai raccompagné à l'ascenseur, et j'étais debout, et j'avais pas mal. Je sais pas ce qui c'est passé entretemps, mais... je me revois lui dire « au revoir », alors, peut-être fatiguée, parce que c'était très fatigant avant. Si je me réveillais après une crise, je pétais pas la forme, hein. J'étais fatiguée. Ouais. Cassée. (capture d'écran n°2) Les jours d'après, je dirais que c'est vite oublié. Ouais, franchement. Je sais pas si c'est moi qui ai cette faculté a passer vite à autre chose, mais, quand une crise elle est passée, j'oublie, parce que ça m'a déjà bien fait mal, et ça m'a déjà bien embêtée, alors si en plus il fallait y penser toute la journée, j'en finirais pas. Ouais, je crois que je passe vite à autre chose. Et les jours suivants je vis normalement, je prends pas de précautions en particulier, s'il faut boire je bois, bon ça c'était plus tard, pas quand j'avais 15 ans. Ouais je dirais que c'est vite oublié. 152
Même le laps de temps entre deux périodes de crises... ouais c'est assez vite oublié, je mets ça derrière moi, je me rappelais même plus des médicaments qu'on m'avait donnés, parce que ça faisait deux ans, c'était bon, puis.. ouais. Ouais j'ai envie d'oublier. Peut-être qu'inconsciemment je me dis que si j'y pense ça va revenir, et puis je sais aussi que ça revient tous les deux ans donc je me dis « tant qu'il y a pas de crise, allez, j'en profite », parce que c'est vrai que c'est quand même handicapant, et quand ça s'installe on a toujours cette peur que ce soit, ben.. pour tout le temps, quoi, que ce soit chronique. La crainte qu'un jour il y ait une crise, et que cette crise ce soit tous les jours, et on sait pas quand est-ce que ça s'arrêtera. Parce que c'est vrai que depuis que je sais que c'est l'algie vasculaire de la face, je me suis un peu renseignée sur Internet et il y a des gens qui disent qu'ils vivent ça tous les jours, et donc ça fait un peu flipper, quand on sait qu'on est sujette à ça, et en même temps je me dis j'espère que ça restera tous les deux ans, et je me sens quelque part chanceuse, par rapport à ces gens-là, parce que je me dis qu'au quotidien, déjà, je pourrais peut être pas faire mon métier aussi, parce que ce sont quand même des médicaments qui sont lourds. Alors voilà, j'espère que ça n'empire pas. Y a des personnes qui disent que ça passe avec le premier bébé, alors j'y crois, mais je vais pas faire un enfant pour vérifier (rires). 32 ans, AVF depuis l'âge de 15 ans, forme périodique, une période environ tous les deux ans. Réapparition probable d'un épisode au moment de l'entretien Pas de traitement de fond Un compagnon, pas d'enfants Hôtesse de l'air Entretien réalisé le 22 mars 2012 à l'hôpital Lariboisière
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vi. SC. Je vais vous raconter un jour en particulier alors. Tous les jours, à la même heure, la même chose revient. Le lendemain, c'est la même chose, au même endroit, juste un peu plus intense, voilà. Alors, la pire crise, c'était au bout d'un mois intense, un mois de folie, un calvaire. Par rapport à une journée que j'ai passée, en soirée, je suis bien, j'ai bien mangé, je suis très très bien. Il faut savoir que - je suis chez moi – mais pendant les jours d'avant j'ai eu des crises en journées, mais en soirée c'est parti, je vais bien, je vais très très bien, je peux courir si j'en ai envie parce que j'ai déjà fait à plusieurs reprises, sans problème, je peux me poser aussi. Dans la journée j'ai déjà eu une crise, le matin, mais là c'est le soir tout va bien, j'ai bien mangé, je regarde la télé, je suis avec ma famille, mon frère et ma sœur, et après je décide d'aller me coucher, il est pas forcément tard, hein, aux alentours de 22h, je me couche, je me couche assez rapidement, j'ai pas de problème pour m'endormir, hein. Mais alors le matin, dès 4h du matin, c'est radical, je sens un pic, qui tape (il mime le mouvement) C'est le pic qui me réveille, le pic côté gauche, coin de l'oeil, qui tape. Je suis dans un sommeil, je dors bien, et à un moment, 4h du matin, je suis réveillé par un pic qui tape au niveau gauche. Ca m'empêche de dormir, je peux plus continuer. Même s'il y a encore une forte fatigue en moi, je me dis que j'ai envie de rester, ptet en bougeant pas ça ira mieux, mais ça part pas, ça reste, et plus je reste dans mon lit et plus ça commence à monter, en crescendo et je peux plus rester dans mon lit, je peux plus dormir. C'est pas possible. Parce que quand je suis dans mon lit, je suis dans une certaine position, et j'essaie de trouver une position confortable pour que la douleur puisse partir, et la douleur ne part pas, et plus je reste dans mon lit, plus je sens la douleur augmenter. Donc pour moi la solution c'est de pouvoir sortir de mon lit, pour trouver un échappatoire, en fait. Donc à ce moment-là, je sors de mon lit, et moi qui n'aime pas trop prendre les médicaments, la première chose que je fais c'est de marcher, je tourne en rond, pour passer le temps, ou je sais pas, je sais pas pourquoi je le fais, mais ça me soulage, ça me soulage. Les lumières pour moi elles restesnt éteintes, parce que là s'il je les allume, c'est une catastrophe monumentale, jpeux pas ; il faut aussi absolument qu'il n'y ait pas de bruit, parce que si y a un bruit, si y a quelqu'un parle dans ma tête, alors là ça va pas. Ce matin-là ça était, parce que tout le monde dort, y a que moi qui est levé. Aucun bruit. Alors je fais pas de bruit, on entend seulement mes pas, et je tourne autour, je marche. Je fais le tour de l'appartement, je vais à droite, à gauche, sans faire de bruit, en espérant que la douleur elle puisse partir. Je fais rien d'autre, le mieux que j'ai trouvé, c'est vraiment de marcher, même si j'ai rien essayé d'autre. Et je me parle à moi-même. Je me dis « Faut que ça arrête... quand est-ce que tu vas arrêter... » Je parle à ma maladie. Je me dis rien d'autre. J'attends. Pour moi c'est un adversaire, hein, il est là je sais qu'il va taper au maximum parce que je le connais. Je suis là, je suis dans l'attente. Et je lui fais comprendre que je vais pas baisser les bras, je vais marcher, je vais essayer de l'oublier. En fait je marche pour oublier, pour pas rester focalisé sur cette maladie, sur cette douleur là parce que si je reste sur place, je penserai qu'à lui, et j'arriverai pas à m'en sortir. Alors voilà, pour moi, le fait de marcher c'est voilà, j'essaie de pas penser à lui, même s'il est là et je le sens. Je continue à lui parler, parce qu'il est là, et il me fait comprendre qu'il est présent. Il me fait comprendre qu'il est présent par ce pic, qui est insupportable, ouais hein. Si 154
j'arrive, à cette limite, à pouvoir marcher un peu partout dans l'appartement, ça veut dire que si on doit mettre un indice de puissance, de zéro à dix, là la douleur elle est à dix, facilement. C'est à dire que là, moi le seul recours que j'ai c'est de marcher, j'ai aucune solution. La solution que j'ai, c'est l'Imiject, qui, euh... Moi qui n'aime pas les piqûres, j'ai résisté par rapport à ça parce que j'ai horreur des piqûres. Comment dire ça ? Je suis rentré dans un jeu, avec cette maladie, où je me dis, où même ça me soulage de me dire « vraiment si je peux pas gérer la maladie, si je peux pas gérer cette douleur, je me fais une injection ». Ce jour là, j'avais une boîte d'Imiject, je l'ai sortie, mais je l'utilise pas forcément. Je l'ai posée sur la table, à côté, dans la chambre. Je repasse devant, je la regarde, oui, parce que ça me met en confiance, je me dis que je suis pas tout seul, y a quelqu'un qui est avec moi qui peut m'aider, voilà. L'Imiject c'est une personne qui peut m'aider, qui peut me soulager, ouais, je me dis ça ouais. Ca me permet de tenir, ouais. Ouais à ce moment là, après les choses qu'on se dit.. comment ça se fait que j'ai ce genre de maladie, et je me soulage, enfin je me soulage façon de parler, je me dis je prends cette maladie mais j'espère que mon frère et ma sœur ne seront jamais atteints de cette maladie. Je pense à mon frère et ma sœur, et je me dis heureusement qu'ils ont pas ce genre de chose, je préfère l'avoir moi et subir ces conséquences-là que ca soit mon frère et ma sœur qui puissent subir ces conséquences-là, parce que je me dis « eux comment ils vont le supporter » . Parce que moi-même qui me considère comme une personne qui peut résister à euh, ce... … je me considère pas comme une personne de faible, c'est pas prétentieux hein, mais face à la difficulté j'aime bien faire face, je me dis que là, j'ai été ridicule, quoi.. y a des moments où j'ai eu des pensées suicidaires, ça m'est arrivé. Mais la pensée suicidaire, moi elle m'est arrivée à plusieurs reprises dans ces moments où ça atteint le niveau 10, parce que je voulais que la douleur se termine, tout simplement. Penser à se cogner la tête contre un mur, ça j'y ai pensé.. parce que je me dis qu'en me taper la tête contre un mur, ou me mettre quelque chose dans les yeux pour pouvoir atteindre la douleur et me l'enlever, ça sera terminé. mais derrière ça il y aura des séquelles. Donc il y a toujours cette lucidité de me dire que c'est pas la solution. Mais dans ces crises-là j'y pense. Ca vient quand … vu que cette maladie, la douleur elle arrive crescendo, elle est montée petit à petit, mais à un moment elle atteint son summum, et elle reste figée sur le niveau 10, mais longtemps longtemps longtemps... y a un moment au départ je me dis « je vais tenir », et au bout de trois heures je me dis que c'est pas possible, quoi, physiquement je commence à être fatigué, j'ai les yeux qui piquent, ça coule, voilà, quoi et en plus dans cette partie là qui est le matin, le jour va se lever, donc les membres de ma famille vont se lever, donc je pense déjà à ce qu'ils vont faire, y vont faire du bruit mais c'est pas de leur faute, hein, ils vont faire du bruit et ça va m'énerver. Mes parents ils vont venir me voir et, ils vont me demander si ça va bien, et ça va m'énerver, sachant que je sais que eux ils peuvent rien faire pour moi. Pourtant eux ils viennent pour me demander si tout va bien. Mais je sais que dès que le matin arrive ils vont se lever et là c'est bon, ils vont faire du bruit. Parce que y en a ils doivent aller à l'école, les parents doivent aller au travail et là je me dis là ça va être un bruit monumental. Et moi le problème c'est que au niveau de mon espace il devient réduit, et du coup je me retrouve que dans ma chambre et je peux plus me balader dans tout l'appartement. Parce que me balader dans tout l'appartement, ça me donne un espace supplémentaire pour souffler, pour souffler et là quand tout le monde se lève y a du bruit, en plus ça m'énerve et je suis obligé d'aller m'enfermer dans ma petite 155
chambre et de tourner dans ma petite chambre, qui est un espace trop réduit, et là, euh, pff, ouh la la, c'est atroce, c'est atroce. Alors ce qui se passe, ce que je fais, je peux plus marcher parce que ça me fatigue, je me dis j'ai beaucoup marché déjà quand même, j'essaie de m'allonger à nouveau sur le lit, pour attendre voir si ca descend. Mais en fait c'est peine perdue parce que ça continue. Alors ce que je fais, au lieu de marcher, je me mets dans le lit et je me tourne, à droite, à gauche, à droite, à gauche, à droite, à gauche en regardant ma boîte d'Imiject et des fois le prendre dans ma main, et le dire à la maladie, « si ça continue, j'appuie. J'appuie, j'appuie, j'appuie, j'appuie ». Mais ce jour-là j'avais pas appuyé. C'est toujours ma mère, toujours. Elle vient me voir directement dans ma chambre, parce qu'elle sait ce que j'ai. Elle a toqué, elle m'a proposé un petit déjeuner, et moi, pour moi, c'était non. Quand elle toque, c'est, heu...elle me demande comment ça va, et heu je lui réponds sèchement. Parce qu'elle sait, elle sait que je vais pas bien. Moi je sais qu'elle le demande pour mon bien, mais moi je peux pas m'empêcher de lui donner une réponse agressive, parce qu'à ce moment-là je suis dans une période de forte douleur, donc pour moi faut qu'elle puisse comprendre que c'est pas la peine d'essayer. Mais au fond de moi j'aime, j'aimerais qu'elle vienne me voir. C'est bizarre, c'est paradoxal, c'est particulier. Parce que si elle vient pas ça veut dire qu'on s'intéresse pas à moi, qu'on me laisse, tout seul, dans ce genre de problème-là. Et j'ai besoin qu'on vienne me soutenir. Pourquoi ? elle toque, ça fait du bruit elle me parle, j'entends sa voix, ça fait du bruit Moi je suis en train de gérer la douleur le pic, je suis en train de lutter, quotidiennement, là, et elle même y a ma mère qui me parle, et elle me dit des choses, et ça c'est pas possible de cumuler.. En fait quand je suis dans dans cet instant là, je suis concentré que sur ma maladie ; ce qu'il y a autour ne m'intéresse pas... en tous cas sur ce moment-là. Alors là on va dire que mes parents ils partent en général à neuf heures, donc on va dire, heu, là à neuf heures même ma sœur et mon frère tout le monde est parti,. Ce qui se passe, moi, de 9 à 10 je suis toujours avec la douleur à la tête , mais ce qui se passe, à 9h, quand tout le monde est parti, j'ai récupéré un espace, je me remets à marcher dans mon appart, je suis content parce que j'ai récupéré de l'espace, mais la douleur elle est toujours là. J'ai pas pris de médicament, et je laisse, je vais jusqu'au bout. Mais je suis toujours avec mon Imiject à côté de moi. Jusqu'à 11h. A 11h. Je sais pas comment vous expliquer les choses, mais tu sens que ça redescend. De 10, ça redescend à 9, 8, 7. Ca redescend progressivement mais assez rapidement quand même. Ca redescend assez rapidement. C'est-à-dire que à 11h je commence à me sentir mieux. A 11h je commence à me sentir mieux. A 11h10, 11h et quart, j'ai plus de douleur. Mais je suis très fatigué, je suis lessivé. En fait, ça tape moins, ça ralentit, ça prend beaucoup plus de temps Au niveau de ma vue, parce que vu que ça tape du coté gauche, j'ai toujours tendance à fermer les yeux et du coup ce qui se passe, j'y vois plus clair, je vois mieux, j'ouvre les yeux sans problème. La marche elle devient plus agréable, parce que la douleur elle est en train de partir. Y a pas 156
grand chose qui change au niveau de la marche, après je commence à marcher de moins en moins, et après je retombe dans mes activités. Jusque là j'étais toujours en train de penser, toujours en train de parler. Dès que la douleur je commence à sentir qu'elle descend la première chose que je me dis « j'ai réussi ». J'ai réussi à pas prendre mon médicament. Donc c'est une victoire. Mais j'ai toujours mal ! Parce il est 11h, 11h05, mais je sais que vu qu'il perd de son intensité, il va pas remonter au crescendo, donc il va partir, donc il va me laisser tranquille. A 11h10 je suis soulagé, parce qu'après je sens plus les points, mais je sens, comme si, au niveau de mes nerfs, je sais pas, c'est tiré, mais ça bouge plus. C'est une gêne, ça tire par derrière, ca me fait plus mal, c'est une gène. Après ça dure, ça peut durer, sur ce moment -là ça prend du temps, vers midi y a plus rien. Je prends une douche, je me lave, je me réveille bien, je suis bien. Après vers midi, midi trente, on peut plus savoir ce qui s'est passé 2-3h avant, c'est plus possible. La fatigue c'est une fatigue physique parce que j'étais en manque de sommeil, pas de force, c'est vraiment de la fatigue physique. C'est comme si t'avais passé une nuit blanche, t'as pas dormi et t'enchaînes le boulot après. Comment vous dire, c'est comme une personne, elle dort trois heures, au bout des trois heures elle se lève elle enchaîne, c'est vraiment pas agréable. Après la douche, je mange, je me nourris, hein, je prends des forces, je récupère, je me sens mieux, Donc ça va. Je me sens mieux, j'ai la pêche, j'ai la pêche. Pendant la crise, vraiment je pense qu'à ça, la douleur, et la marche. Je me mets à pleurer. Pas volontairement, c'est la douleur... le fait de me parler à moi-même, le fait de devoir rester dans le noir, pas voir la lumière du jour. Moi par rapport à la douleur que j'ai c'est vraiment... Quand je fais ma marche, j'ai pu avoir tout mon espace, et je me dis, malgré tout ce que je fais, la douleur elle part pas. Après, c'est un truc anodin, je peux passer à côté de … quand je vais marcher, ce qui va être en face de moi, ça sera un mur. Et quand je vois le mur je me dis « c'est vrai que si je me donnerais un coup de tête, là contre le mur, peut être que ça va soulager, ça va calmer ma douleur, parce que je sais où j'ai mal, je sais que c'est là, du côté gauche, et je sais où taper, je sais que la douleur elle se trouve ici, pas en bas quoi, elle est ciblée, je sais où c'est. C'est parce que le mur il se trouve là, donc je pense au mur. Si je marche dans mon appartement et que je vois la fenêtre, je me dis, j'aimerais bien donner un coup à la fenêtre, donner un coup de tête à la fenêtre, parce qu'elle est en face de moi. Ou bien je continue à marcher dans l'appartement, j'arrive dans la cuisine, et dans la cuisine, les choses que je vois c'est les ustensiles de cuisine, je vois par exemple un couteau et je me dis, par rapport à la douleur, là, j'en ai marre, faut que j'arrête j'en ai marre de marcher, et je vais prendre le couteau me mettre le couteau dans l'oeil (il mime), pour essayer d'atteindre cette douleur, et d'enlever cette douleur, parce que moi la douleur que j'ai c'est comme si c'était quelque chose que je peux prendre, à l'intérieur de ma tête et l'enlever. J'ai pas envie de sauter par la fenêtre, j'ai envie de me cogner. Quand j'ai ces pensées suicidaires, j'ai pas envie de me faire mal au reste du corps, j'ai envie de faire mal qu'à ma tête j'ai envie de trouver une solution pour pouvoir rentrer dans ma tête, pour pouvoir atteindre la douleur, et la prendre, en fait. Donc je pense pas à me dire, je vais 157
sauter par la fenêtre... J'ai pensé à ce genre de choses, et en y pensant, je me suis dit « non, non, si tu sautes, tu vas te faire mal à tes membres inférieurs, et c'est pas ça, c'est la tête ». Donc dans la pensée suicidaire, j'arrive à penser le couteau, oui, il pourrait être accessible (il mime). (pour pas le faire) je suis lucide, j'ai les pieds sur terre, je pense à ma famille, ce genre de choses je peux pas le faire. Non. Je peux pas, je le laisserai pas, quoi. Je le laisserai pas gagner. Moi c'est un combat, c'est pour ça que quand j'arrive à la fin de la crise, je me dis « j'ai gagné ». C'est un combat, c'est un combat entre moi et la douleur. Je suis arrivé à cette déduction, à cette chose.
En OFF ca me fait plaisir de parler de l'AVF le soulagement surtout c'était quand on m'a dit ce nom lutter contre un truc qu'on connaît pas, c'est horrible, c'est impossible le jour où on m'a dit que c'était une AVF, ça a été une joie, exceptionnelle, trop content, quoi, j'étais soulagé, complètement « y a un nom, on sait ce que c'est » « maintenant que je te connais, je vais tout faire pour te contrer » J'ai peur du regard des autres, parce que, euh... j'ai peur de pas pouvoir gérer vis-à-vis des autres c'est ma maladie à moi, tant qu'ils l'ont pas vécu ils peuvent pas savoir Parfois y a eu des matins ou j'ai eu la crise, et à midi, midi trente, y avait plus rien, mais plus rien tu vois. Pour une personne « malade », ca se voit pas du tout ! Même moi, j'étais gêné comment ça fait l'imiject ? (avec un grand sourire) moi j'en ai pris une seule fois, enfin deux ya la chaleur qui monte, tu sens vraiment que ça monte, ça monte, du bas vers la tête, ça monte, comme une sorte de ventilation dans la tête Le pic, quand le produit arrive, il est perdu. Il perd sa vitesse, sa force. Tu sens qu'il perd. Après je suis KO, fatigué, fatigué, fatigué 31 ans AVF épisodique depuis l'âge de 10 ans, pas de période au moment de l'entretien Célibataire, pas d'enfants, vit avec sa fratrie au domicile parental Educateur sportif en centre de loisirs pour enfants, dans l'Essonne vu en entretien au CMPE d'Evry-Courcouronnes, mardi 20 mars 2012FH
Celle qui revient en premier, c'est pour moi l'une de celles qui a été la plus forte, une des rares qui m'a poussé à vomir, tellement elle était forte. 158
C'était en 2009, je sais plus exactement à quelle période, mais c'était un samedi, puisque la plupart de mes crises arrivaient le WE – on a toujours considéré que du lundi au vendredi il y a le stress du travail, et le WE il y a le déstress qui favorise les crises, donc c'était un samedi matin où j'ai dû me lever parce que le petit m'avait appelée, on a déjeuné, on a fait ce qui fallait, et à ce moment-là la crise arrive. C'est le début de la douleur, cette sensation au niveau de la tempe qui se présente, qui tourne un petit peu, et je me dis « tiens, ça arrive ou ça n'arrive pas ?». On vient de finir de petitdéjeuner avec mon fils, comme il devait avoir, heu.. 5 ans, en général après le ptit déj le samedi c'était les dessins animés, et donc on regarde un peu les dessins animés. Et donc je dis au petit « écoute je vais fumer une clope, parce que j'ai un peu mal au crâne », sachant qu'à cet âge-là il savait déjà que quand j'avais mal au crâne, il fallait pas.. il fallait pas trop me titiller. Donc je vais fumer une clope, je reviens, enfin, je fume ma clope, ça va mieux. Je me dis OK, c'était une fausse alerte, je me réinstalle dans le canapé, et là elle arrive, puissance 20 000, d'un seul coup, plus aucune évolution graduelle en fait, le coup de poignard monstrueux, au moment où je me rassois sur le canapé, elle arrive vraiment puissance très très forte, ça m'avait vraiment surpris parce que c'est rare quand ça arrive comme ça, en général c'est progressif. Et donc je dis, je vais aller dans ma chambre, je me dis je vais me faire la piqûre, je reviens. Parce qu'à cette époque-là j'avais tellement de crises que je savais que l'oxygène, j'avais un phénomène d'effet rebond et ça revenait une heure après. Instantanément avec la douleur vient la nausée, et du coup je me dis « c'est peut-être pas qu'une crise d'AVF », alors que je connais la douleur par cœur, comme j'ai très rarement la nausée... ou alors c'est pas qu'une crise d'AVF. Donc je vais dans la chambre, et juste j'appelle mon fils et je lui dis « est-ce que tu peux aller me chercher un seau » parce que pour moi je vais vomir. Donc je suis dans la chambre, je vais pour faire ma piqûre, et au moment où je vais la faire, justement, des nausées, avec un petit peu comme quand on est en fin de gastro, qu'on n'a plus rien à vomir, je tire au cœur.. je me dis « c'est pas une crise d'AVF », évidemment je ne vomis pas, je fais la piqûre. J'ai un coup de flip, parce je me dis « si c'est pas qu'une crise d'AVF, si c'est autre chose », et le problème c'est quand on vit seule avec un enfant, c'est que à 5 ans il sait pas encore appeler les pompiers ou quoi que ce soit. C'est super bref comme pensée, au moment où je vais dans la chambre et je me dis « bon alors c'est quoi ?, ou alors, j'ai chopé une gastro, et en même temps j'ai une crise, je suis pas dans la merde » enfin, bon, bref, donc c'est plusieurs, heu... Mais en même temps ça va très vite parce qu'à ce moment-là je faisais tellement de crises, que je mettais pas beaucoup de temps à piquer. Et donc je fais la piqûre et donc je dis à mon fils, enfin il avait pris l'habitude parce qu'il avait vu qu'après la piqûre je prenais un petit bout de PQ, un petit bout de mouchoir pour essuyer la goutte de sang. Donc je lui dis à Morgan, c'est bon, il sait, il revient, et j'ai eu un coup de flip parce que la douleur elle était... je sais pas si l'effet de l'Imiject est proportionnel à la douleur, mais ça a été vraiment super amplifié avec des nausées, des sueurs froides, vraiment je gouttais de partout, et c'est mon fils qui me regarde et qui me dit « t'as chaud, enlève ton t-shirt », mais comme c'est des sueurs froides, t'as froid et en même temps ça brûle, on a chaud etc.. avec des nausées, mais, monstrueuses, en lui disant reste là « je pense que je vais vomir » et lui « je vais chercher du PQ, du papier », et au final il s'est rien passé, la douleur est passée en dix minutes comme les autres. Mais c'est vraiment une crise qui est restée, parce que je me suis dit « je vais me vider, pendant que je vais me piquer », « comment je vais gérer ? » Au moment où on se pique, quelle que soit l'intensité de la douleur, au moment où tu piques c'est pas vraiment une lueur d'espoir mais on sait que dans les 5-10 minutes c'est fini, donc je 159
me suis piquée et je me suis dit « de toutes façons t'es vraiment pas bien », parce que... j'ai fait souvent des malaises vagaux, avant d'être diagnostiquée AVF, et c'était la même sensation, la même sensation, puisque malaise vagal c'est pareil, j'allais vomir, les sueurs froides, la tête qui tourne, l'impression que j'allais tomber dans les vapes. Je me suis dit si cet état là est provoqué par l'AVF, dans 10 minutes c'est fini, mais si jamais c'était pas le cas, qu'est-ce qui va se passer après la crise ? Est ce que après la crise je fais un malaise vagal et le petit il est tout seul et je... j'arrive pas.. – parce qu'à l'époque, les malaises vagaux que je faisais, c'était les pompiers qui me réanimaient avec l'oxygène. Donc je dis à mon fils, je lui dis : « si jamais maman tombe dans les vapes, va pas bien, te répond plus, je lui avais montré comment fonctionnaient les bouteilles, tu mets ça sur le nez de maman, etc.. machin... Ca c'est pas du tout passé. Je pense que les symptômes étaient liés à l'intensité de la crise, pour moi c'est la crise la plus douloureuse que j'aie jamais faite. Après chaque piqûre, moi j'ai besoin de dormir, au bureau, en vacances, j'ai besoin d'aller me coucher pendant un quart d'heure, une demi-heure. Donc là j'ai dit à mon fils, si tu veux tu peux regarder les dessins animés dans le lit de maman, je me suis recouchée et j'ai du redormir 2h. Parce que...C'est un des seuls effets secondaires auxquels on s'habitue jamais, qui est pas forcément négatif, c'est vraiment cette sensation de grosse fatigue après l'injection. Y en a beaucoup qui ont trouvé la solution à ça, c'est de pratiquer la demi-injection, mais pour pratiquer la demi-injection il faut voir la seringue,et si moi je vois la seringue, je sais pas si je serais capable de piquer. (Hésitation devant une injection) Une fois en particulier, oui, parce que j'ai jamais réussi à piquer, je me suis jamais piquée, et du coup je me suis mangé la crise de A à Z. J'ai même pas pensé à prendre de l'oxygène, parce que je me détestais tellement à ce moment-là. Je me réveille la nuit, alors savoir si c'était vers 2h ou 5h du matin, je sais plus parce qu'en général c'est le même type de crise. Donc je me réveille en pleine nuit, j'ai déjà super mal, donc je sais que j'ai pas le choix.. Parce que à l'époque, on se disait tous, et moi la première, que l'oxygène sur les crises de nuit ça marchait pas, ou alors il fallait vraiment le prendre à 15L/minute, y aller à fond, donc on s'était dit « les crises de nuit, on pique ». Donc je me lève, et pour me donner le courage de piquer je vais fumer cette clope qui ne me sert à rien. Je me lève, et je me dis « fais chier », et je me lève, et là je sens une main qui me dit « encore ? » et je lui dis « ouais, ouais, mais t'inquiète », et je m'en vais dans le salon. Non, je pars tout de suite dans la cuisine - interdiction de fumer dans le salon – je pars tout de suite dans la cuisine pour aller fumer ma clope. J'ai l'impression que ça va me donner du courage. Mais c'est qu'une impression, parce qu'en même temps je m'insulte en me disant « tu perds du temps »... parce que on sait que plus on pique tard, plus on a laissé la douleur s'installer... donc c'est un sentiment ultra paradoxal, parce que je sais que cette clope ne me donne aucun courage, qu'elle sert à rien pour atténuer la douleur, et qu'elle me fait perdre du temps. Mais, je vais dire psychologiquement, faut que je la fume. C'est la nuit, je regarde dehors, je me dis je pour une fois j'aimerais bien dormir tranquille, que ça me fait chier, que pourtant je fais ce qu'il faut, je prends mes médicaments, je bois pas d'alcool, et que pourquoi, c'est des questions qui reviennent régulièrement quand on a mal. Y a certaines cigarettes que je peux pas finir parce que j'ai vraiment très très mal et que je me dis « arrête de perdre du temps ». Et là cette fois-là, je finis ma clope, je vais sur le canapé. Pour ne pas faire durer le temps, je me déshabille, comme ça j'ai froid et ça m'oblige à me speeder, parce que si je suis 160
bien, si je suis confortable, je vais surtout pas me... Et donc là, je suis avec l'injection. (silence, elle reste immobile en gardant la main appuyée sur la cuisse, pouce replié comme pour appuyer sur un injecteur virtuel) Je suis en sous- vêtements, en slip quoi, sur le canapé, je me rappelle avoir eu froid.. mais je me dis le fait d'avoir froid ça va me motiver à retourner au chaud sous la couette, et là j'ai l'injection, et j'y arrive pas. Elle est posée, sur la cuisse, il reste juste à appuyer sur le pressoir, et j'y arrive pas. Je me dis « allez », et là je compte jusqu'à trois 1... 2...3... et j'y arrive pas. Et je compte comme ça une dizaine de fois, 1.. 2..3.., j'y arrive pas, et je m'insulte. Et je dis « tu sais le bonheur, le soulagement que ça va t'apporter, fais-le, tu t'en fous. » « La douleur de la piqûre, de l'injection va être minime ». Je sais pas pourquoi j'y arrive pas. Je sais que j'ai peur des piqûres, je sais que ça fait très peu mal, je le sais parce que j'en ai déjà fait, des vaccins, des prises de sang... et que des prises de sang pendant la grossesse y en a tout le temps, et ça ne fait que très peu mal... mais avant chaque prise de sang ça me fait pleurer.. Donc c'est vraiment la douleur de l'instant parce que ces 10 secondes, ces 10-12 secondes où on laisse s'injecter le produit, la douleur elle est vraiment intense. A mon niveau. y en a ptet d'autres pour qui ça va beaucoup mieux, moi cette douleur-là où on compte jusqu'à 10 que le produit s'injecte, c'est, fin, j'insulte tout le monde, je suis très très grossière, c'est, pfouu... faut que ça passe, quoi. Je pense que c'est ce moment-là, associé à la seringue la piqûre... moi j'ai jamais réussi à bricoler l'injecteur, y en a ils s'attrapent le gras du bide, ils se piquent avec le truc, moi je peux pas. Donc je pense que c'est ça. Mais à ce moment là je m'insulte, parce que je sais que c'est crétin « oui tu vas avoir mal, mais c'est 10 secondes, alors que si tu la fais pas, tu vas avoir mal trois heures », mais ça rentre pas, j'arrive pas, ça marche pas. Et du coup, au bout de dix minutes comme ça, je retourne fumer une clope. Ce qui me change absolument rien, mais du coup je suis dans un état de nerfs qui est assez avancé, parce que j'ai très mal. Je tremble, j'ai pas mal transpiré, même si on n'est pas dans le même cadre de la crise précédente, avec les nausées et caetera, mais je m'énerve moi-même. Je suis dans un état de nerf où en général je vais moi-même trembler, je vais refumer une clope et je sais même pas pourquoi parce qu'elle est même pas bonne tellement j'ai mal, mais je me dis, ça va me laisser le temps de récupérer cette énergie dont j'ai besoin juste pour piquer. (En la fumant) Je me dis « je suis le roi du monde », « je vais y arriver, je suis hyper puissante, je vais y arriver », parce que je suis en train de fumer, et à ce moment-là je me dis « mais t'es con, t'as même pas réussi à te piquer, c'est une piqûre de rien du tout, tu sais que ça va te faire du bien », et je me dis et je sais qu'à la fin de cette clope je vais y aller et je vais me piquer, sans problème. Je finis la clope, et même scénario : je ne peux pas. Je n'y arrive pas. Et il m'est arrivé, alors c'est pas très bien, mais ça m'est arrivé de réveiller mon fils qui avait pris pour habitude de me tenir par la main, qui lui il a absolument pas peur des piqûres, d'aller le réveiller à 5 heures du matin et de lui dire « écoute, il faut que tu aides maman, j'y arrive pas ». Et donc je suis là, et il est là, et il me dit « allez, on compte ensemble, allez, 1..2..3.. ». La première fois j'y arrive pas, et au bout d'un moment j'y arrive. Mais cette fois-là, je n'ai jamais réussi à me piquer. Et donc je suis restée deux heures, à moitié à poil, dans mon salon, à avoir froid, à pleurer, même pas de douleur, parce que je dirais qu'aujourd'hui cette douleur-là ne me fait plus pleurer. Aujourd'hui quelqu'un qui souffre d'AVF depuis longtemps, quand il pleure c'est pas de douleur, c'est de rage, de désespoir, de colère envers soi même, et là c'était vraiment ça, c'est-à-dire, je pleurais, je m'insultais, je me disais, voilà t'en as pour deux heures. Là je restais pas sur le canapé. Au 161
moment de la piqûre, oui, parce j'essaie de viser, pour pas viser dans un muscle, parce que des fois ça arrive. A ce moment-là je marche dans le salon, et je fume 15 clopes, je fume dans le salon et j'en ai rien à faire qu'il se lève et qu'il me dise « pourquoi tu fumes dans le salon » parce que c'est vraiment un état de nerfs, je pense, après moi-même, où de toutes façons, on aurait même pu me dire, enfin, même si j'étais allée me balader à poil dans la rue et qu'on m'avait dit « mais c'est pas bien ce que tu fais », j'aurais répondu « mais qui tu es pour me dire quoi que ce soit ? » Je fume énormément. Je fume clope sur clope, parce que je me dis que c'est la seule chose que je peux faire... Ca n'atténue pas. Je me balade, je me rassois. Je me dis « je vais essayer de me poser en me mettant comme ça », mais les programmes de la nuit ils sont inintéressants, et au bout d'un moment ça me gonfle parce que rester sur place, le fait de rester sur place fait qu'on est focalisé sur sa douleur et que ça change pas la donne, voilà jusqu'au moment où... je crois j'ai du sortir le sac de petit-pois congelés que je me suis mis là, j'ai ouvert la fenêtre en grand parce que je me suis dit « peut être que le froid va geler la douleur », on fait des trucs qui servent à rien, des trucs un peu déraisonnés, qui ne servent à rien parce que la douleur elle finit pas et après on se dit « qu'est-ce que t'es con, qu'est-ce que t'es con, quoi » Les pensées... quand on a pris l'habitude de ne plus souffrir grâce à l'oxygène ou à l'Imiject, quand on a pris cette habitude, les seules fois où on souffre, moi j'ai pas eu de pensées suicidaires parce ça arrive pas souvent , etc... mais c'est là, à mon avis, c'est le genre de crise qui peut pousser les gens à avoir envie d'en finir. Parce que c'est là... Parce que cette douleur, elle est tellement incompréhensible, tellement injustifiée, parce que tout ce qui est éléments déclencheurs classiques, moi je les ai pas, je fais ce qui faut au niveau du régime alimentaire, au niveau du café, au niveau de l'alcool, au niveau de tout, au niveau du sommeil.. Moi, ce qui revient le plus à chaque fois au niveau des crises que je n'ai pas pu soigner, soit parce que j'avais pas prévu, ou que le contexte me permettait pas, c'est l'injustice. Pourquoi moi, pourquoi est-ce que je peux rien faire pour la soulager... Je suis plus dans le sentiment d'incompréhension puisque je sais que les gens autour de moi me comprennent, mais c'est l'injustice. Et dans le cadre de cette crise-là, c'est la connerie de ne pas... C'est l'injustice de me dire aussi j'ai la chance d'avoir des traitements qui fonctionnent – traitements de crise – traitements de fond qui fonctionnent plus ou moins bien mais traitements de crise qui me soulagent. J'ai cette chance, par rapport à d'autres maladies, et je la mets pas en place, je l'utilise pas. C'est de se dire « ouais, à force d'être malade je deviens conne, aussi », c'est des sentiments qui sont super contradictoires. (est-ce que tu repenses à l'Imiject?) Non. Non, parce que pour moi c'est une fois où j'y arriverai pas. Y a eu plein de fois où j'ai mis du temps, où y a eu... je réveille mon fils, il m'aide, et puis y a des fois où j'arrive à m'insulter et me détester suffisamment fort pour le faire, y a des fois, boum jme lève jla fais je discute pas quoi, j'ai aucune hésitation. Y a des fois où j'hésite et y a cette fois-là où j'ai jamais pu piquer, et où, une fois que j'ai eu fini, que je suis retournée me coucher, il me dit « mais pourquoi ça a pris autant de temps ? » et là je lui dis « j'ai jamais pu piquer, j'ai pas réussi » et il m'a dit « t'aurais du m'appeler » et « pourquoi ? Pourquoi j'aurais du t'appeler ». Et là y a un double sentiment, je me dis putain c'est vrai que j'aurais été soulagée il y a longtemps, et le truc un peu de culpabilité de dire « mais tu l'as voulue toi-même cette douleur, parce que t'avais les moyens d'y couper, et tu l'as pas fait » J'ai eu les piqûres en 2006, on est en 2009, j'en ai déjà fait des centaines, et je sais qu'il y a des fois où ça a été beaucoup plus difficile que d'autres, et c'est parce qu'à un moment j'atteins le 162
stade où je me dis « là t'arrêtes tes conneries et t'y vas », et là ce stade-là j'arrivais pas à l'atteindre. Alors je me rappelle plus dans quelles circonstances j'étais à l'époque, que ce soit professionnelles, sociales, ou avec mon conjoint, ou quoi que ce soit je sais pas si il y avait quelque chose qui a fait que de toutes façons j'aurais pas réussi ou alors c'était une période où j'étais dans un trop-plein de crises.. et où je me suis dit « c'est bon j'en ai marre de me piquer ».. c'était une période où je me piquais beaucoup, et donc j'avais la cuisse dans un état lamentable, et je me suis ratée aussi pas mal, un certain nombre de fois je me suis fait une injection intramusculaire qui ont fait que le lendemain j'avais du mal à marcher ; que j'avais demandé « eh les gars où est-ce que vous vous piquez ? » y en avait c'était dans le bras, dans le ventre ou dans la fesse.. et moi cette douleur je me voyais pas l'avoir dans le bras, parce que j'ai besoin de mes bras, dans la fesse, parce que je suis assise toute la journée, etc.. et donc je me suis dit « J'y arriverai pas. J'y arriverai tellement pas que je vais encore me foirer, et je vais me faire mal.. Parce que y a des piqûres où y a juste une goutte de sang, et des piqûres où on pique dans la veine et ça pisse le sang.. je sais pas. Je savais juste que de toutes façons j'y arriverais pas. J'avais la marque de l'injecteur sur la cuisse, parce qu'il faut quand même presser avant d'appuyer, j'avais la marque de l'injecteur à dix endroits différents, et j'avais pas réussi. Je me suis dit, si là t'as pas réussi, c'est que c'est pas un jour où.. c'est pas un jour pour réussir.. Par contre avec le recul je me suis dit « t'aurais pu au moins prendre l'oxygène, parce que la bouteille était à côté, et je l'ai pas fait »
Je vais chercher mes parents à l'aéroport, j'ai une crise en voiture, que je gère à ma façon avec les parents dans la voiture, et puis on arrive à la maison, et puis il faut qu'on parle du plan de table. Sujet épineux. Puisque est-ce qu'on mélange les familles ou pas, etc..., moi j'avais une idée de plan de table dans la tête, ma mère est pas du tout d'accord avec mon plan de table, parce qu'il vaut mieux, même au sein de la même famille, éviter les engueulades. Et on commence à se prendre la tête sur le plan de table, où elle me dit « non non, je connais mieux la famille que toi, il faut pas, machin », et où je lui dis « c'est mon mariage », quoi. Et donc la douleur monte. A ce moment-là, c'est en 2003, donc je suis pas diagnostiquée, j'ai mal au crâne régulièrement, je sais pas ce que c'est. Ma mère ayant régulièrement mal au crâne, elle sait qu'elle prend un Prontalgine et ça va mieux, donc déjà à ce niveau-là on avait des petits soucis d'incohérence. Et donc la douleur monte, et plus ça va plus je dis à ma mère que de toutes façons c'est mon mariage, que je l'organiserai comme je l'entends, que je ferai le plan de table comme je l'entends... et qu'à un moment faut qu'elle arrête de me faire chier. Alors elle me dit « Mais on peut en parler normalement », et tout, et je lui dis, non non, j'ai mal au crâne, j'ai pas envie de me prendre la tête avec toi, là on va arrêter de discuter parce que là je risque d'être désagréable. Parce qu'il faut gérer et cette douleur, et cette personne en face... elle commence à me dire : − Depuis quand t'es pas allée chez l'ostéopathe ? − Maman, j'y suis allée.. − Attends je vais te donner un Prontalgine. − Maman tes Prontalgine ne me font rien, le Di-antalvic ne me fait rien. − Oui mais non quand même le Di-antalvic c'est pour toutes les douleurs, ne me dis pas 163
que ça ne te soulage pas, c'est pas possible, c'est sûrement qu'il y a quelque chose d'autre. − Oui, il y a sûrement quelque chose d'autre, ça fait trois ans qu'on en parle et qu'on trouve pas. Alors j'ai pas tout fait parce que j'ai pas fait le parcours classique scanner-IRM, j'ai fait dentiste-ophtalmo, et je lui dis : − Voilà, je l'ai fait. Laisse-moi deux heures, je vais gérer − Mais non, mais tu vas gérer, mais on n'a pas deux heures à perdre .. − Maman, me fais pas chier. Et ma mère, je lui parle jamais comme ça. Maman, me fais pas chier, fous-moi la paix. Et je me barre. Parce qu'ils sont chez moi, et je peux pas les virer. Donc je me barre, je vais dans le jardin, je vais promener le chien machin, donc je pars, une heure, deux heures, et puis ça passe comme d'habitude, quoi. Et là c'est vrai qu'avoir une autre activité, faire gaffe que le chien se barre pas ou quoi, on a toujours l'impression que la crise passe plus vite, c'est un peu la théorie de la relativité. Quand on est concentré sur autre chose ... Pendant une crise, moi je peux... On a fait les magasins au moment d'emménager ensemble. J'ai l'impression d'être sur une planète un peu à part, j'entends pas tout ce qui se dit, je regarde le canapé qui est choisi (elle ferme les yeux..) Quand on me parle pas, boum j'essaie de refocaliser sur la douleur pour essayer de la soulager. Mais dès qu'on me parle.... Tout dépend encore une fois de l'intensité, elles sont pas toutes de la même intensité, et une intensité très haute ne permet pas de faire autre chose. Mais à ce moment-là de toutes façons j'ai tellement de colère après ma mère qui est sensée me comprendre et qui me comprend pas que je pars, que je lâche le chien en forêt et il se barre pas, et je fume des clopes, et de temps en temps je lui lance un bâton, et puis voilà, de toutes façons je suis toute seule. Je me dis que cette douleur fait chier, puisque personne ne trouve, que les médicaments classiques qui soulagent les gens normaux de leur maux de tête ne fonctionnent pas, que ma mère essaie de me faire manger des médicaments que j'ai déjà pris maintes et maintes fois et que ça fait aucun effet. Et j'ai toujours à un moment le sentiment que « peut-être, cette fois-là, ça aurait marché ». Le Di-Antalvic on sait qu'il faut pas en prendre plus de x par jour, mais j'en ai déjà pris plus, parce que j'étais devant la boîte et je me dis « je sais que ça sert à rien, mais si pour une fois ça sert à quelque chose, je vais m'en vouloir de pas essayer ». En même temps, comment m'en vouloir de ne pas avoir essayé puisque je ne sais pas si ça m'aurait apporté un bénéfice... c'est toujours un sentiment de bataille interne, on se dit, je le fais, je le fais pas, je le fais, je le fais pas, et on se dit « le jour du mariage, pourvu que ça n'arrive pas, parce que j'aurais vraiment du mal à faire bonne figure une journée entière avec le maquillage, les invités, les photos, etc.. et je me dis c'est pas bon du tout. J'ai repris une séance d'ostéopathie avant le mariage et ça s'est bien passé. Mais c'est vrai que ce jour-là, ça rejoint vraiment le sentiment que pendant la crise on est exécrable. Il faut pas, il faut pas titiller quoi. On évoque souvent entre mères des choses qu'on a pu dire ou faire à nos enfants pendant des épisodes de crise, et qu'on regrette instantanément après. Mais c'est vrai que c'est souvent de l'ordre de l'irrationnel.
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(28') On s'est levé avec mon conjoint, pour prendre le petit-déjeuner avant que Morgan ne se lève. Morgan se lève, on était encore en train de prendre le petit-déjeuner, il s'installe devant les dessins animés. Moi je finis le petit déj et je fais comprendre que ça va pas et que je vais partir dans la chambre et faire la piqûre et je vais dans la chambre qui est pas très loin et j'entends mon conjoint qui dit à mon fils « Morgan, je t'ai préparé ton petit-déjeuner. » Pas de réaction du gamin. Deuxième fois : « Morgan je t'ai préparé tes biscottes, avec le Nutella, le jus de pomme, machin ». Pas de réaction. Et comme lui il est très très zen et que je ne sais pas si je le verrai un jour s'énerver, il continue comme ça. « Morgan, je t'ai fait ton petit-déj, viens déjeuner ». Et moi j'étais dans la chambre, un coup de nerfs monstrueux... Je sortais la piqûre, je fermais la porte, ça prend 5 minutes quoi, le temps de chercher la piqûre, de vérifier que c'est la bonne, de visser dans l'injecteur... et en même temps j'entends ce qui se passe, j'ai pas fermé la porte, on est juste plus dans la même pièce mais j'ai pas fermé les portes. Et donc j'entends ça et je me dis « le pauvre qui est là, qui essaie de trouver sa place dans notre petite famille, mon fils le calcule pas, c'est un ingrat, etc... » Et donc je file dans le salon en hurlant, mais de façon complètement disproportionnée, en disant « mais Morgan.. » - il faut dire on est très en général vulgaire pendant les crises aussi, c'est pas « purée, t'es nul » - mais : « qu'est-ce que t'es con, t'es même pas foutu de l'écouter ou d'avoir du respect pour lui, il s'est fait chier à te faire le petit-déj, c'est pas ton père, il est gentil avec toi, aie au moins la décence de lui répondre » et tout.. et là le gamin te regarde et te dit (air bête) « ben quoi ?».. Et là ça part... il a cinq ans, ça part en cacahouète, je l'attrape par le col, je le soulève, je le fais voler je le mets dans la chaise, ça part dans tous les sens. Je le frappe pas, mais je l'insulte de tous les noms, en disant qu'il est con, que Alex a pris le temps de lui faire son petit-déj, que c'est pas une merde, que ça fait trois fois qu'il lui parle, qu'il pourrait au moins lui répondre, etc... Et en plus, plus je m'énerve, plus la douleur augmente. C'est-à-dire que normalement la douleur d'AVF elle est pas pulsatile comme un mal de tête peut l'être, mais là y a tellement... la pression sanguine, les battements du cœur qui s'énervent, y a tellement que là elle devient pulsatile, mais sur une très courte durée, et où, je m'énerve, j'ai de plus en plus mal et je me dis qu'il faut le gérer, et là il me stoppe et il me dit « non, non,va dans la chambre, je vais le gérer ». C'est Alex, mon conjoint, qui me voit et me dit « c'est pas bon du tout ce que t'es en train de faire, pour le petit » Enfin il me le dit pas, il me le fait comprendre. Donc je vais dans la chambre, je fais la piqûre, donc comme d'habitude. Au moment où je reviens dans la chambre, j'ai aucune... j'ai une notion de ce que je viens de faire, mais aucune culpabilité. Je suis super énervée. Je suis limite énervée qu'il m'ait envoyée dans la chambre parce que je me dis « c'est moi la mère, c'est à moi de le gérer ». Mais je me dis, attends, je vais piquer, et après ça ira mieux. Donc il le gère, le petit pleure, mais je l'entends pas à ce moment-là, je le gère pas, je suis dans mon truc. Et une fois que j'ai fini, je retourne dans le salon, et là je vois le regard de mon fils. Qui a peur. Et là je m'effondre, je me mets à pleurer en me disant « qu'est-ce que j'ai fait, qu'est-ce que j'ai fait ? ». où Alex me prend dans la cuisine et me dit « tiens, prends une clope » et me dit « mais tu te rends pas compte, le gamin tu l'as traumatisé et moi tu m'as fait super peur, pas dans le sens j'ai peur de toi, mais tu m'as fait peur de cet accès de colère, c'est pas bien, là, il faut que tu parles à ton fils, là il a peur de toi ». Et donc, je pleure un bon coup, parce qu'à ce moment-là on se rend compte de ce qu'on a fait et on a le sentiment de culpabilité. Et je vais voir mon fils, et je pleure, et je lui explique, et il se met à pleurer en me disant que je lui ai fait mal, que je lui ai fait peur, que c'est pas de sa faute, qu'il a pas entendu Alex. Et je le 165
sais, il est toujours sur une autre planète, il est toujours monotâche, concentré sur une seule chose à la fois, et là y avait les dessins animés, et Alex, je pense vraiment qu'il l'a pas entendu. Et je lui dis « écoute, je suis désolée, maman elle avait mal à la tête, et j'avais tellement mal, j'ai pas percuté ». Et comme je parle depuis longtemps à mon fils de ça, du mal de tête, que maman des fois elle est de mauvaise humeur tellement elle a mal, que j'essaie de lui expliquer que lui aussi quand il a mal il a pas envie qu'on l'embête aussi, ça s'est bien passé, mais c'est vrai que derrière, à chaque fois qu'on était tous les trois et qu'il y a eu des crises, Alex me fait signe et me dit « je gère ». C'est-à-dire que c'est délicat, parce que c'est un homme qui arrive dans une famille, à qui on ne veut imposer ni la maladie, ni la gestion de son propre gamin à cause de la maladie. Et comme moi j'ai été mariée à un papa qui faisait pas son rôle de papa là-dedans, qui a été très mauvais au niveau de la maladie, il y avait une pseudo-gestion, je me disais « j'ai mal mais je vais gérer mon gamin quand même » Aujourd'hui y a plus du tout ça, parce que je sais qu'il prend le relais avec le grand ou avec le petit, qu'il fait très bien son boulot de papa ou de beau-papa. Mais c'est vrai qu'au début il y avait eu ça, on venait d'emménager ensemble ça faisait pas très longtemps, et les fois d'après même je le regardais moi, et une fois que je savais qu'il gérait, il y avait plus de problème. Mais c'est vrai que cet accès de colère, je... peut-être que ça explique qu'on ait besoin de s'isoler, on veut pas faire de mal, on veut pas blesser... C'est arrivé qu'Alex au début vienne, essaie de me réconforter (elle mime le fait de prendre dans les bras), que je lui explique « laisse-moi gérer, etc.. », que la personne comme elle nous aime a du mal à comprendre, et que je lui dise « fous-moi la paix ». Fous-moi la paix. C'est insupportable. C'est pas un sentiment où on le déteste, c'est juste : « je te demande une chose, c'est de dire « tu ne peux rien pour moi », autant que moi je ne peux rien de plus pour moi à part de faire l'injection ou de prendre l'oxygène », « tu ne peux rien pour moi, ne me gonfle pas, à me concentrer sur autre chose. » Il y a pas mal de gens aussi, qui quittent leur conjoint, quand leur conjoint est trop empathique, est trop compatissant. Parce qu'on ne peut pas se permettre de plaindre l'autre, de rassurer l'autre, de perdre du temps à lui dire ça va aller, machin, etc, parce qu'on est trop concentré sur notre propre douleur. Et donc à ce moment-là, quand je lui dis, qu'il vient en disant mais qu'est-ce que je peux faire, machin, qu'il prend dans les bras, alors que nous on est dans cette *, dans ce mouvement d'autiste, de mouvement à bascule, et qu'il faut pas, il faut surtout pas nous immobiliser, il faut qu'on puisse être libre de nos mouvements, et qu'il fait des bisous, alors que tout ce dont on a envie, à ce moment-là c'est d'autre chose, parce qu'en plus on peut pas rendre cette affection, cette attention... c'est juste à ce moment-là d'être brutal, pour lui faire comprendre, c'est dire « mais fous-moi la paix, je ne peux pas m'occuper de toi » Et après de discuter, de dire « c'est juste, toute mon attention elle est concentrée à souffrir le moins possible, je ne peux pas consacrer une partie de cette énergie à TE rassurer. Maintenant sache que quand j'ai mal j'ai mal, tu ne peux rien, je ne peux rien, personne ne peut rien, juste oublie moi pendant cette période. C'est très dur, parce qu'on sait que la personne qui part dans la pièce à côté, part souffrir, mais à ce moment-là, non, il faut pas venir. Il faut pas venir me demander « ça va ? ». Non, ça va pas. « Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? » Rien. En fait la conversation elle est stérile, ça mène à rien, la conversation, ce qu'il peut faire...ça mène à rien. 166
La seule personne, qui peut, je vais pas dire m'approcher pendant une crise parce que ça fait un peu bête féroce, la seule personne qui arrive un peu à me soulager pendant une crise, c'est mon père. Parce que... j'en sais rien, il a une espèce de baume du tigre, au camphre, c'est la seule personne quand on est en vacances, qui déjà supportait mal que je sois malade, il voulait pas que j'aille me faire une injection, et quand il me voyait dans la piscine, il me dit « tu sors ». Et je me mets sur la terrasse, et pendant 20 minutes, il vient, et il masse, et il masse, et il masse... Et c'est la seule personne qui arrive à me soulager, à me faire passer la crise. Moi je le fais, et ça me sert à rien, mis à part me graisser les cheveux, et que j'ai la zone, là, complètement givrée, mon conjoint essaie, ça marche pas, mon fils, ma mère... y a que mon père. Il fait rien, il ne parle pas. Il ne parle pas. Il pose pas la question « est-ce que ça va mieux » ou quoi que ce soit, en général c'est toujours la même chose, je suis assise sur la terrasse, il est derrière moi, il fait ça avec un doigt, il met du camphre, comme ça, là et il masse, comme ça (elle mime, en silence). Et comme il appuie dessus, y a cette sensation de soulagement, ça fait encore plus mal et ce moment où ça fait moins mal, ça passe en dessous, c'est hyper bizarre.. et j'ai toujours dit à mon père « il faudrait que j'aie ton doigt, avec moi » parce que c'est le seul qui me soulage, et c'est le seul, je vais pas dire, que j'accepte, parce y a des fois il me dit viens, je vais te masser, et je lui dis non, je vais me faire la piqûre, ça ira plus vite, il me dit écoute, si je peux t'économiser une piqûre. C'est la seule personne contre qui je ne lutte pas, parce que je sais qu'il va me soulager. Alors ça va me prendre 20 minutes. Et ces 20 minutes de massage sont pas hyper agréables, mais c'est pas désagréable. Et il parle pas, il parle pas, non, parce qu'il sait qu'en général pendant la crise on serre les dents aussi parce ça fait mal – y en a plein ils se sont cassé les dents au cours des crises – mais il parle pas. Et paradoxalement aussi, c'est pareil, je suis assez immobile. C'est-à-dire que je suis comme ça *, je bouge pas, je fume une clope ou pas, et puis au moment où je commence à bouger il me dit tiens ça va mieux. Et je sais qu'à ce moment-là la crise elle est partie. Parfois ça revient une heure après parce que ça a pas été suffisant, mais des fois elle revient pas. Voilà. C'est le seul. Bon j'adore mon père, peut-être que ça joue... mais j'adore mon conjoint aussi, et ça marche pas (rires) Donc oui, pendant la crise faut pas... faut pas. C'est toujours le gros problème des mamans célibataires, c'est qu'il faut gérer la crise et gérer les enfants. Ils ont toujours besoin de quelque chose pendant la crise. C'est pour ça que les mamans s'en veulent en général beaucoup, parce qu'on a des comportements avec les enfants en bas âge qui parfois sont disproportionnés et qu'on regrette instantanément. Mais la douleur elle est tellement intense que je pense qu'elle rend fou, elle rend fou sur le moment. Le fait de se taper la tête avec un marteau, faut être fou. Le fait de sortir pieds nus et de marcher dans la neige, faut être fou, c'est pas un comportement normal. Des comportements comme ça, y en a plein (..) C'est difficilement descriptible pour quelqu'un qui l'a pas vécu, sans dire qu'il y a pas d'autres maladies qui occasionnent d'autres douleurs... Je préfère accoucher... toute la phase d'avant la péridurale, les contractions et tout, c'est hyper douloureux, mais je préfère accoucher parce que dans l'accouchement il y a une finalité, une finalité qui est positive... bref. Chaque accouchement m'a fait vomir tellement la douleur était forte, et les contractions étaient fortes (..) mais je préfère l'accouchement à cette douleur de... à la douleur de la tête. Et pour moi, de mon point de vue à moi, je l'explique parce que 167
psychologiquement cette douleur-là ne sert à rien. Elle est injuste, elle ne sert à rien, elle détruit les gens, petit à petit, elle détruit le moral, elle détruit les relations, elle détruit, de par les médicaments qu'on est obligés de prendre, elle détruit d'autres organes, etc... Elle est destructrice, elle est injuste, et il y a aucune finalité. Dans l'accouchement il y a une finalité ce qui m'aide à me dire « je préfère la douleur de l'accouchement ». Et en termes de... l'accouchement en plus, c'est des douleurs qui montent, toutes les deux minutes, qui sont intenses intenses intenses, et qui redescendent. Celle-là, elle est pas comme ça, elle est constante, y a pas cette notion de douleur pulsatile comme dans la migraine, qui va durer trois jours avec des pointes et des mieux, c'est vraiment deux heures de douleur non-stop, ce qui fait qu'après une crise ou quand on les enchaîne de façon vraiment rapprochée, on est vraiment épuisé. Dans l'accouchement, même si ça dure 24h, y a quand même des moments d'accalmie et je pense que ça doit jouer.. en plus moi j'accouche vite à chaque fois, donc c'est moins long qu'une crise.. Elle est injuste, elle tombe comme ça sur des gens, femmes, hommes, enfants, vieux, adultes, peu importe, elle tombe comme ça sur des gens du jour au lendemain, pour moi, sans explication. Parce qu'on a tous essayé de trouver des choses communes, dans l'enfance, enfin des choses physiques, hein, des traumas, ou alors des chocs psychologiques, et on n'en a jamais trouvé, donc pour le moment pour nous, on considère qu'elle touche à l'aveugle, c'est comme ça, qu'elle, euh... je vais dire quelque chose de certainement très con.. Tu vois, une maladie grave - pour nous une maladie grave c'est une maladie mortelle, pour d'autres personnes, la notre c'est une maladie grave, moi je considère qu'une maladie grave, c'est le SIDA, le cancer, vraiment les maladies qui font que, on vous maintient en vie et on meurt. Ces maladies-là elles touchent aussi au hasard, enfin pas forcément, bon, y a des gens qui ont un cancer du poumon alors qu'ils sont fumeurs ou quoi que ce soit, mais il y a des gens qui ont un cancer du poumon alors qu'ils ont jamais fumé. Donc c'est des maladies qui tombent de façon injuste, mais il y a une finalité, c'est la mort. Donc la personne qui, un jour, est diagnostiquée du cancer ou du SIDA, sait que, grâce à une trithérapie, une chimiothérapie, une radiothérapie, va vivre un peu plus longtemps, mais à un moment, mis à part la rémission du cancer, sait qu 'elle va mourir. C'est un peu dur ce que je vais dire. Donc on a été choisi au hasard, mais la finalité c'est « tu es malade, donc tu vas mourir ». Nous, dans notre cas, c'est « tu es malade, mais tu vas pas forcément en mourir ». Donc c'est-à-dire que ça va tomber au hasard, c'est un couperet comme ça qui tombe, sur des gens bien, sur des gens moins bien – enfin.. qui est-on pour juger de qui est bien ou pas ? - et surtout tu vas pas en mourir. Tu vas souffrir, tu vas souffrir, le plus longtemps possible, le plus longtemps que tu vivras – aujourd'hui l'espérance de vie s'allonge donc génial, tu vas souffrir longtemps, et ça n'a aucune finalité, c'est-à-dire que ça ne détruit pas, je parle pas des traitements ou de la neurochirurgie, ça ne détruit rien, tu souffres. Dans le cancer, y a une destruction des organes, des tissus, là tu ne détruis rien, c'est juste une douleur au quotidien, c'est un peu comme la fibromyalgie (..) c'est des maladies qui ne servent à rien, qui ne font pas mourir, qui font juste souffrir. Le cancer fait mourir, et l'un des éléments qui tournent autour de la maladie, c'est la douleur. Nous on souffre.. pour rien. C'est même pas prévu qu'on meure à la fin. Donc vraiment ce sentiment d'injustice, parce que ça tombe à n'importe quel moment, et la maladie qui se déclenche, et les crises qui arrivent par la suite, même si on a repéré les écrans d'ordinateur qui se rafraîchissent pas assez rapidement, le cinéma, l'alcool, l'altitude, la phase d'atterrissage en avion, donc on a des éléments déclencheurs, mais je sais pas pourquoi moi de temps en temps, je morfle deux fois plus que d'habitude. Je pense que le combat au quotidien contre cette douleur est épuisant pour le corps.. 168
Nous, on a schématisé une autoroute de la douleur. Quand la crise arrive sur cette autoroute, elle a 4 voies, elle est à 180, elle fait ce qu'elle veut. Si tu prends l'Isoptine, tu réduis l'autoroute à trois voies. Si tu prends Imiject et 02, tu réduis à deux voies. Et si tu traites la crise dès qu'elle arrive, c'est-à-dire que tu lui laisse pas le temps de s'installer, il lui reste plus qu'une voie, et elle peut pas s'éclater autant la douleur, c'est-à-dire que elle peut pas te détruire autant que si elle a 4 voies. Donc les gens qui laissent s'installer la crise comme j'ai fait à une époque, la douleur s'installer pour se dire « peut être qu'elle va partir, peut être qu'elle va pas s'installer pour cette fois », sont des gens qui souffrent plus. Il ne faut pas laisser cette douleur s'installer, parce que ça épuise le corps de lutter contre la douleur. Ca épuise l'esprit. Moi je l'ai vu en 2009, lorsque je faisais six à sept crises par jour, à la quatrième crise de la journée, j'en peux plus, je pleure, de désespoir, de fatigue, de déprime parce que je me dis putain, j'ai déjà morflé trois fois aujourd'hui, quoi. Et puis en plus, en général des crises on en a souvent la nuit et le fait d'avoir eu le sommeil interrompu à 2h, à 5h à 7h, ça nous met dans des états de fatigue pas possibles. Après, y a d'autres choses qui fatiguent, par exemple l'Isoptine, là je suis montée à 4 cachets, là je le sens, parce que je m'endors n'importe où, n'importe comment, je suis ultra fatiguée, mais quand on laisse la crise et qu'on la soigne pas, ça dure trois heures, c'est une dépense d'énergie et à mon avis la dépense calorique elle est pas mal aussi, ça détruit la forme physique, et ça détruit le mental. Y a des gens qui ont un mental d'acier, mais quand on a sept crises par jour... Quand on a sept crises par jour, la vie professionnelle, la vie familiale, la vie sociale n'est plus normale, on est aussi détruit psychologiquement. Pas complètement puisqu'on peut se reconstruire, mais je me mets dans le cas des chroniques sévères pharmacorésistants et qui font le moindre effet secondaire de chaque traitement, je sais pas comment ils tiennent le coup. Y a des gens, je leur ai dit, moi j'aurais craqué depuis longtemps. J'estime moi ne pas avoir de mérite parce que j'ai une une année noire sur 12 ans où je savais pas si j'allais m'en sortir, le reste du temps je suis tranquille 4 mois, quand au bout de 4 mois la douleur revient, quand la douleur commence à se montrer j'ai toujours ce même sentiment d'une baffe psychologique où je me dis « ah, non, putain, ça revient... », alors que je pensais avoir fini. Et pourtant une des clefs c'est de ne pas se dire qu'on est guéri. Parce que quand on se dit qu'on est guéri, quand ça revient c'est encore plus euh.. encore plus destructeur parce qu'on est déçu.
AVF depuis 12 ans Ttt de fond par isoptine, ttt crise par imiject ou oxygène Début d'épisode au moment de l'entretien (a récemment augmenté l'isoptine) Présidente de l'AFCAVF Divorcée, vit en concubinage avec un nouveau compagnon, 2 enfants Vie professionnelle très active Entretien réalisé à mon domicile
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vii.
KTE
Je me souviens, y a une crise qui m'a beaucoup marqué, pour plusieurs raisons, d'abord à cause de son intensité, telle que l'Imiject n'a pas fonctionné, à ce moment-là je n'avais pas encore d'oxygène. C'était il y a environ 6 ans, oui c'est ça, oui, puisque c'était au printemps, oui, c'est ça. C'était dans la région d'Annecy, chez moi, dans ma chambre, je m'étais isolé, y avait ma compagne dans la pièce d'à coté. Je m'étais isolé comme habituellement.... C'était en journée, en fin d'après-midi. Je me souviens pas vraiment ce que j'étais en train de faire, je crois pas que j'étais dans un moment d'activité, vraiment. Je crois que je devais discuter avec mon amie. Voilà. Les premiers signes sont arrivés. Ca commence par des sensations, des sentiments on va dire électriques, comme ça, sur l'oeil et la tempe, ça se met à irradier. C'est très lent, ces signes, qui sont d'abord à distance les uns des autres. Et grâce à ces signes, je sens si c'est une crise qui va nécessiter une injection ou pas. Là, dès les premiers signes, je sens qu'elle va être forte. L'intensité de ces signes est plus précise, plus rapide, et plus forte. C'est l'impression d'une décharge, d'un courant électrique basse tension sur la face gauche, très très précisément sur la tempe, et l'oeil. C'est une image, bien sûr. C'est... ce sont des petites piqûres, c'est pulsatif, et ça se précise. Avec, euh... Peut-être que je parle de sensations électriques à cause d'un son que ces signes me semblent émettre. En fait c'est mon oreille, moi qui perçois ces transformation dus à cette activité neurovasculaire qui change. Mais, oui, j'entends un son, un bourdonnement électrique. (ce jour-là) les signes sont plus évidents, plus rapprochés, et ça, ça veut dire que c'est une crise forte qui va nécessiter une injection. Je m'y attends, en fait. Je suis dans une période où j'ai six crises par jour, elles surviennent quasiment à heures fixes, donc oui, je me prépare depuis un moment... je suis entre deux crises. Je préviens ma compagne « je vais avoir une autre crise ». Comme ça elle peut se préparer elle-même car c'est très désagréable pour l'entourage, et elle va aussi savoir que je vais m'isoler, et qu'il faut pas me déranger, le temps, soit que la crise arrive à son terme, soit que l'Imiject fasse son effet. D'abord il y a un réflexe de pudeur, on n'a pas envie de se montrer en souffrance devant quelqu'un, même si c'est quelqu'un avec qui on tisse une relation intime. Et puis, on sait jamais... On sait jamais à quoi va ressembler la crise. On prévoit. Mais il y a toujours des crises qui sont... qui ressemblent pas à d'autres. Et puis bon y a le fait que je supporte plus la lumière, je supporte plus le bruit, donc voilà je vais m'isoler pour ces raisons. Je vais me faire une injection, c'est pas très.. Y a des crises qui peuvent être vraiment plus fortes que d'autres et induire une modification de notre comportement. Et c'est le cas ce fameux jour. La crise survient dans un contexte classique, j'attends la crise, c'est une crise d'intensité forte, je me fais l'injection de sumatriptan au bon moment, vraiment en amont de la douleur, et j'attends. Que le sumatriptan fasse effet. Donc je suis assis sur mon lit, et la douleur monte, s'intensifie. J'ai toujours les mêmes gestes, automatiques. Former des cercles avec mes doigts, sur ma tempe (il mime). Je sens de plus en plus l'agitation monter, et j'attends les effets du sumatriptan. L'agitation se manifeste par le désir de bouger. Là je suis assis, et j'aimerais bien me lever. 170
Mais là, je suis dans une petite chambre. Alors je peux me lever, mais... j'ai deux mètres carrés pour m'agiter, donc il vaut mieux pas que je prenne ce parti, parce que ça va pas fonctionner. Donc j'attends toujours que le sumatriptan fasse effet. Généralement il fait effet chez moi trois à cinq minutes, donc c'est très très rapide. Mais même si ça peut sembler rapide comme période, quand il y a une très grosse montée de crise, ben une minute de douleur ça fait vraiment beaucoup finalement. Et là je me rends compte que le seuil temporel auquel le sumatriptan fait effet est dépassé, et qu'il n'y a aucun soulagement. Ca veut dire que, heu, ça va être un moment très très difficile à passer, que je connais. Que la crise va aller à son terme. Qu'elle va monter, pendant 40 minutes, jusqu'à son paroxysme et puis qu'elle va descendre, pendant 10 minutes - ¼ d'heure, petit à petit, et qu'il y aura rien pour me soulager. Que je vais en passer par... Que ça va être très long, très difficile, que ça fait longtemps que j'ai pas eu de crise que l'Imiject n'a pas soulagé. On s'habitue très très vite, au soulagement par l'imiject, on finit par devenir, AVF souffrant, mais ne souffrant plus. Même à ce moment-là où j'avais pas de traitement de fond, de toutes façons j'avais décidé que je voulais pas souffrir, donc j'avais 6-8 crises par jour, bon si j'avais 8 crises je faisais pas 8 piqûres, j'en faisais que 6, les crises du matin sont moins fortes que celles du soir, j'arrivais à gérer... Mais de toutes manières je souffrais plus, j'avais plus que des débuts de crise, soulagés par l'Imiject, donc en fait la maladie réelle, enfin la souffrance réelle, étaient éloignées, dans mon souvenir. Et là, là c'est pas le cas, on est... comme précédemment, comme avant les triptans... donc on est seul face à la crise, enfin non, pas seul, parce qu'il y a ma compagne à côté, qu'elle souffre horriblement de me voir souffrir, et donc j'essaie de pas lui montrer que ça marche pas. Elle est dans la pièce d'à côté, je l'entends, je sais où elle est, quoi (très ému). C'est vraiment douloureux, parce que j'ai pas envie qu'elle souffre à cause de ça, j'essaie de la raisonner, rien n'y fait. Et donc, là, je suis en train de prendre la décision de me séparer d'elle, au moins jusqu'à la fin de ce cycle de crises, parce que ça va pas être possible. Parce que ça va nous faire du mal à tous les deux, et que... c'est pas un truc qu'on peut affronter en couple, ou en tous cas dans ce couple. Donc, heu, j'y pense rapidement, ma décision elle est prise en quelques secondes, ça me traverse l'esprit, voilà. Dans la douleur, le cerveau il fonctionne très vite, on n'a pas beaucoup de doutes. Face à des, euh... On réagit. Je sais pas. J'ai l'impression que cette maladie je m'en débarrasserai pas, qu'elle va continuer à me bouffer ma vie professionnelle et sentimentale jusqu'à la fin de mes jours. Je constate ça avec le plus grand des désespoirs mais je vois pas comment ça peut s'améliorer, puisqu'à chaque fois ça revient, et que je parviens pas à vivre ça avec d'autres, avec les autres. Je peux pas accepter de faire souffrir quelqu'un d'autre à cause de ça, à cause de ma maladie, et en plus j'ai vraiment, vraiment, vraiment pas envie qu'on me voie dans cet état. C'est pas possible. C'est pas possible. C'est pas supportable. C'est pas supportable (silence). A 6-8 crises par jour, sans traitement de fond, y a pas beaucoup de vie, hein. Quand on prend autant de sumatriptan, les effets secondaires sont vraiment importants. On peut pas dormir. On est tout le temps en manque de sommeil, en fait, les crises interviennent quasiment à chaque endormissement, et on est tranquille une heure et demi après chaque Imiject. (si on me voyait à ce moment-là).. il me voirait (sic), moi, et ça rajouterait à ma douleur. (silence). Je supporte pas la présence des autres pendant une crise. Je supporte pas quoi. J'ai un besoin d'isolement absolu. Vraiment je n'y arrive pas. J'ai pas besoin d'être très loin des autres, mais il me faut une distance, il me faut.... Ouais. (silence). C'est moi qui le vis, pas les autres. Et aussi bien ma compagne, qui le vivait très mal, ou mon père, que ça rendait extrêmement malheureux. Ben c'était pas possible, par exemple mon père, je lui ai menti 171
pendant des années, je lui disais que j'avais plus rien. Donc voilà, ce sont les deux choses : ne pas faire souffrir les autres, et ne pas souffrir devant les autres. Donc je suis dans la chambre, ça a traversé mon cerveau, voilà, la décision est prise. J'essaie de ne pas m'agiter, je suis toujours assis au bord du lit. C'est le mental, c'est tout, t'essaie de te contenir. Mais ça ne marche pas. Ca ne marche pas, je me lève brutalement, je m'agite, je me prends la tête dans les mains, je me frotte de plus en plus les tempes, je suis pas loin du pic de crise, la douleur est vraiment épouvantable. Même si c'est idiot cette histoire d'échelle de douleur, de 1 à 10, je dirais qu'en intensité, je suis vraiment au maximum. Je suis vraiment au maximum. C'est une douleur que je peux tenir peut être ¼ d'heure, mais après, euh, mais après non, c'est pas possible, je.. je.. il faut que la douleur s'arrête, hein (il fait non de la tête). Là dans ces cas-là on pense vraiment à se tuer, c'est pas possible. On est au-delà du seuil de douleur acceptable. Et donc là, je suis vraiment à la limite. Et là j'essaie de.. J'ai une réaction très très violente, je donne un coup de poing dans la porte, que je traverse en partie (silence). Donc ça effraie mon amie à côté (silence). Qui panique. (silence). Et moi je suis dans un moment où vraiment je peux pas lui expliquer, il faut qu'elle comprenne par elle-même quoi ; et elle comprend pas, elle ouvre la porte et, euh... et c'est dramatique parce que je veux pas lui crier dessus, mais faut pas qu'elle fasse ça... Je, je lui crie de sortir, de fermer cette porte, et elle elle veut comprendre, c'est un dialogue de sourds absolu. Et je finis par sortir parce qu'elle elle parvient pas à se raisonner, et je cours, je sors dans le jardin, et par le jardin j'accède à la campagne et je pars en courant, et je cours jusqu'à ce que la crise, euh... s'arrête. Pendant que je cours il y a beaucoup de pensées, je me dis que voilà, tous les trois ans il va falloir que je reconstruise ma vie, et affectivement, et professionnellement. Que c'est un truc qui revient sans cesse, et qui détruit tout. (silence) Je me dis que c'est bien difficile à accepter, mais, on verra, quoi. On verra si je suis capable de le supporter encore ces douleurs, ou pas. Et je cours, ouais. Je cours. Ca me fait beaucoup de bien, ouais. De toutes façons, l'agitation apporte une amélioration. La douleur baisse sensiblement. De toutes façons, là j'ai atteint mon pic de crise, je suis déjà en train de redescendre. Mais oui, ça aide beaucoup. Ce que je ressens, c'est que, en mouvement, en mouvement intense, ma douleur baisse. Il s'agit pas de bouger une partie du corps en particulier. C'est pas localisé. C'est un besoin irrépressible. De se lever, et de laisser libre cours à son agitation physique. Qui est assez systématique, hein, comme je disais moi j'ai tendance à me frotter les tempes, à baisser la tête de haut en bas, un peu comme, comme peut le faire, euh, je sais pas, un autiste parfois, avec un mouvement de balancier. Et puis je tourne en rond, c'est-à-dire que je me sers de l'espace libre que j'ai à ma disposition et je vais le remplir, c'est-à-dire que je vais aller aussi loin que je peux, faire des aller-retours, tourner en rond, essayer de me trouver un parcours qui me permette de ne pas m'arrêter, de garder mon activité physique. Donc une fois que je vais me trouver dans un espace, je vais garder toujours le même, jusqu'à ce que ça s'arrête. Ce jour-là j'ai couru jusqu'à un endroit où je vais me promener en vélo, qui doit être à 2-3 km de chez moi, ouais, à peu près. Voilà, et après je marche. Je m'arrête pas, je passe de la course à la marche et je fais un grand tour parce que... A partir du moment où je marche, la douleur a quasi disparu. Donc là c'est un moment très très très très très agréable, parce que non seulement le seuil de douleur baisse, mais qu'en plus notre corps fabrique une endomorphine, donc là je sais que dans quelques instants je vais éprouver un sentiment de bien-être physique quasi-absolu - et 172
bien mérité – et que j'ai intérêt à en profiter, parce que ça va pas être long. Je suis très très très content, soulagé... Je respire à nouveau normalement, il faut savoir que pendant toute la durée de la crise, on change totalement de respiration, elle devient extrêmement forte. On est dans un moment de grande sérénité, d'autant plus absolue qu'on sait que ça va être très court. (pendant la crise) On respire fort. On est dans une situation de stress, douloureuse, on est agité, donc on a besoin d'une grande quantité d'oxygène, donc on se met à haleter, on peut même le faire de manière artificielle pour soulager la douleur, oui, y a des techniques de respiration qui permettent d'améliorer le ressenti. Moi je suis toujours dans le systématisme. J'ai des automatismes au déclenchement des crises, et j'ai des automatismes à l'arrêt de celles-ci. Par exemple à chaque arrêt de crise, je vais allumer une cigarette. C'est une espèce d'énorme récompense, et c'est, enfin c'est la meilleure cigarette que t'as jamais fumé de ta vie, c'est vraiment impressionnant quoi. Et, ben je suis parti précipitamment, j'en ai pas, donc je sais que je vais fumer une cigarette... Y a pas mal de pensées qui se bousculent, j'essaie de profiter de ce moment, quand même, de ce moment d'apaisement, mais je sais très bien qu'avec ces décisions que je viens de prendre, il va falloir que j'explique, tout ça... Et puis il y a ce truc implacable, que je ne parviens pas à maîtriser... Un cycle complet de crises c'est pas possible, j'y arrive pas, il y a toujours un moment où mes résolutions partent en lambeaux et je ré-éprouve ce besoin absolu, irrépressible, d'isolement total. Les résolutions c'était de vivre cette période de crise avec cette femme, avec qui j'en avais beaucoup parlé en amont, et le constat, le constat c'est un échec. Ce n'est pas possible. Je suis dans des choses très très concrètes. Va falloir que je m'explique avec ma compagne et que... soit moi soit elle, partions. Des choses très simples. C'est pas spécialement gai, c'est culpabilisant parce que je sais très bien que je vais lui faire du mal, et puis surtout c'est extrêmement décevant, parce que j'en arrive toujours au même point. Et que j'ai beau élaborer des stratégies, la maladie me dépasse. J'ai un très très fort sentiment de culpabilité par rapport à mon accès de violence. Je l'ai eu tout de suite, et encore bien plus avec le recul, après la crise. Oui, après la crise. Après. J'ai fini par avoir le traitement conseillé à absolument tout le monde, donc Isoptine, oxygène et Imiject dans le traitement de la douleur. Et l'oxygène je trouvais ça quand même très contraignant, on n'arrête pas de te livrer, t'en surconsommes, je me suis endormi plusieurs fois avec, enfin bref, c'est pas très pratique. Et puis, c'est pas non plus 100% efficace, le plus souvent ça permet de repousser la crise, d'éviter une injection, c'est pratique, mais bon. Je suis parti donc de ce principe que l'O2 me faisait du bien, que j'étais en surventilation, et que ce qui me faisait du bien pendant les crises, c'était de m'agiter. En fait, j'ai lié les deux, je me suis acheté un rameur, et je l'ai utilisé exactement comme j'ai utilisé l'oxygène. Je me souviens très bien d'une crise, un matin, où je me suis dit « celle-ci va être forte mais je fais pas d'Imiject ». Je m'y mets tout de suite, dès les premiers symptômes je me suis installé sur le rameur, et je monte en cadence, pendant que la crise elle-même montait en intensité. Je me disais que j'allais être plus fort que la crise, plus fort que la douleur. Que j'allais réussir à, non pas éliminer la crise, mais éliminer le ressenti de la douleur. Et ça marche. Ca a marché. Ca prend du temps, faut vraiment y aller, faut tirer très très fort, mais passé un certain rythme cardiaque, je constate que ça fait sensiblement les mêmes effets que l'oxygène. C'est-à-dire que, sur un ressenti, toujours sur cette échelle de la douleur, une crise qui valait 8 elle va descendre à 3. 173
C'est une course contre la montre. Je sais que pour qu'une crise elle monte vraiment beaucoup en intensité, il faut en gros un quart d'heure. Donc le but c'était de réussir à ne pas se claquer tout de suite et pas pouvoir tenir la distance, donc il fallait que dans les dix minutes un quart d'heure, mon rythme cardiaque soit passé au dessus de 120 et que je me prépare à aller jusqu'à 160-180 sur une durée relativement longue. Donc voilà, c'est de la gestion de l'effort. On se concentre sur des choses extrêmement simples, on essaie d'être très pragmatique, vraiment. On est attentif, au temps. Une crise ça se calcule en temps. Moi j'ai des durées de crise extrêmement précises. Ca dure plus ou moins 45 minutes, mais pas à dix minutes près, à deux ou trois minutes près. Là c'est simple, j'ai un cadran avec mon rythme cardiaque, l'heure et le nombre de battements qui s'affichent en permanence. « Là ça fait une minute de plus. Ca fait une minute de moins, en crise, c'est toujours ça de gagné, quoi ». Moi je passe mon temps à regarder l'heure, ça me permet de savoir où j'en suis, en intensité de crise ou en durée. Donc oui, je passe mon temps à regarder l'heure. On le sent, quand c'est bon. Toujours de la même manière, y a des symptômes de relâchement de pression. Il m'est arrivé d'avoir l'oreille qui faisait « plop », comme un changement de palier, ou quand on monte un col en montagne, voilà, une différence de pression, tout d'un coup y a le tympan qui s'ouvre. C'est un signe très évident, là on est en train de voir la crise disparaître. A ce moment-là je me dis que ça marche, et que c'est un truc dans lequel je suis actif, enfin. Parce que bon, quand on se fait une injection d'Imiject ou quand on prend l'oxygène, on est passif. Là, non seulement je me fais du bien parce que je fais un effort physique, et en plus je passe ma douleur. Et, des tas de signes épouvantables comme par exemple les écoulements, et les larmes, là je les ai eux dans des proportions extrêmement faibles. Parce qu'il m'est arrivé, sous oxygène, d'être obligé d'enlever le masque pour me moucher, parce que sinon on en met partout. Et là, ben non. C'est assez propre, c'est assez constant. Et puis surtout il y a ce truc, là je lutte, je suis actif, ça fonctionne, je me laisse pas faire. Et c'est..c'est vraiment très plaisant parce que c'est quand même une maladie dans laquelle on peut pas faire grand chose. Donc oui, c'est très satisfaisant.
AVF épisodique Pas de crise depuis un an Pas de ttt de fond actuellement Célibataire, pas d'enfants Réalisateur de documentaires Entretien réalisé le 15 avril 2012 à mon domicile
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viii.
NE
Généralement, ce que je peux dire, la crise quelque part je l'attends. Comme c'est régulier et que c'est tous les jours, je l'attends. Elle va venir. Je regarde l'heure, je l'attends. A moto, je suis quelqu'un qui.. bon, je suis prudent, tout ça, mais je suis quelqu'un qui roule assez vite, parce qu'il y a un plaisir qui est lié à la vitesse. Donc généralement je n'ai jamais de crise à moto, parce que je suis dans un état, généralement, un peu de stress, et donc la crise elle vient jamais. Et je me rappelle donc ce jour-là, j'étais pas pressé, j'avais du temps, et je me suis forcé à rouler tout doucement. Je me suis dit « tiens, je vais rouler comme les autres usagers, je vais me mettre à 80-90. » J'ai roulé comme ça pendant dix minutes. Et j'ai senti la crise arriver, donc, c'est toujours.. euh.. à part que j'étais à moto, quoi. Juste avant je, contrairement à d'habitude, j'étais moins prudent, je regardais le paysage, j'étais vraiment tranquille, dans ma tête. Je me rappelle très bien la route. Je regardais ailleurs que la route, pour une fois. J'ai senti... le premier truc qui m'a gêné, c'est que comme j'avais le casque, et donc je pouvais pas atteindre les zones que spontanément je vais toucher, donc, le creux de l'oeil, l'arcade. Donc ça, ça m'a un peu gêné et en même temps je me suis dit « merde, pour une fois tu es tranquille, et tout, faut que ça t'arrive » J'ai roulé encore 2-3 minutes, le temps de faire 1km, 2km, la route se dégageait bien, j'avais passé un grand rond-point donc après un village que j'ai traversé tranquillement, mais avec la crise qui arrivait, la douleur de plus en plus forte, l'impossibilité de me masser l'endroit douloureux, dès que j'ai attaqué cette ligne, cette route où je sais qu'il y a une bonne ligne droite et tout, y avait cet énervement de la crise qui venait, à un moment où je voulais être tranquille en plus, c'était agréable juste avant, et là c'était plus du tout agréable. C'était énervant, quoi, voilà. C'était une colère. Je me disais que j'en avais marre de ces douleurs, qui reviennent tout le temps, tout le temps, et puis je sentais que ça allait être une forte, parce que je sens assez vite si ça va être une forte ou pas. Parce que le picotement est plus fort, l'agitation aussi. Ma première pensée, ça a été « je vais m'arrêter, je vais mettre de la menthe ». Et puis je l'ai pas fait, je me suis pas arrêté. Au lieu de ça, je me rappelle encore, j'étais en troisième quand je suis sorti du rond-point, je suis tombé en rapport, je suis passé en deuxième, et puis poignée en coin. Voilà. Vraiment énervé. Oui, dans la prise de risque, hein. Ca, je le reconnais. J'étais pas dans l'idée, je vais me planter, je vais avoir un accident, pas du tout, hein. Je sais pas en fait pourquoi. Dans l'énervement, j'ai fait ça, quoi. Hé ben j'ai monté la moto, pas à fond mais j'étais peut-être 180-200, j'ai doublé quelques voitures, je me rappelle y avait cette grande ligne droite qui remonte un peu, et de la gauche il est sorti une voiture d'un chemin, qui m'a coupé la route, en fait. Donc, debout sur les freins, hein, la moto qui se met... j'ai chassé de l'arrière, parce que au début j'ai pensé que je pouvais le doubler par l'arrière. J'y suis pas arrivé. La moto s'est mis en travers, elle a glissé par l'arrière, la voiture je l'ai doublée par la droite, à moitié entre le goudron et les gravillons. Donc je suis passé, je suis pas tombé. J'ai râlé, j'ai levé le poing comme quand on se fait couper la route, et en arrivant au rond-point suivant, juste avant Cavaillon, j'ai réalisé que la crise s'était complètement arrêtée. Net. Encore plus vite qu'un Imiject. En fait ça a du prendre 4-5 minutes (après le début de la crise). Parce que ça m'a pris, j'étais sur la route de Sénas, au rond-point, c'est là que je me suis énervé. Ca a du durer 4 minutes, ouais, c'est à peu près le temps qu'il faut pour que la crise s'installe et que je rentre dans les douleurs très fortes. 4-5 minutes. Au rond-point c'était déjà fort. J'étais pas au paroxysme, 175
mais j'étais déjà à 80% on va dire. (après l'accident, ce que j'ai ressenti) c'est la peur. Le coup de la peur, les jambes coupées, moi quand j'ai une grosse peur, c'est au niveau des jambes, j'ai les jambes qui se coupent. La colère, aussi, contre la personne. Mais, aussi la satisfaction de m'en être bien tiré, de pas avoir mis la moto par terre. Mais je pensais pas du tout à la crise, hein. C'est vrai que dans cet instant là.. J'ai pas réalisé tout de suite, j'ai encore roulé un bon kilomètre avant de réaliser que la crise avait disparu. Ca m'a fait un peu rigoler, il faudrait faire le con à chaque crise, quoi. Y avait ce côté un peu, là. Mais c'est tout, j'étais pas plus satisfait que ça, y avait pas une grande joie, comme je peux ressentir après un Imiject, ou... C'est difficile de décrire une crise en particulier, c'est toujours la même douleur, la même localisation.. la même agitation aussi. Et puis, quand la crise démarre, j'ai plein de trucs à faire, la menthe, faut que je m'occupe du café. Dans ma tête en même temps je me demande si ça vaut le coup de me faire un joint ou pas. La dernière crise c'était hier soir, c'était minuit et demi, mais bon j'avais pris la psilo, donc j'étais fatigué. J'en avais eu une pendant la montée, mais quasiment silencieuse, j'avais surtout eu le nez qui coulait, et l'oeil fermé. Et l'oeil pleurait, c'est assez rare ces dernières années, l'oeil pleurait, et au début je m'en suis surtout aperçu comme ça. Et donc j'en ai refait une c'était minuit et demi- une heure, elle était pas très forte. J'étais devant l'écran d'ordi, je me disais que... quelque part je l'attendais, j'avais envie d'aller me coucher, parce que j'étais fatigué. Heu... Bon après quand la crise arrive, c'est toujours pareil, comme une paresthésie au niveau de la face, après comme si ca ressortait à ce niveau-là, et après je me touche. Qu'est-ce que j'ai fait après ? J'ai pas pris de café, parce que c'était vraiment tard ; je me suis mis de la menthe, j'ai pas fumé parce que j'avais fumé pas longtemps avant, je me suis levé, j'ai marché un peu dans le salon, dans la maison, je suis revenu devant l'écran, elle s'est pas installé très très forte. J'ai fait comme d'habitude, j'ai pris la menthe, je me masse l'arcade, la tempe, en général je baille une fois ou deux, souvent je baille, ou avant, ou pendant, ou après. Heu... je me rappelle qu'elle a navigué un moment entre la pommette et l'arcade. Généralement, ça fait, arcade-tempe-pommette, et après à la jonction de la mâchoire, par là, et en général, ça s'arrête, mais des fois je fais des aller-retours, je fais arcade-tempe-pommette, et puis pommette, et ça reprend à l'arcade. Hier je me suis fait la réflexion. En général, quand c'est la pommette je suis satisfait, parce que c'est bientôt la fin, mais là ça a un peu repris à la tempe. Ca a été très court, ça a duré 15 minutes, peut-être 20. J'en ai fait une forte, au camping. C'était au mois d'août 2011, on avait combiné ces vacances-là, parce que d'habitude le mois d'août c'est comme janvier-février, c'est la période la plus calme de l'année. C'était une prise de risques, parce que j'allais au camping, j'avais pas d'oxygène, pas d'Imiject, j'avais juste un peu de cannabis, de la menthe et de quoi faire du café. Ca s'est super bien passé en général, mais je m'en suis quand même tapé quelques-unes de belles, quelques-unes de fortes, dont une en début d'après-midi. On avait mangé des steaks de taureau, donc de la viande rouge, je savais que j'avais pris un peu des risques. J'avais pas bien dormi la nuit d'avant. Il faisait chaud et lourd. Donc en remontant, on était descendus à la plage, il y avait un bon dénivelé, on marchait un kilomètre et demi. Donc, c'était à Esparron, je sais pas si tu connais, non tu 176
connais pas, c'est dans le Var. C'était après le déjeuner, il était une heure et demi de l'aprèsmidi. C'était trop tôt pour aller au soleil. Moi je reste tout le temps à l'ombre. Donc il y avait mon amie et mon fils, et moi je me suis pas... je me sentais pas bien, je voulais qu'on remonte, reboire du café. Mon fils, bon, il râlait un peu mais bon il était ok. On avait fini par reprendre le chemin. Et moi, je culpabilisais un peu, parce que je les entraînais. J'aime pas que ce soit la maladie qui dirige, et là, ça avait été un peu le cas parce que je me sentais pas bien, je savais qu'il allait y en avoir une. La chaleur, la grosse chaleur, la fatigue, ce mal-être. Y avait peut-être un peu de contrariété. J'avais accepté qu'on descende plus tôt que d'habitude, mais c'était peut-être un peu a contrecoeur. J'aurais aimé prendre un peu plus de temps, peut-être boire un autre café. J'aurais préféré rester au camp, entre guillemets, peut-être une heure de plus. On est descendus un peu trop tôt. J'avais cette contrariété, ce jour-là. Et puis ça a pas loupé, on a attaqué la montée, au bout de dix minutes de marche, quoi. J'étais essoufflé, les tempes qui commencent à battre. La crise elle était forte. La douleur qui s'installe très vite et très forte. J'ai rien fait. Je me suis mis la menthe, je l'avais pas mise encore. J'étais dans la montée. Je me suis concentré, ce que je fais souvent, je me suis concentré sur ma respiration pour m'hyperventiler. Je respire très fort, et très profondément, toujours en marchant. Ouais, on s'est quasiment pas arrêtés, quoi. Donc voilà, j'ai calé ma respiration à mon rythme de marche. J'ai marché un peu moins vite parce que je m'étais essoufflé avant. Je m'étais aussi essoufflé, parce que je me languissais d'être en haut. Je pensais pas qu'elle arriverait si vite, je me souviens de ça. J'étais surpris quand même de la vitesse qu'elle s'est installé. Et arrivé enfin en haut, j'étais naze, vraiment la douleur très forte. Les pensées c'est toujours les mêmes, la colère et le découragement mêlés. C'est désespérant, quoi. C'est, euh.. Et en même temps, je suis dans la lutte, je suis dans le combat, c'est un ennemi intérieur que j'ai... je me bats. Je tiens le coup, je résiste à la douleur même si j'ai quand même ce sentiment un peu de désespoir, d'abattement, en me disant « de toutes façons tu ne peux rien faire» mais quand même je me bats. C'est d'abord la colère, en premier, c'est la colère, mais la colère elle s'en va vite, parce que la douleur elle est trop forte pour garder la colère. Donc après c'est plutôt l'abattement, le désespoir. On est dans la douleur, dans le « j'ai mal, je veux que ça s'arrête, j'ai mal ». J'essaie de projeter ce que je vais faire pour que ça aille mieux, je pense à respirer, à la menthe, ou même fumer un joint. Je me donne toujours un petit objectif. « ah ben dans cinq minutes tu vas faire ça, dans dix minutes, tu seras arrivé, tu seras à l'ombre, tu vas pouvoir reprendre tes esprits, ou te mouiller ». On aimerait disparaître. On voudrait ne plus exister. On pense pas à la mort, je me dis jamais « j'ai envie de mourir », on voudrait être absent, je voudrais me projeter dans le temps à l'après-crise, c'est tout. La douleur on la subit, de toutes façons on peut rien faire. Je me projette dans les minutes qui vont suivre en me disant « ça va aller mieux ». Je me réconforte. C'est mêlé, c'est pas un état après l'autre c'est en même temps. Il faut bien s'accrocher à quelque chose, donc on cherche de l'automotivation, on cherche à se motiver, ouais. Je me rappelle de ce jour-là parce que c'était contraignant. C'est-à-dire, j'étais pas là où j'aurais du être. Je pouvais pas faire un café de suite, je pouvais pas rouler un joint tout de suite. Il y avait cette montée, il fallait absolument que je me la paye, quoi. A chaque pas, ça tape, ça tape. C'est fort, on aimerait pouvoir s'arrêter, être tout de suite à l'ombre, mais bon, là j'étais coincé. C'est pour ça que je me rappelle cette fois-là, parce que j'étais coincé dans mon truc. C'est plus difficile de projeter parce qu'il y avait cette montée, il restait un bon kilomètre à faire, il fallait le faire, hein. Je prends sur moi, je cale ma respiration forte, j'essaie de garder un bon rythme de marche, je cherche à me distraire, aussi, je regarde, loin, j'essaie de me distraire. Il y avait mon fils qui 177
marchait devant, donc je regardais ce qu'il faisait. En général il prenait toujours de l'avance pour pouvoir manger des mûres qu'il y avait sur le chemin, voilà, y avait mon amie qui me parlait. On essaie de faire s'évader la pensée. Mon amie savait que j'étais en crise, je lui avais dit avant d'être en crise, quand j'ai insisté pour qu'on remonte, parce que je savais que ça allait venir. Elle marchait devant moi parce que je préfère qu'elle soit devant. On parlait de choses banales, je sais plus de quoi on parlait, c'est surtout elle qui parlait. J'arrive à suivre, quand même. Je me maîtrise bien maintenant, j'ai appris, avec les années, de toutes façons. Ca se passe comme ça, la montée, oui, finalement ça a pas duré si longtemps, la crise elle était déjà moins forte quand on est arrivés là haut. Arrivés au camp, je me suis quand même fait un café, parce que l'objectif c'était quand même vite de me faire un café et de rouler un joint. Et pendant que je buvais le café et que je fumais, c'était déjà beaucoup beaucoup moins fort. C'était déjà diminué de moitié à peu près la douleur. Et à la limite, dans les dix minutes qui ont suivi, la crise a cédé. Quand la crise cède, c'est très rapide aussi, il y a une diminution de la douleur, et y a un moment où ça s'arrête net. Souvent on utilise l'échelle de douleur, de 0 à 10, là on va dire au pire de la douleur je suis monté à sept, il a fallu une vingtaine de minutes pour que je passe 76-5-4, et après ça passe de 4 à 0, le 3-2-1 il existe pas, en l'espace de quelques secondes. Après c'est la fatigue qui m'envahit. Une bonne demi-heure pendant laquelle je suis très fatigué. J'ai besoin de boire, aussi. Bon, il y a peut-être l'effet du cannabis, aussi, la fatigue et la soif. Mais même si j'ai pas fumé, c'est pareil, la fatigue, elle est pareil. Les crises très très fortes, c'est quand j'étais épisodique. C'est peut-être au début que c'étaient les plus fortes. Pourtant j'en avais qu'une par jour. Et encore, pas tous les jours, et c'étaient des épisodes courts, de 5 à 7 semaines, uniquement le printemps, au début. Mais c'étaient celles-là les plus terribles, je pense. J'avais déjà cet horaire de onze heures et quart le matin, c'était l'année où je reprenais le BTS, donc j'étais en cours, en fait, et c'était impossible que je reste en cours. Je me rappelle d'une fois où ça avait été particulièrement gênant parce que j'avais vomi en classe. Je disais même pas que c'était un mal de tête, je disais « je me sens pas bien, il faut que je sorte ». Je précisais même pas que c'était un mal de tête. Je sortais, j'allais aux toilettes, je vomissais, ça me soulageait de vomir, en fait. Un truc qui m'avait marqué, c'est pas très gai de parler de ça, hein, c'est que pendant que je vomissais j'avais pas de douleur. Donc, des fois, après avoir vomi tout ce que j'avais à vomir, je prolongeais, en fait. Je me forçais à revomir, parce que pendant que je vomissais, j'avais pas mal. Et après je me rinçais, tout ça, j'avais un vrai soulagement. A la limite , si la crise elle était à 9, après j'étais à 7, et après ça descend, ça décroit, ça décroît, et ça s'arrête net. Deux-trois ans après les crises étaient plus fréquentes, j'avais deux périodes dans l'année. Mais je vomissais plus, et puis les signes végétatifs ils étaient moins forts, j'avais plus l'oeil rouge, juste la paupière qui tombait. Parfois le nez qui se bouchait quand même, ça je l'ai toujours. L'oeil très rouge, je l'ai plus. J'ai toujours été très agité en crise, je peux pas rester assis, ça c'est sûr. C'est lié à la réflexion, c'est comme quand je téléphone, ça doit aider à mieux faire circuler la pensée. Je sais pas pourquoi, c'est dur à expliquer. Souvent je sors, les premières années, même s'il faisait froid, même si c'était la nuit, il fallait que je sorte, que je marche. C'est dur à expliquer. Des fois j'en ai en voiture, et là je peux pas marcher, je peux pas sortir, alors je me concentre sur la route, parfois je conduis un peu plus vite, un peu plus sportivement, on va dire, pour 178
bien occuper mon esprit. Parfois je joue au flipper aussi, pour bien m'occuper l'esprit. Ca m'oblige à pas pouvoir tenir la tête puisque les mains sont occupées... peut-être aussi que le travail des yeux pour suivre sur la bille, ça aide aussi, le fait d'être très concentré sur quelque chose, ça fait céder la crise plus rapidement. Bon, des fois je bloque la balle pour pouvoir me masser.. Le fait de se toucher, aussi, comment dirais-je, à la fois le fait de s'appuyer très fort à l'endroit douloureux ça stimule la douleur, ça rajoute de la douleur là où il y en a déjà.. et en même temps ça la soulage. C'est difficile à expliquer. Ca en rajoute, et en même temps ça la soulage. Je peux pas m'empêcher de le faire. Il faut vraiment que j'appuie, et il faut que j'atteigne une certaine douleur de pression, quoi. C'est une pression qui fait mal. Mais c'est une douleur bonne, c'est une douleur qui fait du bien. C'est bizarre, hein ? La tempe aussi, des fois j'ai très très mal à la tempe, et il faut que j'appuie très fort. Mais je peux pas m'empêcher de le faire, c'est comme si j'arrivais à faire se rejoindre les deux douleurs, et que finalement ça les neutralise. Le premier Imiject, je me rappelle, bien sûr, c'était énorme. Le premier Imiject, je sais pas pourquoi, mais on le fait pas tout de suite. D'abord, y a tout ce qu'il y a autour de l'Imiject, c'est une piqûre, la piqûre, ça peut être aussi la drogue, c'est dangereux, c'est grave, aussi... On en est à se faire une piqûre, c'est grave. Et bon, on aime pas se sentir malade gravement. Donc on la repousse, on la repousse, jusqu'à ce qu'il y en ait une vraiment trop forte et on se dise, allez, je vais essayer. Bon, on m'avait un peu prévenu qu'il fallait être assis pour le faire, alors c'est ce que j'ai fait. En plus, je me suis trompé de côté, je me suis piqué à l'extérieur de la cuisse, donc en plus ça m'a fait mal, mais j'y suis allé décidé, quoi. (rires). En plus, j'ai appuyé fort, avec l'injecteur, j'ai gardé le rond, là, pendant pas mal de temps, j'ai saigné, aussi, j'avais vraiment appuyé fort. C'était une crise forte, ça faisait bien dix minutes que j'avais mal. Ca faisait plusieurs jours que je culpabilisais de pas le faire, ça faisait plusieurs jours que j'en parlais sur le forum, les gens me disaient « ben oui, faut le faire, faut y aller », donc c'te fois-là la crise était plus forte que les autres jours, et je me suis décidé, je suis monté, quoi. Je me suis assis au bord du lit, j'ai d'abord piqué, j'ai attendu un peu, mais au début je sentais rien, il se passait rien, j'avais juste mal à la cuisse. J'ai essuyé un peu le sang, et d'un coup j'ai eu cette grosse chaleur dans le ventre, chez moi ça se localise comme ça, j'ai eu cette grosse chaleur, et ça diffuse, ça part vraiment de derrière le nombril et ça diffuse, très vite, en une minute, ça prend tout, j'ai très chaud partout, et aux jambes, et aux bras, et à la tête aussi. Et donc à chaque fois je ferme les yeux, j'arrive pas à rester les yeux ouverts. C'est quand même un bon truc fort, hein. Quand je ferme les yeux j'ai toujours cette couleur très claire de la douleur, que je localise vraiment dans le crâne, quoi, et puis après cette vague bleue, cette vague sombre. La première couleur c'est jaune orangé, c'est très vif, très lumineux, j'ai les yeux fermés, elle est de partout, elle est dans la tête, comme un soleil comme si j'avais un soleil dans la tête. Ca prend toute la place, il y a des zébrures, des scintillements, qui sont plus vers le blanc, mais ça reste toujours très clair et très vif, dans le blanc, des fois c'est un peu dans le vert, ou bleu très clair, bleu très vif, un peu comme ça, quoi (il montre un dessin bleu sur la nappe). Et après, une fois que la chaleur elle est montée partout, y compris dans la tête, là c'est l'inverse qui se passe, quelque chose de frais. Pas froiddésagréable, c'est frais et agréable. Il est autour, c'est pas au centre de la douleur, il est périphérique, quoi. Il est autour, et ça gagne, ça se concentre vers le centre, et ça fait disparaître le jaune, quoi. C'est bleu-noir, vert très foncé, c'est un bleu très sombre... Et en même temps il n'y a pas que la couleur, il y a la consistance, la fluidité, c'est pas comme de l'eau, comme une mousse, une 179
forme de mousse... un truc doux.. Le jaune il est plus aérien, il a pas de matière. Il est comme du feu, quoi. Et il y a la mousse, qui vient de tous les côtés, et en même pas une minute de temps, ça dure même pas une minute entre le moment où je sens que la mousse arrive, et le moment où elle a tout recouvert , et au moment ou ça a tout recouvert, je réalise que j'ai plus mal. A ce moment-là je pense qu'à ça, je suis attentif à rien d'autre. Le sentiment que j'ai eu c'est « mais c'est génial ce truc, c'est génial, ça marche ». J'étais vraiment super content, quoi. Et puis après, à peu près une minute après, c'est cette sensation de jambes coupées, et puis après les bras, et le cou, j'arrive plus à tenir ma tête. Je m'étais mis comme ça, les bras sur les genoux, et je tenais ma tête, et je me suis dit, je vais pas y arriver. Je me suis allongé sur le lit, sur le côté, et là je suis resté KO une bonne demi-heure. Après j'étais juste fatigué, j'avais juste mal au point d'injection. Plus tard, j'ai eu des effets secondaires respiratoires, à peu près au bout d'un mois. Une fois que la crise est passée, que tout est recouvert, j'ai les jambes coupées, je pourrais pas rester debout, je peux même pas imaginer d'avoir été debout avant, et ensuite, ça vient les bras, rien que relever le bras, c'est très très difficile, et après le cou, je peux plus tenir ma tête, donc à ce moment-là je m'allonge, ou je me laisse tomber dans un fauteuil, et après je perds le contrôle de ma respiration. J'ai l'impression de manquer d'air, donc je me force à respirer, et j'arrive pas. J'arrive pas à remplir mes poumons. Et là j'ai une panique terrible qui m'envahit, là j'ai vraiment la trouille... Carrément là les jambes elles finissent de se dérober, déjà que je les sentais plus beaucoup, Un peu, presque l'envie d'uriner aussi, la pétoche, c'est vraiment la peur, la grosse peur qui m'envahit, tout s'assombrit, et je tombe dans les pommes. J'ai des sueurs, ça oui, des grosses sueurs, mais je les ai déjà avant... déjà quand les jambes commencent à se couper. Déjà avec la grosse chaleur, j'ai très chaud, déjà un peu de transpiration, et quand les jambes se coupent je sens que la sueur elle devient froide, j'ai un peu des frissons. Quand j'ai du mal à respirer, je sens pas que je vais tomber dans les pommes, jamais je pense à ça, je pense que je vais mourir, là, que je vais jamais réussir à respirer, parce que c'est long quoi, une minute, la minute elle est éternelle... c'est facile de respirer, mais quand on n'y arrive pas, qu'on essaie et ça vient pas...C'est tout bloqué, quoi... Le poumon c'est un bloc, un bloc inerte qui marche plus... Alors j'ai les yeux fermés, j'essaie de visualiser ma cage thoracique, j'essaie de trouver les manettes qui vont permettre d'actionner, mais je trouve pas, hein... et là c'est une peur panique, et d'un coup tout devient noir, et je suis plus là, voilà.
AVF chronique Tt de fond : psilocybine deux enfants une compagne avec qui il ne vit pas en invalidité, travaillait auparavant dans le secteur de la logistique Entretien réalisé le 19/04/2012 à son domicile à Cavaillon
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ix. OE Je l'ai, cette crise, je l'ai, hein, c'était vraiment un traumatisme. C'était l'époque où je savais pas encore que c'était une algie vasculaire de la face, et elle a duré. J'étais dans le salon, comme d'habitude, ma femme elle était allée se coucher comme d'habitude parce qu'elle se couche avec les poules, je regardais une bêtise à la télé, une série à la noix, quelque chose de ce genre, et en fait la crise avait démarré certainement à 20h32 comme d'habitude, je précise 20h32 parce que c'était exactement l'heure à laquelle elle démarrait, et normalement elle aurait du s'éteindre à 21h32, parce que c'était l'heure où elle finissait au plus tard, précisément. Et, à cette époque là, donc, je gérais mal le stress, avec trop d'alcool, trop de café, trop de cigarettes, enfin bref. Et j'avais découvert que le cognac, enfin le mélange blanc, rouge et cognac derrière tuait la crise. Le cognac, arrivant en dernier, tuait la crise. J'avais pris un cognac, ça n'avait pas marché. Ca avait commencé comme d'habitude, l'oeil qui commence à piquer, à brûler, et après, une extension de la douleur qui descend vers la pommette, là on est déjà à 7 sur l'échelle de la douleur. Une attaque à la tempe, ça commence à la tempe en haut, puis à la tempe au milieu. Ca s'arrête à la lèvre, pile au milieu, y a un endroit où ça déborde un peu, je crois c'est sur la dent, ca déborde sur la deuxième incisive, là. Et là, chhhh. Parce que ça s'étend au fur et à mesure, alors là j'ai la pommette broyée. Broyée. C'est-à dire comme si on prenait dans une pince et qu'on serrait crrrrr comme ça. L'oeil à ce niveau-là, il est, comme ça, un briquet derrière l'oeil, en continu, je sais pas comment on fait pour mettre un briquet derrière l'oeil mais ça fait mal pareil, comme si on faisait chhhhh. Mais c'est pas fini. Là, j'attaque mon deuxième cognac. Bien dosé. Je me dis putain ce que ça fait mal, vivement que ça s'arrête. La position c'est ça, en appuyant là, dans le creux parce qu'il s'avère que des fois en appuyant, des fois ça soulage deux min, trente secondes, c'est toujours ça de pris, et quand on lâche, ça se déchaîne pas forcément. Mais de toutes façons si on garde appuyé ça va monter d'un cran, vers un pic, ça va redescendre, mais c'est lourd. Donc là je me dis « ça va pas passer », deuxième cognac, bien dosé, bu à peu près cul sec. Et là, ça commence à attaquer la mâchoire du bas. Ouais. Je me dis « c'est parti pour une méchante ». Et donc ça commence à attaquer les dents, et là les dents c'est simple, c'est comme si elles allaient exploser. C'est comme si il y avait une telle pression à l'intérieur qu'elles allaient faire « poum » dans la bouche, genre « pouh », comme ça. Et là, moi je tiens plus en place, faut que je me lève. Et là, ce jour-là, je commence à changer de monde. La douleur commence à m'aspirer dans son monde. C'est un peu comme dans le film de science fiction, tu sais, le cube, heu, non, la sphère, sphère. A un moment donné, où une personne elle change de monde, elle est transportée elle passe comme dans un tunnel, comme un tunnel de nuages, de nuages, voilà. Et je me sentais vraiment, aspiré, dans un monde de nuages hostiles, certainement avec des éclairs, des trucs très très agressifs, enfin on se sent gnnn. Et là la logique change, la logique change. Comme deux cognacs font mal, on va en boire trois pour que ça fasse plus mal. Non, l'idée c'était que le 3è cognac, c'était de mettre la dose, pour que ça s'arrête. Grave erreur. Grave erreur. Je perds le réel. Je perds le réel parce que marcher sert plus à rien. Appuyer là sert plus à rien. On peut plus se défendre, voilà. Donc quand je parlais du monde très hostile là, c'est comme 181
Moïse sur les flots qui est ballotté, là, mais en bien plus méchant puisque Moïse, il craignait rien, il était ballotté, moi je suis agressé en plus dans cette affaire. Sans défense, quoi. La douleur absolue. La douleur absolue. Ca te bouffe. Ca te lance. T'as la dent qui veut exploser, la pommette écrasée pendant qu'on te brûle l'oeil, t'as tout le reste qui est gnnnarr constamment, comme si la gencive était congestionnée au point de se dissoudre, je sais plus, ça fait longtemps, mais c'est intenable, intenable. C'est pas vraiment une aspiration. J'ai parlé d'aspiration oui, mais c'est plutôt comme une bascule. C'est si, voilà, y avait plus ce truc (il montre le repose bras du fauteuil sur lequel il est assis), je glisse, voilà, et je change de monde. C'est comme, tu vois cette série à la noix, la porte des étoiles, et à un moment donné, on voit le... ils sont comme euh... ils basculent, à travers un tunnel, un tunnel de, euh.. on sait pas trop, enfin un tunnel de magma, on voit, ils basculent et ils changent de monde. Et moi, je suis là, je le vois comme un nuage, comme des nuages noirs agressifs, bruyants, c'est électrique, c'est terrible partout. Je glisse, et hop je tombe, comme Moïse sur les flots, et ben moi je suis dans les nuages, porté par les nuages. Je vois les nuages, ou le magma, enfin c'est des nuages d'orage, enfin, noirs méchants gris, qui m'entourent. Alors, je suis pas englué, je peux faire ce que je veux, mais je suis pris là dedans, je suis pris dans ce monde-là. Et dans ce monde-là y a plus de logique. Enfin si, une autre logique. J'insiste sur cette logique. Y a une logique. Mais c'est pas la même. Et en plus c'est pas la bonne. Et, euh, donc, à ce moment là, 21h32, et la crise elle passe pas. Et évidemment j'avais bu tellement d'alcool, que la crise, pfff, n'était qu'à son stade intermédiaire, et rajoute sa couche, et rajoute sa couche. De douleur. Parce que ça monte encore d'un pic, et là gnnn, « je vais mourir ? », non, ça descend d'un cran, et là c'est juste supportable pour pas tomber dans les pommes. Je me dis, c'est calculé pour te faire mal, au max, sans échappatoire. Voilà. T'as pas d'échappatoire. Tu peux pas tomber dans les pommes, tu peux pas faire... chaipaquoi. Et là, et là... et c'est là le drame, c'est là qu'il devient évident que pour arrêter la douleur, il faut arrêter la vie. C'est vraiment ça. Mais c'est devenu d'une évidence et d'une logique implacables, que je suis dit « Ben voilà, t'as trouvé ! Et ben vas-y ». Et je me suis levé, je suis allé sur le balcon, je me suis retrouvé devant le garde-fou, là, en béton, épais comme ça, hein, machin, et, euh, je regarde en bas, 8 étages, enfin 7 étages plus les garages en bas, c'est bon, arrivé en bas t'as plus mal. Et je commence à enjamber le truc, et là j'étais dans le max de douleur. Bon, le super pic était passé, là j'étais dans le max du supportable, et là d'un coup comme s'il y avait eu, euh, une échappée lointaine au milieu des nuages (il cherche avec les mains), d'un coup je, euh... c'est au moment où je me suis tourné pour enjamber, y a ma tête qui a tourné vers là où se trouvait la chambre, enfin les chambres de mes enfants, et je me suis dit « ça serait trop injuste pour eux ». Alors j'ai rebasculé (il mime, par dessus le balcon). Je suis revenu. (rires) Je suis revenu dans le monde des vivants, et je suis allé voir... euh.. j'ai pas pu aller voir ma femme tout de suite pour aller aux urgences, je sais plus pourquoi. Il fallait que je reprenne davantage pied... dans, dans la la vie, et que je retrouve mes idées cohérentes. Parce que quand même, même si j'étais dans ma douleur, quand même, tu vois de temps en temps... Ben, je commence un peu à y échapper, aux nuages, là. Mais ils tirent fort derrière. Donc il fallait que je revienne, que... Le but : prévenir ma femme. Prévenir ma femme. Mais ma femme faut pas la réveiller parce que demain elle a cours, son sommeil est fragile, et si je vais la réveille, la nuit est finie elle sera mal pendant deux jours,etc... et il faut pas réveiller ma femme. Mais comment je peux 182
m'échapper de ça si je vais pas réveiller ma femme ? Et c'est pour ça que j'ai pas réveillé ma femme de suite. Et je me suis dit « Non. Là : tu meurs. Là : t'as la vie. Tu t'en fous, tu passes le tabou, l'interdit, tu réveilles ta femme ». Et j'ai réveillé ma femme, et je lui ai dit : « mène-moi aux urgences ». Et on est partis. C'était un petit peu baissé, et on est arrivés aux urgences c'était onze heures et demie, et là, d'un coup la crise s'est arrêtée. Quand j'ai réveillé ma femme, j'ai ouvert la porte de la chambre, je l'ai secouée délicatement, j'ai dit « Isabelle », pas trop fort. Comme elle a le sommeil hyper léger déjà elle avait entendu la porte ouverte. Quand j'ai posé la main elle a sursauté parce que.. mais bon. Je lui ai dit « amène-moi aux urgences ». Elle m'a pas posé de question. Elle s'est habillée. Pour que je la réveille, c'était grave. Je l'avais réveillée, donc c'était grave, donc y avait pas de question à poser, elle l'a fait. Elle m'a aidé en tenant la porte, en me guidant parce que je pouvais pas ouvrir les yeux, c'est pas que je craignais la lumière, mais je devais avoir peur. (silence). Oui, je devais avoir peur (il pleure, le ton de sa voix change). Donc, euh, voilà quoi. Et ; euh... Et, euh, après, euh... je sais plus trop, dans le garage elle ouvre la porte, c'était compliqué, c'était une combinaison, paf paf paf et hop, et puis après ben je sais plus. Et après quand on était sur la corniche pour aller à Sainte Marguerite, à partir de là, j'avais, euh encore bien bien mal, mais bon j'étais revenu, chez les vivants, quoi. J'ai rouvert les yeux un peu avant le... ah, merde... un peu avant la, la.. l'hélice. Un peu avant l'hélice. Là, l'hélice, y a toutes les lumières, parce qu'évidemment il faisait nuit, y avait tout l'éclairage public, un peu plus loin les truc des plages, les barils, là, enfin bref... C'était la route pour aller au boulot ce truc là.. c'était mon chemin habituel. Chemin vachement agréable, mais pas dans ces conditions. J'ai rouvert les yeux dans la voiture, j'étais revenu chez les vivants. C'est bon, quoi. Je suis revenu, je vais aller aux urgences, je vais peut-être être sauvé, il va peut-être se passer un truc. Et il s'est passé un truc, confirmer le symptôme, euh, le diagnostic qui avait été posé avant par mon ophtalmo, et quand on me dit deux fois « il faut voir un neurologue », je me décide à aller voir un neurologue. Ça corroborait ce que m'avait dit l'ophtalmo, l'ophtalmo m'avait dit « je sais plus ce que c'est, mais faut voir un neurologue, je sais plus comment ça s'appelle, faut voir un neurologue ». Elle avait dit c'est une algie faciale ou un truc comme ça, elle avait bien insisté là-dessus : faut voir un neurologue. C'est pas moi, c'est pour le neurologue. Donc j'arrive, c'est le deuxième interne qui dit ça à son pote qui comprenait pas « c'est une algie vasculaire de la face, on a vu ça en cours », je sais pas quoi, quand est-ce qu'ils avaient vu ça en cours, mais lui au moins il avait retenu et ça m'a sauvé, et c'était déjà bien. Je sais plus si lui il a dit algie vasculaire de la face ou algie faciale, je sais pas le terme qu'il a employé. Mais du coup j'ai pris RV chez le neurologue. Assez souvent, d'abord il faut savoir que la crise elle cède en trente secondes. Tout d'un coup tu sens un apaisement, tac, là, c'est bon, c'est fini. Puis ploupgloup bruit dans l'oreille, bruit de tuyauterie, paf ça tombe, et paf c'est fini. L'apaisement, ça fait encore mal. Mais quand tu viens de 9-10 et que ça descend à 6-7, ça fait encore vachement mal, mais d'où tu viens, ça fait pas mal. D'où tu reviens, ça fait pas mal. Là, un bruit de tuyauterie qui dure quoi, deux secondes, comme un truc qui se vidait, voilà, et la douleur s'arrête, la douleur tombe, elle tombe en chute libre. D'où elle part, il faut le temps qu'elle arrive en bas, mais voilà, elle tombe en chute libre, et d'un coup, paf c'est fini. Mais 183
alors, plus rien, quoi, t'es comme là, sauf que t'es épuisé. T'es comme là, normal, tranquille. Trente secondes. Une minute des fois. Mais épuisé. Épuisé. Surtout là. Je suis arrivé, je pouvais plus parler à l'interne. Il me dit asseyez-vous là, couchez-vous. J'ai refusé de me coucher parce que j'avais peur, j'avais peur ; et puis couché c'est pas bon, j'avais peur. Et puis il avait pas intérêt à s'amuser à...Il a senti que j'étais crrr. Donc il a rien touché, quand il a approché, la main ptiou, elle a viré, donc il a rien touché non plus. J'aurais bien voulu coopérer davantage mais y avait pas moyen. Il me dit « qu'est-ce qui vous arrive? » j'ai dit « j'avais mal là, et j'ai plus mal ». Alors ça fait court, hein , je suis d'accord, pour un diagnostic. Il me fait répéter, je dis « j'avais mal là, et j'ai plus mal », je pouvais pas dire autre chose. C'est là qu'il est allé chercher son pote. Ma femme était là, à deux mètres, moi j'étais sur le truc d'auscultation. Quand je l'ai réveillée, elle m'a juste demandé : « à quel hôpital tu veux aller ? ». J'ai dit « je sais pas ». Elle m'a dit « à Sainte Marguerite ? » J'ai dit oui. Elle m'aurait demandé, tu veux aller à Nord, j'aurais dit oui, elle m'aurait dit Timone, j'aurais dit oui, j'aurais dit oui à tout, du moment qu'elle m'emmenait, que ça aille vite. Après elle a du me dire un « ça va ?», ou un truc du genre, mais elle savait qu'il fallait pas trop parler. C'est moi, même, qui lui ai dit « ça va un peu mieux », enfin ça va un peu mieux, parce que j'étais à sept. Elle assume. A la fois la pétoche, parce qu'elle avait peur, à la fois capable de prendre sur elle, comme toujours, enfin comme toujours, elle est comme moi, enfin pour les petits elle tient pas, pour les petits elle panique. Elle est comme moi pour les petits, c'est-à-dire, je tiens quand il faut tenir, et je m'effondre après. Là, elle tenait parce que... il fallait bien tenir. Il fallait bien y arriver, à cet hôpital, hein on allait pas faire du stop, enfin, bon bref. Il fallait tenir, elle a tenu, et elle était là, aussi dubitative que tout le monde autour, enfin elle savait, elle savait ce que j'avais parce qu'elle avait vu, enfin elle savait pas le nom, elle savait pas d'où ça venait, elle supposait que l'alcool était en cause et elle avait bien raison. Les maris n'écoutent pas toujours leur femme et ils ont souvent tort. Pas toujours, souvent. Donc, voilà, donc elle a conduit, prudemment, parce que c'était pas un accouchement, elle m'a demandé si on grillait le feu rouge, et je lui ai dit non, parce que avant je lui avais demandé pour les enfants, et elle m'avait dit oui, de griller le feu. Donc, voilà, a part ce genre de communication, à la fois d'attention à l'autre, et de savoir quel niveau de risque prendre vue la situation... « de toute façon je vais pas mourir, donc on va pas crier au feu, je vais pas mourir ». Quand je l'ai réveillée, elle a pas posé de question, elle a compris. Comme je disais, elle sait que si je la réveille, c'est que c'est grave. Donc si c'est grave, on fait... je dis «amène-moi à l'hôpital », c'est normal, enfin c'est normal, c'est une démarche euh... c'est pas une démarche folle, donc on exécute, on se pose pas de question, on fait. Dans ce cas-là on fait, ton conjoint, les enfants, on fait. Et même les enfants étaient là, elle a pas posé de question « où sont les enfants », et pourtant c'était en 2000, ils avaient 10 ans, 12 ans de moins, mon fils il avait quelque neuf ans, et ma fille douze. Si, elle a pris le temps d'écrire un mot à ma fille, à la cuisine. Oui, elle a mis un mot à ma fille, à la cuisine, et puis de toutes façons, elle serait rentrée, elle m'aurait laissé à l'hôpital, elle serait rentrée pour les petits, c'était pour si elle se réveillait. (pendant qu'elle écrivait le mot), c'était normal, je devais tenir. Tenir 5 secondes, ça va, ça fait deux heures et demi que tu meurs, tenir 5 secondes, ça va, t'es plus à ça près. Donc, ouais. Ouais, elle était pas bonne, celle-là, ouais.
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49 ans AVF chronique depuis 2010 Marié, deux enfants Travaille dans les services administratifs de la ville de Marseille, ancien éducateur sportif (voile) Engagement associatif à l'AFCAVF et politique dans sa commune de résidence Entretien réalisé le 20 avril 2012 à son bureau (Marseille 8è)
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