Comment gagner un débat ?
Comment gagner un débat ? Guide au débat dans le style des Championnats mondiaux universitaires du débat
Steven L. Johnson
International Debate Education Association New York*Amsterdam*Bruxelles
Pour Jen et Mamie
Publié par : International Debate Education Association 105 East 22nd Street New York, NY 10010
Copyright © 2009 par International Debate Education Association Cet ouvrage est publié sous licence de paternité Creative Commons : http://creativecommons.org/licenses/by-nc/3.0/deed.en_US
Conception graphique de Gustavo Stecher et Juan Pablo Tredicce | imagenHB.com Imprimé aux Etats-Unis
VI
Table des matières Introduction : De l’art de gagner
1
Chapitre 1 : Philosophie du débat
5
Fondements d’une philosophie du débat
5
Philosophie du débat
11
Chapitre 2 : Arguments et argumentation
17
Eléments d’un argument
17
Formes d’argument
19
Argumentation
23
Modes d’argumentation
24
Argumentation descriptive
25
Créer des arguments descriptifs
26
Contrer des arguments descriptifs
27
Argumentation relationnelle
28
Créer des arguments relationnels
29
Contrer des arguments relationnels
31
Argumentation évaluative
33
Créer des arguments évaluatifs
33
Contrer les arguments évaluatifs
36
Chapitre 3 : Stase et structure
39
Argument en tant que mouvement
39
Points de stase
42
Propositions
42
Enjeux
45
VII
Rapports entre les enjeux
50
Maîtrise des points de stase
53
Structurer les arguments pour occuper l’espace
56
Signatures
58
Dispositifs structurels
61
Chapitre 4 : Stratégies et aptitudes de base
63
Stratégie de contrôle
63
Argumentation constructive
65
Processus analytique
66
Processus de synthèse
71
Argumentation déconstructive
76
Normes de qualité des arguments
78
Acceptabilité
78
Pertinence
82
Suffisance
86
Structuration de la réfutation
87
Structure de la réfutation
89
Cadrage
91
Cadrage prospectif
93
Cadrage rétrospectif
95
Cadrage du tour par la structuration des enjeux
96
Chapitre 5 : Les orateurs et les discours Modèle du parlement britannique
103 103
Discours du premier ministre
106
Cadrage
107
Argumentation constructive
110
Argumentation déconstructive
110
Discours du PM dans le débat sur la peine de mort
110
VIII
Discours du leader de l’opposition
113
Cadrage
113
Argumentation déconstructive
118
Argumentation constructive
118
Discours du LO dans le débat sur la peine de mort
119
Discours des adjoints
122
Cadrage
122
Argumentation déconstructive
124
Argumentation constructive
124
Discours du VPM dans le débat sur la peine de mort
127
Discours du VLO dans le débat sur la peine de mort
130
Discours des membres
132
Elaboration
134
Discours du MP dans le débat sur la peine de mort
140
Discours du MO dans le débat sur la peine de mort
144
Discours des whips
147
Construction et déconstruction
147
Cadrage
149
Discours du WP dans le débat sur la peine de mort
153
Discours du WO dans le débat sur la peine de mort
156
Chapitre 6 : Prise de décision et stratégie
161
Nature de la réflexion et de la décision
163
Eléments de la prise de décision : la « recherche »
166
Possibilités
167
Objectifs
169
Preuve
172
Evaluation des éléments de la prise de décision : l’« inférence »
173
Identification de la hiérarchie des objectifs préférés
174
Evaluation de la force des possibilités
181 IX
Chapitre 7: Paradoxes du débat
187
Paradoxe n°1 : La qualité du débat dépend plus de l’accord que du désaccord
188
Paradoxe n°2 : Les arguments gagnants sont plutôt simples que complexes
190
Paradoxe n°3 : Vous avez plus de chances de convaincre le public en mettant l’accent sur ce qu’il croit plutôt que sur ce qu’il ne croit pas
191
Paradoxe n°4 : Vous avez plus de chances de gagner en soutenant une position difficile
192
Paradoxe n°5 : Votre défenseur a plus de chances de gagner s’il ne montre aucun intérêt pour à la victoire
194
Paradoxe n°6 : Plus nous nous efforçons de réduire l’incertitude
196
au cours d’un débat, plus nous perdons en certitude
Chapitre 8 : Tactiques avancées
199
Tactique offensive
200
Saisir la présomption
200
Etablir l’urgence
205
Faire preuve d’objectivité
208
Tactique défensive
212
Equilibrer les intérêts
212
Analyse des objectifs
218
Discerner les objectifs
218
Contrer des arguments avec l’analyse des objectifs
220
Collusion implicite
224
Chapitre 9 : Arbitrer un débat
231
Qui est concerné par ce chapitre ?
231
Principes directeurs de l’arbitrage
232
Tabula rasa
232 X
232 Non-intervention Formation
233 234
Modèles d’arbitrage Modèles moins pratiques
234
Modèle de la « Vérité de la motion »
234
Modèle de la « Compétence des orateurs »
235
Modèle préféré : modèle du « Mouvement »
236
Normes d’arbitrage pertinentes
237
Accomplissement du rôle
238
Norme du « Meilleur débat »
240
Fond et forme
241
Parvenir à une décision
242
1. Identifier la proposition
243
2. Identifier les enjeux
245
3. Déterminer le vainqueur de chaque enjeu
247
Vérité
248
Validité
248
4. Déterminer l’importance de chaque enjeu
249
5. Evaluer les efforts de chaque équipe par rapport aux enjeux
251
6. Documenter la décision
253
Notes
255
XI
INTRODUCTION
De l’art de gagner
On me demande souvent ce qu’il faut pour sortir vainqueur d’un débat. La réponse est d’une simplicité déconcertante : gagner un débat consiste simplement à convaincre votre auditoire que vous avez gagné. La bonne nouvelle, c’est que nous sommes bien exercés à l’art de convaincre les autres. Quasiment chaque jour, et certains experts diraient « par chaque mot que prononçons » (nous y reviendrons plus loin), nous essayons d’influencer les idées ou les actions des autres. Lorsque nous demandons à quelqu’un de venir déjeuner avec nous, donnons notre avis sur un sujet d’actualité, essayons de convaincre un enseignant de revoir la note à notre devoir, et dans des centaines d’autres petits exemples, nous faisons œuvre de persuasion. En fait, nous passons toute notre vie à convaincre les autres. La mauvaise nouvelle, c’est que le fait de débattre met sous les projecteurs ces efforts de persuasion qui sont donc soumis à l’examen de la critique et de l’arbitrage. Plutôt que de simplement mesurer le succès de vos efforts de persuasion par le fait que la personne à qui vous vous adressez accepte ou non de déjeuner avec vous, dans un débat vous êtes confrontés à d’autres personnes dont l’unique objectif est de vous empêcher d’obtenir ce que vous voulez. De plus, une personne écoute vos efforts de persuasion et les classe par rapport à ceux de vos adversaires dans le débat. Vous avez peu de temps pour convaincre les décideurs (vous ne pouvez plus, par exemple, exaspérer quelqu’un par des demandes incessantes, une tactique privilégiée par les enfants pour convaincre leurs parents). De plus, vous devez convaincre sur un thème que quelqu’un d’autre vous a soumis (vous n’avez pas forcément le choix de quel point de vue de la question vous allez défendre). Introduction 1
Malgré toutes ces difficultés (ou peut-être à cause d’elles), débattre demeure l’un des meilleurs moyens d’affûter ses aptitudes en persuasion. Comme en toute chose, c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Débattre offre d’abondantes possibilités d’améliorer son sens de la persuasion. C’est pourquoi ce livre se concentre sur les moyens de tirer le meilleur de l’expérience du débat. Ma conviction (renforcée par ma propre expérience de débatteur, de coach et d’arbitre) est que l’exercice académique du débat est extrêmement exaltant en raison des motivations concurrentielles de ceux qui s’y engagent. Les débatteurs veulent remporter des tours du débat. Ils ont par conséquent une raison intrinsèque et impérieuse d’apprendre à convaincre plus efficacement. L’un de mes objectifs est d'offrir des perspectives, des stratégies et des tactiques qui aideront les débatteurs à convaincre plus efficacement et, par conséquent, à remporter plus de tours. Autrement dit, je veux vous offrir les outils qui vous permettront de gagner des débats. Mais un deuxième objectif tout aussi important est d’améliorer la pratique du débat en lui-même. A l’instar de tout autre type de compétition, le débat pousse ses concurrents à l’excellence et leur donne l’occasion de se distinguer. L’art de la persuasion (parmi les premiers étudiés dans la Grèce et la Rome antiques, fondatrices de la pensée occidentale) permet à ceux qui le pratiquent d’aller au-delà de l’expérience humaine moyenne et ordinaire pour rechercher le sublime. Les bons débatteurs sont des artistes et les débats qu’ils produisent sont des œuvres d’art. Comme tout art, le débat montre le potentiel des êtres humains à créer l’excellence. Un bon débat, tout comme une création artistique de qualité, révèle et illumine l’expérience humaine. Un débat peut être beau et j’espère que ce livre contribuera, même modestement, à produire des débats intéressants, fascinants et enthousiasmants. En d’autres termes, mon but est de promouvoir des débats plus « gagnants ».
2
Comment gagner un débat ?
Pour atteindre ces deux objectifs, je commencerai par exposer un point de vue sur l’argument qui m’a toujours aidé à expliquer ce dont un débatteur a besoin pour qu’il soit efficace. Le chapitre 1 énonce une philosophie de l’argument qui donne un aperçu de la façon dont les gens pensent aux arguments qu’ils rencontrent au cours des tours d’un débat et, par conséquent, comment il est possible de construire ces arguments (coïncidence heureuse, cette philosophie nous en dit également beaucoup sur la façon dont les êtres humains pensent en dehors des tours d’un débat). Ensuite, nous nous attèlerons à une tâche plus vaste qui consiste à présenter la pratique qui émane de cette philosophie. Le restant du livre (et la plus grande partie) sera consacré à identifier les aptitudes nécessaires à remporter des débats et à présenter des méthodes pour développer ces aptitudes. Les chapitres 2 et 3 abordent le thème du « langage » du débat (l’argumentation), notamment la notion d’argument, ainsi que les interactions entre les arguments, à la fois logiques (dans les différentes méthodes d’argumentation) et structurelles (à travers des points de stase). Les chapitres 4 et 5 se concentrent sur les techniques de débat et le format dans lequel celles-ci peuvent s’utiliser. Le chapitre 4 présente les trois aptitudes fondamentales que doivent posséder tous les débatteurs : l’argumentation constructive, l’argumentation déconstructive et la structuration des arguments. Le chapitre 5 examine le format du débat parlementaire britannique et décrit le rôle des orateurs qui participent à ce format concurrentiel. Les chapitres 6, 7 et 8 présentent une perspective avancée de l’art de débattre destinée à mettre à l’épreuve et à inspirer les débatteurs chevronnés tout en en donnant un aperçu aux novices. Le chapitre 6 s’intéresse à la prise de décision humaine et applique cette analyse au débat
académique.
Le
chapitre 7
présente
un
certain
nombre
d'observations paradoxales au sujet du débat en vue de susciter une réflexion sur les meilleures pratiques de l’art de débattre. Introduction 3
Le chapitre 8 donne un aperçu sur des tactiques avancées que j’ai trouvées particulièrement utiles en coachant mon équipe. Le texte termine par le chapitre 9, qui présente une analyse de l’arbitrage des débats. Bien qu’il ait été écrit pour guider les arbitres dans leurs délibérations, ce chapitre sera aussi d’un grand intérêt pour tout débatteur qui gagnerait à savoir comment les arbitres abordent les tours d’un débat. Finalement, j’espère que le texte offre une vision cohérente et utile de l’art de débattre qui encouragera la discussion, le désaccord et l’expérimentation de la part de tous ceux qui sont engagés dans cette activité. Lorsque nous cherchons les voies et moyens de faire avancer la pratique du débat, nous sommes (par définition) engagés dans l'art de gagner les débats.
4
Comment gagner un débat ?
C
H A P I T R E
1
Philosophie du débat Fondements d’une philosophie du débat Lorsqu’on le leur demande, la plupart des gens répondent qu’ils préfèrent
éviter
les
disputes.
Les
disputes,
remarqueront-ils
probablement, sont source de de peine et frustration dans les rapports interpersonnels. Compte tenu de la compréhension que la plupart des gens ont des disputes, ce point de vue n’est pas surprenant. Il paraît donc curieux qu’il existe une longue tradition dans les systèmes éducatifs occidentaux consistant à enseigner comment argumenter. Les enseignants de ces écoles veulent-ils que leurs élèves souffrent ? Pas du tout. En fait, la place primordiale accordée à la dispute dans les traditions éducatives occidentales s'explique par une vision de la dispute non comme une conséquence déplaisante de l’interaction humaine, mais comme la base même de la connaissance humaine. La connaissance que les hommes ont du monde qui les entoure est le produit de leur interprétation de leur expérience. La grande différence entre les hommes et les autres créatures réside dans l’aptitude à interpréter les expériences de manière différente ; pour les hommes, l’expérience n’est pas figée mais le résultat des choix que nous faisons. Les animaux ont avec le monde des rapports instinctifs ; ils reçoivent une stimulation de leur environnement et réagissent suivant leur « programmation » biologique. Par exemple, guidés par un motif génétique dépassant leur compréhension, les animaux ne s'accouplent ni pour le plaisir de l’acte ni pour la beauté de la relation, mais simplement pour satisfaire un besoin biologique de procréer. Philosophie du débat
5
Les hommes, en revanche, ne se limitent pas à connaître le monde à travers leurs instincts. Pour interagir avec le monde qui les entoure, les êtres humains élaborent d’abord leurs expériences par les mots qu’ils utilisent pour décrire ce monde. En fait, les hommes essaient de donner un sens au monde qui les entoure, tournant largement le dos aux modes de connaissance instinctifs. Plutôt que de satisfaire simplement des besoins biologiques en s’accouplant avec leur premier congénère venu, par exemple, les êtres humains construisent des rituels symboliques élaborés pour expliquer l’accouplement : l’amour, la cour, la fidélité, le mariage et le divorce ne sont que quelques-uns des multiples concepts créés par les hommes pour expliquer leur engagement romantique auprès d’autres humains. Le théoricien de la rhétorique Kenneth Burke explique le besoin des gens de construire la signification de leur monde en appelant les êtres humains « des animaux utilisant des symboles » Burke entendait par là que ce qui distingue les humains c'est leur utilisation des symboles (la langue) pour expliquer leurs expériences. Il pensait que les humains sont à la fois bénis et maudits par leur capacité à interpréter leurs expériences : d’une part, ils sont libres de construire des explications complexes, souvent belles, et extrêmement satisfaisantes du monde qui les entoure ; d’autre part, cette liberté de construire la signification du monde signifie aussi qu’il n’existe pas d’interprétation unique, correcte, absolue de ce monde.1 Les êtres humains sont appelés à évoluer dans un monde d’informations limitées et imparfaites et, par conséquent, de perceptions limitées et imparfaites. Puisque que nous construisons notre monde à travers les symboles que nous utilisons, nous savons que nos explications sont nos propres créations. Sachant d’avoir créé ces explications (et que d’autres peuvent créer d’autres explications), nous sommes constamment incertains de la signification de nos expériences. La Théorie de la réduction d’incertitude explique que les êtres humains communiquent les uns avec les autres pour réduire l’incertitude sur le 6
Comment gagner un débat ?
monde qui les entoure et qui découle d’une absence de signification fixe.2 Trois observations sont possibles sur le rapport entre l’incertitude et la communication : 1. L’incertitude est omniprésente. Puisque les êtres humains sont coupés des expériences instinctives du monde et utilisent des symboles pour donner un sens à leur monde, l’incertitude est la marque de l’expérience humaine. En d’autres termes, tant que nous n’avons pas interprété nos expériences (et parfois même après être parvenu à une interprétation), nous ne sommes pas sûrs de leur signification. 2. Nous réduisons notre incertitude par la communication. Si nous sommes capables d’attribuer une signification à nos propres expériences, nous devenons plus sûrs de nos propres interprétations du monde lorsque ces dernières sont confirmées par les autres. Quand nous partageons nos interprétations du monde qui nous entoure avec les autres et que ceux-ci répondent (en soutenant, réfutant ou en donnant des interprétations différentes), nous essayons de réduire l’incertitude de l’expérience brute. Nous pouvons aussi compter sur les autres pour qu’ils interprètent les expériences à notre place, réduisant ainsi notre incertitude. 3. Le désir de certitude est irrésistible. Les êtres humains n’aiment pas connaître l’incertitude et agiront pour atténuer la leur à propos de leur monde. L’atténuation de l’incertitude est une motivation puissante. Par conséquent, nous sommes obligés de communiquer avec les autres pour réduire notre propre incertitude.
Philosophie du débat
7
Si l’incertitude, et l’insécurité qui en résulte, est omniprésente et irrésistible pour chaque être humain, imaginez la motivation générée par l’incertitude collective d’un groupe de personnes confrontées à une expérience nouvelle et indéfinie. Aucun instinct ne peut dire à une nation si un Etat voisin belligérant représente une menace légitime pour la sécurité nationale ou si les avantages de l’exploitation des ressources naturelles dépassent les inévitables conséquences environnementales de cette exploitation. Dans de telles circonstances, notre compréhension collective se créée à travers la communication que nous partageons. Le philosophe français Michel Foucault a reconnu que non seulement le processus de communication (particulièrement parmi les membres d’une société) créé la signification de nos expériences, mais il distribue aussi le pouvoir à ceux qui sont capables de créer et de maîtriser la signification d’une expérience.3 Selon Foucault, par notre communication au sujet de notre expérience collective, nous créons des formations discursives. Les formations discursives sont des systèmes d’interprétation et de signification créés à travers un discours commun qui guide et restreint les interactions d’une culture. Par exemple, les lois d’une société sont des formations discursives. Ces lois offrent certaines protections et visent à limiter certains comportements, pourtant elles sont un peu plus qu'un compte-rendu de communication entre les membres de cette société. Dans les démocraties libérales occidentales, les lois sont typiquement le produit d’un système législatif dans lequel le bienfondé d’un ordre des choses donné est soumis à la discussion et au débat. Une décision est prise par l’organe délibérant ou par l’ensemble de la population et, si la proposition aboutit, cette conclusion est enregistrée sous forme de loi. Cette loi devient alors un moyen à la disposition de l’Etat pour contrôler le comportement de ses citoyens. L’intérêt de Foucault pour les formations discursives découle principalement de sa reconnaissance du fait que le pouvoir dans une société
8
Comment gagner un débat ?
(c’est-à-dire la capacité à contrôler les autres) est déterminé en grande partie par la capacité à définir et à manipuler les formations discursives. Plus simplement, en contrôlant la description d’une expérience, on contrôle l’expérience et les personnes qui la vivent. Examinons la différence entre les interprétations de deux événements tragiques de l’histoire récente de l’Amérique. Le 15 avril 1995, une détonation causée par un camion de location chargé d'explosifs a soufflé la façade du bâtiment fédéral Alfred P. Murrah à Oklahoma City dans l’Oklahoma. Plus de 160 personnes ont trouvé la mort dans ce drame. Timothy McVeigh et Terry Nichols ont été jugés et condamnés pour leur implication dans cet incident. Après leur procès, des procureurs fédéraux ont affirmé que l’attaque avait été motivée par une volonté de représailles à l’encontre de politiques du gouvernement des Etats-Unis désapprouvées par McVeigh et Nichols. Le 11 septembre 2001, des attaques coordonnées contre le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington, DC, ainsi que le détournement d’un avion à Shanksville en Pennsylvanie ont ôté la vie à près de 3 000 personnes. Attribuées à al-Qaïda, un groupe islamique fondamentaliste, les attaques du 11 septembre ont semble-t-il été perpétrées en représailles à la politique étrangère des Etats-Unis. Ces deux événements (les deux plus importantes attaques terroristes jamais enregistrées sur le sol américain) illustrent bien le pouvoir du choix d'un discours pour interpréter une expérience. Les deux événements étaient des attaques terroristes motivées par une frustration à l’égard de la politique américaine. Les deux ont causé la mort de civils innocents et considérablement modifié la façon dont les citoyens américains se voient et appréhendent leur sécurité. La différence entre les événements et, plus important encore, la conséquence de ces événements réside dans les mots que nous utilisons pour les décrire. Les attaques d’Oklahoma City ont été largement présentées comme un acte criminel. La réaction du gouvernement a essentiellement consisté à Philosophie du débat
9
identifier et à poursuivre les auteurs présumés du crime. Le procès, le verdict et la peine qui s’en sont suivis ont permis, dans une certaine mesure, au pays de tourner la page. Les événements du 11 septembre ont, pour leur part, été interprétés comme un acte de guerre. Ceux qui ont participé à l’attaque et l’organisation qui les soutenait ont été identifiés comme des ennemis de l’Etat. Une véritable invasion d’une nation soupçonnée de soutenir l’organisation al-Qaïda a été orchestrée et la Guerre mondiale contre le terrorisme qui s’en est suivie est toujours en cours. Les deux interprétations très différentes de ces deux événements essentiellement similaires étaient le produit du discours utilisé pour les décrire : dans un cas, la réaction « officielle » a consisté à identifier l’acte comme un crime ; dans l’autre, l’attaque a été décrite comme un acte de guerre. La décision apparemment simple du nom à donner à ces événements a eu (et continue d'avoir) un impact profond sur la vie de gens à travers le monde. L’interprétation de ces événements a donné le ton soit d’une réaction discrète à une violation de la loi soit d’une action militaire qui dure depuis des années, a tué des milliers de personnes et coûté des milliards de dollars. En clair, la façon dont nous choisissons d’interpréter notre réalité a un effet sur nous. Alors, comment ces interprétations naissent-elles ? Comment se créent-elles et comment se répandent-elles ? Comment une société entière en vient-elle à considérer une attaque comme un crime et une autre comme un acte de guerre ? Si le choix du discours fait le travail initial de description de ces événements, les arguments sont responsables de persuader les autres d’adhérer à ces descriptions. Ramené à sa fonction essentielle, un argument est simplement une proposition d’interprétation d’une expérience avec des raisons avancées à l’appui de ladite interprétation. Un argument énonce une affirmation (sur ce qu’est une chose, sur les relations qui existent entre les choses ou sur la valeur d’une chose) et propose des raisons pour lesquelles les autres devraient accepter cette interprétation. Nous 10
Comment gagner un débat ?
vivons une expérience et, parce que nous voulons avoir des certitudes, nous présentons aux autres un argument qui établit comment nous pensons qu'il faut interpréter cette expérience. Alors que nous avançons des arguments pour soutenir notre point de vue, nous pouvons rencontrer d’autres personnes ayant différentes interprétations des mêmes événements et, par conséquent, différents arguments pour justifier leurs interprétations. Nos arguments sont alors mis à l’épreuve par les arguments des autres : Notre auditoire est invité à choisir (ou décide de choisir) entre ces descriptions concurrentes. En fin de compte, l’interprétation que nos auditoires trouvent la plus convaincante l'emporte et est admise comme l’interprétation standard de cette expérience.4 Bien sûr, ces interactions suivent rarement un scénario aussi clair. Souvent, on ne perçoit pas toujours clairement ce que prétend une personne ou l'interprétation qu'elle veut nous faire accepter. En outre, on peut ne pas savoir quand un point de vue donné « l’emporte » sur un autre ; l’on désigne rarement un vainqueur en dehors de cadres de délibération formels (tels que les organes législatifs ou judiciaires, ou des tours de débat). Au contraire, nous essayons de convaincre les autres et sommes satisfaits si certains semblent épouser notre point de vue. Peu importe que nos efforts de persuasion se concluent de façon formelle ou informelle, à la fin nous nous rendons compte que nos perceptions sont les nôtres et que les autres, ceux avec qui nous interagissons ont (et, malgré nos meilleurs efforts, peuvent continuer à avoir) les leurs. Nous nous rendons compte que nos interprétations ne sont pas figées, absolues ou vérifiables de façon objective ; elles sont le produit de notre imagination et de notre capacité à utiliser la langue pour convaincre les autres de la validité de nos interprétations.
Philosophie du débat De ces observations sur la manière dont les hommes utilisent des arguments pour construire leur réalité, nous pouvons tirer un cadre
Philosophie du débat
11
philosophique qui illumine la pratique du débat. Cette philosophie peut s’exprimer en deux hypothèses et une conclusion :
Hypothèse 1 : Un débat est un concours d'interprétations et, donc, d’arguments. Le débat exige que les participants convainquent un auditoire de la véracité ou de la fausseté de la motion ; il s’agit d’une compétition entre les arguments utilisés pour faire triompher ou réfuter cette motion. Le but des deux équipes engagées dans le débat est d’offrir une interprétation de certains événements capable d’amener un arbitre à admettre ou rejeter la motion examinée. De cette façon, les arguments utilisés dans un tour de débat ne sont pas différents de ceux utilisés en dehors dudit tour. Par conséquent, les mêmes qualités qui rendent une proposition d’interprétation d’une expérience convaincante en dehors d’un débat doivent rendre un argument convaincant dans un tour de débat. Dans la suite du livre, nous nous attarderons sur ces qualités et expliquerons comment créer des arguments qui témoignent de celles-ci.
Hypothèse 2 : L’évaluation des arguments est une activité subjective. Comme tout effort de persuasion, le succès des arguments dans les débats dépend entièrement de la perception de l’auditoire : si l’arbitre préfère vos arguments à ceux de vos adversaires, vous gagnerez probablement. Ce qui complique les choses, bien entendu, c’est que ce qu’un arbitre peut préférer de vos arguments peut ne pas convaincre un autre. Ce qu’un arbitre peut trouver passionnant comme explication, peut sembler peu crédible pour un autre.
12
Comment gagner un débat ?
Cela dit, il existe des approches argumentaires que la plupart trouvent excellentes. Et plus important encore, il existe des approches classiques qu’une équipe peut suivre pour mettre à l’épreuve les arguments de ses adversaires et en pointer (à l’attention des arbitres) les lacunes. Quoi qu’il en soit, la persuasion est une activité essentiellement humaine et, de ce fait, elle sera toujours imparfaite et mystérieuse. Vous avancerez souvent des arguments que vous croirez exceptionnels. Vous ferez des déclarations et donnerez des preuves que vous croirez de loin meilleures que celles de vos adversaires. Vous ferez des critiques des arguments de vos adversaires qui, croirez-vous, ruineront tous leurs efforts visant à soutenir leur position. Vous comparerez vos arguments à ceux de vos adversaires et à la motion et démontrerez clairement que vos efforts sont supérieurs. Et vous perdrez quand même. L’une des choses que le débat nous enseigne c’est que l’on ne peut pas toujours comprendre ou influencer les perceptions de ceux qui nous entourent. Vous devrez accepter les décisions que prennent les gens. Aussi difficile à vivre que puisse être une telle situation, c’est à plus d'un égard l'une des leçons les plus précieuses que puisse nous apprendre le débat. Ces deux hypothèses mènent à une conclusion qui va éclairer la suite de ce livre :
Conclusion : Il n’y a pas une « bonne » façon de débattre. Les hypothèses paraissent résolument négatives. Dire que le débat est une opposition entre interprétations concurrentes de la réalité et que nous ne pouvons jamais savoir avec certitude pourquoi une personne préfère un argument à un autre sonne comme une condamnation de l’exercice. Bien au contraire. Philosophie du débat
13
Ces mêmes observations sont ce qui fait du débat un exercice concurrentiel et éducatif si riche et gratifiant. C’est la subjectivité de l’exercice qui en fait une activité si stimulante et appréciable. Dans un débat, les règles mêmes qui régissent l’évaluation des concurrents font l’objet des efforts de persuasion des participants. Contrairement à d'autres compétitions, le débat a peu de règles fixes. L’ordre des orateurs et les temps de parole sont de bons exemples de règles qui existent dans le débat académique : ce sont elles qui régissent la façon dont chaque tour sera administré. Il n’existe pratiquement pas de règle de fond (c’est-à-dire celles qui régissent le contenu des débats). Au premier abord, ce n’est pas quelque chose d’extraordinaire : parce que les sujets des débats changent régulièrement, il serait quasiment impossible de définir ce que peuvent dire et ce que ne peuvent pas dire les concurrents. De plus, la nature même du débat, c’est-à-dire un exercice de libre expression, exclut l’idée de limiter ce qui peut ou ne peut pas être dit dans un tour. Mais cette absence de règles de fond signifie aussi que les normes qui permettront aux arbitres de désigner le vainqueur d'un tour donné d'un débat sont elles-mêmes légitimement sujettes à débat. Un arbitre doit-il prêter plus attention aux effets d’une proposition sur les libertés de chaque citoyen d’un pays ou à la sécurité collective de la nation ? Doit-il accorder plus d’importance aux risques pour l’environnement de l'application d’une politique ou aux gains économiques qu’engendrera ladite politique ? Ces décisions (celles que devra prendre l’arbitre pour désigner le vainqueur du tour) sont la cible potentielle des arguments des débatteurs. En outre, peu de stratégies sont expressément prohibées dans le débat, les stratégies étant essentiellement ancrées dans le contenu des arguments avancés pour les faire prospérer. Un 14
Comment gagner un débat ?
débatteur peut-il évoquer son expérience personnelle ? Une équipe d’opposition peut-elle faire une autre proposition de politique pour réfuter le bien-fondé de la politique de l’équipe de la proposition ? Une équipe peut-elle prétendre que si le plaidoyer de l’équipe adverse est peut-être vrai, les conséquences plus étendues d’un vote en sa faveur sont intolérables ? Si ces questions sont posées pour savoir ce qui est « permis » dans un débat, alors elles sont profondément biaisées. Au lieu de se demander si une chose est autorisée par des règles imaginaires, les débatteurs doivent plutôt se poser la question suivante : « Cette approche
est-elle
stratégiquement
avantageuse ? »
Plus
simplement, si l’approche que vous suivez vous aide à convaincre les arbitres, alors c’est la bonne approche.5 L’absence d’une approche « correcte » (tant pour ce qui convaincra un arbitre que pour ce qui est permis par les règles) crée souvent une forte incertitude chez les débatteurs (et les arbitres) débutants, qui désirent avoir des règles et des normes clairement définies. Satisfaire ce désir (c’est-à-dire essayer de légiférer et de normaliser le contenu et la pratique du débat) reviendrait pour beaucoup à exiger que l’on décide d’une façon unique de peindre ou d’une façon standard de jouer de la musique. Le faire serait contraire à la nature même de l’exercice. En tant qu’activité humaine subjective, le débat est un acte de création : le débatteur choisit quoi dire, comment le dire et quelle pertinence accorder à ce propos dans un tour. Ces choix révèlent (et construisent) la personnalité de ce débatteur ; comme toute œuvre d’art créée par un artiste, ils constituent l’expression créative de ce débatteur. C’est bien la diversité qui rend formidables l’art et la musique : la beauté de l’art réside dans l’interaction unique entre l’artiste et l’observateur ; la musique est envoûtante parce qu’elle est l’expression unique du compositeur ou du musicien. Le débat n’est pas différent. Philosophie du débat
15
Dans ce livre, je ne recommande pas une façon de débattre. En revanche, j’espère présenter une variété d’outils qui, utilisés seuls ou avec d’autres, peuvent augmenter les chances de remporter un tour. Apprendre à choisir la tactique la plus efficace pour une situation donnée est à plus d’un titre beaucoup plus important que maîtriser la tactique elle-même. Maîtriser les deux vous mettra sur la voie du succès dans les débats.
16
Comment gagner un débat ?
C
H A P I T R E
2
Arguments et argumentation Pour beaucoup de gens, une dispute renvoie à un conflit entre personnes. Souvent considérée comme désagréable, une dispute (telle que la plupart des gens l’imaginent) peut aussi bien être une divergence d’opinion polie qu’une bruyante engueulade entre rivaux acharnés. Dans le contexte du débat, aucune de ces conceptions de dispute (ou argument en anglais, ndt) n’est exacte. Ici, un argument est le principal élément constitutif de la persuasion. Un argument est une série d’affirmations organisée de manière à souligner les liens entre ces idées en vue de démontrer que puisque certaines affirmations de la série sont considérées comme étant vraies, les autres devraient aussi être admises comme telles.
Eléments d’un argument Les arguments se composent de trois éléments : l’affirmation, l’appui et l’inférence. L’affirmation est la déclaration que la personne qui avance l’argument veut que la personne qui écoute l’argument accepte. Si j’avance un argument qui vise à démontrer que l’euthanasie devrait être autorisée pour les malades en phase terminale, l’affirmation que je veux que vous acceptiez est : « l’Etat doit autoriser l’euthanasie pour les malades en phase terminale ». Les affirmations sont des idées que l’auditoire ne considère pas encore comme vraies et que la personne qui les avance veut lui faire admettre. Cependant, une affirmation n’est pas un argument en soi. Par exemple, en soumettant l’affirmation selon laquelle l’euthanasie doit être légalisée, la plupart des gens vont demander « pourquoi ? ». Amener Arguments et argumentation
17
l’auditoire à adhérer à l’affirmation exige que la personne qui avance l’argument appuie cette affirmation. Dans un argument, l’appui est une idée ou un ensemble d’idées que l’auditoire admet comme vraies et qui sert de fondation à l’acceptation de l’affirmation. La personne qui présente l’argument espère que l’auditoire puisse passer de ce qu’il croit (l’appui) vers ce qu’il ne croit pas (l’affirmation). Dans l’argument de l’euthanasie, l’auteur de l’argument peut prendre en appui l’idée selon laquelle la mort met fin à la souffrance physique du malade en phase terminale. L’auditoire pourra relier cet appui à l’affirmation selon laquelle l’euthanasie doit être légalisée, à condition qu’il y adhère. La vraie magie de l’argument s’exerce lorsque l’auditoire découvre le lien entre l’affirmation et l’appui. La découverte de ce lien s’appelle l’inférence. Dans notre exemple sur l’euthanasie, le lien que le public découvrirait est que dans la mesure où la mort met fin à la souffrance physique et que l'euthanasie accélère la mort d’un malade en phase terminale, l’euthanasie est souhaitable. Ce caractère souhaitable, exprimé en termes de politique publique d’une société, devient la raison de la légalisation de l’euthanasie. Le processus d’inférence (le fait de constater la relation entre les idées) est la force qui fait passer l’auditoire de ce qu’il croit (l’appui) à ce que nous voulons qu’il accepte (l’affirmation). Qu’elle soit explicitée par l’auteur de l’argument (par une explication du lien qui existe) ou que sa découverte soit laissée à l’auditoire (à travers son propre processus rationnel), l’inférence est le moteur de l’argument. Quelle que soit la manière dont l’inférence est activée par un argument, il existe des approches standard à la structuration des idées selon les divers arguments.
18
Comment gagner un débat ?
Formes d’argument Les arguments prennent une variété de formes. La forme la plus élémentaire, traitée dans notre exemple sur l’euthanasie, est connue sous le nom de modèle simple d’argument.
Affirmation
Appui
Dans ce modèle, l’appui se trouve en dessous de l’affirmation, ce qui indique que l’appui sert de fondement à l’argument. La flèche représente l’inférence, ou le mouvement de la conviction de l’auditoire de l’appui (dans lequel il croit) vers l’affirmation (en laquelle il ne croit pas). L’argument en faveur de la légalisation de l’euthanasie ressemblerait à ceci :
L’euthanasie doit être légalisée pour les malades en phase terminale
La mort met fin à la souffrance des malades en phase terminale
Arguments et argumentation
19
Peu d’arguments sont aussi simples que le suggère le modèle cidessus. Au contraire, les déclarations qui constituent la plupart des arguments peuvent avoir des fonctions diverses et parfois multiples. Voici quelques variantes du modèle simple d’argument. Le modèle en chaîne reconnaît que l’auteur d’un argument est rarement sûr de ce que croit son auditoire et ne peut, par conséquent, savoir avec certitude quelles idées seront efficaces en tant qu’appui. Ce que l’auteur de l’argument pense être un appui d’une affirmation donnée peut très bien devenir une affirmation pour laquelle le public exige un appui. Dans l’argument ci-dessus, par exemple, l’auteur d’un argument peut déclarer que l’euthanasie doit être légalisée (l’affirmation) parce que le droit d’un individu de choisir de mourir doit être respecté par-dessus toute autre considération (l’appui). Il est possible, cependant, que l’auditoire ne soit pas convaincu que le droit du malade de choisir soit prépondérant, soulignant que la famille et la société en général ont leur part dans la décision du malade. Si tel est le cas, l’appui avancé devient une affirmation à prouver.
Affirmation
Appui / Affirmation
Appui
20
Comment gagner un débat ?
Dans le cas de l’argument sur l’euthanasie, l’auteur de ce dernier peut essayer de justifier l’appui en affirmant que l’autonomie d’un individu dans la prise de décision est essentielle à son humanité. Un tel argument se présenterait comme suit : L’euthanasie doit être légalisée pour les malades en phase terminale
Nous devons respecter le droit d’un individu de choisir la vie ou la mort
L’autonomie individuelle est un élément essentiel de l’humanité
Dans d’autres cas, l’auteur peut avancer une variété de bases d’appui en tant que fondement de son affirmation. Soutenir l’affirmation par une variété d’appuis augmente les chances que l’auditoire trouve convaincant au moins un et peut-être plusieurs domaines d’appui. Cette forme d’argument est représentée dans le modèle en grappe.
Affirmation
Appui
Appui
Appui
Arguments et argumentation
21
Dans l'exemple de l’euthanasie, l’auteur peut affirmer que l’euthanasie doit être légalisée parce que celle-ci met fin à la souffrance d’un malade en phase terminale ; parce qu’autoriser l’euthanasie honore l’autonomie de l’individu dans sa prise de décision ; et parce la légalisation
de
l’euthanasie
permettrait d’éviter des dépenses
considérables pour la prise en charge des malades en phase terminale.
L’euthanasie doit être légalisée pour les malades en phase terminale
Nous devons respecter le droit d’un individu de choisir de vivre ou de mourir
La mort met fin à la souffrance d’un malade en phase terminale
L’euthanasie soulage la famille d’un fardeau financier
Enfin, le modèle complexe d’argument est la combinaison des modèles en chaîne et en grappe. Ce modèle a cours lorsque l’auteur avance une variété de bases d’appui pour l’affirmation, elles-mêmes pouvant tout ou partie devenir des affirmations nécessitant d’être appuyées. La plupart des arguments répondent au modèle complexe.
Affirmation
Appui/Affirmation
Appui
22
Appui
Comment gagner un débat ?
Appui
Appui
Appui
En combinant toutes les versions des arguments précédents sur l’euthanasie, on formerait un argument complexe : L’euthanasie doit être légalisée pour les malades en phase terminale
Nous devons respecter le droit d’un individu de choisir de vivre ou de mourir
L’autonomie est essentielle à l’humanité
D’après la Déclaration des droits de l’homme des Nations Unies
La mort met fin à la souffrance d’un malade en phase terminale
L’euthanasie soulage la famille d’un fardeau financier
Conforme au droit nature
Argumentation Les arguments sont à l’argumentation ce que les phrases sont à la conversation. Dans les deux cas, l’exercice (l’argumentation ou la conversation) exige des éléments (arguments ou phrases), mais les éléments tout seuls ne suffisent pas à constituer l’exercice. En d’autres termes, on peut avoir des arguments sans avoir d’argumentation ; on peut formuler des phrases sans engager une conversation. Il y a argumentation lorsqu’au moins deux personnes avancent, critiquent et défendent des arguments pour prouver que leurs affirmations sont préférables à celles de l'adversaire. Cet échange exige des participants qu’ils développent et articulent leurs propres arguments, qu’ils écoutent les arguments de l’autre ou des autres participants, les critiquent, défendent les leurs contre la critique, comparent et opposent les arguments avancés par tous les participants au cours de l’échange. Arguments et argumentation
23
Si je devais avancer l’argument sur l’euthanasie susmentionné et que vous avez énoncé un argument contre sa légalisation, nous serions engagés dans une argumentation. L’argumentation peut avoir pour but de convaincre ceux qui discutent de changer d’attitude ou d’opinion ; elle peut aussi viser à convaincre l’auditoire de changer d’attitude ou d’opinion. Le débat est une forme structurée d’argumentation dont le but est de convaincre un auditoire de la pertinence d’un point de vue donné.
Modes d’argumentation L’argumentation peut avoir lieu sur une incroyable variété de sujets et prendre une grande variété de formes. Néanmoins, il existe certains types d’argumentation prévisibles et identifiables qui reviennent à maintes et maintes reprises, en particulier lors de concours de débats académiques. Ces thèmes, déterminés par le sujet et l’idée maîtresse de l’argumentation, sont appelés modes d’argumentation. Comprendre les modes d’argumentation nous aide à savoir quels arguments sont pertinents dans un différend donné, quel appui est nécessaire pour démontrer la véracité d’une affirmation et comment contrer des affirmations concurrentes. Après examen des types d’arguments généralement rencontrés dans les débats, l’expert en argumentation Robert Trapp identifie trois modes d’argumentation : descriptif, relationnel et évaluatif.6 L’argumentation descriptive met l’accent sur les différends portant sur la nature et la définition des choses ; l’argumentation relationnelle concerne les différends sur les rapports entre les choses ; et l’argumentation évaluative porte sur les différends relatifs à la valeur des choses.
24
Comment gagner un débat ?
Ces modes d’argumentation peuvent fonctionner indépendamment les uns des autres ou être liés. Un débat peut, par exemple, tourner autour de la proposition suivante : « les jeux vidéo violents doivent être interdits ». En analysant le bien-fondé de l’interdiction des jeux vidéo violents, ce débat exige un mode d’argumentation évaluatif (ex. : « L’interdiction des jeux vidéo violents est-elle une bonne ou une mauvaise chose ? »). Néanmoins, les débatteurs constatent rapidement que pour évaluer le bien-fondé de cette interdiction, ils doivent aussi présenter des arguments qui indiquent si les jeux vidéo dépeignent une violence réaliste (argumentation descriptive) et si l’exposition à la violence médiatique amène le téléspectateur à avoir un comportement violent (argumentation relationnelle). Dans ce débat, on utilisera les trois modes d’argumentation. Etant donné que la plupart des arguments utilisés dans un débat alimentent l’un de ces trois modes d’argumentation, il faut comprendre comment présenter les arguments dans chacun des modes. ARGUMENTATION DESCRIPTIVE Le mode d’argumentation descriptif concerne la nature et la définition des choses. L’argumentation descriptive intervient lorsque des gens sont en désaccord sur ce que l’on entend par la chose en question. Par exemple, dans un débat sur la légalisation de l’euthanasie, les parties prenantes échangent souvent des arguments descriptifs sur le fait que l’euthanasie est un meurtre ou non. Les participants discutant de cette question se trouveraient dans un mode d'argumentation descriptif. Une des parties peut affirmer que l’euthanasie, comme le meurtre, est un arrêt volontaire de la vie humaine. Ce débatteur peut affirmer que les deux impliquent un acte intentionnel qui cause la fin de la vie d’un autre et que, par conséquent, l’euthanasie équivaut à un meurtre.
Arguments et argumentation
25
Le camp adverse peut répondre que bien que la similitude décrite entre le meurtre et l’euthanasie soit exacte, le meurtre (contrairement à l’euthanasie) se produit sans le consentement de la personne dont la vie est tronquée et que, par conséquent, l’euthanasie est différente du meurtre. Les débatteurs échangent des arguments comme ceux-ci, et d’autres sur les descriptions de l’euthanasie et du meurtre, afin d’établir la nature et la définition de l’euthanasie. Ces débatteurs sont dans une argumentation descriptive.
Créer des arguments descriptifs Les débatteurs peuvent créer des arguments descriptifs efficaces de diverses manières. La tactique de la différenciation, par exemple, leur permet de démontrer la nature d’une chose. En recourant à cette tactique, le débatteur présenterait la chose comme appartenant à une catégorie générale, puis la distinguerait des autres éléments de la catégorie. S’agissant d'un débat sur le réchauffement de la planète, un débatteur peut affirmer que le réchauffement de la planète est une augmentation de la température à la surface de la terre (catégorie) causée par l’effet de serre (différenciation). L’utilisation d'exemples pour décrire les caractéristiques d’un cas concret de l’objet examiné peut aider à en illustrer la nature et la définition. Si je devais affirmer que le libre-échange autorise Nike à délocaliser des emplois vers des pays en voie de développement qui ne disposent pas de réglementations fortes en matière de protection de la main-d’œuvre et de l’environnement, j’utiliserais un exemple de libre échange pour en illustrer la nature et la définition. Pour comparer l’objet examiné à des choses similaires, les concurrents peuvent recourir à des analogies permettant de démontrer la nature et la définition dudit objet. Pour affirmer qu’il faut légaliser
26
Comment gagner un débat ?
l’usage récréatif de la marijuana, les débatteurs peuvent comparer la réglementation de la marijuana à celle de l’alcool. En établissant des parallèles entre les réglementations des deux substances intoxicantes, les débatteurs espèrent démontrer la nature et la définition de la légalisation de la marijuana. Enfin, ils peuvent compter sur l’autorité pour établir la nature et la définition d’une chose. Ce faisant, ils s’appuient sur quelqu’un ou quelque chose ayant une expertise présumée pour définir les caractéristiques de la chose en question. En présentant des arguments sur la nature de l’éducation, un débatteur peut affirmer que l’éducation est un droit humain fondamental, car il est présenté comme tel dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Contrer des arguments descriptifs Il existe plusieurs méthodes utiles pour contrer des arguments dans une argumentation descriptive. Premièrement, l’on peut mettre des arguments à l’épreuve en déterminant dans quelle mesure les caractéristiques associées à l’objet décrit sont intrinsèques. Les caractéristiques qui sont intrinsèques à l’objet décrit sont importantes pour sa description. Par ailleurs, les caractéristiques qui ne sont pas intrinsèques peuvent être considérées d’importance mineure pour la description de l’objet. Par exemple, pour contrer un argument soutenant que la peine de mort telle que pratiquée aux Etats-Unis est raciste, un adversaire peut affirmer que la caractéristique du racisme n’est pas intrinsèque à l’application de la peine de mort. Il peut déclarer que s’il est possible que la peine soit administrée de manière discriminatoire, l’application discriminatoire de la peine de mort n’est pas une caractéristique intrinsèque de la peine de mort. En procédant ainsi, il espère convaincre l’auditoire que la peine de mort peut être appliquée sans discrimination raciale.
Arguments et argumentation
27
La minutie constitue également une épreuve efficace pour les arguments descriptifs. Le test de minutie vérifie que toutes les caractéristiques pertinentes de l’objet décrit ont été identifiées. Si la description n’est pas assez complète, elle n’est pas adéquate. Si, par exemple, un débatteur s’exprimait en faveur de lois interdisant l’usage de drogues, il pourrait affirmer que ces lois visent à protéger les populations d’activités potentiellement nocives. Un opposant à ces lois pourrait rétorquer que non seulement ces lois protègent les gens contre eux-mêmes, mais elles représentent en outre, pour certains défenseurs de la loi, l’expression d’une opposition morale à l’usage récréatif de drogues. Ainsi, une caractérisation des lois comme étant exclusivement bienveillante ne constitue pas une description suffisamment minutieuse des lois antidrogues. ARGUMENTATION RELATIONNELLE Dans le mode d’argumentation relationnel, les débatteurs échangent des arguments sur les relations qui existent entre les choses, généralement les relations de cause à effet.7 L’argumentation sur lesdites relations s’intéresse à la capacité et à la possibilité pour un phénomène ou un événement d’en produire un autre. Que la pénalisation de l’usage de drogues en réduise la consommation, que la peine de mort prévienne la criminalité et que la violence dans les médias suscite une violence réelle sont tous des sujets d’argumentation relationnelle sur les relations de cause à effet. L’argumentation causale concerne des relations dont on ne peut jamais être certain. Nous savons, par exemple, que la pluie est causée par l’humidité présente dans l’air et la poussière un catalyseur autour duquel cette humidité peut se condenser jusqu’à gagner le poids nécessaire pour tomber au sol. On peut vérifier la relation de cause à effet entre l’humidité, la poussière et la pluie à la fois en milieux naturel et artificiel. Au fond, la cause de la tombée de la pluie n’est plus sujette à débat ; c’est un fait reconnu. 28
Comment gagner un débat ?
Malheureusement, l’on ne dispose pas de ce niveau de confirmation pour beaucoup d’autres relations. Par exemple, personne ne sait exactement ce que deviendront les régimes climatiques mondiaux si la température moyenne de la planète continue d’augmenter. En fait, on ne connaîtra avec certitude les effets du changement climatique sur la météo que lorsque ce changement se produira. Toutefois, on peut faire des prévisions causales sur ce qui se produira sur la base des informations disponibles. Autrement dit, on engage une argumentation relationnelle à propos de ce qu’on ne peut (ou que l’on ne peut pas encore) savoir. Cela est particulièrement pertinent dans un débat : ce sont ces questions relationnelles non résolues (et non solubles pour le moment) qui constituent les principaux déclencheurs de débats. Prenons n’importe quel débat à propos du comportement humain : la motivation humaine (l’idée principale d’une bonne part de l’argumentation causale dans les débats) est rarement expliquée dans une mesure incontestable. Quand on propose des lois ou des réglementations visant à restreindre certains comportements, on le fait parce qu’on espère que ces réglementations influenceront le comportement humain ; cet espoir s’appuie sur un raisonnement causal qui, au mieux, produit assez de certitude pour nous permettre d’agir. On ne peut dire avec une certitude absolue quel sera l’effet causal de la réglementation, mais nous sommes amenés à penser (par un raisonnement causal) que le résultat sera celui que nous souhaitons. Pour les relations non vérifiées ou non vérifiables, l’on doit avancer des arguments en faveur (ou contre) des relations supposées entre phénomènes différents. Il existe plusieurs manières de formuler des arguments efficaces à propos des relations de cause à effet.
Créer des arguments relationnels L’un des moyens les plus efficaces de formuler des arguments de cause à effet importants et complets sur les relations consiste à employer la technique de la réduction. Arguments et argumentation
29
La réduction propose de limiter une affirmation d’ordre général sur une relation de cause à effet (c’est-à-dire difficile à prévoir) en une plus restreinte de la même relation de cause à effet (qui est plus facile à prévoir). Si, par exemple, je voulais faire valoir que des peines plus dures contre la conduite en état d’ivresse atténueraient ce fléau, je pourrais réduire la relation de cause à effet affirmée à un examen du comportement d’une personne : je pourrais affirmer que je serais moins susceptible de conduire en état d’ivresse si je savais que ma première condamnation serait une forte peine d’emprisonnement ; par conséquent, les peines doivent être plus sévères. La réduction peut s’utiliser de plusieurs façons. Premièrement, un débatteur peut réduire une relation de cause à effet affirmée sur une catégorie entière en une sur un seul membre de ladite catégorie. L’argument sur l’effet de peines plus lourdes contre la conduite en état d’ivresse est un exemple de cette approche. Une autre approche à la réduction consiste à étayer des arguments sur une relation de cause à effet étendue à une catégorie en restreignant l’examen aux caractéristiques de ladite catégorie. Si j’affirme que l’on peut encourager les consommateurs à utiliser des énergies renouvelables en offrant des subventions qui les rendraient moins chères que les sources non renouvelables, je peux étayer cette affirmation en indiquant que les gens (les consommateurs) sont intéressés et avides et rechercheront par conséquent des produits moins chers. On peut aussi formuler des arguments causaux en utilisant des analogies. Cette stratégie souligne une relation de cause à effet entre des choses en comparant des circonstances inconnues à d’autres qui sont connues. Si j’affirmais que la création d’un système de santé publique résoudrait la crise des soins de santé aux Etats-Unis et que j’avançais comme appui l’efficacité des systèmes de soins de santé publique au Canada et au Royaume-Uni, je serais en train de me servir d’analogies pour établir la relation de cause à effet prévue. Une dernière façon de créer des arguments causaux consiste à s’appuyer sur l’autorité. En invoquant une experte dont les références 30
Comment gagner un débat ?
rendent crédibles ses déclarations sur la nature de la relation de cause à effet, un débatteur peut établir la probabilité de la relation de cause à effet énoncée. Si je crée l’argument selon lequel le changement du climat mondial est le résultat de l’augmentation du niveau des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, je peux m’en remettre à l’avis de scientifiques qui ont étudié la question pour étayer mon affirmation.8
Contrer des arguments relationnels Puisque raisonner sur les relations de cause à effet est si essentiel pour comprendre le monde qui nous entoure, il n’est pas étonnant qu’il y ait tant de manières de prouver la validité de ces arguments. Ces tests, appliqués à l’argument causal d’un adversaire, sont une façon efficace de les contrer. Le test de capacité est une façon très simple d’évaluer des arguments causaux. Avant d’examiner la possibilité de la relation de cause à effet énoncée dans un argument, ce test recherche si la cause présumée peut produire l’effet supposé. Ceux qui contestent l’effet dissuasif de la peine de mort utilisent souvent ce test pour saper la relation de cause à effet avancée par ceux qui affirment qu'elle empêchera les meurtres. La plupart des meurtres, disent les adversaires, sont des actes passionnels et non le fruit d’une réflexion rationnelle. En conséquence, un dispositif dissuasif nécessitant de la part du criminel potentiel qu’il réfléchisse aux conséquences de son comportement est voué à l’échec. En d’autres termes, la peine de mort n’empêchera pas les meurtres. Un deuxième test du raisonnement causal consiste à se demander si les causes sont nécessaires et suffisantes pour produire l’effet supposé. Les causes nécessaires sont celles dont l’existence est inévitable pour que se produise un effet supposé : la présence d’oxygène est une cause nécessaire de la combustion. Les causes suffisantes sont celles qui, par elles-mêmes, produiront l’effet supposé. Alors que l’oxygène est nécessaire pour la combustion, sa présence par elle-même ne la produira pas. Un argument avançant une relation de cause à effet peut Arguments et argumentation
31
être compromis en démontrant que la cause n’est pas nécessaire (et donc la relation n’est pas certaine), ou pas suffisante (et ne peut donc pas être présentée comme une cause de l’effet supposé). Le test d’absence est une autre façon d’évaluer les relations de cause à effet. Pour utiliser le test d’absence, un débatteur devra prouver que sans la cause supposée l’effet continue d’exister. Cette observation rend la relation de cause à effet supposée suspecte. Pour contrer l’argument selon lequel la violence dans les médias produit une violence réelle, je peux affirmer que la violence fait partie du comportement humain depuis la nuit des temps et, par conséquent, les medias ne peuvent pas en être tenus pour responsables. En d’autres termes, en l’absence de la cause supposée (des médias violents), l’effet (la violence) existe quand même. La corrélativité est un autre facteur important pour énoncer des arguments causaux convaincants. Ce test évalue la concomitance de la cause et de l’effet supposés. Ce qui sous-tend le test de corrélativité c’est l’hypothèse selon laquelle si la cause et l’effet sont évidemment liés, à mesure que la cause augmentera (ou diminuera) l’effet augmentera (ou diminuera) simultanément. En essayant d’établir un lien entre les antioxydants et l'absence de cancer, des chercheurs ont étayé leur affirmation d’un lien de cause à effet en examinant les taux de cancer dans les cultures où les régimes alimentaires comportaient beaucoup d’aliments riches en antioxydants. En démontrant qu'à mesure qu’une circonstance (la consommation d’antioxydants) augmentait, l’autre (le taux de cancer) diminuait, les chercheurs ont démontré de façon convaincante l’existence d’un lien de cause à effet entre les deux. Le test d’alternativité est un autre test courant des relations de cause à effet supposées. L’alternativité s’interroge sur l’existence d’autres causes pouvant produire le même effet. Si c’est le cas, la relation de cause à effet énoncée par le débatteur est suspecte. A un certain point, le débat sur le changement du climat mondial s’est focalisé sur le test d’alternativité pour déterminer si une 32
Comment gagner un débat ?
augmentation des gaz à effet de serre était responsable du réchauffement de la planète. Les opposants à l’explication par les gaz à effet de serre ont essayé d’affirmer que la Terre était confrontée aux cycles naturels de réchauffement et de refroidissement qui modifient le climat mondial ; ils cherchaient à démontrer qu'étant donné qu’une autre cause (un cycle de réchauffement) était en mesure de produire le même effet (le changement du climat mondial), alors la cause supposée (les gaz à effet de serre) était suspecte. Le mode d’argumentation relationnel établit et prouve des liens supposés entre phénomènes. Toutefois, les arguments relationnels sont rarement suffisants par eux-mêmes. Généralement, l’on développe une argumentation relationnelle (et descriptive, du reste) au service ultime d’une argumentation évaluative. ARGUMENTATION EVALUATIVE A travers l’argumentation évaluative, on détermine ce qui est bien et ce qui est mal, souhaitable ou non souhaitable, favorable ou défavorable. Des motions telles que « Cette assemblée craint l’émergence de la Chine » ou « Cette assemblée est favorable à l’interdiction des jeux vidéo violents » sont des exemples classiques de motions qui exigent en fin de compte un mode d’argumentation évaluatif. L’immense majorité des argumentations qui ont cours dans les débats concurrentiels aboutissent à des argumentations évaluatives.
Créer des arguments évaluatifs La création d’arguments évaluatifs se fait en deux étapes : l’identification des composantes de l’évaluation et la comparaison de ces composantes. L’identification explicite les composantes inhérentes aux arguments évaluatifs : l’objet (ou les objets) évalué(s) et l’évaluateur. L’objet est le
Arguments et argumentation
33
centre d’intérêt de l’évaluation : dans la motion « Cette assemblée craint l’émergence de la Chine », l’objet évalué c’est « l’émergence de la Chine ». L’évaluateur est le terme ou l’expression qui implique un jugement de valeur : dans la motion, « craint » est l’évaluateur. Cependant, avant de tester cette proposition, il faut définir l’objet et l’évaluateur. Comme nous l’avons dit plus haut, c’est ici que le mode d’argumentation descriptif joue un rôle. Pour décrire « l’émergence de la Chine », les équipes peuvent évoquer l’influence économique grandissante du pays, son poids politique croissant à travers le monde ou la modernisation de son armée. Bien entendu, les équipes peuvent aussi soutenir que ces trois facteurs ou d’autres définissent mieux l’émergence de la Chine. L’évaluateur doit lui aussi être défini. Pour prouver qu’une chose est bonne ou mauvaise, il faut définir les notions de « bon » et de « mauvais ». Dans notre exemple, avant qu’un arbitre ne soit convaincu qu’il faut craindre l’émergence de la Chine, il doit savoir à quoi renvoie le « fait de mériter d’être craint ». La définition de l’évaluateur produit une norme d’évaluation. Si je devais soutenir qu’une forte concentration du pouvoir par une nation, non maîtrisée par une accumulation relativement égale du pouvoir d’une nation concurrente est une situation à craindre, j’aurais défini l’évaluateur dans notre proposition. Cette définition devient par conséquent la norme par rapport à laquelle l’émergence de la Chine sera évaluée. Dans l’idéal, la définition de l’évaluateur et la norme qui en découle doivent être formulées de manière universelle, applicable à tous les cas dans lesquels des objets similaires sont évalués. Ces normes universalisées sont plus facilement considérées comme des affirmations conditionnelles
à
propos
de
la
catégorie
d’objets
examinée.
Généralement, ces normes sont formulées comme suit : « Si une (catégorie d’objets) est (définition de l’évaluateur), alors il est (évaluateur). » 34
Comment gagner un débat ?
Dans notre exemple, la catégorie générale à laquelle appartient la Chine est « nation ». Alors, notre norme peut être la suivante : « Si une (nation) (concentre un pouvoir non maîtrisé par des nations concurrentes), alors cette nation doit être (crainte). »
Cette formulation permet que la norme à partir de laquelle l’émergence de la Chine est évaluée s’applique également à l’évaluation de l’émergence d’autres nations. L’universalité de la norme augmente ses chances d’être un outil d’évaluation légitime et objectif plutôt qu’un repère créé uniquement pour satisfaire ceux qui veulent prouver la pertinence d’une proposition donnée. La deuxième étape de l’argumentation évaluative consiste à comparer l’objet à la norme. C’est l’étape la plus connue du processus évaluatif ; les débatteurs s’engagent naturellement dans cette étape quand ils formulent des arguments sur la valeur des choses. En termes argumentatifs stricts, la comparaison de l’objet à la norme exige de ceux qui cherchent à prouver une certaine évaluation d’un objet qu'ils démontrent que l’objet répond à la norme. Dans notre exemple, lorsque le débatteur apporte la preuve que l’émergence économique, politique et militaire de la Chine constitue une accumulation par cette seule nation d’un pouvoir sans égal et non maîtrisé, il compare l’objet à la norme. Les argumentaires créés pour établir des propositions évaluatives peuvent prendre deux formes générales : formuler l’argumentaire autour d’une norme unique (comme dans l'exemple ci-dessus, où la norme de l’« accumulation non maîtrisée du pouvoir » sert à évaluer la puissance économique, politique et militaire de la Chine) ou formuler des argumentaires autour de plusieurs normes, chacune servant de preuve à l’évaluation. L’on peut formuler un argumentaire pour la motion « Cette assemblée est favorable à la légalisation de l’euthanasie » autour de trois arguments indépendants : (1) autoriser l’euthanasie met un terme à la Arguments et argumentation
35
souffrance du malade en phase terminale ; (2) autoriser l’euthanasie honore l’autonomie de l’individu dans sa prise décision et (3) la légalisation de l’euthanasie permettra d’éviter des dépenses énormes dans la prise en charge d’un malade en phase terminale. Dans cet argumentaire, chacun des arguments contient une norme implicite et distincte par laquelle on peut déterminer le bien-fondé de la légalisation de l’euthanasie : 1.
Si une politique médicale limite la souffrance d’un malade, elle doit être légalisée ;
2.
Si une politique médicale honore l’autonomie d’un individu, elle doit être légalisée ; et
3.
Si une politique médicale limite le fardeau financier des soins en faveur d’un malade en phase terminale, elle doit être légalisée. Enfin, l’argumentation évaluative peut considérer deux types
d’évaluation : l’argumentation évaluative simple considère l’évaluation d’un objet unique par rapport à une norme. « Cette assemblée craint l’émergence de la Chine » considère uniquement la question de savoir si le développement de la Chine est une chose à redouter. L’argumentation évaluative comparative considère l’évaluation relative de deux ou plusieurs objets : « Cette assemblée préfère les solutions du marché à l’intervention du gouvernement lors des crises économiques ». Dans ce cas, les débatteurs doivent évaluer la valeur relative des solutions du marché et l’intervention du gouvernement, sans devoir prouver que l’une ou autre position est bonne ou mauvaise.
Contrer les arguments évaluatifs Les arguments échangés dans le mode d’argumentation évaluatif sont, comme tout autre argument, sujets à la critique d’un adversaire. Trois approches générales permettent de contrer les arguments
36
Comment gagner un débat ?
évaluatifs : les débatteurs peuvent contester la définition de l’objet examiné ; ils peuvent contester la norme utilisée pour évaluer ledit objet ; ou ils peuvent contester la mesure de l’objet par rapport à la norme. Il y a contestation de la définition de l’objet lorsqu’un débatteur pense que ceux qui proposent un argument évaluatif ont défini l’objet examiné de façon inappropriée ou incomplète. Un adversaire peut affirmer, par exemple, qu'évaluer l’émergence de la Chine en se focalisant sur sa force économique, politique et militaire fausse l'examen de l'ascension de la Chine. En outre, il pourrait affirmer que l’émergence de la Chine a amélioré le niveau de vie de nombreux citoyens, permis l'accès à des opportunités économiques autrefois inexistantes et créé des liens plus importants avec la communauté mondiale. Si l’« émergence de la Chine » comprenait ces éléments, dirait un adversaire, nous ne serions pas tant amenés à la craindre. Rappelez-vous que l’argumentation descriptive concerne la manière dont les choses sont définies ; toutes les techniques permettant d’imposer une autre définition seront pertinentes dans cette optique. Pour contester la norme utilisée pour évaluer l’objet, les débatteurs doivent s’efforcer de prouver que la norme présentée par leurs adversaires est partiale ou incomplète. Dans notre exemple précédent, « l’accumulation de pouvoir non maîtrisée » a été proposée comme norme à partir de laquelle l’on pourrait déterminer si une nation est à craindre. Pour contrer ceux qui veulent prouver que nous devons craindre la Chine, le camp adverse peut affirmer que cette norme est incomplète. Il peut déclarer qu’en elle-même l’accumulation du pouvoir est inoffensive ; ce n’est que lorsqu'une nation exerce ce pouvoir de façon belligérante que nous devons la craindre. En changeant la norme par laquelle on évalue le « fait de mériter d’être craint », le camp adverse espère convaincre l’arbitre de ce que la Chine n’agissant pas de façon belligérante, elle n’est pas à craindre.
Arguments et argumentation
37
Enfin, les débatteurs peuvent contester la mesure de l’objet par rapport à la norme. Dans cette approche, les adversaires acceptent généralement la norme proposée par ceux qui essaient de prouver la pertinence de l’évaluation mais contestent la preuve avancée pour mesurer l’objet par rapport à la norme. Lorsqu’un débatteur affirme que la Chine a amassé un pouvoir économique, politique et militaire non maîtrisé et sans égal, un adversaire peut le contrer en démontrant que l’interconnexion de la Chine avec l’économie mondiale constitue un important frein à son influence économique ; que son autorité politique est tempérée par d’autres nations (occidentales en particulier) ayant un pouvoir politique égal ou supérieur ; et que la puissance militaire de la Chine reste insignifiante comparée à celle de la Russie et des Etats-Unis, qui permettent tous les deux d’équilibrer toute influence militaire dont pourrait jouir la Chine. En contestant la mesure de l’objet par rapport à la norme, le camp adverse crée le doute quant à la nécessité de craindre la Chine. Comprendre comment fonctionnent les arguments et comment ils peuvent être structurés est un préalable pour comprendre comment ces arguments peuvent être échangés dans les modes d’argumentation descriptif, relationnel et évaluatif. Maîtrisant désormais parfaitement les techniques permettant de développer et de contrecarrer ces types d'arguments, nous pouvons maintenant commencer à envisager comment les appliquer à notre avantage dans les débats contradictoires.
38
Comment gagner un débat ?
C
H A P I T R E
3
Stase et structure Un des défis permanents auxquels sont confrontés les débatteurs lorsqu’ils travaillent avec les arguments verbaux consiste à faire ressortir clairement le lien entre les idées qu’ils essaient de faire passer. Le débat exigeant un échange verbal immédiat, les idées dont se servent les débatteurs sont éphémères, fluides et en mouvement constant. Pour surmonter cette difficulté, il faut être capable d’identifier les lieux et les moments où les arguments marquent une pause, même brève, et sont donc plus facilement reconnaissables et manipulables. Appelés points de stase, ces lieux représentent les pierres angulaires des fondements sur lesquels construire des structures d’argument plus complexes. Pour comprendre la nature et la fonction des points de stase, nous examinerons tout d’abord une métaphore populaire de l’argument qui en imagine le processus comme étant marqué par le mouvement. A partir de là, nous arriverons à comprendre comment les points de stase fonctionnent comme des zones de repos pour ceux qui manipulent des arguments et comment les débatteurs peuvent utiliser ces points pour concevoir et mettre en œuvre leurs stratégies. Enfin, nous verrons comment les débatteurs peuvent créer des arguments pour en communiquer efficacement le fond et la forme aux autres participants d’un tour de débat.
Argument en tant que mouvement Dans leur œuvre influente Metaphors We Live By, George Lakoff et Mark Johnson s’intéressent au rôle que jouent les métaphores dans notre Stase et structure 39
compréhension du monde.9 En général, ils soutiennent que les êtres humains arrivent à comprendre le monde qui les entoure en échangeant des informations sous forme de métaphores qui créent un contexte familier dans lequel comprendre les nouvelles informations. Sachant que ces métaphores expriment intrinsèquement notre version de la réalité, Lakoff et Johnson pensent que l’étude de celles-ci peut éclairer notre compréhension du monde. Je pense que l’on peut obtenir le même éclairage en examinant une métaphore fréquente dans nos développements sur l’argumentation. L’une des métaphores les plus couramment utilisées pour l’argumentation est celle du mouvement. Examinons les descriptions de ce que font les gens quand ils débattent. Les débatteurs : émeuvent un auditoire, avancent des positions, déstabilisent leurs adversaires, réorientent les questions, suivent des argumentations, font des sauts logiques, battent en retraite, font avancer des enjeux, transmettent des notions essentielles, arrivent à des conclusions, et ainsi de suite. Cette métaphore du mouvement est révélatrice de notre vision de la discussion. Quand nous parlons de discuter en utilisant le langage du mouvement, nous supposons au moins trois choses importantes : premièrement, nous considérons le débat comme un processus dynamique, fluide et éphémère ; deuxièmement, nous l’imaginons comme ayant une dimension spatiale. Comprendre cette métaphore plus 40 Comment gagner un débat ?
profondément permet de surmonter la difficulté d'un milieu mobile en trouvant le moyen de le rendre plus stable. La conception du débat comme un processus dynamique, fluide et éphémère s’appuie sur le modèle d’argument énoncé au chapitre 2. En examinant la structure des arguments, nous avons identifié le modèle simple représentant le mouvement d’un auditoire partant de ce qu’il croit déjà (l’appui) vers ce qu’il ne croit pas encore (l’affirmation). Le mouvement singulier représenté dans ce modèle simple d’argument est répété et amplifié dans le processus d’argumentation. Etant donné qu’aucune position particulière avancée par un défenseur de celle-ci n’est une collection de simples arguments agissant de concert pour vérifier une proposition, compte tenu que le tenant d’une position avance ses arguments dans un contexte où un adversaire essaie de lui opposer ses propres arguments, et que ces adversaires travaillent en équipe avec des partenaires afin de faire prospérer leurs positions, et considérant le fait que dans le style des « Mondiaux » il y a quatre équipes dans chaque tour, la complexité du mouvement potentiel au cours d’un tour du débat est exponentielle. Avec tant d’efforts simultanés et contradictoires visant à émouvoir l’auditoire, la confusion est plus que probable. Mais la métaphore du mouvement offre aussi l’opportunité de surmonter cette confusion. La métaphore du mouvement suppose que l’on conçoit les arguments comme existant dans un contexte spatial ; pour se mouvoir, une chose doit exister dans l’espace (ou tout au moins être considérée comme étant similaire à une chose qui existe dans l’espace). Bien que les arguments échangés au cours d’un tour de débat n’aient pas une forme physique, lorsqu’on travaille avec ceux-ci (c'est-à-dire quand on construit ses propres arguments, qu’on déconstruit ceux de ses adversaires ou qu’on essaie de comparer les positions des deux camps) on le fait tout d’abord en fixant ces arguments à un point de référence. Ce
Stase et structure 41
point (un point statique imaginaire dans l’espace imaginaire dans lequel se meuvent les arguments) permet d’identifier, de comprendre et d’évaluer plus efficacement des arguments contradictoires que s’ils restaient en mouvement.
Points de stase Ces points fixes sont appelés points de stase. La stase, décrite pour la première fois par les rhétoriciens de la Grèce et de la Rome antiques, est un lieu imaginaire où des arguments divergents se croisent. Si vous et moi ne sommes pas d’accord sur le lieu de notre déjeuner (je veux manger indien et vous thaïlandais), le point de stase de notre désaccord concerne le lieu où nous déjeunerons. Dans un débat, les points de stase sont les lieux où nos arguments croisent ceux de nos adversaires. Si j’affirme que l’Inde doit obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU) et que vous soutenez le contraire, le point de stase de notre différend consiste à savoir si l’Inde doit entrer au CSNU. Deux points de stase généraux se rapportent au débat : ceux qui fonctionnent comme des propositions et ceux qui sont des enjeux.
PROPOSITIONS Dans un tour de débat, une proposition est le point de stase le plus général sur lequel les parties adverses vont s’opposer. Une proposition a deux fonctions : tout d’abord, elle sert de frontière autour des sujets à débattre ; ensuite, elle sert de ligne de séparation entre ceux qui sont pour la proposition et ceux qui sont contre. La fonction première d’une proposition est d’identifier les questions qui feront l’objet d’argumentation dans le débat et qui, peut-être plus important encore, ceux qui n’en feront pas l’objet. Un débat sur la
42 Comment gagner un débat ?
proposition « nous devons légaliser l’euthanasie pour les malades en phase terminale » peut comporter des arguments sur ce qu’est l’euthanasie, comment les médecins réagiraient à la légalisation de l’euthanasie et si cette légalisation est souhaitable. Toutefois, un débat sur cette proposition ne comporterait pas d’arguments sur l’usage récréatif de la marijuana, qui seraient exclus par la proposition. Pour prolonger la métaphore du mouvement et de l’espace présentée plus haut, imaginez que la proposition du débat agit comme une limite pour le « terrain de jeu » du tour du débat ; elle indique quel territoire sera disputé et lequel ne le sera pas. Les arguments qui occupent le territoire à l’intérieur des limites de la proposition se rapportent au débat ; les arguments se trouvant sur le territoire en dehors de ces limites ne sont pas pertinents.
Proposition
Territoire pertinent
Territoire non pertinent
La proposition fonctionne également comme une ligne de démarcation entre le territoire de ceux qui la défendent et celui de ceux qui la combattent. Dans l’exemple de l’appartenance de l’Inde au Conseil de sécurité, la proposition avancerait des arguments en faveur de l’inclusion de l’Inde et l’opposition avancerait des arguments contre ; la division de ce terrain est représentée par la proposition.
Stase et structure 43
Proposition
Territoire de la proposition
Territoire de l’opposition
En général, la motion soumise au débat exprimera la proposition. Par exemple, si la motion annoncée est : « Cette assemblée est favorable à la pénalisation du paiement de rançons », la proposition du débat est claire : l’équipe de la proposition défendra la nécessité de rendre le paiement de rançons illégal et l’opposition soutiendra qu’il ne doit pas l’être. Les participants au tour du débat (y compris les débatteurs, les arbitres et l’auditoire) peuvent prévoir que le camp de la proposition avancera des arguments énonçant des sanctions en cas de paiement d’une rançon et que le camp de l’opposition soutiendra que la pénalisation est une façon inappropriée de décourager le versement de rançons. Cependant, dans d’autres cas, la proposition divergera de la motion arrêtée pour le débat. Il peut en être ainsi pour deux raisons : premièrement, l’argumentaire de l’équipe de la proposition peut être nettement différent de la motion ; deuxièmement, la proposition peut apparaître organiquement comme le produit des arguments et de la stratégie des équipes de la proposition et de l’opposition. Dans le premier cas, un argumentaire d’ouverture de la proposition peut devenir la proposition du débat simplement parce que certaines motions ne font pas de bonnes propositions. Des motions vagues, abstraites, floues ne définissent pas clairement le champ d’argument à disputer, pas plus qu’elles ne répartissent clairement le terrain entre la proposition et l’opposition.
44 Comment gagner un débat ?
Imaginez un débat sur le thème « Cette assemblée est disposée à désigner une ville pour accueillir les Jeux olympiques à titre permanent ». Bien qu’un tel débat puisse se focaliser sur les avantages et les inconvénients abstraits d’une ville unique comme site des Jeux olympiques, le débat paraîtrait incomplet si aucune ville précise n’était choisie. Pour rendre le débat plus concret, l’équipe de la proposition d’ouverture peut, par exemple, proposer Athènes comme site permanent des Jeux olympiques. La proposition de ce débat devient alors celle de savoir si Athènes doit être désignée comme site permanent des Jeux olympiques. Dans un tour donné, la proposition peut aussi être le produit de la bataille implicite des équipes à propos du véritable objet du débat. Prenons l’exemple d’une motion telle que « Cette assemblée est favorable à ce que l’accord parental soit exigé pour les malades de moins de 18 ans souhaitant subir un avortement ». Au vu de cette motion, le point général de désaccord entre les parties proposition et opposition pourrait être la question de savoir si l’avortement légal est une politique sociale souhaitable ou non ; il pourrait se focaliser sur la question de savoir si les jeunes de moins de 18 ans ont la capacité rationnelle de faire un choix judicieux en de telles circonstances ; il pourrait aussi se focaliser sur la question de savoir si parmi les adultes les parents sont les mieux placés ou non pour valider une telle décision. En dernière analyse, celle de ces questions sur laquelle le débat se focalisera finalement sera la proposition du tour. ENJEUX Outre le point de stase général qui définit les limites et la répartition du terrain dans le débat, d’autres points de stase plus spécifiques (les enjeux) sont les points de rencontre des arguments particuliers que l’on explore pour répondre à une interrogation plus large (la proposition). Les enjeux sont semblables aux propositions en ce qu’ils représentent le lieu
Stase et structure 45
de collision des arguments des équipes de la proposition et de l’opposition. Ils diffèrent cependant en termes d’échelle et de précision. Les enjeux sont des points de stase plus étroits qui apparaissent lorsque la proposition et l’opposition présentent leurs arguments sur la véracité de la proposition. En d’autres termes, les enjeux représentent des domaines d’affrontement précis sur le champ de réflexion créé par la proposition. Visuellement, les enjeux se rapportent à la proposition de la façon suivante : Proposition Enjeu n°1 Proposition
Opposition Enjeu n°2
Proposition
Opposition Enjeu n°3
Proposition
Opposition
Si, par exemple, la proposition du débat est : « Cette assemblée est favorable à l’interdiction de fumer dans les lieux publics », les équipes proposition et opposition auront probablement des divergences sur des sujets de controverse précis à l’intérieur de la proposition générale. Ces sujets spécifiques représentent les enjeux que soulève le débat. Les deux camps peuvent s’opposer sur l’enjeu de la santé publique, la proposition soutenant que l’interdiction de fumer en public va protéger du tabagisme passif ceux qui ne veulent pas fumer et l’opposition affirmant que l’exposition au tabagisme passif est faible dans les lieux publics. La proposition et l’opposition peuvent s’affronter sur un enjeu économique, l’opposition avançant que l’interdiction de fumer dans les lieux publics aura un impact négatif sur les bénéfices tant des détaillants, qui vendront moins de cigarettes, que des commerces, qui 46 Comment gagner un débat ?
perdront les recettes des fumeurs qui ne fréquenteront plus leurs établissements désormais non-fumeurs. Enfin, les deux équipes peuvent échanger des arguments à propos des droits, l’opposition déclarant que les fumeurs ont le droit d’exercer leurs choix, y compris dans les lieux publics. La proposition pourrait rétorquer que le droit d'un fumeur d'effectuer son choix n'est plus garanti à partir du moment où ce droit a une incidence négative sur le droit d’un non-fumeur d’éviter d’inhaler de la fumée secondaire. Visuellement, le débat sur l’interdiction de fumer pourrait se présenter comme suit :
Cette assemblée est favorable à l’interdiction de fumer dans les lieux publics
Fumer nuit-il à la santé publique ? Proposition
Opposition Quelles seront les conséquences économiques ?
Proposition
Opposition Les fumeurs ont-ils le droit de fumer en public ?
Proposition
Opposition
Les enjeux sont définis par les arguments que les débatteurs avancent pour étayer leurs positions. Si un débatteur déclare qu'une proposition donnée aura un impact économique, alors le tour comporte un enjeu économique. Si d’autres débatteurs soutiennent qu’une proposition nuit aux droits individuels des citoyens, alors il y a un enjeu portant sur les droits. Bien que ces enjeux soient initiés par des arguments énoncés par les parties en compétition, ils ne deviennent vraiment des enjeux que si l’équipe adverse s’engage dans un échange sur celle-ci. Si, dans le débat Stase et structure 47
sur la cigarette, la proposition affirme que fumer nuit à la santé publique et que l’opposition n'avance pas d’argument pour contrer cette affirmation, alors cet enjeu ne prend pas d’ampleur. Toutefois, dire qu’un enjeu n’aboutit pas ne revient pas à dire qu’il n’est pas important. S’il n’est pas disputé, l’enjeu peut pencher de façon décisive en faveur de la proposition. Autrement, l’opposition pourrait ignorer le fond de l’enjeu et prétendre qu’il est sans intérêt comparé à d’autres enjeux (que l’opposition serait susceptible de dominer). Nous y reviendrons. Bien que ces enjeux soient définis par les arguments avancés par les débatteurs, certains sont prévisibles car ils reviennent souvent lors des débats, en particulier les débats sur des propositions de politique publique. Voici une liste des enjeux qui reviennent régulièrement lors des concours de débats académiques. Bien qu’elle ne soit en aucune façon exhaustive, cette liste constitue une bonne référence pour les débatteurs qui veulent anticiper les arguments possibles pour toute proposition.
Enjeu
Sujet
Culturel
Arguments relatifs à l’identité collective que partagent les membres d’un groupe donné.
Economique
Arguments relatifs aux affaires financières.
Educatif
Arguments portant l’effort d’instruction des citoyens.
Environnemental
Arguments relatifs à la nature.
Juridique
Arguments portant sur ce qui est exigé ou interdit par les règles d’une société.
48 Comment gagner un débat ?
Moral
Arguments concernant les conséquences éthiques d’une proposition.
Politique
Arguments relatifs à l’acquisition et à l’exercice du pouvoir.
Droits
Arguments portant sur les libertés ou les privilèges.
Sécurité
Arguments concernant la sécurité d’une nation.
Social
Arguments portant sur les rapports entre personnes.
Symbolique
Arguments relatifs à l’interprétation du sens des phénomènes.
Bien-être
Arguments concernant la santé et le bien-être publics.
Il convient de noter que le champ d’application des enjeux susmentionnés n'est pas figé. Prenons, par exemple, le débat sur « l’interdiction de fumer » abordé plus haut. Bien que les arguments relatifs aux conséquences économiques d’une interdiction de fumer puissent se regrouper en un enjeu économique important, ce dernier pourrait aussi être subdivisé en sous-questions plus ciblées. La proposition et l’opposition sont peut-être en désaccord sur l’impact économique sur les intérêts commerciaux (tels que les vendeurs de cigarettes au détail et les bars et restaurants qui peuvent perdre leurs clients fumeurs) et sur l’intérêt public (notamment le coût des fumeurs pour les systèmes de santé publique). Dans ce cas, l’enjeu général des arguments « économiques » pourrait être divisé entre des enjeux « économico-commerciaux » et « économico-publics ». Stase et structure 49
Rapports entre les enjeux Souvent, les enjeux développés pour prouver une proposition n’ont pas de rapport entre eux. Les enjeux abordés dans le débat ci-dessus (enjeu de santé publique, économique et de droits individuels) n’ont aucun lien logique entre eux. Is partagent certainement tous un lien avec le sujet ; ils se rapportent tous substantiellement à la proposition. Toutefois, l’ordre et l’enchaînement dans lequel ils interviennent ne sont pas déterminés par un lien logique entre eux.10 Néanmoins, d’autres groupes d’enjeux ont des rapports logiques entre eux, ce qui en exige une organisation particulière. Prenons la motion suivante : « Cette assemblée est favorable à ce que les prisons facilitent l’exercice du droit des prisonniers à la procréation ». Pour cette motion, les points d’achoppement probables entre la proposition et l’opposition sont les suivants : 1. Existe-t-il un « droit » à la procréation ? 2. Les prisonniers ont-ils le droit de procréer ? 3. Les prisons ont-elles l’obligation de faciliter l’exercice du droit à la procréation d’un prisonnier ? Ces questions suivent une progression logique. La question de l’existence ou non d’un droit doit être résolue avant que ne soit abordée celle de savoir si les prisonniers jouissent de ce droit. De la même façon, avant que les débatteurs ne s’engagent dans l’enjeu de l’obligation pour les prisons de faciliter l’exercice des droits à la procréation des prisonniers, ils doivent en découdre sur celui de savoir si seulement les prisonniers ont le droit de procréer. Les résultats de ces enjeux suivent eux aussi une progression logique : si l’opposition convainc les arbitres que la réponse au premier enjeu est « non », alors il aura été démontré que la proposition est fausse (les autorités pénitentiaires n’ont aucune 50 Comment gagner un débat ?
raison de faciliter l’exercice du droit de procréer pour les prisonniers si ce droit n’existe pas) et qu’il n’est pas nécessaire de passer au deuxième enjeu. De la même manière, si l’opposition prouve que bien qu’il existe un droit général à la procréation, les prisonniers perdent ce droit une fois qu’ils sont incarcérés, alors rien ne justifie que les arbitres examinent le troisième enjeu. Dans certains cas, les rapports qui existent entre les enjeux peuvent découler de façon organique du centre d’intérêt particulier d’une proposition. Par exemple, le débat sur le droit de procréer des prisonniers fait apparaître un ensemble d’enjeux suivant une progression logique et se rapportant exclusivement à ce débat. Un débat sur la légalisation de l’usage récréatif de la marijuana ne comporterait pas la même série d’enjeux suivant une progression logique. Pour découvrir les enjeux spécifiques à une proposition, les débatteurs doivent analyser cette proposition et saisir les enjeux éventuels qui s’y rapportent et, plus important encore, les rapports logiques éventuels existant entre ces questions. Une façon de le faire consiste à déterminer si certains enjeux servent de base logique à des enjeux subséquentes (ou, à l’inverse, si certains enjeux s’appuient sur des enjeux précédents). Pour ce qui est du débat sur la marijuana, par exemple, on pourrait prévoir que les équipes s’opposeront sur le fait de savoir s’il existe un droit à l’autonomie qui est violé par l’interdiction de l’usage récréatif de la marijuana. Cet enjeu (« le droit à l’autonomie est-il violé par une interdiction de l’usage de la marijuana ? ») s’appuie sur un enjeu fondamental précédent : « les individus ont-ils un droit à l’autonomie ? » A l’inverse, un enjeu subséquent à celui de savoir si « l’autonomie est violée » pourrait se présenter ainsi : « la violation de l’autonomie est-elle assez importante pour dépasser les dégâts potentiels que pourrait entraîner la légalisation de l’usage récréatif de la marijuana ? » Par conséquent, les enjeux relatifs au débat sur la légalisation de la marijuana pourraient être agencés suivant la progression logique ci-dessous :
Stase et structure 51
1.
Les individus disposent-ils d’un droit à l’autonomie ?
2.
L’interdiction de l’usage récréatif de la marijuana viole-t-il le droit à l’autonomie d’un individu ?
3.
La violation de l’autonomie est-elle suffisamment importante pour dépasser les dégâts potentiels que pourrait entraîner la légalisation de l’usage récréatif de la marijuana ? Dans d’autres cas, certaines séries d’enjeux ayant un rapport logique
entre eux émergent chaque fois que l’on débat d’un certain type de propositions. Par exemple, les débats sur des propositions de politique publique comportent certains « enjeux de bourse » qui reviennent systématiquement dans ces débats. Les débats sur la politique publique, qu'il s'agisse du Patriot Act des Etats-Unis ou de la légalisation de l’euthanasie, donnent lieu à un affrontement sur les enjeux largement disputés comme le fait de savoir s’il existe un problème et si une solution proposée le résoudra. Ces deux grands enjeux (le problème et la solution) peuvent se subdiviser en d’autres enjeux plus ciblés. Le problème concerne à la fois son importance (le problème est-il suffisamment important pour susciter une attention à coup sûr ?) et sa cause (pourquoi le problème existe-t-il ?). La solution se rapporte à l’enjeu, plus spécifique, concernant le sérieux (la solution proposée résoudra-t-elle ou atténuera-t-elle considérablement le problème ?) ainsi que des avantages et des inconvénients de l’application de la solution (les avantages seront-ils plus importants que les inconvénients ?). Comme pour les enjeux abordés ci-dessus, les enjeux de politique boursière sont reliés dans une progression logique. Avant de chercher à savoir si une politique proposée règlerait le problème (le sérieux de la solution proposée), les débatteurs doivent d’abord répondre à la question de savoir si le problème existe. De la même façon, avant d’examiner le sérieux de la solution proposée, les débatteurs doivent identifier la raison du problème (la cause de la question boursière). 52 Comment gagner un débat ?
Ce modèle qui consiste à résoudre un enjeu avant de passer au suivant est répété avec chacun des enjeux en matière de politique boursière : le débat ne peut s’orienter vers la cause du problème tant que l’importance du problème n’a pas été démontrée ; la question du sérieux suit une conclusion sur la cause du problème, ainsi de suite. Reconnaître les liens qui existent entre les enjeux peut constituer un atout majeur tant pour la proposition que pour l’opposition. Pour la proposition, analyser précisément les questions et en prévoir la progression logique favorise une préparation plus efficace en permettant aux débatteurs de mettre au point des arguments concernant les enjeux et d’anticiper les domaines sur lesquels l’opposition est susceptible d’attaquer. Pour l’opposition, l’avantage du rapport logique entre les enjeux est clair : si chaque enjeu sert de fondement au suivant, alors une équipe d’opposition peut concentrer son effort d’argumentation sur une phase précise de la progression logique afin de « briser la chaîne » de la logique menant à la conclusion générale.
Maîtrise des points de stase Tel qu’indiqué plus haut, le centre d’intérêt du débat (et donc des points de stase) est le produit des choix que font les débatteurs. La proposition sur laquelle se fait le débat est le fruit d’un accord (tacite ou explicite) entre les équipes consistant à se focaliser sur certains domaines et à ignorer d’autres domaines potentiels. En outre, les enjeux qui émergent de cette proposition découlent des arguments qu’avancent les débatteurs : si aucun argument n’est avancé pour définir un enjeu, alors celui-ci n’existe pas dans le tour. La manipulation des points de stase est essentielle pour gagner un débat. Pour apprécier combien il est important de maîtriser ces points de stase, nous allons maintenant voir comment fonctionnent les enjeux dans le périmètre défini par la proposition. Stase et structure 53
Comprendre comment ces enjeux fonctionnent, comment ils sont reliés entre eux et avec la proposition vous permettra de maîtriser le fond et l’objet du tour. Comme nous l’avons déjà dit, les enjeux représentent la lutte entre la proposition et l’opposition qui permet de faire prospérer (ou disqualifier) certains arguments relatifs à la proposition générale. Chaque enjeu, quel qu’en soit l’objet principal, représente un effort de chacune des équipes pour définir, saisir et défendre des positions dans l’esprit des arbitres. Tout au long du débat, chaque camp s'efforce de déplacer la ligne qui sépare les positions dans la question, afin d’occuper le plus d’espace possible en fin de tour. Visuellement, voici comment pourrait se présenter une « carte » de cet effort :
Proposition
Proposition
Proposition
Enjeu n°1
Enjeu n°2
Enjeun°3
Opposition
Opposition
Opposition
La carte montre très clairement ce qui s’est passé au cours du tour : la proposition a remporté le débat parce qu'elle a occupé la majorité du terrain. Elle l’a emporté sur deux des trois enjeux disputés. Mais pour réussir, il faut contrôler non seulement la répartition horizontale du terrain sur chacun des enjeux, mais aussi l’expansion verticale. Cette expansion, représentée ci-dessous, est le fruit des efforts des débatteurs pour démontrer l’importance relative des enjeux sur lesquels ils s’opposent :
54 Comment gagner un débat ?
Enjeu n°1
Opposition
Proposition Enjeu n°2 Proposition
Opposition
Enjeu n°3 Proposition
Opposition
Dans ce cas, il est évident que l’enjeu le plus important du tour était le deuxième, qui a occupé la majorité du territoire du point de vue des arbitres. Remporter cet enjeu est essentiel pour gagner le tour. Le deuxième enjeu est le plus vaste, car les arbitres estiment qu’il est le plus important. Leur estimation des enjeux « essentiels » dans le tour peut être le résultat de leur propres prédispositions et préférences, mais elle est aussi sujette aux efforts produits par les débatteurs pour les convaincre que telle ou telle question est la plus importante. Les débatteurs qui gagnent ne prennent pas le risque de laisser les arbitres décider quels sont les enjeux les plus importants ; leur stratégie de contrôle exige que non seulement ils aient le dessus sur les enjeux, mais aussi qu’ils hiérarchisent l’importance de ces enjeux pour les arbitres. Je ne soulignerai jamais assez la valeur de la hiérarchisation des enjeux. Un débat n’est pas un simple jeu quantitatif consistant à amasser des points gagnants ; l’emporter sur le plus d’enjeux ne garantit pas la victoire à l’issue du débat. Il faut remporter les enjeux importants. Pouvoir bien identifier les enjeux importants et convaincre les arbitres de l’importance liée à ces enjeux est incontournable pour une stratégie gagnante. C’est cette stratégie qui peut vous autoriser à perdre une majorité d’enjeux dans un tour, mais de l’emporter quand même au final. Examinons la carte suivante, qui présente le territoire à la fin du débat sur l’interdiction de fumer : Stase et structure 55
Proposition
Santé publique ?
Opposition
Proposition
Conséquences économiques ?
Opposition
Proposition
Droits des fumeurs ?
Opposition
Dans ce débat, la proposition a perdu sur la majorité des enjeux ; l’opposition a gagné sur les enjeux concernant les conséquences économiques et les droits des fumeurs ; la proposition n’a gagné que sur la question de la santé publique. Toutefois, la proposition a convaincu les arbitres que l’enjeu en matière de santé publique était supérieur aux autres et, par conséquent, a occupé la majorité du territoire à l’issue du débat.
Structurer les arguments pour occuper l’espace Tout comme un charpentier se sert d’un échafaudage pour maintenir ensemble les pièces d’un bâtiment en construction, un débatteur a besoin d’un échafaudage sur lequel fixer les idées qui constituent l’argument qu’il est en train de construire. Les débatteurs travaillent au moyen de la communication orale ; leurs discours sont construits car ils les énoncent en s’appuyant sur des notes limitées. Bien qu’ils puissent avoir une ébauche de plan de leurs idées établi au cours de leur préparation, le discours n’est que potentiel tant qu’il n’a pas été prononcé. Imaginez donc ce plan comme l’échafaudage auquel viendront s’agréger des idées plus complexes et élaborées. S’appuyant sur quelques points fixes d’un plan logique, le débatteur doit « combler
56 Comment gagner un débat ?
les vides » pour créer une expression cohérente et pleinement élaborée de ces idées qui communiquent toute sa stratégie. Malheureusement, les autres équipes engagées dans le tour, votre partenaire et (plus important encore) les arbitres n’ont pas d’exemplaire de votre plan. Chacun de ces participants enregistrera à sa manière le fond et l’ordre des arguments sur la base des signaux que vous leur enverrez au cours du débat. En plus d’énoncer vos arguments, vous devez communiquer la structure du débat, en identifiant clairement les enjeux et la manière dont les arguments interagissent au sein de ces enjeux (et comment les enjeux interagissent les uns avec les autres et, finalement, avec la proposition).11 Si nous reprenons la métaphore du débat comme un litige territorial entre la proposition et l’opposition, nous pouvons aussi imaginer pouvoir
cartographier
ce
territoire
pour
refléter
les
efforts
d’argumentation au fil du débat. Pour pouvoir créer, capter et défendre un territoire (c’est-à-dire communiquer la structure du tour), les débatteurs doivent communiquer la structure de leurs arguments. Dans le monde réel, un territoire se définit par ses frontières. Ces frontières sont des lignes imaginaires qui représentent une division territoriale entre des individus ou des groupes. Bien que ces frontières suivent parfois des caractéristiques géographiques (telles que des fleuves, des côtes ou des chaînes de montagnes), la frontière en elle-même est un concept humain : il n’y aurait pas de frontière entre la Chine et la Mongolie si les populations de ces deux nations ne la reconnaissaient pas comme telle. De la même façon, les frontières d’un territoire dans un débat sont une construction mentale. Néanmoins, plutôt que de faire l’objet d’un levé et d’un marquage, ces frontières sont établies par la structure des arguments des débatteurs. Lorsque nous soumettons un argument à l’examen des arbitres, il commence à occuper de l’espace dans leurs esprits. Lorsque nous traitons l’argument d’un adversaire, nous
Stase et structure 57
contestons les frontières qui définissent cet argument, soit en essayant d’occuper plus d’espace que nos adversaires sur un enjeu, soit en changeant la perception des arbitres quant à l’importance relative de cet enjeu. Dans tous ces efforts, nous communiquons non seulement le fond mais aussi la forme de l’argument. Tout comme des frontières physiques sont matérialisées par des indicateurs physiques (barrières, signaux, etc.), le territoire qu’occupent vos arguments sera plus « visible » si vous présentez des indicateurs de la structure de ceux-ci. En d’autres termes, tous les arguments que l’on avance occupent un espace dans l’esprit de l’auditoire ; les frontières qui définissent ces arguments seront plus évidentes pour les autres participants au débat si l’on délimite les frontières à l'aide d'une structure claire. SIGNATURES Pour communiquer la structure de vos idées, vous devez créer des signatures. Les signatures sont des formulations, en une phrase, d’un argument complexe destinées à fixer celui-ci dans l’esprit (ou dans les notes) de l’auditoire. Les bonnes signatures ont plusieurs caractéristiques communes : 1.
Elles doivent être simples : en rédigeant une signature, il faut garder à l’esprit que l’auditoire ne se rappellera (et ne notera) pas mot pour mot tout un argument complexe. Au contraire, les participants peuvent se souvenir de signatures simples et élégantes qui reflètent la substance de l’argument complexe. Vos signatures doivent généralement comprendre cinq à sept mots au maximum.
2.
Les signatures doivent exprimer une seule idée : une signature doit être suffisamment ample pour saisir entièrement un argument complexe.
58 Comment gagner un débat ?
En même temps, elle doit être suffisamment brève pour exprimer la proposition de cet argument sous forme d'une idée unique. Les signatures efficaces sont formulées pour exprimer une idée solitaire et mémorable. 3.
Elles doivent être déclaratives : elles doivent clairement exprimer une position relative à la motion. Les signatures interrogatives (formulées sous forme de questions) ont leur place, en particulier lorsque le débatteur veut donner l’impression d’être neutre, mais en général la signature exprime sans ambiguïté l’orientation de l’argument.
4.
Elles doivent être formulées avec assurance : bien que répéter une affirmation sans arrêt soit une erreur, créer un noyau d’argument qui ne capte pas la puissance de cet argument est aussi une erreur. Etant la partie de l’argument dont les autres participants sont susceptibles de se souvenir le plus facilement, la signature doit résumer efficacement la direction et la force de l’argument.
En nous servant de ces directives, nous voyons qu’une signature telle que : « Les châtiments corporels incitent les enfants à la violence » est bien meilleure que les exemples suivants : « En leur offrant des modèles de violence administrés par des autorités qu’ils sont susceptibles de respecter, les châtiments corporels incitent les enfants à la violence. » « Les châtiments corporels incitent les enfants à la violence et retardent leur développement émotionnel et leur maturité. »
Stase et structure 59
« Les châtiments corporels incitent-ils les enfants à la violence ? » « Les châtiments corporels peuvent avoir un effet résiduel au-delà du message visé par la punition : les enfants qui sont confrontés à des comportements violents peuvent finir par afficher eux-mêmes de tels comportements. » Rappelez-vous : une signature n’est pas un argument ! En fait, elle ressemble beaucoup à l'affirmation qu'un argument veut faire prospérer (bien que la signature puisse aussi représenter un appui ou une inférence, selon les circonstances). Quel que soit le rôle qu’elle joue dans l’argument qu’elle représente, sa fonction en tant que dispositif structurel est claire : une signature est la marque d’une idée ou d’un ensemble d’idées plus complexes. Reprenons notre exemple : dans un débat, la signature « Les châtiments corporels incitent les enfants à la violence » représenterait un argument complet qui serait étayé par d’autres idées organisées comme appui de l’affirmation principale. Ces idées en appui peuvent elles aussi être exprimées comme des signatures : Les châtiments corporels incitent les enfants à la violence a. Les enfants apprennent par l’imitation b. Les incidents violents créent des modèles particulièrement vivants Le plus souvent, vous organiserez ces signatures sous la forme d’un plan qui servira de notes à partir desquelles vous vous exprimerez ; de même, ceux qui écouteront votre discours enregistreront généralement les idées principales que vous y aurez exprimées sous forme de plan. Vous pouvez envisager ce plan comme une carte du discours : s’il est bien conçu et suivi à la lettre, il peut augmenter vos chances d’atteindre 60 Comment gagner un débat ?
vos objectifs. Comme une carte, un plan est utile à la fois prospectivement (pour vous aider à prévoir et à vous rappeler où vous voulez aller) et rétrospectivement (pour un examen par les autres participants après votre discours et pour qu'ils se rappellent comment vos idées ont atteint (ou comment l’orateur souhaitait leur faire atteindre) un but particulier. La communication de la structure est donc essentielle pour la stratégie de contrôle de tout débatteur. DISPOSITIFS STRUCTURELS La manière la plus simple pour un débatteur de communiquer cette structure consisterait à fournir à chaque participant un plan écrit, mais dans la plupart des cas, il ne pourra pas se payer ce luxe. Au contraire, il devra communiquer la forme de l’argument de la même façon qu’il en communique le fond : dans le discours même. Heureusement, certains dispositifs structurels simples peuvent aider à communiquer cette forme. Les dispositifs structurels les plus efficaces sont souvent les plus simples : 1.
Un discours efficace doit être construit autour d’une introduction qui invite l'auditoire à comprendre le reste du discours ; un corps qui exprime la substance du message ; et une conclusion qui résume le discours et y met un terme définitif.
2. L’introduction du discours doit contenir un aperçu qui annonce le développement des principaux arguments dans le corps du discours. La conclusion doit comporter un rappel de ces mêmes arguments.
3. Entre chacun des arguments principaux développés dans le corps du discours, l’orateur doit utiliser des transitions qui rappellent à l’auditoire ce qui vient d’être dit et lui annoncent ce qui va suivre. Les transitions aident aussi à illustrer le lien qui existe entre les arguments avancés. Stase et structure 61
4.
Une structure parallèle exige que les principaux arguments soient présentés dans le même ordre chaque fois qu’ils sont développés. Par conséquent, si l’orateur annonce dans son introduction trois raisons pour lesquelles les châtiments corporels doivent être interdits (ils incitent à la violence, ils retardent le développement émotionnel des enfants et ils constituent une maltraitance à l’égard des enfants), il doit les développer dans cet ordre dans le corps du discours et les rappeler dans le même ordre dans la conclusion.
5.
Des idées abstraites se fixent et deviennent plus significatives quand elles sont mentionnées de façon répétée et systématique. Bien que la technique ne doive pas attirer l’attention sur ellemême, la répétition contribue grandement à fixer une idée dans l’esprit de l’auditoire, particulièrement s’il s’agit d’une signature bien formulée qui est présentée de la même façon chaque fois que l’orateur l’énonce.
Si vous utilisez ces techniques, vous aurez plus de chances d’inscrire votre argument dans une structure évidente. Si la structure d’un argument est évidente, les autres participants au tour du débat prendront note de sa clarté et de sa progression. De tels arguments occupent le plus d’espace dans les esprits des autres participants et, par conséquent, captent probablement l’essentiel de l’attention dans le débat. Des arguments bien structurés sont essentiels pour débattre efficacement.
62 Comment gagner un débat ?
C
H A P I T R E
4
Stratégies et aptitudes de base Le concours de débat académique se définit par les efforts que vous déployez pour avoir le dessus sur les autres débatteurs contre qui vous êtes en compétition. Lorsque vous vous inscrivez dans une compétition de débat, vous vous engagez sur l’hypothèse partagée selon laquelle vous ferez de votre mieux pour représenter la position à laquelle vous avez été affecté et à contrecarrer les efforts des autres équipes à faire de même. En résumé, votre principal objectif est de gagner. Les autres objectifs souvent énoncés comme étant des facteurs de motivation pour les débatteurs (l’épanouissement personnel, l’éducation, la recherche de la vérité, etc.) sont ancrés dans la recherche de la victoire (et en tirent parti). Vous êtes plus susceptible de réaliser cet objectif suprême lorsque la poursuite du but est guidée par une stratégie globale. Cette stratégie ne doit pas être complexe ; elle doit être reconnaissable. Mais avoir une stratégie n’est pas suffisant ; les équipes victorieuses doivent développer et maîtriser des aptitudes de base qui leur permettent de mener à bien leur stratégie. Le présent chapitre formule une stratégie globale qui sert bien l’objectif de la victoire. Après avoir expliqué la stratégie, je parlerai des aptitudes nécessaires pour la mettre en œuvre.
Stratégie de contrôle Le débat est un concours de contrôle : ceux qui remportent les débats sont généralement ceux qui sont passés maîtres dans l'art de contrôler ce qui se passe dans un tour. Certaines choses (comme ce que dit l’autre équipe) sont difficiles à contrôler.
Stratégies et aptitudes de base 63
D’autres (comme les arguments et les enjeux que les arbitres pensent être les plus importants) sont plus faciles à contrôler. Toutefois, dans un cas comme dans l’autre, l’équipe qui contrôle le plus efficacement le tour est la plus susceptible de gagner. L’un des concepts les plus insaisissables pour les débatteurs inexpérimentés est peut-être celui-ci : ce qui se passe dans un débat n’est pas inévitable, accidentel ou incontrôlable. Ce qui se passe dans un débat est le fruit des choix que font les débatteurs. Beaucoup trop de débatteurs abordent un tour de débat dans une perspective passive, croyant que leur responsabilité se limite à suivre ce qui s’y passe et à y réagir. En conséquence, ces débatteurs sont souvent anxieux quant à leurs aptitudes : ils semblent croire que les autres participants au tour (y compris les arbitres) ont une compréhension univoque des enjeux qui sont débattus et de la manière dont ils devraient l’être. Ils s’efforcent tout au long du débat d’éviter des erreurs qui pourraient révéler leur ignorance aux autres participants (supposés savoir). Pour eux, leurs efforts sont soumis aux forces du débat, qui seraient indépendantes de leur volonté. Ces débatteurs devraient plutôt s’atteler à déterminer, concevoir et orienter ce qui se passe dans le débat. Rappelez-vous le premier chapitre, dans lequel j’ai parlé d’une philosophie du débat qui reconnaît que la signification n’est pas figée et que l’argument est le véhicule par lequel on convainc les autres d’accepter nos interprétations du monde. C’est cette supposition qui a poussé Foucault à penser que ceux qui contrôlent le sens des mots détiennent le pouvoir. Le débat ne déroge pas à cette règle : ceux qui contrôlent la discussion détermineront probablement les vainqueurs du débat. Une stratégie de contrôle vise à vous donner le pouvoir sur ce dont on parle dans le tour et sur ce qui se rapporte au débat. Votre stratégie doit viser à contrôler les perceptions de l’auditoire ; les débatteurs victorieux contrôlent non seulement ce à quoi pensent les participants
64 Comment gagner un débat ?
au débat, mais aussi comment ces participants pensent au fond du débat. Les débatteurs victorieux voient le tour d’un débat dans sa totalité, pas simplement comme des arguments pris séparément ; ils comprennent comment intégrer leurs arguments à ceux de l’adversaire et comment comparer les positions prises par chaque camp. Ils contrôlent les enjeux qui font l’objet du débat, les étiquettes selon lesquelles ces enjeux sont reconnus et l’ordre dans lequel ils sont débattus. Les débatteurs victorieux sont réticents à laisser l’arbitre décider quels arguments sont les meilleurs ; ils cherchent activement à critiquer et à contester les arguments de leurs adversaires ainsi qu’à comparer et à opposer les arguments de leurs adversaires aux leurs. Un débat sera plus probablement remporté par une équipe qui donne à l’arbitre une structure et une approche pour comparer leurs arguments plutôt que par une équipe qui laisse entièrement cette comparaison à ce dernier. L’exercice d’une stratégie de contrôle exige une maîtrise des aptitudes concrètes qui permettent aux débatteurs d'avoir le dessus dans un tour. En général, il faut acquérir des compétences dans trois domaines fondamentaux : l’argumentation constructive, l’argumentation déconstructive et la structuration. L’argumentation constructive et l’argumentation déconstructive sont les deux faces de la même pièce : l’argumentation constructive consiste à construire des arguments favorables à votre position ; l’argumentation déconstructive consiste à critiquer les efforts des autres équipes à faire de même. Précédant et suivant l’argumentation constructive et l’argumentation déconstructive, le cadrage est l’exercice qui guide la perception des arbitres (et, s’il est bien mené, des autres équipes) du principal centre d’intérêt du débat et de quels arguments le servent le mieux.
Argumentation constructive La construction d’arguments consiste essentiellement à donner une substance aux idées. Pour communiquer quelque chose d’aussi immatériel
Stratégies et aptitudes de base 65
qu’un argument (une série d’idées liées les unes aux autres d’une façon particulière, généralement linéaire), il faut à la fois bien comprendre les liens entre ces idées et exprimer ces liens avec une telle clarté que leur interconnexion apparaisse clairement. La construction d’arguments efficaces exige tout d’abord que le débatteur découvre des arguments potentiels pour ou contre la proposition. Une fois que le débatteur a collecté une variété d’arguments potentiels, il doit penser attentivement à la manière dont il va les associer dans un effort holistique en vue de démontrer (ou de réfuter) une proposition. L’argumentation constructive concerne à la fois le développement d’arguments distincts et la coordination de ces arguments en un argumentaire cohérent ; plus généralement, ces efforts sont connus sous les noms d’analyse et de synthèse. PROCESSUS ANALYTIQUE L’analyse est un processus qui consiste à séparer des idées. Pour l’objet qui nous occupe, le but de cette dissociation est d'appréhender plus clairement les composantes d'un argument. L’analyse est un point de départ nécessaire parce que le raisonnement qui sous-tend les conclusions que nous adoptons n’est pas toujours clair, y compris pour ceux qui les expriment. L’analyse nous permet de disséquer des idées pour découvrir les raisons qui les fondent. De nombreux arguments fonctionnent comme des enthymèmes. Un enthymème est un type d’argument qui n'énonce pas certaines prémisses ou conclusions, assuré de ce que l'auditoire comblera lui-même les vides. Si je devais soutenir qu'il devrait être interdit aux parents d’administrer des châtiments corporels, je pourrais dire quelque chose comme : « Les châtiments corporels ne sont pas différents de la maltraitance à l’égard des enfants » Confiant que mon auditoire trouverait les parties manquantes de l’argument : 66 Comment gagner un débat ?
(La maltraitance à l’égard des enfants est odieuse et illégale) “Les châtiments corporels ne sont pas différents de la maltraitance à l'égard des enfants” (Les châtiments corporels sont odieux et devraient être interdits) Notre vision des arguments est souvent aussi enthymématique. Plutôt que d’organiser nos pensées en modèles rationnels partant des prémisses aux conclusions, nous avons souvent un mélange d’opinions, de sentiments, d’intuitions et de suppositions incontestés qui servent de base à notre pensée. De cette base émergent les idées que nous utilisons pour convaincre les autres. De toute évidence, si nous comprenons mieux comment nos pensées sont (ou doivent être) interconnectées et organisées, nous serons plus à même de communiquer cette interconnexion et cette organisation aux autres. Une autre raison de commencer le processus par une analyse c’est de découvrir sur quelles bases éventuelles s’appuient les conclusions que nous voulons communiquer à l’auditoire. Comme nous l’avons dit au chapitre 2, la fonction la plus élémentaire d’un argument c’est de relier ce que l’auditoire ne croit pas et n’accepte pas encore (l’affirmation) à ce qu’il croit et accepte déjà (l’appui). L’analyse nous permet d’anticiper les probables domaines d’appui que notre auditoire peut accepter. Le processus d’analyse est simple. Il est axé sur une question unique qui provoque une recherche : « pourquoi ? » Cette question simple déclenche la recherche de raisons sur lesquelles vous bâtirez les arguments qui appuieront votre argumentaire. En posant la question du « pourquoi ? », il est possible de suivre deux orientations de recherche : l’analyse en profondeur (« creuser » les arguments) et l’analyse en largeur (« réfléchir latéralement » aux raisons). L’analyse en profondeur vise à trouver la base sur laquelle reposent les affirmations. La première question que vous devez vous poser lorsqu'une position vous est affectée c'est « pourquoi ? » Si vous êtes désigné pour défendre la motion : « Les châtiments corporels à l’égard Stratégies et aptitudes de base 67
des enfants doivent être interdits », votre recherche initiale pourrait produire la réponse suivante : « parce que les châtiments corporels équivalent à de la maltraitance à l’égard des enfants ». A mesure que vous compilez les réponses à votre « pourquoi ? » initial, vous devez prouver chaque réponse : demander à nouveau « pourquoi ? » devrait conduire un débatteur à répertorier de quelles façons les châtiments et la maltraitance des enfants sont similaires : les deux impliquent un important déséquilibre des pouvoirs entre un adulte et un enfant, les deux impliquent de la violence physique, les deux sont souvent administrés dans un état émotionnel intense, etc. Continuer à demander « pourquoi ? » à la suite de chaque réponse subséquente incite le débatteur à continuer à creuser les raisons qui sous-tendent l’affirmation jusqu’à ce qu’il découvre ce qui selon lui servira de base d’appui partagée par l’auditoire. Dans les termes utilisés par le modèle d’argument présenté au chapitre 2, vous saurez que vous avez « creusé » assez loin lorsque vous aurez le sentiment que l’auditoire accepte votre appui. Cette base partagée sert alors de fondement sur lequel construire l’argument. Tout aussi importante est l’analyse en largeur des raisons. Réfléchir latéralement à l’appui d’une affirmation en vue de générer diverses raisons pour celle-ci peut souvent produire des domaines d’appui nouveaux et également convaincants. Plutôt que la simple question du « pourquoi ? » employée par la recherche en profondeur, la recherche en largeur peut être mieux envisagée à travers la question « pour quelle autre raison ? » « Pour quelle autre raison » les châtiments corporels doivent-ils être interdits ? « Parce que les châtiments corporels ne permettent pas de changer le comportement des enfants. » « Parce que les châtiments corporels encouragent les enfants à utiliser la violence pour résoudre les problèmes. » Vous devez soumettre ces réponses, et d’autres découvertes lors du processus d’analyse, à l’analyse en profondeur pour être certain d’avoir découvert une base de pensée que l’auditoire est susceptible d’accepter. 68 Comment gagner un débat ?
Bien sûr, toutes les analyses menées avec cette méthode ne seront pas fructueuses. Avec cette méthode, vous ne pouvez pas découvrir ce que vous ne savez pas ; les débatteurs n’ont pas souvent de réponse au « pourquoi ? » et au « pour quelle autre raison ? ». Continuer à s’informer sur les options d’arguments possibles est une évidence pour tout débatteur victorieux. Mais même lorsque vous avez déjà parcouru des documents devant vous aider à répondre au « pourquoi ? » ou à « pour quelle autre raison ? », la réponse (ou du moins la meilleure réponse) n'est pas toujours disponible. Dans ces cas-là, vous pouvez vous servir d’une approche plus structurée de votre analyse qui vous donnerait une idée des potentiels domaines d’argument. En discutant de l’invention des arguments les rhétoriciens, d’Aristote à Perelman, ont catalogué les « points de départ » de la création des arguments afin d’aider les débatteurs dans ce processus créatif.12 Ces points de départ servent de déclencheurs pour se rappeler ou découvrir de potentiels domaines d’appui pour les affirmations que nous espérons démontrer. Dans le chapitre précédent, nous avons parlé d’un ensemble de questions prévisibles qui reviennent systématiquement dans les débats sur la politique publique. Ces questions peuvent servir de déclencheurs pour votre analyse des arguments potentiels.
Enjeu
Sujet
Culturel
Arguments relatifs à l’identité collective que partagent les membres d’un groupe donné.
Economique
Arguments relatifs aux affaires financières.
Educatif
Arguments portant sur l’effort d’instruction des citoyens.
Environnemental
Arguments relatifs à la nature. Stratégies et aptitudes de base 69
Juridique
Arguments portant sur ce qui est exigé ou interdit par les règles d’une société.
Moral
Arguments concernant les conséquences éthiques d’une proposition.
Politique
Arguments relatifs à l’acquisition et à l’exercice du pouvoir.
Droits
Arguments portant sur les libertés ou les privilèges.
Sécurité
Arguments concernant la sécurité d’une nation.
Social
Arguments portant sur les rapports entre personnes.
Symbolique
Arguments relatifs à l’interprétation du sens des phénomènes.
Bien-être
Arguments sur la santé et le bonheur publics.
En outre, il existe de nombreux concepts connexes éculés qui peuvent aussi servir de déclencheurs pour découvrir des arguments. Ces ensembles de concepts sont utiles à la fois pour organiser vos arguments à propos d’une position particulière et découvrir ce que sont ces arguments. Par exemple, un débatteur qui se réfère à l’ensemble de concepts « passé-présent-futur » comme point de départ d’une analyse de la motion sur les châtiments corporels peut être porté à bâtir un argumentaire autour de trois points : le rôle historique des châtiments corporels, en quoi nos perceptions actuelles du rôle de parent ont changé et le développement futur de notre civilisation si nous continuons à sanctionner les châtiments corporels.
70 Comment gagner un débat ?
Ensembles de concepts Passé—Présent—Futur Idéalisme—Réalisme Moral—Pragmatique Principe général—Cas particulier Social—Politique—Economique Influence diplomatique—Influence économique—Influence militaire National—Etranger National—Régional—Mondial Problème—Cause—Solution Cause—Effet Comportements—Motivation Individu—Communauté Empirique—Logique Scientifique—Spirituel
Quel que soit le processus utilisé ou les outils employés, le but du processus analytique est de générer des options parmi lesquelles choisir pour développer des arguments cohérents pour ou contre une proposition. Mais les options ne sont pas des arguments cohérents ; d’où la nécessité d’une synthèse. PROCESSUS DE SYNTHESE L’analyse n’est que la première des deux étapes du processus constructif : un effort constructif bien mené est plus qu’un simple
Stratégies et aptitudes de base 71
catalogue de raisons pour (ou contre) une proposition. Une fois que vous disposez de plusieurs options d’arguments parmi lesquels choisir, vous devez alors synthétiser vos arguments en un plan cohérent pour démontrer ou réfuter une proposition. La synthèse est le processus d’assemblage, dans un effort persuasif irrésistible, de la matière première générée par le processus d’analyse. Synthétiser des arguments en un tout cohérent exige que le débatteur examine d’abord la progression logique desdits arguments. Comme énoncé au chapitre 2, les arguments organisent les idées afin d’aider un auditoire à passer des preuves aux conclusions. Au sens le plus strict, la progression logique éclaire la façon dont les arguments doivent être organisés ; les preuves doivent être présentées comme le fondement à partir duquel l’auditoire peut tirer des conclusions évidentes. Plus important encore, une fois que les idées contenues dans un argument particulier sont mises dans un ordre progressif logique, cet argument doit être inscrit dans une organisation progressive et logique avec d’autres arguments. Comment décider quels arguments passer en premier ? Lesquels passer en deuxième position ? Et quels arguments suivent ceux-là ? Fort heureusement, nous avons déjà quelques éléments sur la façon de répondre à ces questions : nous savons que ces arguments essaient d’identifier des bases d’appui courantes partagées par les débatteurs et l’auditoire. Nous savons que l’appui fonctionne comme le point de départ habituel. Etant donné que nous pouvons avoir une croyance commune en certaines bases d’appui, il ne serait pas étonnant que les débatteurs et l’auditoire empruntent aussi les mêmes chemins pour aller de l’appui à l’affirmation. Si nous structurons nos idées en des modèles qui sont familiers à nos auditoires, ces derniers sont plus susceptibles de comprendre (et d’adopter) nos arguments. Cette organisation de nos arguments tirera parti de la compréhension des modèles de pensée communs à la connaissance humaine et des structures logiquement progressives que suggèrent ces modèles.
72 Comment gagner un débat ?
Au début du 20-ème siècle, les gestaltistes ont étudié la façon dont nous comprenons et intégrons les informations. Ils en ont tiré, entre autres, un certain nombre de principes de perception qui expliquent comment nous comprenons ce que nous percevons. Au sens large, ces principes de perception peuvent être considérés comme des formes de pensée communes.13 Trois modèles de pensée sont le plus en rapport avec vos efforts de cadrer vos arguments d’une façon familière, logiquement progressive : la fermeture, la proximité et la similitude. La fermeture suggère que la connaissance humaine exècre l’incomplet. Quand nous rencontrons une information, nous en tirons un sens en partie en essayant de reconnaître le début et la fin des données. Les informations organisées de façon à souligner l’initiation et la résolution finale d’une idée seront irrésistibles pour un auditoire. Plusieurs progressions logiques sont suggérées par cette forme de pensée : Problème/Solution : progression logique commune à de nombreux efforts de persuasion, la progression problème/solution établit d’abord l’importance d’un problème, puis recommande une solution audit problème. A titre d’exemple, un argumentaire qui utilise cette progression peut être structuré tout d’abord pour expliquer le nombre d’Américains n’ayant pas d’assurance-maladie ainsi que les conséquences de cette situation, puis démontrer comment un système de soins de santé universel résoudrait le problème. Principe/Application : les arguments utilisant cette progression doivent être agencés de sorte qu’un principe général soit d’abord établi le cas échéant. Ensuite, le principe peut être appliqué au concept évalué. Un argumentaire qui commence par affirmer que la liberté d’expression est vitale pour la démocratie, puis qu'une
Stratégies et aptitudes de base 73
propagande haineuse est une forme de discours précieuse qui mérite d’être protégée suit cette progression logique. Cause/Effet : comme son nom l’indique, la progression cause/effet examine tout d’abord les raisons d’un phénomène, puis les conséquences qui en découlent. Par exemple, un débatteur peut plaider pour une redistribution radicale des richesses en commençant par examiner les causes de la pauvreté, puis les diverses conséquences du statut de pauvre, prouvant ainsi que la redistribution des richesses est souhaitable parce qu’elle éliminerait ces conséquences. Général/Particulier : des arguments peuvent être ordonnés du général au particulier, en commençant par les plus englobant, puis les suivants ayant un champ d’application de plus en plus réduit. Un argumentaire organisé à l’aide de cette approche peut s’ouvrir avec les raisons générales pour lesquelles la peine de mort ne dissuade pas la criminalité, puis énoncer une étude de cas portant sur un Etat précis dont le taux de criminalité n’a pas baissé après l’adoption de la peine de mort. Le modèle de la proximité reconnaît que les humains peuvent tirer un sens de ce qu’ils rencontrent en organisant les informations d’une manière équivalente à celle dont ils ont rencontré ces informations. Relier les données à leurs origines dans notre expérience donne un contexte et une continuité aux nouvelles informations que nous rencontrons en les connectant à celles qui nous sont déjà familières. Deux progressions logiques dépendent du modèle de proximité.
74 Comment gagner un débat ?
Chronologique : une progression chronologique organise les informations suivant leur déroulement temporel. Un argumentaire qui prône le multilatéralisme dans la politique étrangère peut être structuré de façon chronologique en examinant tout d’abord l’histoire de l’unilatéralisme comme principal mode d’engagement en politique étrangère, puis en montrant comment les circonstances ont remis en question cette approche, et enfin en démontrant que les crises internationales futures les plus pressantes exigeront des efforts multilatéraux. Spatiale : la progression spatiale organise les informations suivant la manière dont elles se présentent dans l’espace physique. En capitalisant sur l’analogie avec ce qui est tangible, cette progression présente les informations d’une manière très concrète et familière. Un argumentaire s’érigeant contre le retrait des troupes d’Irak en développant les conséquences d’un retrait pour la sécurité en Irak, pour la stabilité régionale et enfin pour la défense mondiale essaie de capitaliser sur une progression spatiale. Le modèle de la similitude reconnaît que nous organisons naturellement les informations que nous rencontrons en les regroupant avec d’autres informations similaires. En général, le principe de similitude nous oblige à identifier les thèmes des informations que nous rencontrons et à rassembler ces informations en groupes définis par ces thèmes. Bien que la suggestion structurelle qui émerge de ce modèle de pensée ne plaide pas pour une progression logique en tant que telle, elle nous rappelle que les groupes dans lesquels les informations sont rassemblées doivent être inclusifs (ils doivent comprendre toutes les informations d’un sujet particulier), distincts (les informations comprises dans un groupe ne devraient se trouver dans aucun autre) et équivalents (les groupes doivent être similaires en termes de portée).
Stratégies et aptitudes de base 75
Une structure thématique adhère au principe de similitude. Thématique : la structure thématique essaie de séparer les informations relatives à un sujet particulier en sous-thèmes d’information appropriés. Ainsi, les sous-thèmes donnent une idée des éléments constitutifs du thème principal. Les débatteurs peuvent trouver les points de stase thématiques ci-dessus particulièrement pertinents pour cet exercice. Un argumentaire plaidant contre l’ouverture de la Réserve faunique nationale de l’Arctique dans l’Alaska à l’exploration pétrolière en développant les raisons économiques, environnementales et culturelles qui s’y opposent suivrait une organisation thématique. Bien que l’agencement des arguments dans une progression logique soit l’objectif des processus analytique et synthétique, ces arguments bien organisés manqueront le coche s’ils ne sont pas communiqués d’une façon qui rende la structure d’un argument évidente pour l’auditoire. Tel que nous l’avons indiqué vers la fin du chapitre 3, à la section « Structurer les arguments pour occuper l’espace », votre effort de communication de la structure de vos arguments peut être amélioré en prêtant attention à leurs signatures et à l’utilisation de dispositifs structurels dans votre discours.
Argumentation déconstructive Maîtriser l’argumentation constructive (bien que ce soit un élément absolument nécessaire d’un débat réussi) n’est pas, en soi, suffisant pour garantir le succès. En fait, si on demandait aux gens de décrire un débat, la construction d’arguments n’est probablement pas la première chose que la plupart des gens utiliseraient pour expliquer le processus. La plupart des
76 Comment gagner un débat ?
explications porteraient plutôt sur le fait de contrecarrer les arguments adverses. L’argumentation déconstructive est un processus qui consiste à démonter les arguments de la partie adverse. Pour prolonger la métaphore de la construction utilisée pour décrire l’argumentation constructive,
imaginez
que
le
processus
de
l’argumentation
déconstructive est semblable à une (très rigoureuse) inspection de bâtiment. L’objectif d’une inspection de bâtiment, en particulier un bâtiment récent, est de s’assurer qu'il est bien construit. L’inspection s’assure que les futurs occupants du bâtiment soient au courant de tout défaut, déficit ou anomalie structurel(le) dans le bâtiment. Dans un débat, l’argumentation déconstructive critique le fond et la forme des arguments adverses de façon à attirer l’attention de l’auditoire et des arbitres sur les faiblesses et les défauts desdits arguments. Plus précisément, l’argumentation déconstructive produit le contrepoint à l’argumentation constructive du camp adverse ; il sert de force contraire qui rencontre l’argument d’un adversaire à un point de stase. Ce sont ces affrontements entre l’argumentation constructive et l’argumentation déconstructive qui font exister le débat. Pour réussir à déconstruire l’argument d’un adversaire, il faut adopter un esprit critique : en termes simples, l’esprit critique est conscient qu’il n’est pas nécessaire de déconstruire chaque argument qu’avance un adversaire. Ce principe, bien que d’une simplicité déconcertante, est souvent extrêmement difficile à maîtriser pour les débatteurs. Trop de débatteurs adoptent une approche « tronquée » de la déconstruction ; ils croient manifestement qu’ils doivent contrer chaque argument qu’avancent leurs adversaires. Mais il existe tant d’autres options : Ils peuvent ignorer l’argument (à condition qu’il ne soit pas essentiel à leur propre effort), ils peuvent le concéder (si ce faisant ils ne compromettent pas leurs propres arguments et ne renforcent pas
Stratégies et aptitudes de base 77
inutilement leurs adversaires), ils peuvent démontrer que le socle sur lequel repose l’argument est fragile ou ils peuvent essayer d’atténuer l’importance d’un argument pour la stratégie de leur adversaire. Bien entendu, chacune de ces approches peut être associée à d'autres et elles peuvent toutes servir un effort déconstructif plus ample. Les débatteurs efficaces ont une variété de tactiques à leur disposition pour détruire des arguments, mais l’approche la plus élémentaire de la déconstruction reste la critique directe des arguments des adversaires. Une argumentation déconstructive efficace comprend deux composantes : l’évaluation des arguments de votre adversaire suivant des normes de qualité des arguments reconnues et la structuration efficace de la réfutation. NORMES DE QUALITE DES ARGUMENTS Robert Trapp fait une présentation perspicace des normes de qualité des arguments axée sur des attentes par rapport aux preuves avancées, aux garanties utilisées et aux affirmations énoncées dans les arguments.14 Les normes d’acceptabilité, de pertinence et de suffisance fournissent
aux
débatteurs
une
approche
structurée
de
la
déconstruction des arguments de leurs adversaires.
Acceptabilité La norme d’acceptabilité porte sur la qualité de la preuve sur laquelle se fonde l'argument. Rappelez-vous que, comme nous l’avons dit au chapitre 2, la fonction de la preuve est de fonder l’argument sur une idée dont l’auditoire est déjà convaincu ; l’appui est le fondement qui peut pousser l’auditoire à accepter l’affirmation. Grâce à cette norme, l’on peut déconstruire l’argument d’un adversaire en démontrant que l’appui avancé pour une affirmation donnée n’est ni
78 Comment gagner un débat ?
acceptable ni accepté. Si vous arrivez à prouver que l’arbitre ne doit pas accepter l’appui (ou qu’aucun appui acceptable n’a été fourni), alors l’argument s’effondre. D’une façon générale, l’on peut prendre une des trois postures déconstructives en ce qui concerne l’acceptabilité de l’appui fourni pour un argument. 1. Le fondement de l’affirmation n’est pas apparent. Cette approche cherche à savoir si l’argument que l’on déconstruit contient un sousargument convaincant qui apporte un appui à l’affirmation. Suivant la forme en chaîne de l’argument expliquée au chapitre 2, vous reconnaîtrez que cette approche déconstructive essaie de mettre à nu l’absence d’appui pour l’affirmation ou pour des affirmations plus approfondies qui, ellesmêmes, ont été utilisées comme appui pour des affirmations subséquentes. Prenons, par exemple, l’argument ci-dessous :
Les châtiments corporels doivent être interdits
Les châtiments corporels équivalent à de la maltraitance à l’égard des enfants, qui est illégale presque partout dans le monde
Il comprend les éléments nécessaires : l’affirmation est basée sur un appui destiné à servir de fondement à l’affirmation. Toutefois, un adversaire avisé reconnaîtra que cet argument est plus vaste que la version présentée et que les meilleures opportunités
Stratégies et aptitudes de base 79
déconstructives ne résident pas dans le fait de s’opposer de front à l’affirmation (pour essayer de soutenir que les châtiments corporels ne devraient pas être interdits) ni même dans le fait de nier l’évidence (à savoir que les violences faites aux enfants ne sont pas illégales), mais dans l'explicitation de la faiblesse de l’appui sur lequel repose l’appui luimême. Ainsi, l’effort de déconstruction essayant de révéler l’absence d’un sous-argument convaincant mettrait l’accent sur un niveau d’appui inférieur pour l’argument :
Argument presenté
Les châtiments corporels doivent être interdits
Cible de la déconstruction
L’interaction physique (châtiments corporels) entre adultes et enfants est similaire à celle concernant la maltraitance des enfants
Hypothèse non spécifiée
Les châtiments corporels équivalent à de la maltraitance à l’égard des enfants, illégale presque partout dans le monde
Ici, l’adversaire relèverait l’absence de similitudes et les différences majeures entre les châtiments corporels et la maltraitance des enfants, affaiblissant ainsi la chaîne de raisonnement qui relie l’appui à l’affirmation.
80 Comment gagner un débat ?
2. La véracité de la preuve avancée n’est généralement pas connue. Les arguments fonctionnent en reliant ce qui est inconnu (ou pas encore accepté) à ce qui est connu (ou accepté). La deuxième approche déconstructive visant l’acceptabilité consiste à réfuter le fait que l’appui utilisé est généralement reconnu comme étant vrai. Imaginez qu’un argument essaie de démontrer que la violence dans les médias génère de la violence réelle. Le débatteur peut affirmer que les gens apprennent les modes de comportement appropriés soit en « pratiquant » leur comportement dans des situations hypothétiques soit en imitant le comportement des autres, les deux cas étant sous l’influence de médias violents. Il s’ensuit, selon le débatteur, que si on est soumis à un régime intensif de médias violents, on est plus susceptibles d’adopter un comportement réel violent. L’opposition à cet argument est claire : il n’existe aucune croyance communément admise selon laquelle les gens seraient incapables de distinguer la violence réelle de la violence fictive. En fait, le bon sens suggère probablement exactement le contraire : la plupart des gens ont déjà vu des images violentes dans la culture populaire, mais l’immense majorité de la population n’est pas violente. L’affirmation d’une relation de cause à effet entre la violence médiatique et la violence réelle est compromise parce que l’appui utilisé n’est pas considéré comme du bon sens. 3. La preuve avancée ne dispose pas d’une validation extérieure. Certains appuis ne peuvent exister dans le domaine du bon sens, particulièrement les preuves d’opinion ou celles qui résultent de la collecte, de l’analyse et de l’enregistrement systématiques de données. Pour ce type d’appui, une base de crédibilité au-delà de celle que possède le débatteur avançant l’argument est nécessaire. Déconstruire des arguments en accusant l’appui de manquer de validité extérieure peut signifier qu’un adversaire essaie de saper un argument en pointant Stratégies et aptitudes de base 81
la nécessité d’une validation extérieure de l’appui et l’absence de celle-ci, ou en réfutant la source de la validation extérieure (généralement une « autorité compétente » ou une publication quelconque). Si j’essaie de soutenir que les risques de tabagisme passif sont exagérés en m’appuyant sur les preuves produites par l’Institut du tabac, je m’exposerais moi-même à la critique d'un adversaire, à savoir que mes preuves n’ont aucune validation extérieure. L’Institut du tabac, une organisation fondée et financée par des producteurs de tabac dans l’intention expresse de contrer les recherches qui essayaient de démontrer l’impact de l’usage du tabac sur la santé, a été largement discrédité. Toute preuve fournie par cette source serait suspecte.
Pertinence La deuxième norme d’évaluation de la qualité d’un argument est la pertinence. La pertinence porte sur l’inférence de l’argument ; précisément, la norme de la pertinence examine la qualité du lien entre l’appui et l’affirmation en se demandant si la preuve produite est pertinente par rapport à l’affirmation avancée. Si l’appui est pertinent, l’argument est susceptible d’être de qualité supérieure car un auditoire sera convaincu d’accepter l’affirmation de l’argument sur la base de l’appui utilisé. Un argument qui s’appuie sur une relation entre appui et affirmation dont l’absence de pertinence est avérée est plus susceptible de ne pas convaincre l’auditoire. Les normes de pertinence sont spécifiques au type de raisonnement utilisé par des arguments particuliers. En fait, il existe de nombreux tests de pertinence différents pour chaque type de raisonnement. Je ne vais pas les énumérer tous ici, mais le tableau ci-dessous résume les principaux tests de pertinence liés aux formes de raisonnement les plus notables.15 Chacun des tests peut servir de point de départ pour critiquer la pertinence de l’appui de l’affirmation concernant les arguments que vous aimeriez déconstruire.
82 Comment gagner un débat ?
Argument par exemple
Argument par analogie
« Nos écoles ne sont plus sûres : regardez ce qui s’est passé à Jonesboro Argument dans l’Alaska, Littleton dans le Colorado et à Springfield dans l’Oregon. » Test
Typicité : Les exemples sont-ils typiques ?
« Bien qu’ils se soient produits au cours de la même période, ces incidents sont des Réponse anomalies. La majorité de nos écoles reste paisible et sûre.” “L’Alaska doit légaliser les jeux d’argent ; Argument voyez les montants des recettes générées au Nevada.” Similitude : Y a-t-il des similitudes Test appropriées entre les éléments comparés ?
Réponse
L’Alaska ne possède ni la structure réglementaire ni la clientèle touristique du Nevada. Rien ne permet de penser que le jeu génèrera d’importantes recettes.”
“La stratégie américaine dans la Guerre mondiale contre le terrorisme a en réalité Argument produit encore plus de terroristes.”
Argument causal
Test
Réponse
Alternativité : Y a-t-il d’autres causes que celles avancées qui pourraient produire l’effet supposé ? « On compte plus de terroristes aujourd’hui à cause de la montée du fondamentalisme islamique dans ces nations. Même sans l’implication des Etats-Unis, ces fondamentalistes utiliseraient la violence pour produire un changement. »
Stratégies et aptitudes de base 83
Argument de principe
« La censure, même celle de la Argument propagande haineuse, est une erreur car elle est contraire à la liberté d’expression. » Applicabilité : Le principe est-il adapté au Test cas auquel il est appliqué ? « La liberté d’expression a été instaurée pour protéger l'expression politique. Réponse Sanctionner ceux qui débitent des injures raciales n’affecte pas la capacité d’une personne à tenir un discours politique digne de ce nom. » « L’ancien médecin-chef américain C. Everett Coop a clairement fait savoir que Argument le tabagisme passif est dangereux pour la santé des non-fumeurs. »
Argument d’autorité
Test
Réponse
84 Comment gagner un débat ?
Crédibilité : la source de cette déclaration est-elle qualifiée pour avancer une affirmation crédible sur le sujet ? « Le docteur Coop était formé et spécialisé en chirurgie pédiatrique. Il a mené peu de recherches sur les effets du tabagisme passif. »
Argument
Test Argument par incompatibilité
Réponse
Argument
Argument par dissociation
Test
Réponse
« George W. Bush affirme vouloir rendre l’Amérique plus sûre, pourtant sa politique étrangère attise la haine de nos ennemis et éloigne nos alliés. » Incohérence : y a-t-il des divergences d’une portée suffisante pour compromettre la vérité de l’une ou des deux positions ? « La politique étrangère de Bush a eu peu d’impact en réalité. La plupart de nos alliés importants soutiennent nos efforts pour un monde plus sûr et ceux contre qui nous nous battons seraient radicaux et violents avec ou sans notre politique étrangère. » « Je ne suis pas contre les dépenses du gouvernement ; je suis contre les gaspillages du gouvernement. » Légitimité : la division du concept en deux catégories distinctes est-elle valide et complète ? “Il existe une importante zone grise entre les bonnes et les mauvaises dépenses. De nombreux programmes ont peut-être des objectifs nobles, mais sont mal gérés. La solution consiste à les reformer et non à les supprimer. »
Stratégies et aptitudes de base 85
Suffisance En tant que norme de qualité d’un argument, la suffisance cherche à savoir si l’argument produit un niveau de certitude adéquat pour que l’auditoire accepte l’affirmation. Divers arguments, présentés à divers auditoires dans des circonstances différentes exigeront divers niveaux de certitude pour être acceptés. Déterminer le niveau de certitude requis pour un argument donné, telle est l'objet de la suffisance. En général, la suffisance nécessaire pour tout argument est fonction du sujet dudit argument ainsi que du contexte dans lequel il intervient.16 Le niveau de preuve nécessaire pour rendre un argument convaincant est lié au sujet de celui-ci : un argument destiné à convaincre une assemblée locale d’installer des feux de signalisation à un carrefour très fréquenté exigera un niveau de preuve différent d’un argument visant à convaincre le Conseil de sécurité des Nations Unies d’autoriser l’invasion « préventive » d’un pays. La portée, l’amplitude et les conséquences de chacun de ces arguments diffèrent énormément ; le niveau de preuve nécessaire pour chacun devrait différer d’autant. Le contexte dans lequel est émis un argument influence également le niveau de preuve qu’un auditoire exige pour l’accepter. Plus simplement, les normes de suffisance peuvent varier selon le lieu où un argument est formulé. L’expert en argument Thomas Goodnight imagine que les arguments fonctionnent différemment en fonction du lieu où on les rencontre. Goodnight décrit la différence entre la sphère personnelle (celle qui existe entre individus qui ont une relation interpersonnelle), la sphère technique (à savoir entre autorités d’un domaine donné, tel que la médecine ou l’ingénierie) et la sphère publique d’un argument (celle entre les membres d’une société liée par le besoin de prendre une décision collective).17 Ce qui distingue fondamentalement ces sphères c’est que chacune demande un effort d’une intensité différente pour atteindre 86 Comment gagner un débat ?
un niveau de certitude suffisant pour qu'un auditoire adhère à une déclaration dans cette sphère particulière. En d’autres termes, le niveau de preuve nécessaire pour convaincre un auditoire dans la sphère publique serait considérablement différent de celui qui est nécessaire pour créer un argument convaincant dans la sphère technique. Prenez le débat sur le changement climatique. Pour établir l’impact de l’activité humaine sur le changement climatique dans la sphère scientifique (technique), il a fallu des années de collecte, d’analyse et de transmission des données, ainsi que de vérification de diverses hypothèses. Dans la sphère publique, des efforts beaucoup plus informels (tels que la popularité du film de l’ancien vice-président Al Gore Une vérité qui dérange) constituent pour beaucoup une preuve suffisante de la nécessité d'agir. Une approche utile à l’argumentation déconstructive peut se trouver dans la norme de la suffisance : pour contrecarrer un argument, l’on soutient qu’il n'atteint pas un niveau de preuve suffisant pour être accepté par l'auditoire. Cela peut se faire en examinant la sphère de l’argumentation dans laquelle existe l’argument (« La position de mon adversaire peut constituer une preuve suffisante pour convaincre un ami de l’existence d’un problème, mais elle n’établit pas la certitude nécessaire pour server de base à la politique publique ») ou en comparant le niveau de certitude qu'atteignent certains arguments par rapport aux conséquences de chacun de ceux-ci (« Nous concéderons que nous ne pouvons pas prouver de façon absolue que le retrait de nos troupes en Irak entraînera une guerre civile, mais les risques que cela arrive sont si importants que nous devrions rejeter la proposition sur la base du simple risque de conséquences négatives. »). Structuration de la réfutation De même qu’avec la plupart des autres aspects de l’argumentation, votre succès dépend essentiellement de votre capacité à structurer clairement votre réfutation. Pour améliorer votre capacité à structurer la réfutation de façon appropriée, il est nécessaire que vous ayez Stratégies et aptitudes de base 87
connaissance de certaines règles générales en la matière et que vous adoptiez une démarche spécifique lors de la déconstruction des arguments de vos adversaires. En général, la réfutation sera plus efficace si elle obéit à deux règles. Tout d’abord, vous devez toujours réfuter les arguments de l’adversaire avant de construire (ou de reconstruire) les vôtres. Cette règle s’appuie sur une maxime simple : toujours gagner l’arbitre à votre proposition. Lorsqu’un débatteur commence son effort de déconstruction, il travaille sur les bases argumentatives définies par son adversaire.18 Quelle que soit la pertinence avec laquelle le débatteur réfute les arguments qui les définissent, ces bases sont bien celles de l’adversaire. Même le fait de réfuter des arguments à partir des bases définies par l’adversaire aura pour effet de les renforcer dans l’esprit de l’arbitre. Selon le principe de la récence, l’auditoire est plus enclin à se concentrer sur ce qu’il aura entendu en dernier lieu et à se le rappeler : dans un débat, les débatteurs efficaces veulent toujours amener leur auditoire à se souvenir de leurs arguments à eux. L’autre règle générale est basée sur l’hypothèse selon laquelle même le simple fait d’identifier les arguments que vous entendez réfuter fait partie du processus de réfutation. En identifiant les arguments de vos adversaires (la première étape d’une réfutation efficace), en fait vous présentez à nouveau ces arguments : vous avez la possibilité de formuler ces arguments à votre avantage. En général, la meilleure approche en matière d’identification des arguments est d’utiliser l’approche « ponctuelle » dans laquelle l’on prend ce qui pourrait être un argument complexe et nuancé d’un adversaire pour le réduire à l’essentiel. Ainsi, lorsque l’argumentaire de votre adversaire est fondé sur trois points majeurs parfaitement formulés et soutenus, vous pourrez commencer votre réfutation en présentant à nouveau chacun de ces points en une seule phrase. En fin de compte, vous avez réduit la belle argumentation exposée pendant sept minutes par votre adversaire à trois phrases auxquelles vous accordez l’attention « réfutationnelle » appropriée (et qui sont toutes rejetées au cours des 90 premières secondes de votre intervention). 88 Comment gagner un débat ?
A. Structure de la réfutation Alors que l’effort de déconstruction d’un argument de l’adversaire est complexe, varié et assujetti à la fois à l’objet de l’argument et au contexte dans lequel il est formulé, une approche standard de réfutation peut conférer de la cohérence et de la clarté à cet effort. L’acronyme ICE : Identifier, Critiquer et Expliquer vous permettra de vous rappeler de ce modèle 1. Identifier les arguments de l’adversaire. La première étape d’une réfutation efficace est de permettre à l’auditoire de connaître quel est l’argument de votre adversaire vous comptez déconstruire. Lorsque cela est possible, il faut utiliser les termes mêmes de votre adversaire pour identifier cet argument. Bien entendu, l’utilisation des termes de votre adversaire devrait être contrebalancée par votre effort de (re)présentation de l’argument dans des termes qui vous soient favorables. Dans l’un ou l’autre cas, votre objectif est d’entraîner l’auditoire vers un terrain argumentatif sur lequel vous comptez faire votre déconstruction ; si l’arbitre ne sait pas quel est l’argument de votre adversaire que vous voulez réfuter, votre réfutation ne sera certainement pas efficace. 2. Critiquer l’argument de votre adversaire. Cette étape est la plus importante dans la déconstruction : au cours de cette étape, vous devez identifier les faiblesses des arguments de vos adversaires. Vous y parviendrez plus vraisemblablement en vous référant aux normes concernant la qualité des arguments examinés plus haut. Vous pouvez critiquer l’argument de votre adversaire en faisant valoir que la justification proposée ne peut pas être retenue comme preuve à l’appui de son affirmation, que la preuve apportée n’a rien à voir avec l’affirmation avancée, ou que l’argument ne comporte pas un niveau de certitude suffisant pour être accepté dans ce contexte. 3. Expliquer le sens de votre effort de déconstruction. La dernière étape du processus de déconstruction consiste à expliquer la portée de votre réfutation. Stratégies et aptitudes de base 89
A ce niveau, vous expliquez à l’arbitre pourquoi il est important de relever que l’argument de l’adversaire est inacceptable, étranger à la question et insuffisant. Très souvent, ceci donne lieu à un débat sur le rôle que joue l’argument dans l’ensemble de l’argumentaire de vos adversaires et sur la raison pour laquelle cet argument précis affaiblit ou réduit à néant son point de vue. A ce stade, vous pouvez également comparer votre argument à celui de vos adversaires de manière à montrer la supériorité de votre argument. Lorsque vous adoptez l’approche ICE, la déconstruction d’un argument peut se décliner comme suit : Dans le premier de leurs trois arguments en faveur de l’interdiction des châtiments corporels, nos adversaires affirment que ces châtiments sont comparables aux violences faites aux enfants [identification de l’argument de l’adversaire]. Cette comparaison est sans fondement : non seulement les châtiments corporels sont reconnus comme mode acceptable de correction des enfants, mais ils sont motivés par l’amour que l’on éprouve pour l’enfant et le désir d’aider l’enfant à différencier le bien et le mal [critique de l’argument de l’adversaire ; application de pertinence standard afin de montrer que l’analogie est sans fondement]. Les châtiments corporels n’étant pas comparables à l’acte illégal que constituent les violences faites aux enfants, il n’existe aucun fondement légal pour justifier l’interdiction des châtiments corporels et, par conséquent, aucune justification pour interdire les châtiments corporels [explication du sens de la déconstruction]. L’argumentation déconstructive constitue le moteur du débat : confronter des arguments opposés permet de distinguer le débat contradictoire de la simple rhétorique. Lorsqu’elle est fondée sur l’application des normes de qualité concernant les idées et qu’elle est structurée de sorte à promouvoir l’efficacité de la réfutation, l’argumentation de déconstruction fera ressortir les faiblesses des arguments adverses et tiendra lieu d’étape nécessaire permettant de persuader l’auditoire d’accepter vos arguments. 90 Comment gagner un débat ?
Cadrage L’élaboration et la critique des arguments constituent certes des aptitudes importantes que les débatteurs performants se doivent de maîtriser, mais elles ne sont pas suffisantes en soi. Outre la construction et la déconstruction des arguments lors de la confrontation, vous ne devez ménager aucun effort pour contrôler la façon dont les autres participants perçoivent les arguments au cours du tour, interagissent avec ceux-ci et les apprécient. Cela n’est pas facile : vous n’avez pas la possibilité de contrôler les pensées des arbitres ou des autres intervenants au débat. Toutefois, vous pouvez influencer ce que les autres croient être l’objet de la discussion et donc, quels arguments ils croient être les plus pertinents. La métaphore sur le « cadrage » du tour implique que les arguments avancés lors dudit tour peuvent être présentés de diverses manières, exactement comme une image peut être exposée de différentes façons. La manière dont une image est encadrée (c’est-à-dire la couleur et le type d’encadrement, la matière et la couleur du cadre, les ornements ou la sobriété du cadre, la taille de ce dernier par rapport à l’image elle-même, etc.) influencera la façon dont cette image est perçue. De même, dans un débat, la perspective à partir de laquelle un argument est perçu influencera l’auditoire. Prenez le cas de la confrontation entre les militants antitabac et les représentants de l’industrie du tabac au sujet de la réglementation de la vente et de la consommation de cigarettes. Les militants antitabac formulent le débat en le portant sur la santé des individus (fumeurs et non-fumeurs compris) et sur les charges que font peser l’usage de produits du tabac sur les ressources publiques. De son côté, l’industrie du tabac présente le débat en termes de conflit portant sur la liberté de choix de chacun et assimile la décision de réglementer ou pas le tabac aux autres questions de libertés civiles. Les deux camps ont raison. Ainsi que le soutiennent les camps antitabac, autoriser la vente de produits du tabac menace la santé des individus et le bien-être social. Toutefois, il Stratégies et aptitudes de base 91
est également vrai (comme le soutiennent l’industrie du tabac et ses partisans) que limiter l’accès à ce produit va nécessairement limiter la liberté de choix de chacun. Ce conflit, comme bien d’autres, sera remporté par l’équipe qui contrôle l’objet même du débat : ce dont nous débattons détermine (dans une large mesure) le futur vainqueur. Si nous croyons que le débat porte sur la santé individuelle et publique, les partisans de la réglementation du tabac l’emporteront. Si nous sommes convaincus qu’il s’agit d’un débat sur les libertés civiles, nous nous rangerons probablement du côté de ceux qui s’opposent à une réglementation accrue du tabac. En résumé, le cadrage définit le terrain sur lequel les arguments seront testés. Ce terrain (le territoire argumentatif dans l’esprit de l’arbitre) revêt une importance capitale pour chacune des équipes. A l’instar de l’avantage que procure une rencontre livrée à domicile à une équipe de sport, il est avantageux pour une équipe d’avoir la capacité de faire valoir ses propres termes. Mais contrairement à une équipe sportive, la possibilité de déterminer le terrain de jeu des arguments dans un tour de débat peut signifier que l’équipe dominante devra définir non seulement le terrain sur lequel la rencontre se déroule, mais aussi les règles, les objectifs et le mode de décompte des points lors de la partie. Le cadrage peut être divisé en deux types : le cadrage prospectif et le cadrage rétrospectif. Le cadrage prospectif renvoie à l’effort de définition des termes du débat au début du tour (ou au début de l’intervention de cette équipe, dans les débats parlementaires britanniques). Le cadrage rétrospectif a lieu lorsque l’intervenant résume et présente ses arguments en les confrontant à ceux de son adversaire. Bien que constituant le principal objet des interventions ultérieures au cours d’un tour de débat, le cadrage rétrospectif peut également avoir lieu (dans une moindre mesure) à la fin de n’importe quelle intervention lors du débat.
92 Comment gagner un débat ?
CADRAGE PROSPECTIF Dans une course à pied, l’objectif est toujours connu avant le début de l’épreuve et dans les événements normalisés, le but est au moins toujours le même : un marathon par exemple se court toujours sur une distance de 42,195 kilomètres. Il est inhabituel qu’une course démarre sans point d’arrivée précis : plus inhabituel encore serait une épreuve dont les concurrents déterminent eux-mêmes l’arrivée. Cependant dans un débat, les concurrents définissent non seulement le parcours, mais aussi la distance à parcourir et la ligne d’arrivée. Ce faisant, les intervenants ne devraient pas se contenter simplement de tout mettre en œuvre pour occuper le maximum de territoire dans l’esprit des arbitres ; ils devraient également avancer des arguments pour justifier la taille, les frontières et l’existence de ce territoire. Le cadrage prospectif consiste à encadrer la compétition à propos du territoire du débat. A certains moments, le combat est de moindre envergure : les deux équipes peuvent décider (de façon explicite ou implicite) de s’accorder sur les termes du débat et de ne s’affronter que sur les sujets qui découlent de ces termes. Parfois également, l’affrontement concernant le champ du débat devient l’élément le plus significatif du débat entre les équipes ; lorsqu’une équipe, en l’emportant sur les termes du débat, assure fondamentalement sa victoire dans un tour, la confrontation sur la structuration du débat est essentielle (pensez à l’exemple ci-dessus concernant l’équipe qui doit définir la controverse sur la réglementation du tabac). Le cadrage prospectif prend habituellement l’une des deux formes suivantes : les équipes peuvent cadrer prospectivement un tour en identifiant la question posée par la motion ou en définissant les termes du débat. L’identification de la question posée par la motion renvoie à l’effort de détermination du cœur de la controverse sous-entendu dans la motion. Déterminer efficacement la question n’offre pas seulement l’avantage de jeter les bases du débat, mais aussi de clarifier la Stratégies et aptitudes de base 93
proposition comme principal point de stase sur lequel la proposition et l’opposition vont s’opposer.19 Examinez la motion suivante : « Les mineures souhaitant se faire avorter devront d’abord avoir l’accord de leurs parents ». Cette motion contient toute une variété d’autres propositions possibles : il pourrait s’agir de savoir si oui ou non l’avortement relève d’une politique publique souhaitable ou non. Il pourrait tout aussi bien s’agir de savoir si les mineures sont capables de prendre des décisions rationnelles concernant l’interruption d’une grossesse. Ou bien le débat pourrait être ramené à déterminer si les parents sont les personnes les mieux placées (ou nécessaires ou les seules) pour agir au nom de l’enfant. Chacun de ces points de stase est un domaine sur lequel l’on peut mener un débat fécond ; certains sont plus favorables à une équipe qu’à une autre. Pour gagner, une équipe devra d’abord déterminer sur quel aspect elle compte insister et puis, convaincre l’auditoire que son point de vue est préférable. Définir les termes du débat est une autre forme de cadrage prospectif qui influera sur les bases sur lesquelles le débat se tiendra. Prenez la motion suivante : « Cette assemblée est favorable à l’interdiction de fumer ». En fonction de la définition de ses termes, cette motion portera sur l’interdiction de fumer dans des lieux précis tels que les bars et les restaurants, ou visera à interdire de fumer dans tous les lieux publics, en intérieur comme en extérieur. Enfin, une interprétation légitime de cette motion pourrait être une interdiction totale de fumer qui considérerait essentiellement la cigarette comme un produit illicite. Le terrain de ce débat (le cadre dans lequel il sera mené) dépend généralement de la manière dont la proposition d’ouverture définit les termes. Rappelez-vous toutefois que l’opposition d’ouverture peut contester ces termes ou définir son terrain à travers une « ligne de l’équipe », une position qui éclaire le terrain qu’elle entend défendre. L’une ou l’autre stratégie va sans doute apparaître dans l’exposé du débatteur, puis être renforcée par des arguments formulés tout au long de l’exposé. 94 Comment gagner un débat ?
Sans surprise, ces efforts de cadrage prospectif sont les plus visibles dans l’exposé du premier intervenant de chaque équipe. CADRAGE RETROSPECTIF Le cadrage rétrospectif, pour sa part, est plus généralement utilisé dans les dernières interventions du tour (également appelées discours du whip). Chargés de résumer les positions de chaque camp, les whips ont pour rôle de récapituler le tour et les arguments avancés par chaque camp en les présentant d’une manière qui soit particulièrement favorable au leur. Comme le suggère le terme, le cadrage rétrospectif implique un passage en revue du tour à partir d’une perspective particulière. Trois considérations sont essentielles pour un cadrage rétrospectif. Tout d’abord, pour parvenir à un cadrage rétrospectif efficace, il est nécessaire que le débatteur identifie les enjeux les plus pertinents abordés au cours du tour. Au fond, les enjeux les plus pertinents sont ceux qui permettent notamment de répondre à la question que posait la motion. Pour identifier ces enjeux, il faut considérer le tour dans son ensemble (vos arguments et ceux de vos adversaires) de façon objective. Penser comme un arbitre est l’un des secrets des débatteurs efficaces. Malheureusement, au-delà du temps passé « derrière le stylo » en tant qu’arbitre, il n’y a pas de méthode miracle aidant à développer l’œil d’arbitre pour les arguments. Si l’évaluation holistique et objective d’un tour ne débouche pas sur un consensus autour des points les plus cruciaux, vous pourrez éventuellement recourir à d’autres normes de pertinence : vous pouvez parvenir à convaincre l’arbitre que les enjeux les plus cruciaux sont ceux qui ont fait l’objet de débats les plus serrés, ou qui sont le plus en faveur de votre position et de votre stratégie. Dans tous les cas, l’identification des enjeux pertinents relègue les autres à une place moins importante dans le tour. Par conséquent, vous devez prendre soin de choisir les enjeux que les arbitres considéreront eux aussi comme étant les plus importants. Lors du cadrage rétrospectif, Il est également nécessaire que vous Stratégies et aptitudes de base 95
examiniez l’organisation des enjeux que vous allez présenter. Plusieurs normes peuvent vous permettre de déterminer l’ordre dans lequel les enjeux doivent être abordés : vous pouvez choisir de traiter les enjeux les plus cruciaux en premier ou en dernier, et vous pouvez reconnaître que certains enjeux méritent d’être abordés avant d’autres, ou vous pouvez tout simplement choisir d’accorder une place prépondérante aux enjeux qui sont favorables à votre camp ou à votre équipe lors de votre intervention. Dans tous les cas, il est nécessaire d’aborder les enjeux par ordre de priorité en faisant comprendre aux arbitres que tous les enjeux ne se valent pas. Enfin, une fois que vous avez sélectionné et organisé les enjeux de manière appropriée, il vous faut montrer que vos arguments ont prévalu dans chaque cas ou, s’ils n’y sont pas parvenus, montrer que l’enjeu en question était d’importance mineure par rapport à ceux appuyés par vos arguments. Il est nécessaire qu’au cours de ce processus, vous déterminiez à la fois le vainqueur de chaque enjeu et l’interaction entre ces enjeux vous permettant ainsi de déclarer que la proposition est vraie ou fausse. Les recommandations portant sur le cadrage prospectif et rétrospectif ne constituent qu’un point de départ dans la maîtrise de l’art du cadrage. Un cadrage réussi dépend largement de votre aptitude à identifier et à structurer les arguments échangés sur les sujets abordés au cours du tour. CADRAGE DU PAR LA STRUCTURATION DES ENJEUX Bien trop souvent, les débatteurs prêtent peu d’attention à la structure holistique du tour et n’examinent pas les divergences entre leurs arguments et ceux de leurs adversaires dans les points de stase identifiables. Il reste pourtant certain que les arbitres recherchent ces points de stase. Ce sont ces enjeux qui sont au cœur du débat. Dans les débats, il arrive généralement que les intervenants, obsédés par leurs propres contributions, se focalisent excessivement sur leurs propres arguments et oublient d’analyser et d’aborder les arguments de leurs adversaires ou de reconnaître la manière dont leurs arguments interagissent 96 Comment gagner un débat ?
avec ceux de ces derniers. En termes plus simples, les débatteurs manquent d’une vue d’ensemble (l’examen contradictoire des interactions entre les différents arguments avancés au cours du tour) à cause de considérations particulières (leur propre contribution ou celle de leur équipe). Dans une certaine mesure, avoir conscience de la fonction et de l’importance du cadrage d’un tour (prospectivement ou rétrospectivement) permet d’éviter cette erreur. Toutefois, il ne suffit pas simplement de savoir que vous devez procéder au cadrage ; vous devez restructurer le tour en une série d’enjeux qui vont à la fois résumer les différents arguments présentés et servir votre propre stratégie de contrôle. La métaphore du ménage illustre au mieux la (re)formulation des enjeux. La vie au quotidien engendre le désordre dans toute maison : nous laissons traîner des vêtements sur le sol ; nous laissons des livres sur la table et nous éparpillons le matériel de jardinage dans la cour. De la même façon, les tours du débat vont souvent dans tous les sens. Avec huit intervenants dont chacun introduit de nouveaux éléments dans le tour, le désordre est difficile à éviter. Mais toujours comme dans une maison (régulièrement et convenablement entretenue) l’on peut rendre le débat plus clair et plus efficace si les participants font attention à la structure du tour. Nous rangeons une maison où règne le désordre en remettant les choses à leur place : les vêtements vont à la buanderie ou retournent dans la penderie, les livres sont remis sur leurs étagères et le matériel de jardinage est rangé dans la remise avec les autres outils. A la fin du rangement, la maison devient un lieu plus convivial et plus ordonné : pour trouver une chemise, vous allez à la penderie, les livres sont dans la bibliothèque et non plus éparpillés dans le salon, ainsi de suite. Le débat profite aussi d’un effort constant de remise en ordre des arguments formulés dans un tour du débat. En plus de rendre le débat plus clair et la comparaison des arguments contradictoires plus efficace, le regroupement des arguments similaires peut aussi avoir une fonction stratégique. Stratégies et aptitudes de base 97
En général, votre effort de regroupement des arguments similaires est un exercice qui contribue à la définition des enjeux pour lesquels ces arguments sont disputés.20 Comme nous l’avons vu au chapitre 3, les enjeux débattus dans un tour sont des constructions mentales : ils sont le produit des efforts des débatteurs visant à établir les frontières du territoire où s’affrontent leurs arguments. En général, cet effort est un exercice d’identification du niveau d’abstraction approprié de l’enjeu. Comme vous l’avez appris, un enjeu doit avoir une étendue suffisamment vaste pour intégrer les arguments qui relèvent de son domaine ; mais il doit être également assez précis pour permettre un examen significatif des arguments qui en relèvent. Dans son étude, le linguiste S. I. Hayakawa a abordé le thème de l’« échelle d’abstraction » d’un langage. 21 La métaphore de l’échelle suggérée par Hayakawa explique la manière dont le niveau d’abstraction du langage que nous utilisons reflète notre compréhension du monde qui nous entoure. Le célèbre exemple proposé par Hayakawa concerne la manière dont on peut utiliser le langage à différents niveaux d’abstraction (ou de précision) pour parler d’une vache. En fonction de l’objectif de l’acte de communication, en parlant de cette vache, le locuteur choisira entre différents niveaux d’abstraction. Prospérité
Plus abstrait
Bien Bien agricole Bétail Vache Bessie
98 Comment gagner un débat ?
Moins abstrait
De la même manière, vous pouvez créer un enjeu qui intègre les points de stase entre des arguments contradictoires en identifiant le niveau d’abstraction approprié de cet enjeu. De la même façon que dans notre exemple sur la vache, nous pouvons utiliser différents niveaux d’abstraction du langage pour atteindre un but précis ; le langage que nous employons pour décrire nos arguments utilise des niveaux d’abstraction variés. Prenez le cas d’un débat sur la prostitution au cours duquel des protagonistes soutiennent que le statut illégal de la prostitution crée une situation dans laquelle les prostituées ne peuvent pas demander réparation pour les crimes dont elles seraient victimes. Pour le partisan de la légalisation, cette situation favorise les actes de violence incontrôlés contre les prostituées. L’argument spécifique concernant les violences faites aux prostituées fait partie de la catégorie des arguments concernant une absence générale de réparation pour les prostituées. La catégorie plus générale de « recours en justice » peut impliquer des arguments concernant les violences mais peut également impliquer des arguments portant sur la fraude commise contre les prostituées à cause de l’absence de « recours en justice ». De même, les arguments faisant partie de la catégorie « recours en justice » ne constituent qu’un type d’argument relevant de la catégorie plus vaste de l’« égalité », catégorie qui peut concerner (outre les arguments concernant le recours en justice) les arguments concernant l’égalité des chances en économie. L’abstraction se poursuit jusqu’à ce que le niveau le plus général (tous les arguments à la disposition de l’équipe de la proposition) soit atteint.
Stratégies et aptitudes de base 99
Arguments de la proposition
Plus abstrait
Droits de la personne Egalité
Réparation en justice Opportunité économique Violence
Moins abstrait
Fraude
Saisir les arguments avancés au cours d’un débat au sein des enjeux qui structurent ces arguments et leur donnent de la cohérence est difficile pour des débatteurs expérimentés. Il reste toutefois essentiel d’être en mesure de le faire si l’on veut remporter un débat. La capacité de contrôle des enjeux débattus vous permet de contrôler la structure d’un tour, donc de contrôler l’attention des arbitres. Une façon efficace d’identifier et de définir des enjeux est de trouver un thème commun qui sera le fil conducteur des argumentations. Ces thèmes (servant d’enjeux autour desquels s’articulent les arguments) sont des sujets vastes et fédérateurs tenant lieu de parapluie pour les arguments. L’identification des enjeux d’un débat commence par une description des arguments qui soit suffisamment abstraite pour contenir les arguments tout en étant assez précise pour avoir du sens et du poids tout au long du tour. Prenez l’exemple du débat sur l’interdiction de fumer en public. Le premier intervenant de l’équipe de la proposition pourrait soutenir une telle interdiction en fondant sa démonstration sur les arguments et dans l’ordre ci-après : 1. Le tabagisme passif constitue un grave risque de santé publique. 2. Les fumeurs occasionnent des charges plus élevées sur le système de santé publique que les non-fumeurs.
100 Comment gagner un débat ?
3. Les non-fumeurs ont le droit de se prémunir contre le tabagisme passif dans les lieux publics. Le premier intervenant de la partie de l’opposition peut répondre avec sa propre série d’arguments : A. Les fumeurs vont continuer de fumer ; ils continueront à le faire mais seulement dans les lieux privés. B. L’interdiction de fumer entraînera de graves conséquences pour les détaillants qui vivent de la vente des produits du tabac. C. Les bars et les restaurants verront une baisse de la fréquentation de leurs établissements par leurs clients fumeurs. D. Les fumeurs ont le droit d’exercer leur choix en public. Le troisième intervenant dans le débat (le deuxième de l’équipe de la proposition) a un choix à faire : il peut considérer le débat comme une série d’arguments indépendants avancés à tour de rôle par les intervenants de la proposition et de l’opposition ou chercher à unifier l’examen de ces arguments en enjeux représentant la stase qui existe naturellement entre ces arguments. En rassemblant les arguments pertinents en enjeux explicitement identifiés, il devient plus facile pour l’arbitre de comprendre et de comparer les arguments de la proposition et de l’opposition. Dans l’exemple ci-dessus, les arguments peuvent être rassemblés en deux enjeux comme suit :
Stratégies et aptitudes de base 101
Fumer nuit-il à la santé publique ? Arguments n°1 et n°2 de la proposition
Argument « A » de l’opposition
Quelles en seront les conséquences économiques ?
Arguments « B » et « C » de l’opposition Les fumeurs ont-ils le droit de fumer en public ?
Argument n°3 de la proposition
Argument « D » de l’opposition
Maintenant, en plus d’avancer des arguments qui avantagent son camp, le second intervenant de la proposition a pris le contrôle de la structure du tour en reformulant les arguments du point de stase autour duquel ces arguments entrent en conflit. Ces enjeux lui permettent de contrôler plus facilement le centre d’intérêt de l’arbitre, de comparer les arguments de son équipe avec ceux de l’opposition, et de faire valoir l’importance relative de chacun des enjeux. En clair, le contrôle des enjeux au cours de ce tour lui confère un avantage significatif.
102 Comment gagner un débat ?
C
H A P I T R E
5
Les orateurs et les discours Modèle du parlement britannique Le modèle de débat académique du Parlement britannique (PB) constitue le format officiel des championnats mondiaux universitaires de débat (WUDC, World Universities Debating Championships). Comme son nom l’indique, ce format trouve ses origines dans la Chambre des communes de Grande-Bretagne et sert de modèle aux débats académiques dans les universités britanniques. Depuis son adoption par les WUDC, ce modèle s’est répandu à travers le monde ; il constitue actuellement le format de débat interuniversitaire le plus courant. A l’instar d’autres formats de débat universitaire, le modèle de débat du Parlement britannique (PB) met aux prises des équipes qui sont pour ou contre une motion devant un panel d’experts-arbitres. Les positions des équipes (pour ou contre la motion) et la motion elle-même sont arrêtées par les organisateurs du tournoi. La plupart des formats de débat universitaire (notamment ceux qui sont connus du public américain) n’opposent que deux équipes : l’une soutient la proposition et l’autre la réfute. Le résultat de ces débats est binaire : les arbitres départagent les équipes en déclarant l’une victorieuse et l’autre perdante. Contrairement aux formats binaires de débat, le modèle PB prévoit quatre équipes indépendantes par tour : deux qui soutiennent la motion (connue sous le nom d’équipes de la proposition) et deux autres qui réfutent la motion (équipes de l’opposition). Plutôt que de s’affronter uniquement pour gagner, les équipes débattent en vue d’un classement à la fin du tour.
Les orateurs et les discours
103
Cette approche du débat (dans laquelle les équipes peuvent partager la même position) peut être d’emblée déroutante pour ceux qui sont habitués aux formes binaires de débat académique. Cette approche peut s’expliquer par une version du régime parlementaire sur lequel le PB est calqué. Alors que les formes binaires de débat sont l’émanation d’un modèle judiciaire de plaidoyer contradictoire (comme dans une cour pénale où l’accusation soutient que l’accusé est coupable pendant que la défense soutient qu’il est non coupable), le modèle PB s’appuie sur un modèle législatif dans lequel des équipes aux intérêts différents mais complémentaires collaborent en vue de présenter la même motion.22 Ce modèle est ancré dans les régimes politiques qui utilisent un système électoral de représentation proportionnelle où les partis doivent former des coalitions pour obtenir une majorité au pouvoir. Dans ces systèmes, un parti écologiste peut collaborer avec un parti travailliste pour former le gouvernement et promulguer des lois. Le parti écologiste est concerné par les questions environnementales et le parti travailliste se préoccupe du bien des travailleurs, mais les deux collaborent pour préconiser le changement. Dans un tour de débat PB, les équipes de chaque camp collaborent en utilisant une approche très similaire. Deux équipes appelées respectivement Proposition d’ouverture et Proposition de clôture sont chargées de plaider en faveur du sujet également appelé motion dans un débat du PB. Deux autres équipes (Opposition d’ouverture et Opposition de clôture) sont quant à elles chargées de réfuter la motion. Chacune de ces équipes est composée de deux débatteurs qui ont chacun un nom unique dans le cadre du débat.
104 Comment gagner un débat ?
Proposition d’ouverture
Opposition d’ouverture
1. Premier ministre
2. Leader de l’opposition
3. Vice-premier ministre
4. Vice-leader de l’opposition
Proposition de clôture
Opposition de clôture
5. Membre de la proposition
6. Membre de l’opposition
7. Whip de la proposition
8. Whip de l’opposition
Dans un tour de débat PB, chaque débatteur fait une intervention de 7 minutes en commençant par le premier intervenant de l’équipe de proposition d’ouverture (le Premier ministre) et en alternant la proposition et l’opposition jusqu’à ce que chaque protagoniste ait pu intervenir :
Ordre Equipe
Intervenant
Durée
1
Proposition d’ouverture
Premier ministre (PM)
7 minutes
2
Opposition d’ouverture
Leader de l’opposition (LO)
7 minutes
3
Proposition d’ouverture
Vice-premier ministre (VPM) Vice-leader de Opposition d’ouverture l’opposition (VLO)
7 minutes
5
Proposition de clôture
Membre proposition (MP)
7 minutes
6
Opposition de clôture
Membre opposition (MO)
7
Proposition de clôture
Whip proposition (WP)
8
Opposition de clôture
Whip opposition (WP)
7 minutes 7 minutes 7 minutes 7 minutes 7 minutes 7 minutes
4
7 minutes
Les orateurs et les discours
105
Au cours de chacune de ces interventions, les intervenants du camp adverse peuvent demander à interrompre l’intervenant. Appelées Questions de renseignement (QR), ces interjections sont de brèves questions ou des déclarations émises à la discrétion du débatteur ayant la parole. Après la première minute et avant la dernière minute de toute intervention, un débatteur peut à tout moment demander à un intervenant du camp adverse la possibilité de soulever une QR (soit oralement soit en se levant). Le débatteur qui a la parole peut à sa discrétion accepter ou refuser les QR. En cas d’acceptation, l’intervenant auteur de la QR dispose d’environ 15 secondes pour faire sa déclaration ou poser sa question. Au cours d’une QR, le temps de parole continue d’être décompté. Suite à la question de renseignement, le principal intervenant reprend la parole et est censé intégrer dans son intervention sa réponse à la QR. Les protagonistes sont jugés sur les efforts (probants ou non) qu’ils fournissent pour formuler des QR et y répondre. Après cet aperçu simple d’un tour de débat, je passe maintenant à une analyse détaillée des différentes positions perçues dans les interventions au cours d’un tour pour examiner les capacités de chaque intervenant à procéder à la construction, à la déconstruction et au cadrage. Pour illustrer certains des concepts abordés, je vais indiquer la façon dont pourrait se dérouler un débat sur la motion suivante : « Cette assemblée est favorable à l’abolition de la peine de mort ».
Discours du premier ministre Comme première intervention dans ce tour, l’exposé du premier ministre (PM) porte une charge toute particulière : il doit présenter un argumentaire qui, non seulement comporte un ou plusieurs arguments en faveur de la motion, mais qui définit également les grandes lignes du tour d’une manière à favoriser les contributions des autres équipes.
106 Comment gagner un débat ?
CADRAGE L’obligation la plus importante du PM est de cadrer le débat de façon prospective afin que les autres protagonistes et les arbitres puissent en comprendre le contexte et l’élément central. Il est très courant que la motion destinée aux débats du PB comporte une motion de politique pseudo-législative telle que celles-ci : « Cette assemblée est favorable l’abolition de la peine de mort » ou « L’Inde doit obtenir un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU ». Le PM a l’obligation technique de clarifier le débat en formulant une proposition. Pour comprendre le tour (c’est-à-dire pour que l’équipe de l’opposition place des attaques efficaces contre l’argumentaire/la motion, que l’équipe de la proposition de clôture exprime une position appropriée en faveur de l’argumentaire/de la motion et que les arbitres examinent les arguments pour et contre l’argumentaire/la motion, les participants doivent parvenir à s’entendre sur l’objet même du débat (ils doivent s’accorder sur une proposition pour le débat). Dans le cas d’une motion hypothétique, l’abolition de la peine de mort, deux débats totalement différents pourraient être engagés si la proposition d’ouverture choisissait de soutenir la proposition d’« abolir la peine de mort pour les mineurs » par opposition à « abolir la peine de mort pour tout crime » (en passant, la dernière de ces deux interprétations constitue la meilleure définition – nous y reviendrons en détails plus tard). Le premier ministre a l’impérieux devoir de définir la proposition de manière à favoriser un débat de fond qui soit également ciblé et productif. Dans certains cas, l’élaboration d’une proposition à débattre exige du PM qu’il mène de longues discussions sur la manière dont la motion pourrait être mise en œuvre. Appelé « modèle »23 et introduit au tout
début de l’intervention du PM (souvent immédiatement après ses remarques introductives), le modèle expose les considérations et les contraintes de politique qui vont entourer la promulgation de la motion. La motion « Cette assemblée est favorable à l’interdiction du tabac » exige que le PM précise les contours d’une telle interdiction. En Les orateurs et les discours
107
termes de politique, cela équivaut à dire que le PM doit indiquer le mandat d’une telle interdiction (« nous sommes favorables à l’interdiction de la production, de la vente et de la consommation du tabac sous toutes ses formes ») et la mise en application de cette interdiction (« les contrevenants s’exposeraient à des sanctions pénales et civiles proportionnelles à la gravité de la violation, allant de simples amendes pour possession à l’incarcération pour tentatives de production ou de distribution répétées »). Dans certains cas, le PM peut parler de l’organisme chargé de la mise en œuvre et du financement de cette politique et aborder d’autres dispositions de cette politique susceptibles d’apporter davantage de lumière sur l’intention de l’équipe de la proposition d’ouverture. Dans d’autres cas, pour remplir l’obligation de présenter une proposition à débattre, il suffit tout simplement de définir un ou deux termes de la motion. Certaines motions sont tellement spécifiques qu’elles sont faciles à interpréter. Prenez le cas de la motion suivante : « Les systèmes de santé publique devraient refuser d’offrir une aide à la fécondation dans les cas où un des membres du couple sollicitant une telle aide est âgé de plus de 42 ans. » Dans ce cas, les termes de la politique contenus dans la motion sont relativement clairs. Le PM pourrait éventuellement donner des détails sur les traitements contre la stérilité visés par cette prohibition ou donner des exemples de types de systèmes de santé publique en empruntant l’exemple d’un pays en particulier, bien qu’il paraisse relativement clair que cette motion soit formulée de manière à prendre en compte tous les traitements et à être applicable aux systèmes de santé offrant des soins de santé universels financés avec des fonds publics. Bien que le PM ait l’obligation technique de formuler une proposition pour le débat, la décision portant sur la manière de définir la proposition est une décision stratégique. En général, cette décision devrait être guidée par l’examen de la manière dont les arbitres vont évaluer l’effort de définition de la proposition. De manière spécifique, l’effort du PM devrait être guidé par la norme « meilleur débat ». Plus 108 Comment gagner un débat ?
simplement, en utilisant la norme « meilleur débat », les arbitres ont demandé : « les efforts des intervenants ont-ils rendu le débat meilleur ? » Dans le cas du PM, ce qui rend généralement le débat meilleur est une proposition qui laisse une ouverture à l’opposition plutôt que d’exclure celle-ci.24 C’est ici que la différence entre les interprétations de « l’abolition de la peine de mort pour les mineurs » et de « l’abolition de la peine de mort dans tous les cas de crime » devient évidente. Dans le premier, le terrain tracé par le PM peut être plus défendable parce que plus étroit et plus limité ; il en est ainsi tout simplement parce que ce terrain exclut toute possibilité d’opposition. Une équipe de l’opposition qui s’est préparée à débattre sur la motion « Cette chambre compte abolir la peine de mort » en s’imaginant qu’elle aurait à s’expliquer sur la vaste catégorie des peines qui font partie de celles auxquelles l’on donne communément le sens de peine de mort, devrait modifier, ou vraisemblablement abandonner la plupart de ses arguments. En outre, parce que le débat sur la peine de mort applicable aux mineurs se déroule sur un terrain plus limité et plus étroit, celui-ci laisse certainement moins de place aux arguments des sept autres intervenants du tour. Je vais être clair : le débat quant à savoir si oui ou non la peine de mort devrait être appliquée aux mineurs est opportun, utile et potentiellement intéressant. Toutefois, étant donné que les intervenants ont été invités à se prononcer sur la motion plus générale de l’abolition de toute peine de mort, limiter le débat aux mineurs ressemble à une décision motivée par le désir de se donner un avantage stratégique et non par une réelle envie de s’interroger sur la question posée par la motion présentée. La plupart des arbitres interpréteront une telle stratégie comme étant évasive et non pas intelligente et ils évalueront l’effort en conséquence.25 Je voudrais être clair : En fin de compte, la meilleure formulation du PM est celle qui rend le débat plus clair, crée une proposition qui pourrait être soutenue par des équipes pour et critiquées par les équipes contre. Elle est fidèle à la motion et peut mener à un débat de meilleure qualité. Les orateurs et les discours
109
ARGUMENTATION CONSTRUCTIVE Dans la plupart des cas, L’effort de conception du premier PM ne compte que pour 1 à 1,5 minutes de son discours. De loin, la plus grande partie du temps du PM est consacrée au développement des arguments constructifs qui appuient la proposition développée dans sa conception. Cet effort de construction est le produit d’une analyse et d’une synthèse approfondies de potentiels arguments pour la proposition. En règle générale, le PM avancera trois à quatre arguments pour la proposition. Ces points peuvent être indépendants ou logiquement progressifs, certes; cependant ils comporteront à coup sûr un ensemble de preuves complet, varié et approfondi pour la proposition. Pour en apprendre davantage sur la construction d’arguments solides, reportez-vous à l’étude sur l'argumentation constructive au chapitre 3. ARGUMENTATION DECONSTRUCTIVE La majorité des discours du PM ne se focalisent pas sur l'argumentation constructive pour une raison simple : puisque c’est le premier discours de la série, il n’existe pas encore un effort d’opposition visant à le déconstruire. Ceci dit, certains PM utilisent des techniques qui anticipent et critiquent de façon préventive les arguments prévus. Cette stratégie devrait être utilisée de manière ponctuelle. Le PM pourrait en tirer parti en atténuant le crédit accordé à l'intervenant qui présente un argument, mettant ainsi l'opposition sur la défensive et en orientant l'attention de l’opposition de leur stratégie envisagée vers celle qui a été définie par la proposition, certes ; toutefois, le risque possible est élevé. Plusieurs PM ont, par inadvertance, fourni à un adversaire un argument auquel ils n’avaient pas pensé et que le juge prend en compte plus tard. DISCOURS DU PM DANS LE DEBAT SUR LA PEINE DE MORT. Dans notre débat hypothétique, le PM opte pour une définition de la motion autant que possible élargie, pour promouvoir une question 110 Comment gagner un débat ?
approfondie autour de la question suggérée par celle-ci. Après avoir offert un modèle simple qui donne des clarifications sur la personne qui interdira la peine de mort (toutes les nations souhaitant rester membres de l’ONU), les crimes auxquels l’interdiction s’appliquera (tous les crimes, commis dans toutes les circonstances) et qui précisent que même les condamnés à mort qui attendent leur exécution seront concernés par cette interdiction, le PM poursuit en proposant une idée développée autour de deux arguments constructifs. Premièrement, il affirme qu’il n’existe aucune preuve empirique selon laquelle la peine de mort aurait un effet dissuasif. Les Etats où la peine de mort est en vigueur ou non ont pratiquement les mêmes taux de crimes. En outre, comme le relève le PM, l’effet dissuasif ne s’applique probablement pas aux crimes généralement sanctionnés par la peine de mort, notamment le meurtre et le viol, car ce sont typiquement des crimes passionnels dans lesquels l’auteur ne réfléchit pas de façon rationnelle sur les conséquences de ses actions. Ensuite, le PM développe un deuxième argument sur les erreurs inévitables qui surviennent dans l’application de la justice. En ce qui concerne la peine de mort, de telles erreurs (notamment l’action fautive ou le délit d’action) ne peut faire l'objet de correction si elles sont découvertes ultérieurement. Ainsi, précise le PM, la peine de mort présente de nombreuses lacunes qui légitiment son interdiction. Dans les notes du tour, un tel discours peut être enregistré comme suit :
Les orateurs et les discours
111
Premier ministre
Leader de l’opposition
Modèle : tous les membres de l'ONU abandonnent immédiatement ; convertir à la peine de prison à perpétuité 1. La peine de mort n'a aucun effet dissuasif A. Il n'existe aucune preuve empirique B. Elle ne dissuade jamais les crimes passionnels 2. Les erreurs sont irréversibles A. Le système est faillible Vice-Premier ministre
Vice-leader de l’opposition
Membre de la proposition
Membre de l’opposition
Whip de la proposition
Whip de l’opposition
112 Comment gagner un débat ?
Discours du leader de l’opposition Si le PM a la charge spéciale de définir le point central du débat et l'axe stratégique global des deux équipes qui réagissent à la proposition, le leader de l'opposition (LO) porte au moins une charge similaire pour le compte de l’opposition. En tant que premier intervenant de l’opposition, le LO est chargé de la structuration du centre d'intérêt des équipes de l'opposition et de l'introduction des positions constructives et déconstructives de l’équipe de l’opposition d’ouverture. CADRAGE Le LO doit prendre une décision sur la méthode de structuration des arguments de son adversaire. Principalement, il doit décider d’accepter ou de rejeter l’interprétation de la motion par le PM. La décision prise par le LO dans l’essentiel des cas est d’accepter la définition telle que présentée. Cela étant, la question des définitions « équitables » (et, plus important encore, comment une équipe de l’opposition devrait gérer ce qu’elle considère comme une définition « inéquitable ») est généralement très préoccupante, notamment pour les débateurs novices du débat parlementaire britannique (PB). En conséquence, je vais m’attarder ici sur une approche que vous n’utiliserez probablement jamais. Un ensemble d’observations permettront d'expliquer la décision d'accepter ou de rejeter une définition. Premièrement, souvenez-vous que la proposition du débat en ellemême peut être réfutée. L’interprétation d’une motion par le PM n’est pas sacro-sainte. En effet, son interprétation n’est pas différente de ses arguments descriptifs, relationnels ou évaluatifs au sujet de la véracité de la proposition : c'est un argument sujet aux mêmes erreurs potentielles et susceptible de donner lieu aux mêmes critiques que tout autre argument lors du débat. Les orateurs et les discours
113
Tout comme le PM, le LO doit faire preuve d’un « débat de qualité » rehaussée. En d’autres termes, la décision de rejeter une définition doit être faite en tenant compte des conséquences importantes sur la qualité du débat ; souvent le débat se montre relevé si le LO choisit d’attaquer une définition restreinte et sans doute « inéquitable » en avançant les meilleurs arguments possibles plutôt que de protester contre la définition énoncée. Etant donné la tendance des objections définitionnelles à brouiller le débat en créant deux points potentiels permettant de contester le débat, cette décision ne doit pas être prise avec légèreté. Peut-être que cette dernière observation justifie le fait qu'il n'y a que quelques problèmes de définition soulevés par le LO, et explique pourquoi, des questions définitionnelles soulignées, seules quelquesunes sont retenues. Certainement, d’après mon expérience en matière de débat PB (qui commença par un voyage pour les Mondiaux de 1992) je n’ai jamais vu un problème de définition couronné de succès. Bref, les premières équipes qui appuient la proposition tendent essentiellement à définir les termes du débat avec la plus grande fidélité à la motion formulée ; et les premières équipes de l’opposition tendent largement à accepter cette approche. Cela fait partie de la culture des débats PB. Cela étant, si un LO pense qu'un problème de définition constitue sa meilleure option, il devra suivre les étapes ci-après. Tout d’abord, le LO doit absolument être certain que son interprétation se rapproche davantage de l’élément insinué par la motion. Les cas les plus évidents sont ceux dans lesquels le PM comprend de travers un sous-entendu de la motion. Considérons par exemple le cas où un PM assigné à défendre l'interdiction de la peine de mort propose un point qui soutient que la fessée doit être déclarée illégale. Dans ce cas, le PM confond clairement le châtiment corporel avec la peine de mort et soulève un problème qui est largement sans rapport avec l’intention de la motion.26
114 Comment gagner un débat ?
Dès que le LO est certain que le rejet de la définition du PM est la meilleure stratégie, il doit prendre une nouvelle décision. En effet, il doit à présent décider de réadapter l'interprétation du PM ou de l'abandonner. S’il choisit de la réadapter, il devra utiliser ce que l'on surnomme familièrement la stratégie « sûre ». Cette stratégie consiste à corriger l’erreur d’interprétation en laissant la possibilité de réintégrer le premier appui à la proposition dans le débat. Elle est particulièrement utile lorsque le PM va trop loin dans l’interprétation ou commet une erreur de jugement à la volée, peut-être en réponse à une Question de renseignement (QR) difficile. Supposons, par exemple, que le PM propose d'interdire la consommation des cigarettes à tous les niveaux mais oublie d'examiner les méthodes d’application de cette interdiction. En réponse à une QR de l’opposition, le PM s’égare et insinue par mégarde que les conséquences de l'utilisation du tabac seront l'exécution du délinquant. Ceci ne fait probablement pas partie de la discussion politique réelle sur le fait d’établir l’illégalité des cigarettes, ni ne se focalise sur cette défaillance évidente dans ce qui pourrait autrement constituer une proposition mûrement réfléchie susceptible de déboucher sur un débat intéressant et stimulant. Dans ce cas, un LO sage pourrait débuter son discours par la structure suivante : Sans doute, le PM ne voulait pas insinuer qu'un premier délit de possession du tabac fera l'objet d'une peine de mort. Cela dit, le premier intervenant affirmatif avance des arguments probants sur les raisons qui justifient des sanctions pénales pour ceux qui violent l'interdiction. Nous allons attaquer ces raisons et démontrer pourquoi il est en principe erroné de tenter d’interdire le choix personnel de l’utilisation du tabac, sans égard à la peine imposée à ceux qui violeraient cette interdiction.
Les orateurs et les discours
115
Le LO évite ainsi ce qui serait probablement un débat peu brillant dont l’objet est de savoir si la consommation du tabac justifie la peine de mort et se focalise plutôt sur la question sous-entendue par la motion : est-ce une bonne idée que de vouloir interdire la consommation du tabac ? L’essentiel des participants (y compris un vice-Premier ministre futé) reconnaîtraient que c’est un bon choix et feraient de même. Une autre solution permettant d’aborder une motion mal interprétée nécessite que le LO rejette l’interprétation sur-le-champ et soulève une question qui met en évidence (ce qu’il considère comme) la meilleure interprétation. Une fois de plus, j'insiste sur le fait que ce choix constituerait l’option privilégiée dans très peu de cas. Cependant, si un LO est convaincu que cette possibilité constitue sa première option stratégique, il devra faire deux choses pour formuler une objection globale de l’interprétation. Premièrement, il devra expliquer pourquoi l’interprétation de la motion par le PM est insuffisante, inappropriée ou pas sujette à débat. Ces raisons peuvent inclure le fait que l’interprétation n’a aucun lien avec la motion, que l’interprétation force l’opposition à prendre une position insoutenable dans le débat sur le plan moral, ou que la proposition soumise par le PM est largement acceptée comme vérité pour devenir peu contestable et, par conséquent, indiscutable. Alternativement, l’interprétation contestable d’une motion peut être une interprétation pour laquelle le débat est restreint à un cadre temporel ou géographique déraisonnable à l’exclusion des autres arguments raisonnables.27 Après avoir donné ses raisons pour lesquelles l'interprétation doit être considérée déraisonnable, le LO devra proposer sa version de l’interprétation « correcte » de la motion. Ceci est généralement fait pour démontrer le degré d’éloignement de l’interprétation du PM de la motion. Une fois que le LO est convaincu que les jurys acceptent sa version de la motion, il lui revient enfin d’avancer des contre-arguments de cette version.
116 Comment gagner un débat ?
A ce niveau, l’intérêt du LO passe de la présentation des contrearguments de la proposition telle que formulée par le PM à la formulation des arguments qui réfutent la motion en tant que proposition. La conséquence de ce changement d’orientation est que la question soulevée par le premier ministre intervenant restera relativement ignorée par le LO ; en effet le fait d’ignorer les arguments de votre adversaire est une démarche risquée et je dois encore souligner ici la faible probabilité d’adoption de cette stratégie.28 Mon dernier commentaire porte sur le reste du débat à la suite d’un problème de définition formel. Les règles des championnats mondiaux de débats universitaires (WCUD) expliquent que chaque nouvelle équipe du débat peut suivre la direction du LO et poursuivre le débat sur la base des termes de la seconde définition sans pénalité, à condition que la définition du PM soit légitimement contestable. Par ailleurs, les règles permettent à l'équipe de proposition de clôture affirmative de proposer une autre interprétation de la motion si l’interprétation (subsidiaire) proposée par l’équipe d’opposition d’ouverture est contestable. L’équipe de l’opposition de clôture jouit du même privilège si, dans ce cas, l’interprétation (subsidiaire) de l’équipe de la proposition de clôture est également contestable.29 Comme vous l’imaginez, de tels débats sont pénibles pour toutes les parties impliquées et devraient être évités à tout prix. Si le LO choisit d’accepter la proposition générale du débat telle que formulée par le PM, il pourra encore avoir du travail à faire par rapport à la structuration. Souvent, l’équipe d’ouverture de l’opposition peut bénéficier du développement d’un « argument de base », ou de l’articulation d’une raison spécifique que l’équipe d’ouverture de l’opposition défendra. Cette raison doit être pertinente pour la proposition telle qu’acceptée par le LO, mais il doit accorder à l’équipe de l’opposition d’ouverture (et, potentiellement, l’équipe de l’opposition de clôture) l’avantage d’un effort plus ciblé afin de contrecarrer la proposition. Voir le discours du LO ci-dessous en guise d’exemple utile sur la structuration d'un argument de base. Les orateurs et les discours
117
ARGUMENTATION DECONSTRUCTIVE Après les efforts de structuration, le LO passe généralement à la phase de déconstruction en réfutant les arguments clés du PM. L’argumentation déconstructive est un centre d’intérêt important pour le LO (et, en réalité, pour tous les autres intervenants) vu que la formulation des contrearguments est la caractéristique déterminante du débat et l'un des principaux critères que les jurys considèrent dans la détermination du rang des équipes. Le LO va probablement répertorier les arguments du PM et réagir à chacun d’eux à tour de rôle. Certains LO choisissent de formuler une seule critique pertinente à l'égard de chaque argument tandis que d'autres énumèrent un nombre d'objections concernant chacune des positions du PM. Dans l’un et l’autre cas, la responsabilité du LO est de créer un doute considérable au sujet de la force des arguments du PM. Tout cet effort prendrait en général 2 à 3 minutes du discours du LO. ARGUMENTATION CONSTRUCTIVE A l’instar du PM, le LO doit développer un point positif pour soutenir sa position. Cette approche est stratégiquement avantageuse pour l’opposition d’ouverture : même s’il est concevable qu’un effort déconstructif de l’opposition serait tellement puissant au point de rendre un argument favorable à la proposition discutable (et, par conséquent, de faire triompher l’équipe de l’opposition d’ouverture), ces cas sont rares. Une stratégie plus judicieuse consiste à formuler des « contre-arguments » sous forme d’argumentation déconstructive et des « arguments favorables » sous forme d’effort constructif. Les arbitres sont plus enclins à voter pour une équipe qui fait preuve de maîtrise de toutes les aptitudes au lieu de ne se limiter qu’à l'une d'elles. En outre, les règles des WUDC recommandent aux jurys d'évaluer chacun des efforts fournis par un intervenant pour introduire un « point positif » dans le débat.30
118 Comment gagner un débat ?
L’argumentation constructive du LO, tout comme celle du PM, comprendrait probablement 2 à 4 points qui donnent des raisons indépendantes ou logiquement progressistes justifiant la crédibilité de la position de l’opposition d’ouverture. Cet effort (dans la plupart des discours) occupera le gros des efforts du LO, environ 3 à 4 des 7 minutes qui constituent la durée de son discours. Discours du LO dans le débat sur la peine de mort A la lumière de l’interprétation raisonnable de la motion par le PM, notre LO décide (correctement) de procéder directement à la réfutation des points du PM plutôt que de rejeter sa définition. Concernant l’argument du PM selon lequel la peine de mort n'est pas dissuasive, le LO soutient que ce type d'effet n'est pas mesurable, parce qu'il est impossible d'identifier celui avait l’intention de commettre un crime mais qui a pris la décision de ne pas le faire. Aucune personne, soutient le LO, n’admet volontiers de vouloir commettre un crime, en particulier un crime capital, mais choisit de ne pas le faire seulement à cause du risque de sanction. Relativement à l'argument du PM sur l'irréversibilité de l'application de la peine de mort, le LO soutient que ces erreurs ne sont pas intrinsèques à la peine de mort en elle-même mais au système qui établit la culpabilité et impose la sanction. Corrigez le système, déclare le LO, et vous éliminerez cet argument appuyant l’abolition de la peine de mort. Partant de cette base, le LO procède à la structuration de la position de l’opposition d’ouverture. Plutôt que d’alléguer que tous les crimes, quels que soient les cas, peuvent être passibles d’une peine de mort, le LO choisit de concentrer son effort d'opposition de manière à prouver que la peine de mort est une conséquence légitime et appropriée pour ceux qui sont reconnus coupables de crimes contre l’humanité. Ces crimes, soutient le LO, sont des exemples extrêmes du pire des comportements criminels (en réalité, ce type de crimes sont définis comme ceux qui « scandalisent ») Les orateurs et les discours
119
et constituent à ce titre un test redoutable de l’argument d’appui à la proposition selon lequel la peine de mort est injustifiable quel que soit le cas. Pour démontrer que ceux qui sont coupables de crimes contre l’humanité méritent la peine de mort, le LO développe deux lignes d’arguments constructifs. Premièrement, il soutient que la poursuite des crimes contre l’humanité a d'abord pour but de rendre justice, et cette justice est bien servie (dans ce cas) par la peine de mort. Il en est ainsi, affirme-t-il, parce que seule la peine de mort peut commencer à rembourser la dette sociale créée par ceux qui sont coupables de crimes contre l’humanité. Par ailleurs, il soutient qu’un certain degré d’accomplissement est atteint lorsqu'une personne qui a terrorisé une population est mise à mort. Il est vrai que ces actes ne peuvent pas être rachetés, mais cette personne ne peut plus jamais commettre de telles atrocités et les victimes sont donc rassurées de la cessation de leur tourment. Comme deuxième argument, le LO affirme que le maintien de la peine de mort pour ces crimes entraîne une position morale ambiguë et clarifie bien que la communauté internationale n'admet pas un comportement de ce type. Dans les notes d’un rapport de débat, voici à quoi pourrait ressembler le discours du LO :
120 Comment gagner un débat ?
Premier ministre
Leader de l’opposition
Modèle : tous les membres de l'ONU abandonnent immédiatement ; convertir à la peine de prison à perpétuité
Dissuasion ? Impossible de mesurer les effets. Erreurs ? Dans l’application, non pas de la peine de mort elle-même ; corriger le système
1. La peine de mort n'a aucun effet dissuasif A. Il n'existe aucune preuve empirique B. Elle ne dissuade jamais les crimes passionnels
Position de l'équipe : maintenir la peine de mort pour les crimes contre l'humanité A. La justice exige le châtiment 1. L'équité dépend de la sanction des crimes 2. Permet de tourner la page
2. Les erreurs sont irréversibles A. Le système est faillible
B. Nécessite une morale sans ambiguïté
Vice-premier ministre
Vice-leader de l’opposition
Membre de la proposition
Membre de l’opposition
Whip de la proposition
Whip de l’opposition
Les orateurs et les discours
121
Discours des adjoints Les deux discours suivants dans le débat, de même que les deuxièmes discours des équipes d’ouverture, sont similaires sur le plan fonctionnel. Le centre d’intérêt principal est en effet d’appuyer les efforts de leur partenaire tout en contribuant à l'évolution de l'argumentation au cours du débat. Les responsabilités du vice-premier ministre et du vice-leader de l'opposition, tout comme celles de leurs partenaires, peuvent être considérées en termes de structuration, d'argumentation déconstructive et d'argumentation constructive. CADRAGE Si le PM a avancé une interprétation raisonnable de la motion et si cette interprétation est acceptée par le LO, les responsabilités de structuration des intervenants adjoints seront différentes de celles de leurs partenaires ayant intervenu initialement. En effet, leur préoccupation n'est pas de déterminer la proposition aux fins du débat, mais d'indiquer les enjeux qui revêtiront une importance primordiale dans l’évaluation de cette proposition. Autrement dit, idéalement à ce stade du débat, les équipes sont d'accord sur la proposition même si elles n’ont pas encore convenu sur les arguments qui sont les plus pertinents à l’égard de son évaluation. Lorsque les équipes contestent une proposition, elles le font en considérant les enjeux importants dans la détermination de la véracité ou de la fausseté de cette motion. Quels sont les enjeux importants et quelle attention doit leur être accordée sont un centre d’intérêt du débat aussi légitime que celui de déterminer quelle équipe l’emportera sur un enjeu spécifique.31 En général, l’effort fourni pour diriger l’attention des jurys vers des enjeux particuliers tout en réduisant les autres devient plus évident dans les discours des vices (adjoints). Les adjoints peuvent adopter deux approches générales à l’égard de cet effort : soit ils peuvent comparer ou contraster explicitement les enjeux en question dans le but d'insister sur leur enjeu préféré ; soit ils 122 Comment gagner un débat ?
peuvent, plus subtilement, commencer à regrouper les arguments du débat en enjeux qui abordent la proposition en leur faveur. L’effort explicite est préférable si les équipes d’ouverture ont déjà défini des enjeux très clairs. Par exemple, si le PM avance des arguments autour d’un thème général, tels que les raisons économiques en vue de l’acceptation de la proposition, et si le LO réagit en fournissant un effort constructif autour des raisons culturelles dans l'optique de rejeter la proposition, les adjoints profiteront probablement de l'adoption de cette structure et procèderont directement à la priorisation de l'une de ces raisons sur les autres (le vice-premier ministre donnera les raisons pour lesquelles, par exemple, les motifs économiques doivent avoir la priorité sur les raisons culturelles). Plus fréquemment, toutefois, l’identification et la priorisation des enjeux adoptent la seconde approche. Si les débatteurs de l’équipe d’ouverture n'identifient pas explicitement des enjeux clairs autour desquels leurs arguments individuels se fondent, les intervenants adjoints peuvent gagner du terrain en marquant ce territoire et en regroupant les arguments contradictoires de ces enjeux. Considérez un débat dans lequel chaque intervenant précédent (le PM et le LO) a donné trois à quatre arguments indépendants relatifs à leurs positions, dont aucun d’eux n’entre directement en conflit avec les autres. Un adjoint futé peut être à même de réduire le nombre d’arguments que le jury doit prendre en considération en regroupant certains arguments dans des enjeux de portée plus vaste. Cette approche, lorsqu’elle est bien exécutée, présente deux avantages : elle donne l’occasion d’insister sur certains arguments (privilégiés) tout en réduisant l’attention sur les autres arguments et elle permet à l'adjoint de (re)lancer le tour en termes plus simples et stables dans l’espoir que ces termes persisteront jusqu'à la fin du débat (idéalement parce que les équipes de clôture adopteront la nouvelle structure dans leur considération du débat). Un exemple portant sur cette dernière approche est visible dans les discours des adjoints prononcés lors du débat ci-dessous sur la peine de mort. Les orateurs et les discours
123
ARGUMENTATION DECONSTRUCTIVE A l’instar du choix effectué par le LO, les adjoints doivent décider du modèle de structuration de leur discours par rapport à l’arrangement de la structuration et aux efforts constructifs. Pour certains Adjoints, l’effort de structuration (qui, tel qu’examiné ci-dessus, consiste principalement à formuler des arguments qui existent déjà plutôt que de diriger la proposition anticipée aux fins du débat) s’entrelace avec l’effort déconstructif. Si, par exemple, l’intervenant adjoint choisit de regrouper les divers arguments du débat en enjeux plus amples devant être pris en compte par les jurys, la déconstruction des arguments de leurs adversaires pour chacun de ces enjeux se produira lors du déploiement de la nouvelle structure du débat (comme se produira, évidemment, la reconstruction des arguments de l’équipe d’ouverture et la construction d’un tout nouvel argument pour renforcer la position de l’adjoint). Si, toutefois, l’adjoint choisit de s'occuper des éléments (notamment les nouveaux éléments constructifs) présentés par l'intervenant précédent sans égard à tout effort de restructurer les efforts en question (ce que font plusieurs intervenants adjoints efficaces) il abordera alors la déconstruction de la même façon que l’ont fait les équipes intervenues précédemment : il se lancera dans l’argumentation déconstructive avant de passer à l’argumentation constructive et utilisera la structure standard « ICE » pour réfuter chacun des arguments de l'intervenant précédent. ARGUMENTATION CONSTRUCTIVE Les intervenants adjoints, plus que tout autre intervenant du débat, ont un défi unique à relever à l'égard de leur effort constructif : ils doivent en effet soutenir la position de leur équipe dans le débat, en respectant la règle de présenter un thème unique positif, et reconstruisant les arguments soulevés par leurs partenaires qui auraient été compromis par les efforts déconstructifs de leurs adversaires. Fort heureusement, l’adjoint possède une gamme variée d'outils à sa 124 Comment gagner un débat ?
disposition qui permettent de relever ces défis. Le principal de ces outils est la stratégie examinée antérieurement qui consiste à remanier le débat en enjeux incluant les arguments échangés entre les équipes. Cette approche, lorsqu’elle est alliée à la déconstruction des arguments contraires, peut se révéler comme un moyen puissant de localisation d’un effort constructif dans un cadre où ces arguments feront le plus grand bien. En combinant un effort de structuration du débat autour de nouveaux enjeux identifiés avec la déconstruction des arguments contraires et la reconstruction des arguments du premier intervenant, l’intervenant adjoint ne contrôle pas seulement le centre d’intérêt et la direction du débat, mais également le traitement de chacun des arguments pertinents à l’appui des enjeux qui déterminent le centre d’intérêt et la direction à suivre. Au-delà de cette approche, la reconstruction des arguments de l'équipe des adjoints mérite une attention particulière. L’évolution du débat exige que chaque intervenant n’ajoute pas seulement de nouveaux éléments au débat, mais qu'il examine également la déconstruction par l'équipe adverse des arguments de son équipe. Ceci est surtout vrai pour les intervenants adjoints, après lesquels le débat se poursuivra avec un minimum de quatre autres discours donnés par deux équipes complètement différentes (et concurrentes). Le danger, bien évidemment, réside dans le fait que les arguments formulés par les équipes d’ouverture peuvent être déformés ou—pire encore—ignorés. La consolidation de la position de l’équipe en vue de l’appui continu des efforts des autres incombe aux intervenants adjoints. En effet, un intervenant adjoint efficace examinera directement la critique des arguments importants faite par l'intervenant précédent, proposera une nouvelle analyse et des preuves pour justifier à nouveau la ligne des arguments avancés par son partenaire et repositionner ces arguments afin qu'ils soutiennent le plus la stratégie globale de son équipe. Tout comme les autres efforts constructifs, cet effort doit constituer le dernier domaine d’attention : les arbitres doivent être profondément fixés sur le cadre évolutif de l’équipe Les orateurs et les discours
125
de l’intervenant adjoint au moment où il termine son discours. Si l’intervenant adjoint fait progresser le débat par son effort de réconcilier la déconstruction des arguments de son adversaire avec la reconstruction des positions de son équipe, il a presque rempli le mandat visant à apporter une contribution positive au débat. Certains intervenants adjoints, cependant, se sentent plus à l’aise si leur contribution constructive vise un domaine explicitement distinct de l'argumentation, souvent étudié par leurs partenaires mais dont le développement est réservé au second intervenant. Connue sous le nom de répartition, cette technique exige que le premier intervenant d'une équipe prévoit non seulement les points qu'il va souligner dans son discours, mais qu’il annonce également que son partenaire (l’intervenant adjoint) aura un point constructif distinct et nouveau à relever dans le sien. L’intervenant adjoint doit alors s'efforcer de respecter cette prédiction en développant ce nouveau point important. Si, par exemple, un leader de l’opposition développe un enjeu économique et sécuritaire contre une motion particulière, il peut annoncer que son partenaire sera chargé du développement d'un enjeu culturel contre la motion. Je n’ai jamais apprécié la technique de répartition pour deux raisons : tout d’abord, le fait de réserver un point pour le second intervenant donne l’impression que l’effort du premier intervenant d’une équipe est incomplet. Tout au moins, la réservation d’un argument important donne à penser que les efforts constructifs du premier intervenant sont inadéquats, et pire encore, une approche de ce type peut donner l'impression que l'équipe présente un cas « partiel » (question qui ne développe pas l’intégralité de ses preuves) ou que certains arguments de qualité sont réservés pour le dernier discours lorsque les adversaires de l'équipe seront moins capables de réfuter ces arguments. Je n'aime pas la tactique de répartition en outre parce que nombre d'intervenants épousent une tactique ou un argument lors du temps de préparation et perdent la capacité de réagir lors du débat au fil de son évolution. En effet, étant donné qu’ils ont passé du temps à préparer leurs propres arguments, et parce que leur partenaire a déclaré 126 Comment gagner un débat ?
à l’audience que l’autre partie allait suivre, l’intervenant adjoint tend largement à présenter sa partie, sans chercher à savoir si elle cadre encore avec le débat (ou si, même si la partie est pertinente dans le débat, il ne vaudrait pas mieux aborder une autre partie). A mon avis, une stratégie de loin meilleure est de présenter une question complète et développer, lors des interventions des intervenants adjoints, d’éventuels éléments pertinents susceptibles d’être utilisés pour réparer ou étendre le cas et les instincts pour connaître quand, où et comment utiliser ces éléments. DISCOURS DU VPM DANS LE DEBAT SUR LA PEINE DE MORT Notre vice-premier ministre (VPM) débute son discours par un effort déconstructif qui considère premièrement l’argument de base de l'équipe avancé par le LO. Dans ce cas, la réponse du VPM est à peine plus qu’une clarification : elle clarifie le point de stase où les positions défendues par les équipes d’ouverture de la proposition et de l’opposition se rencontrent : l’équipe de la proposition d’ouverture insiste que la peine de mort ne doit en aucun cas constituer une option, y compris les crimes contre l’humanité (dont l'abréviation est « CAH » dans les notes suivantes). Cette allégation cimente les positions de chaque équipe au cours du débat et annule effectivement la possibilité de tout débat ultérieur sur les interprétations de la motion : il sera question dans ce débat de savoir si nous devons interdire la peine de mort en règle générale ou préserver l'option de la sanction au moins pour les crimes contre l'humanité. De là, le VPM passe à la déconstruction des arguments constructifs du LO. Au lieu de traiter les deux positions indépendantes du LO séparément, le VPM choisit de regrouper les deux arguments sous un même titre : la justice. La justice, affirme-t-elle, peut seulement être défendue dans un contexte où l’Etat maintient une autorité morale. En recourant à la peine de mort, d’après le VPM, l’Etat renonce à son autorité morale parce qu’il s’engage dans la suppression des vies. En particulier dans le cas où l’Etat cherche à assouvir une certaine Les orateurs et les discours
127
vengeance (le premier argument au sujet de la justice avancé par le LO), cette autorité morale est compromise par le désir nourri par l’Etat de « rendre la pareille » au criminel. Le VPM soutient par ailleurs que l’incertitude morale inhérente à la peine de mort conteste la capacité de l’Etat à rendre la justice. Cette incertitude contredit directement les affirmations du LO sur la nécessité d’une position morale sans ambigüité. La technique consistant à regrouper les arguments de l’équipe adverse sous le vaste thème de la justice emmène le VPM à positionner ces arguments contre les arguments avancés par son équipe. Ce faisant, le VPM établit la question de « justice » contre laquelle la grande question des « problèmes pratiques » de l’équipe de la proposition d’ouverture peut être positionnée. Partant de cet effort combiné de déconstruction et de structuration, le VPM passe à la reconstruction des arguments de son équipe. Sous le titre des « problèmes pratiques entravent la justice » (un autre effort fourni pour positionner les arguments les uns contre les autres dans un enjeu de grande portée), le VPM reconsidère premièrement les arguments avancés par son partenaire selon lequel : il n’existe aucune preuve de dissuasion et les erreurs sont évidentes dans l’application de la peine de mort. Il répond ainsi à l'effort déconstructif du LO et tente de réadapter les arguments de son partenaire. Finalement, afin d'apporter un autre appui à l’assertion générale selon laquelle des problèmes pratiques sont monnaie courante dans l’application de la peine de mort, le VPM aborde la question du racisme inhérente à l’application de la peine de mort, notamment aux Etats-Unis. Le nombre de minorités assujetties à la peine de mort est disproportionné par rapport au nombre de minorités des sociétés au sens large. Cette caractéristique, soutient le VPM, est inhérente à la peine de mort et cela constitue une autre raison de la rejeter.
128 Comment gagner un débat ?
Comme il ressort des actes, le discours du VPM peut se présenter comme suit : Premier ministre
Leader de l’opposition
Modèle : tous les membres de l'ONU abandonnent immédiatement ; convertir à la peine de prison à perpétuité
Dissuasion ? Impossible de mesurer les effets. Erreurs ? Dans l’application, non pas de la peine de mort elle-même ; corriger le système
1. La peine de mort n'a aucun effet dissuasif A. Il n'existe aucune preuve empirique B. Elle ne dissuade jamais les crimes passionnels 2. Les erreurs sont irréversibles A. Le système est faillible
Vice-premier ministre
Position de l'équipe : maintenir la peine de mort pour les crimes contre l'humanité A. La justice exige le châtiment 1. L'équité dépend de la sanction des crimes 2. Permet de tourner la page B. Nécessite une morale sans ambiguïté
Vice-leader de l’opposition
Crimes contre l'humanité ? A bannir dans tous les cas. Justice ? L'autorité morale est mise en doute si l'on exécute des citoyens. 1. Les questions pratiques entravent la justice A. Aucune dissuasion : aucune preuve de succès B. Erreurs répétées, mise en doute de la justice C. Application raciste
Les orateurs et les discours
129
Membre de la proposition
Membre de l’opposition
Whip de la proposition
Whip de l’opposition
DISCOURS DU VLO DANS LE DEBAT SUR LA PEINE DE MORT
L'effort de combiner déconstruction et le cadrage est tout à fait évident dans le discours du vice-leader de l’opposition (VLO). Sachant que le fait de comparer les questions pratiques aux principes de la justice favorise la compréhension du débat, le VLO ouvre son discours en comparant explicitement ces deux problèmes. Tout d'abord, en réponse à l'affirmation du vice-premier ministre que la justice est irréalisable dans un système de lois mal administré, le VLO fait valoir que l'application parfaitement équitable des lois n'est pas une condition préalable à la demande de justice. En fait, d'après ce dernier, il est plus probable que la quête de justice précède l'effort de rendre équitable l'application des lois, puisque la poursuite des principes guide les choix pratiques que nous faisons. En outre, le VLO souligne le fait que la possibilité d’améliorer le système d'administration n’appuie pas l'allégation selon laquelle la peine de mort est injuste. Les problèmes liés à la peine de mort précisés dans la proposition d'ouverture sont relatifs à l'administration et non à la sanction en elle-même. Face à un système imparfait, le remède consiste à l'améliorer, non pas à l'abandonner.
130 Comment gagner un débat ?
Partant de la comparaison entre les questions pratiques et de justice, le VLO consacre le reste de son discours à rétablir l'argument selon lequel la justice requiert que les crimes contre l'humanité soient punis de la peine de mort. Dans un premier temps, il affirme que cette dernière favorise l'équité et la clarté juridique lorsqu'il s'agit de juger les criminels reconnus coupables de crimes contre l'humanité, faisant siens les arguments avancés par le leader de l'opposition. Il termine son discours en exposant comment la demande de justice est fondée sur l'effort concret d'améliorer la condition humaine. En faisant valoir que le fait d'agir conformément à l'idéal de justice conduit à des résultats très tangibles, le VLO tente d'empiéter sur le terrain de l'équipe de la proposition d'ouverture en opposant aux arguments pragmatiques relatifs à l'application de la peine de mort exposés dans la proposition d'ouverture, un argument contraire visant à démontrer les motifs du « monde réel » de demande de justice. Le discours du VLO peut être présenté comme suit : Premier ministre
Leader de l'opposition
Modèle : tous les membres de l'ONU
Dissuasion ? Impossible de mesurer les effets. Erreurs ? Dans l’application, non pas de la peine de mort ellemême ; corriger le système
abandonnent immédiatement ; convertir à la peine de prison à perpétuité 1. La peine de mort n'a aucun effet dissuasif A. Il n'existe aucune preuve empirique B. Elle ne dissuade jamais les crimes passionnels 2. Les erreurs sont irréversibles A. Le système est faillible
Position de l'équipe : maintenir la peine de mort pour les crimes contre l'humanité A. La justice exige le châtiment 1. L'équité dépend de la sanction des crimes 2. Permet de tourner la page B. Nécessite une morale sans ambiguïté
Les orateurs et les discours
131
Vice- premier ministre
Vice-leader de l'opposition
Crimes contre l'humanité ? A
Pratique versus justice ?
bannir dans tous les cas.
A. La justice est un idéal ; il faut s'y
Justice ? L'autorité morale est mise
attacher même si elle n’est pas
en doute si l'on exécute des
parfaite
citoyens.
B. Le système peut être amélioré ; la peine de mort n'est pas injuste pour autant
1. Les questions pratiques entravent la justice
Justice
A. Aucune dissuasion : aucune
A. Besoin d'équité et de clarté
preuve de succès
B. Peine de mort pour les
B. Erreurs répétées, mise
crimes contre l'humanité =
en doute de la justice
améliorer la condition humaine
C. Application raciste Membre de la proposition
Whip de la proposition
Membre de l’opposition
Whip de l'opposition
Discours des membres Les discours des membres représentent les premières occasions pour les équipes de clôture de développer leurs positions. Comme indiqué précédemment, les équipes de clôture ont un rôle analogue à celui d'un
132 Comment gagner un débat ?
parti politique qui partage une majorité de coalition avec d'autres partis politiques au sein d’un organe législatif : elles coopèrent avec d'autres partis politiques en vue d'établir une majorité capable de gouverner, mais leurs motivations reposent sur un ordre du jour différent de celui de l'autre parti. Tout en coopérant dans le but d’atteindre un objectif commun, ces intérêts distincts nourrissent la différence de points de vue entre les partis politiques. Lors d'un tour de style PB, les quatre équipes briguent indépendamment la première place à l'issue de cette dernière. Par conséquent, chaque équipe doit se distinguer non seulement des équipes adverses, mais également de l'équipe assise à ses côtés. L'établissement d'une cohésion des arguments est essentiel pour que les juges puissent déterminer pourquoi une équipe donnée est meilleure que les autres. Pour les équipes de clôture, cet effort est évident dans l'argumentation proposée par le premier orateur de chacune des équipes. En effet, cet effort est essentiel pour le succès de l'équipe de clôture pour que le résultat obtenu, également appelé « élaboration », devienne une attente largement acceptée ; la tentative du membre de développer l'identité de son équipe pendant le tour est l'objet d'un examen minutieux de la part des juges. Bien que les équipes de clôture partagent les trois mêmes responsabilités que les équipes d'ouverture (cadrage-déconstructionconstruction), l'accent du membre intervenant porte principalement sur l'élaboration, qui, comme la description de la stratégie le suggère, est en grande partie constructive. Cela dit, une élaboration efficace doit s’efforcer également de ramener (ou du moins repositionner) l'attention des juges dans le tour et, par conséquent, porter une attention particulière au cadrage du cycle. En outre, elle doit être pertinente aux arguments présentés par les équipes adverses et, par conséquent, présenter une argumentation déconstructive. Les orateurs convaincants peuvent opter pour la séparation de ces actions ou pour leur regroupement dans leur élaboration. Si le membre sépare le cadrage, la déconstruction et la construction, l'approche sera Les orateurs et les discours
133
similaire à celle employée par les orateurs précédents : le membre orateur décide comment organiser les efforts de son équipe pendant le tour, critique les arguments de ses adversaires dans ce contexte et passe ensuite à la question positive qu'il présentera pendant le tour. Souvent, les membres orateurs commencent par la déconstruction, puis se concentrent sur le recadrage du tour par rapport à l'argumentation constructive de leur élaboration. ELABORATION Equilibrer l'effort visant à établir une cohésion des arguments avec la nécessité de poursuivre l'orientation de la plaidoirie contre une équipe concurrente est une question délicate ; les équipes en mesure de le faire efficacement sont généralement celles qui apprécient la capacité unique du format PB d'approfondir les questions sur un sujet controversé. En encourageant l'identification et la mise en avant de nouveaux arguments par les deux dernières équipes du tour, tout en intégrant cet effort avec les positions des équipes précédentes, le format favorise un débat marqué par une variété de perspectives qui sont intégrées dans une analyse approfondie de la question devant la Chambre des représentants. L'approche adoptée par ces équipes de clôture et, en particulier, par les membres orateurs, peut être décrite comme une coopération concurrente. La coopération concurrente implique que l'équipe de clôture est à la fois adversaire et partenaire de l'équipe d'ouverture. Un petit aparté sur l'arbitrage des débats au sein du Parlement britannique (PB) est ici nécessaire. Un des aspects les plus difficiles de statuer sur les débats du PB est tout simplement de se rappeler qui a dit quoi pendant le tour de 56 minutes. Ce défi fondamental est la tâche du juge mais aussi des participants au débat qui reconnaissent de partager la responsabilité de rendre mémorables les arguments de leur équipe.
134 Comment gagner un débat ?
Ceci est particulièrement essentiel pour les équipes de clôture, dont les arguments ne reposent pas sur une véritable « table rase », et qui doivent positionner leurs efforts dans le contexte (et de concert avec) des arguments de leurs concurrents. Par conséquent, l'établissement d'une identité unique, doit être un souci majeur pour une équipe de clôture. Cette observation en corrobore aussi une autre : les élaborations efficaces sont celles dont l'objet est cohérent. Autrement dit, il est plus facile de repérer une équipe s'il existe une raison particulière, unique et simple de la remarquer. Si une équipe adopte une approche d'argumentation tous azimuts, il est peu probable que quelqu'un se rappelle de l'ensemble de ses raisons. Trouvez un thème fédérateur pour l'élaboration - ou tout simplement choisissez un seul argument autour duquel construire l'élaboration - et vous en serez probablement récompensés. En règle générale, les élaborations se classent en trois grandes catégories : elles peuvent offrir une nouvelle argumentation, analyser un élément de preuve pour fournir un soutien concret à des arguments abstraits, ou fournir une analyse plus approfondie sur une argumentation existante. L'établissement d'une nouvelle argumentation est le meilleur exemple de réponse aux priorités stratégiques inhérentes à l'offre d'une élaboration. Pour le développement d'une cohésion des arguments, le plus aisé est de vous concentrer sur la création d'un argument qui soit unique à votre équipe. Par exemple, si les équipes d'ouverture axent leurs arguments sur l'analyse économique et culturelle de la motion, une équipe de clôture peut se distinguer en se concentrant sur les aspects juridiques de la décision. Ce faisant, elle traite une question qui n'a pas encore été abordée dans le débat et est susceptible de se distinguer des autres dans l'esprit des juges. Les orateurs et les discours
135
Les membres orateurs cherchant à se différencier des équipes d'ouverture ne doivent pas les abandonner en s'écartant de l'orientation générale de leurs arguments (comportement connu sous l'expression de « coup de poignard » et analysé ci-dessous) ou en négligeant leurs arguments. Un membre efficace n'introduit pas un nouveau débat à la fin de la seconde moitié du tour, mais, idéalement, intègre de nouveaux éléments au débat en cours. En d'autres termes, un membre orateur sera efficace s’il prend en compte les sujets qui ont précédé son exposé. Une autre approche de l'élaboration, qui satisfait plus clairement la priorité de maintenir la cohérence avec les équipes d'ouverture, consiste à examiner un élément de preuve spécifique étayant les arguments généraux de l'équipe d'ouverture. Souvent, dans le cadre de cette approche, le membre orateur élabore les détails d'une étude de cas dans laquelle les principes et les arguments généraux défendus par les équipes d'ouverture sont placés dans un contexte plus concret. En prenant le temps de « dépaqueter » un événement réel, le membre orateur fournit plus de détails sur le cas spécifique qui aurait pu être perçu comme ayant une portée trop limitée pour justifier la proposition, si une telle approche en profondeur avait été illustrée dans un discours d'ouverture. Cette seconde approche ne se limite pas aux études de cas, bien que le développement de récits détaillés puisse être un moyen très efficace de soutenir un argument. Les analyses statistiques, les témoignages de sources autorisées et similaires peuvent également fournir du matériel pour ce type d'élaboration. Quel que soit le type de preuve examinée, la seconde approche est caractérisée par le fait que le membre orateur se concentre sur un élément de preuve dans le but de souligner le caractère exceptionnel de cette preuve. Enfin, une élaboration peut être développée en approfondissant ultérieurement les arguments apportés par une équipe d'ouverture. 136 Comment gagner un débat ?
Cette approche semble apparemment en contradiction avec le principe directeur à la base du développement des élaborations selon lequel l'élaboration développe une cohésion des arguments pour l'équipe de clôture. En réalité, un membre orateur (ou le membre en coopération avec son partenaire whip) n'a parfois aucune contribution à proposer dans le cadre du tour. Ces cas se produisent généralement lorsque l'équipe d'ouverture tente de traiter « tous les » arguments en faveur de sa position. Dans de tels cas, il est probable que dans l'effort de traiter tant de sujets certains arguments n’ont pas été illustrés comme il se doit dans les discours de l'équipe d'ouverture. Le membre peut alors créer une élaboration qui, tenant compte arguments peu développés, en donne plus de détails, une analyse plus approfondie et de preuves pertinentes. Gardez à l'esprit que des trois approches mentionnées, il s'agit de la plus risquée : les juges inattentifs (ou le manque de clarté dans la tentative du membre de différencier la contribution de l'équipe de clôture) risquent d’attribuer un mérite infondé à l'équipe qui a présenté l'argument pendant le tour. En général, les élaborations, et les efforts des participants au débat pour les développer, souffrent de trois problèmes : « burnt turf », « absence de distinction » et « coup de poignard ». Ces problèmes sont classés en ordre croissant, du moins grave au plus gênant. Le problème du « burnt turf » survient lorsqu'une équipe d'ouverture couvre « tous » les arguments qui peuvent être avancés sur un sujet particulier. Je mets le mot « tous » entre guillemets pour indiquer que ce problème est rarement créé par le traitement réel de tous les arguments possibles qui peuvent être avancés sur une proposition particulière, mais plutôt une conséquence du manque de connaissances sur le sujet du membre orateur ou de son manque d’imagination au sujet des arguments possibles pouvant être présentés. La meilleure réponse à une situation de type « burnt turf » (gazon brûlé) consiste pour le membre à créer une cohésion des arguments avec toutes Les orateurs et les discours
137
les ressources dont il dispose. Parfois, cela implique l'adoption de la deuxième approche d’élaboration et le développement, en détail, d'un élément de preuve à l’appui de la position de l'équipe sur la proposition. D’autres fois, le mieux que le membre orateur puisse faire est d'adopter une argumentation abordée pendant le tour par une équipe précédente et de la mettre en valeur par l'approfondissement, l'analyse, ou de l’appuyer. L'absence de distinction est un problème stratégique marqué par un échec du membre orateur de faire clairement la différence entre l'ouverture et la clôture des équipes. Généralement, ce problème se produit car le sujet de l'élaboration n'est pas distinct de la question présentée par l'équipe précédente ou, plus couramment, car les arguments sont distincts mais sont structurés et présentés d'une manière qui ne met pas en évidence la différence entre les équipes d'ouverture et de clôture. Si le problème est causé par le manque de différence sur le fond, la solution est claire : le membre doit choisir les arguments qui divergent plus de ceux de l'équipe d'ouverture. Si le problème est la conséquence d’un manque de communication efficace de l'unicité de l'élaboration, la solution est un peu plus nuancée. Tout d'abord, rappelez-vous du conseil susmentionné et de mettre, dans l'élaboration, exclusivement l'accent sur un point. Un juge distinguera plus facilement une seule idée claire que les arguments des autres équipes qui comprennent trois ou quatre argumentations. En outre, les élaborations doivent être présentées explicitement pendant le tour. Il n'est cependant pas nécessaire de souligner l'élaboration en disant, « Et maintenant, je vais développer l'élaboration de la proposition de clôture ». Les participants au débat futés reconnaissent que, quel que soit le compromis esthétique réalisé par ce moyen, l'avantage de la clarté peut justifier la décision. Des approches beaucoup plus subtiles sont disponibles pour indiquer à vos juges que vous allez passer au matériel d'élaboration : après la déconstruction des arguments qui 138 Comment gagner un débat ?
précèdent, par exemple, vous pouvez indiquer aux juges que vous passez à l'élaboration en disant quelque chose d'aussi simple que « Maintenant, je voudrais aborder ce que la proposition de clôture considère une question cruciale qui a, jusqu'à présent, été ignorée dans le débat. . . » Considérez comme prioritaire la création de quelques phrases de transition pouvant servir dans des tours différents et utilisez les dispositifs structurels analysés dans le chapitre 4 pour différencier votre élaboration des autres. Le dernier défi potentiel pour un membre orateur faisant une élaboration est le « coup de poignard ». Tiré de l'expression « Planter un couteau dans le dos » de quelqu'un, le « knifing » (coup de poignard) fait référence à une situation dans laquelle l'élaboration d'une équipe de clôture abandonne l'argumentation adoptée par l'équipe d'ouverture. Imaginez, par exemple, un débat dans lequel la proposition d'ouverture plaide en faveur de l'interdiction totale de fumer, ce qui rend la production, la vente, l'achat et la possession de cigarettes illégaux. Si la proposition de clôture, en réponse à la pression de l'opposition d'ouverture, affirme de vouloir uniquement prouver que fumer des cigarettes ne devrait être interdit que dans les lieux publics (et non pas, par exemple, dans un domicile privé), la proposition de clôture a effectivement « donné un coup de poignard » à la proposition d'ouverture. C'est un péché cardinal dans le cadre des débats au format PB ; si les juges venaient à accepter cette nouvelle orientation du tour, cela rendrait la première moitié du débat pour la plupart anodine. Les exemples les plus flagrants de coup de poignard sont ceux motivés par le souhait d'une équipe de clôture de contourner un sujet difficile défini par les équipes d'ouverture. Une équipe qui donne un coup de poignard évident peut s'attendre à être lourdement pénalisée par les juges. Bien sûr, l'autre côté de la médaille d'un coup de poignard est l'éternelle question de savoir quelles options s'offrent à une équipe de clôture qui est enlisée sur un sujet indéfendable (ou du moins non Les orateurs et les discours
139
souhaité) par une équipe d'ouverture. En bref la réponse générale est « peu ». Même dans les cas où l'équipe d'ouverture offre une définition inhabituelle de la motion, les équipes de clôture ont la responsabilité de faire de leur mieux pour soutenir leur équipe d'ouverture. Trouver un moyen acceptable pour faire valoir ce qui peut être
une
position
désagréable est généralement évalué très
favorablement par les juges ; certaines équipes apprécient que les équipes d'ouverture les placent dans des situations extrêmement difficiles croyant que les juges sont plus susceptibles d'évaluer favorablement les arguments de l'équipe de clôture. En somme, la priorité de soutenir l'équipe d'ouverture devrait à ce stade être claire. Indépendamment de l'approche générale adoptée par l'élaboration, vous devez être certain que le matériel de l'élaboration soutient l'orientation des arguments présentés par l'équipe d'ouverture. DISCOURS DU MP DANS LE DEBAT SUR LA PEINE DE MORT Dans le débat sur la peine de mort, le membre de la proposition (MP), ouvre son discours par une brève action de déconstruction pour répondre aux arguments précédents et préparer la voie à l'élaboration. En ce qui concerne la question du maintien de la peine de mort pour les crimes contre l'humanité, le membre de la proposition fait valoir que, comme pour les autres crimes capitaux, celle-ci n'aura aucun effet dissuasif sur les crimes contre l'humanité. Le MP soutient que ces crimes ne sont pas commis dans un contexte où des conséquences sont vraiment envisagées, c'est pourquoi la prise en compte de cette sanction ne génère pas de réticence à commettre de tels crimes. Sur la question de la justice, le MP choisit d’orienter la discussion sur un sujet qui se rapproche davantage de l'élaboration qu'il prévoit de proposer. Plutôt que d’établir si la condamnation à la peine de mort permet ou non de faire justice, le MP choisit de remettre en question la notion même de justice. Selon lui, il est possible que la justice ne puisse se manifester 140 Comment gagner un débat ?
qu'après la guérison. Pardonner et aller de l’avant, et non pas l'obsession de vengeance et du châtiment, sont le fondement de la justice et, par conséquent, la paix, qu'il s'agisse d'un individu ou d'un peuple. Ce travail de base effectué, le MP passe à l'élaboration de son équipe. Ayant observé que la proposition d'ouverture motive ses arguments sur une analyse décidément pragmatique des problèmes associés à la gestion de la peine de mort, le MP concentre le thème de l'élaboration sur les objections morales à cette sanction. Pour étayer l'affirmation selon laquelle la peine de mort est moralement insoutenable, le MP développe deux positions. Tout d'abord, il affirme que la peine de mort déshumanise l'État qui l’exerce. Afin de concilier les dispositions incompatibles comme l'interdiction de tuer et la pratique de la peine de mort, il est considèrent l'administration de l'État comme séparée et distincte des citoyens ; il est illégal qu'un citoyen tue un autre citoyen, mais il est acceptable que l'État le fasse. En mettant l'État en position de tuer ses citoyens, la pratique de la peine de mort distingue l'État des êtres humains et, par conséquent, ne le soumet pas à la même morale à laquelle ces derniers sont assujettis. En outre, cela a pour conséquence de soumettre les citoyens à la volonté de l'État car ils le perçoivent comme distinct d'euxmêmes (et probablement plus puissant). Ces implications permettent clairement de légitimer les États autoritaires, soutient le MP. Le membre de la proposition affirme également que même si la peine de mort était appliquée uniquement aux crimes contre l'humanité, sans doute les exemples les plus flagrants et évidents de crimes justifiant la peine de la mort, l'État deviendrait complice de ces crimes. S'appuyant sur l'affirmation de l'opposition d'ouverture précisant le besoin d'une position morale univoque à l'égard des crimes contre l'humanité, il fait valoir que la pratique de la peine de mort brouille les frontières en répondant à la violence et à la mort par plus de violence et de mort. Les orateurs et les discours
141
En
concentrant
l'essentiel
de
son
attention
sur
le
développement de la position morale, le MP tente de capter l'attention des juges et de s'assurer qu'au moment du classement des équipes, la contribution de la proposition de clôture sera claire. S'il était présenté dans les notes d’un tour, le discours du MP pourrait ressembler à ceci :
Premier ministre
Leader de l’opposition
Modèle : tous les membres de l'ONU abandonnent immédiatement ; convertir à la peine de prison à perpétuité
Dissuasion ? Impossible de mesurer les effets. Erreurs ? Dans application, non pas de la peine de mort en elle-même ; corriger le système
1. La peine de mort n'a aucun effet dissuasif A. Il n'existe aucune preuve empirique
Position de l'équipe : Maintenir la peine de mort pour les crimes contre l'humanité A. La justice exige le châtiment
B. Elle ne dissuade jamais les
1. L'équité dépend de la
crimes passionnels
sanction des crimes
2. Les erreurs sont irréversibles A. Le système est faillible
142 Comment gagner un débat ?
2. Permet de tourner la page B. Besoin d’une morale sans ambiguïté
Vice-premier ministre Crimes contre l'humanité ? A bannir dans tous les cas Justice ? L'autorité morale est mise en doute si l'on exécute des citoyens 1. Les questions pratiques entravent la justice A. Aucune dissuasion : aucune preuve de succès B. Erreurs répétées, mise en doute de la Justice C. Application raciste
Membre de la proposition
Vice-leader de l'opposition Pratique versus justice ? A. La justice est un idéal ; il faut s'y attacher même si elle n'est pas parfaite B. Le système peut être amélioré ; la peine de mort n'est pas injuste pour autant Justice A. Besoin d'équité et de clarté B. Peine de mort pour crimes contre l'humanité = améliorer la condition humaine Membre de l’opposition
Crimes contre l'humanité ? Ils ne seront pas dissuadés Justice ? Il ne s’agit pas seulement d’une question de représailles, mais de guérison 1. Objections morales à la peine de mort A. Tuer c'est tuer B. La peine de mort déshumanise l'État C. Complicité dans les crimes contre l'humanité
Whip de la proposition
Whip de l'opposition
Les orateurs et les discours
143
DISCOURS DU MO DANS LE DEBAT SUR LA PEINE DE MORT
Comme le membre de la proposition (MP), le membre de l’opposition (MO) doit également s'efforcer d'établir une cohésion des arguments pendant le tour. Contrairement au membre de la proposition, le MO va tenter cet effort en se concentrant sur une argumentation nouvelle dans le cadre du tour, en se basant sur une étude de cas pour prouver l'inexactitude de la proposition. Le MO ouvre son discours avec un effort de déconstruction. En ce qui concerne les arguments du MP au sujet de la moralité, il fait valoir que le fait de ne pas sanctionner les crimes jugés inacceptables par la société par les mesures les plus sévères, est un acte immoral. Afin de répondre aux arguments de l'opposition d'ouverture, le MO prétend que la guérison fait certes partie de la justice, mais l'application de la peine de mort permet le châtiment et la possibilité de tourner la page, en particulier pour les victimes, et ceci représente aussi une partie importante de leur guérison. Le MO porte ensuite son attention sur une étude de cas. Sachant qu'il est obligé de défendre la position adoptée par l'opposition d'ouverture, et dans ce cas, de défendre l’application de la peine de mort pour les accusés de crimes contre l'humanité, le MO choisit d'illustrer le cas d'un criminel de guerre présumé en vue de démontrer que la gravité des crimes de cette nature appellent à l'application de la peine de mort. Le cas examiné par le MO est celui de Ratko Mladic, un officier de l'armée serbe qui aurait été impliqué dans divers actes considérés comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité au cours de la période 1992-1995 pendant le conflit serbo-bosniaque. Le 24 juillet 1995, le Tribunal pénal international pour l'exYougoslavie a dressé un acte d'accusation contre M. Mladic ; cet acte d'accusation a été modifié plus tard en 1995 pour y inclure des accusations de génocide commis lors du massacre de Srebrenica en 144 Comment gagner un débat ?
juillet 1995. Les crimes dont est accusé M. Mladic vont des campagnes de tirs isolés contre la population civile de Sarajevo à la prise en otage de personnels des Nations Unies et participation à la coordination du massacre de Srebrenica dans lequel plus de 8 000 Bosniaques ont été tués par l'armée serbe. M. Mladic a jusqu'à présent évité la capture et est toujours en fuite. S'il est arrêté, jugé et reconnu coupable des crimes dont il est accusé, soutient le MO, Ratko Mladic doit être condamné à mort. Après le discours du MO, les notes du tour peuvent être présentées de la façon suivante :
Premier ministre
Leader de l'opposition
Modèle : tous les membres de
Dissuasion ? Impossible de mesurer
l'ONU abandonnent
les effets
immédiatement ; convertir à la
Erreurs ? Dans l’application, non pas
peine de prison à perpétuité
la peine de mort en elle-même ; corriger le système
1. La peine de mort n'a aucun effet dissuasif A. Il n'existe aucune preuve empirique B. Elle ne dissuade jamais les crimes passionnels 2. Les erreurs sont irréversibles A. Le système est faillible
Position de l'équipe : Maintenir la peine de mort pour les crimes contre l'humanité A. La justice exige le châtiment 1. L'équité dépend de la sanction des crimes 2. Permet de tourner la page B. Besoin d’une morale sans ambiguïté
Les orateurs et les discours
145
Vice-premier ministre
Vice-leader de l'opposition
Crimes contre l'humanité ? A
Pratique versus justice ?
bannir dans tous les cas
en doute si l'on exécute des citoyens
A. La justice est un idéal ; il faut s'y attacher même si elle n’est pas parfaite B. Le système peut être amélioré ;
1. Les questions pratiques
la peine de mort n'est pas injuste pour autant
Justice ? L'autorité morale est mise
entravent la justice A. Aucune dissuasion : aucune
Justice
preuve de succès B. Erreurs répétées, mise en doute de la justice C. Application raciste Membre de la proposition Crimes contre l'humanité ? Ils ne seront pas dissuadés Justice? Il ne s’agit pas seulement d’une question de représailles, mais également de guérison
1. Objections morales à la peine de mort A. Tuer c'est tuer B. La peine de mort déshumanise l'État C. Complicité pour les crimes contre l'humanité
146 Comment gagner un débat ?
A. Besoin d'équité et de clarté B. Peine de mort pour les crimes contre l'humanité = améliorer la condition humaine Membre de l’opposition Moral ? Immoral ne pas appliquer la sanction la plus sévère Justice ? Le châtiment et tourner la page contribuent à la guérison Étude
de cas : Ratko Mladic (Serbie) A. Complicité dans le massacre de Srebrenica en 1995 B. Acte d'accusation du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie C. M. Mladic toujours en fuite, a évité la capture et le procès
Whip de la proposition
Whip de l'opposition
Discours des whips En tant que derniers orateurs du tour, les deux orateurs whip, de la proposition et de l’opposition, doivent équilibrer la responsabilité de contribuer à l'effort de leur équipe avec celle de résumer le déroulement du tour. Cet acte d'équilibrage peut orienter l'orateur whip vers deux directions ; un whip efficace doit répondre à ces deux tâches afin de réussir. Remarque importante : il n'existe pas une « bonne » façon de résumer un tour. Certains orateurs whip résument le tour en présentant une synthèse de tous les arguments traités par chaque intervenant et chaque équipe. Même si cela peut être efficace pour certains, ce n'est pas une obligation. D'autres orateurs whip préfèrent résumer tous les arguments d'une partie avant de passer à l'autre. Encore une fois, alors que certains whips peuvent préférer cette approche, ce n'est pas la seule façon de résumer le tour. L'approche décrite ci-dessous propose une autre façon d'aborder le résumé d'un tour de style PB. Je crois que mon approche est très efficace, mais vos préférences peuvent vous conduire vers une direction différente. CONSTRUCTION ET DECONSTRUCTION Bien qu'il s'agisse principalement de résumés, les discours des whips doivent à la fois construire et déconstruire l'argumentation. Comme nous le verrons, ceci se fait habituellement pour encadrer le tour de manière rétrospective. Cependant, il existe plusieurs points importants au sujet de
Les orateurs et les discours
147
l'argumentation de déconstruction et construction dignes d'être mentionnés. En règle générale, il est interdit aux whips d'introduire de nouvelles argumentations. Ainsi, ils ont peu de marge pour apporter de nouveaux éléments constructifs pendant le tour, en particulier si ces derniers semblent être très différents des argumentations déjà mises en place par leurs voisins. Il existe certaines exceptions s'agissant d'offrir de nouvelles preuves à l'appui d'une argumentation existante (c'est ainsi que l'orateur whip satisfait l'attente qu'il apportera une contribution positive au tour) et, pour l'orateur whip de la proposition, la déconstruction des éléments constructifs illustrés par le membre de l’opposition (MO) (puisque le whip de la proposition (WP) est le seul orateur de la proposition ayant l'occasion de répondre à l'élaboration de l'opposition de clôture). Le WP doit comprendre l'approche stratégique du MO, formuler une déconstruction effective de cette approche et l'intégrer dans la synthèse de tout le tour. Il s'agit, sans surprise, du discours le plus difficile du tour. De nombreux orateurs whip, en particulier ceux de la proposition, optent pour la séparation de l'action de déconstruction de la synthèse, craignant que la déconstruction de l'élaboration de l'opposition de clôture dans le contexte de la synthèse de tout le tour, n'occulte les réponses de la proposition de clôture aux nouveaux éléments constructifs du MO. J'ai tendance à souscrire à cette approche, en particulier pour les orateurs whip qui se rangent dans la moyenne. Il peut arriver que les juges n'identifient pas l'effort de déconstruction, notamment s'il est incorporé dans le résumé. D'autre part, la reconstruction de l'orateur whip des arguments de son équipe est un moyen idéal pour résumer le tour. En particulier, si l'orateur whip s'efforce délibérément de cadrer rétrospectivement le tour, la représentation (et la réparation) des arguments de la part du whip est réalisée de manière plus efficace dans le résumé.
148 Comment gagner un débat ?
CADRAGE Il s'agit du véritable travail de l'orateur whip. A ce stade du débat, la plupart des arguments descriptifs et relationnels ont été présentés. Les faits exposés ont probablement permis de défendre les revendications (dans l'esprit des juges, si ce n'est par la concession des équipes adverses) et le centre du débat doit passer à l’évaluation des enjeux qui devraient être prioritaires. A la conclusion du tour, le Jury se retire pour délibérer ; il s'agit de comparer et de confronter les questions présentes dans le débat. Les whips futés se distingueront en soulignant et en évaluant ces questions pour les juges.32 Le cadrage rétrospectif a recours à deux tactiques de base : la relation entre les arguments et leurs opposés et la relation entre les problèmes et la proposition. Le fait de mettre en rapport des arguments à leurs opposés consiste à regrouper les arguments individuels dans des rubriques plus vastes. Cette unification des arguments fixe les positions en lice dans l'esprit du juge et met en évidence les conflits. Les whips intervenants doivent s'efforcer de condenser le tour en quelques questions principales (deux à quatre) selon lesquelles tous les arguments pertinents peuvent être regroupés. Comme indiqué précédemment, ce processus d'organisation des arguments contradictoires par enjeux peut avoir lieu beaucoup plus tôt dans le débat, voire même lors des premiers discours du tour. Cependant, de nombreux tours enregistrent six discours sans qu'il n'y ait aucun effort pour organiser les arguments contradictoires en enjeux. Si tel est le cas, les orateurs whip doivent établir des liens entre les argumentations et leur donner un titre afin de déterminer les enjeux que les juges peuvent examiner pour l’évaluation du tour.
Les orateurs et les discours
149
Supposons, par exemple, que vous êtes un orateur whip en faveur de la motion « Cette chambre interdirait le tabagisme ». La proposition a suivi une série d'arguments au sujet d'une interdiction totale de fumer, y compris dans les résidences privées. L'opposition a présenté des arguments à propos de cette interdiction axés principalement sur la manière dont l'interdiction serait mise en œuvre. Par exemple, l’opposition soutient qu’il est impossible de surveiller le comportement de chaque fumeur potentiel dans sa propre maison, et que cette interdiction créerait un marché noir des produits du tabac. Ces arguments, bien que différents, peuvent être regroupés par un orateur whip pour la proposition sous la rubrique « Est-ce qu'une interdiction peut être appliquée ? » La présentation de ces arguments contradictoires au sein d'une question contenue fournit un contexte pour les juges qui leur permet de comparer les revendications concurrentes pratiques de la proposition et de l'opposition. En toute évidence, l'orateur whip de la proposition mettra l'accent sur les arguments qui démontrent l'efficacité d'une interdiction tandis qu'un whip de l'opposition soulignera le manque d'efficacité. Chaque partie peut cependant utiliser cette question pour préparer leur tour. Une fois que les arguments pertinents ont été organisés en quelques questions principales (de deux à quatre), la deuxième tactique du cadrage rétrospectif devient pertinente : les orateurs whip doivent maintenant mettre en rapport les questions à la proposition. Ce processus tente d'organiser les questions de l’orateur whip selon une hiérarchie qui établit les questions les plus importantes pour la résolution de la proposition tout en minimisant l'importance des questions les plus puissantes de la partie adverse. Considérons à nouveau le débat sur la cigarette : la question, sans doute la plus convaincante pour l'opposition, - est l'efficacité d'une interdiction. L'opposition sera probablement en mesure de convaincre le jury que l'interdiction est peu efficace pour que les gens arrêtent de fumer. 150 Comment gagner un débat ?
Cependant, d'autres arguments organisés en d'autres enjeux, peuvent être plus convaincants pour la proposition : l'opposition entre les droits des fumeurs et la santé des non-fumeurs rentrerait probablement en jeu dans ce débat. Le travail du whip de la proposition est ensuite de convaincre le jury que s'il est vrai que l'interdiction n'empêchera pas nécessairement tous les fumeurs potentiels de fumer, l'impact du tabagisme sur les non-fumeurs est si important qu'il existe un impératif moral visant au moins à tenter de les protéger d'une substance dangereuse qu'ils n'ont pas choisi d'inhaler. Bien entendu, le whip de l'opposition essayera de convaincre les juges qu'un principe n'est pas suffisant pour interdire quelque chose si cette prohibition ne peut être appliquée efficacement. Dans les deux cas, la comparaison de ces questions par rapport à la proposition fait l'objet des discours du whip. En général, l'organisation du discours d'un whip varie d'un tour à l'autre. L'ordre dans lequel les questions sont abordées dans tout discours whip dépendra des enjeux qui ressortiront pendant le tour et des sujets que l'orateur whip considère les plus convaincants ; comme indiqué précédemment, les discours des whips les plus efficaces tentent de résumer le tour à peu d’enjeux principaux (2 à 4) permettant de comparer les argumentations concurrentes. L'organisation de ces questions, dépend aussi des considérations stratégiques de chaque tour en particulier. Les tendances générales en matière d'organisation examinées dans le chapitre 4 sont des messages d'incitation pour l'organisation d'un discours whip. Les questions les plus cruciales doivent être présentées en dernier ; les questions qui touchent aux points faibles doivent être traitées au milieu du discours. Certaines fois, l'organisation des enjeux dépendra de la progressivité logique de ces derniers. Certaines questions viennent naturellement avant d’autres ; dans le cas de l'interdiction de fumer, un juge pourrait se convaincre qu'il doit d'abord résoudre la question des droits concurrents, à savoir s'il faut tenter d'interdire de fumer () avant d'examiner la question de l'efficacité, à savoir s’il est possible d’appliquer cette interdiction. Les orateurs et les discours
151
Si cette approche organique de détermination et hiérarchisation des priorités des enjeux est trop ouverte et générale (en particulier pour les participants novices dans le débat), il existe une approche standard à un discours de whip fournissant plus d'orientations. Cette approche standard recourt à trois questions autour desquelles elle organise le résumé du tour : 1.
Que faut-il faire pour établir la vérité de la motion ?
2.
En quoi l'autre partie ne parvient-elle pas à satisfaire cette demande ?
3.
Comment nos efforts répondent à cette demande ? Ces trois questions sont des messages d'incitation permettant
d'organiser la réflexion des whips intervenants concernant la motion. La première, « Que faut-il faire pour établir la vérité de la motion » indique quels éléments les juges doivent prendre en compte pour décider si adopter ou rejeter la motion. Concernant l'interdiction de fumer, le whip de la proposition peut répondre en identifiant d'abord la norme fondée sur des principes (Avons-nous l'obligation d'agir ?) et ensuite celle fondée sur la pratique (Peut-on réduire le tabagisme ?). De là, le whip de la proposition passera au deuxième point visant à démontrer comment l'opposition n'a pas réussi à renverser l'impératif moral d'agir et, bien qu'elle ait éventuellement diminué l'efficacité d'une interdiction, elle n'est pas parvenue à prouver que l'interdiction n'aurait pas d' effet clair sur la réduction du tabagisme. Au troisième point, le whip de la proposition met en évidence l’argumentation de la proposition qui considère que les droits des non-fumeurs l'emportent sur ceux des fumeurs et que l'interdiction serait efficace. Cette structure générique simple peut très bien fonctionner et fournir une orientation aux whips intervenants.
152 Comment gagner un débat ?
L'orateur whip porte un lourd fardeau : en tant que dernier orateur de son équipe, son discours influence la façon dont les juges percevront les arguments pendant le tour. Il est possible de s’acquitter de ce fardeau en portant une attention particulière à la façon dont les questions sont construites et comparées à la proposition.
DISCOURS DU WP DANS LE DEBAT SUR LA PEINE DE MORT Le whip de la proposition (WP), lors d’un tour de débat sur la peine de mort, choisit de renoncer à un effort distinct pendant la déconstruction et conclut l'élaboration de l'opposition de clôture dans son résumé du tour. C'est un choix judicieux du WP, étant donné que Le membre de l’opposition (MO) a utilisé une étude de cas à l'appui de l'allégation de l'opposition selon laquelle la peine de mort est appropriée pour les crimes contre l'humanité plutôt que d'utiliser une nouvelle argumentation. Le WP décrit trois questions qui résument le débat tel qu'il a eu lieu. La première question concerne la nature de la justice. Ici, le whip de la proposition satisfait ses obligations en matière de déconstruction en présentant l'argumentation suivie par les équipes d'opposition. En synthétisant 21 minutes d'argumentation de l'opposition en un seul sujet, le whip de la proposition tente de minimiser l'impact global de la contribution de l'opposition au tour. Dans de tels cas, lorsque l'argumentation de l'opposition adhère au principe de la justice, cette approche est probablement la meilleure stratégie pour le WP. Dans d'autres cas, tels que ceux où l'opposition construit une attaque plus diversifiée sur la proposition ou lorsque l'opposition de clôture présente une élaboration qui est substantiellement différente des argumentations suivies par l'équipe de l'opposition d'ouverture, cette approche serait risquée et non conseillée. Toutefois, si tel est le cas, le WP peut rappeler aux juges que l'administration de la justice exige l'autorité morale de la part l'État et que, en particulier quand des atrocités ont été commises (par exemple, le cas de Ratko Mladic), l'État perd cette autorité lorsque lui-même commet un meurtre. Les orateurs et les discours
153
Dans la suite, le WP passe aux deux dernières questions : l'échec de la peine de mort du point de vue moral et pratique. Ces deux questions reprennent essentiellement les positions respectives des équipes d'ouverture et de clôture de la proposition. Notez, cependant, que ce sont d'abord les arguments de la proposition d'ouverture qui sont présentés (en tant que deuxième question dans le discours) et que l'élaboration de la proposition de clôture est reprise en tant que question finale. Bien que cette approche soit appropriée du point de vue chronologique, compte tenu des positions de l'équipe pendant le tour, elle offre un avantage au niveau stratégique pour l'équipe de clôture de l'opposition. S'il était présenté dans les notes d'un tour, le discours du WP pourrait ressembler à ceci : Premier ministre
Leader de l'opposition
Modèle : tous les membres de
Dissuasion ? Impossible de mesurer les
l'ONU abandonnent
effets
immédiatement ; convertir à la
Erreurs ? Dans l’application, non pas la
peine de prison à perpétuité
peine de mort en elle-même ; corriger le système
1. La peine de mort n'a aucun effet dissuasif A. Il n'existe aucune preuve empirique B. Elle ne dissuade jamais les crimes passionnels 2. Les erreurs sont irréversibles A. Le système est faillible
Position de l'équipe : maintenir la peine de mort pour les crimes contre l'humanité A. La justice exige le châtiment 1. L'équité dépend de la sanction des crimes 2. Permet de tourner la page B. Besoin d’une morale sans ambiguïté
154 Comment gagner un débat ?
Vice-premier ministre Crimes contre l'humanité ? A bannir dans tous les cas Justice ? L'autorité morale est mise en doute si l'on exécute des citoyens 1. Les questions pratiques entravent la justice A. Aucune dissuasion : aucune preuve de succès B. Erreurs répétées, mise en doute de la justice C. Application raciste
Vice-leader de l’opposition Pratique versus justice ? A. La justice est un idéal ; il faut s'y attacher même si elle n'est pas parfaite B. Le système peut être amélioré ; la peine de mort n'est pas injuste pour autant Justice A. Besoin d'équité et de clarté B. Peine de mort pour les crimes contre l'humanité = améliorer la condition humaine
Membre de la proposition Membre de l’opposition Crimes contre l'humanité ?
Moral ? Immoral de ne pas fournir la
Ne pourront pas être dissuadés
sanction la plus sévère
Justice ? Il ne s’agit pas
Justice ? Le châtiment et tourner la
seulement d’une question de
page contribuent à la guérison
représailles, mais également d’une question de guérison 1. Objections morales à la peine de mort A. Tuer c'est tuer B. La peine de mort déshumanise l'État C. Complicité pour crimes contre l'humanité
Étude de cas : Ratko Mladic (Serbie) A. Complicité dans le massacre de Srebrenica en 1995 B.
Acte
d'accusation
du
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie C. M. Mladic toujours en fuite, a évité la capture et le procès
Les orateurs et les discours
155
Whip de la proposition
Whip de l'opposition
1. La nature de la justice : nécessite une autorité morale 2. Failles au niveau pratique a. Aucune dissuasion b. Erreurs et racisme 3. Failles au niveau moral a. Déshumanise et rend l'État complice b. Impossible de s'opposer à ce que l’on adopte
DISCOURS DU WO DANS LE DEBAT SUR LA PEINE DE MORT Comme le whip de la proposition, le whip de l'opposition (WO) choisit de ne pas séparer son effort de déconstruction de son résumé. En outre, le WO choisit également trois questions pour comprendre les arguments avancés pendant le tour. Dans certains cas, les orateurs whip de l'opposition peuvent choisir de présenter les mêmes questions utilisées par le whip de la proposition. Dans les cas où ces enjeux sont présents, bien définis, et utilisés par toutes les équipes tout au long du tour, cette approche peut être très efficace. Le whip de l’opposition crée alors des enjeux légèrement différents de ceux du WP. Tout d'abord, le WO aborde la question suivante : « Qu'est-ce que la justice ? ». Il prend ici en compte les arguments avancés à l'origine par l'équipe d'ouverture de l'opposition et restés en jeu tout au long du tour. La justice exige l'équité et la possibilité de tourner la page, affirme le whip de l’opposition, mais présente également un impératif allant audelà de la simple dissuasion de la criminalité.
156 Comment gagner un débat ?
Ce dernier point sur l'utilité de la justice constitue probablement une réponse aux allégations du membre de la proposition selon lesquelles il n'est pas possible de dissuader les crimes contre l'humanité, comme d'autres crimes passibles de la peine de mort dans le statu quo, par la peine de mort. De là, le WO passe à la question de savoir si la peine de mort peut être administrée de façon équitable. Veuillez noter que cette condensation des arguments de la proposition est placée au milieu du discours du WO ; elle tente de minimiser la prise en compte de cette question dans l'évaluation du tour de la part des juges. Concernant l'administration équitable de la peine de mort, le WO rappelle aux juges qu'il existe une différence entre la peine et l'application de la peine. La proposition devant la chambre, affirme le WO, concerne la peine de mort comme sanction pour comportement criminel. Le fait que le système qui s'applique à la peine de mort peut avoir des lacunes ne remet pas en cause la peine de mort en elle-même, fait valoir le WO. Enfin, le WO termine son discours par un réexamen de la pertinence de la peine de mort pour des crimes contre l'humanité. Si l'on remonte à l'effort de l'opposition d'ouverture, le WO réitère les arguments généraux soutenant la sanction des crimes contre l'humanité par la peine de mort ; que ces crimes choquent la conscience et que la peine de mort est nécessaire pour répondre aux besoins des survivants de ces atrocités et à ceux de la vaste communauté d'individus qui, grâce à cette condamnation, se libèrent de boulets pesant sur leurs vies. Le WO clôture le dernier thème, et le débat, en revenant sur l'affaire Ratko Mladic, pour démontrer comment un seul individu peut avoir un impact dévastateur sur l'humanité et conclure que ses actions justifient son exécution. S'il était présenté dans les notes d'un tour, le discours du WO pourrait ressembler à ceci :
Les orateurs et les discours
157
Premier ministre
Leader de l’opposition
Modèle : Tous les membres de l'ONU abandonnent immédiatement ; convertir à la peine de prison à perpétuité
La dissuasion ? Impossible de mesurer les effets. Erreurs ? Dans l’application, non pas la peine de mort en elle-même ; corriger le système
1. La peine de mort n'a aucun effet dissuasif
Position de l'équipe : Maintenir la peine de mort pour les crimes contre l'humanité A. La justice exige le châtiment
A. Il n'existe aucune preuve empirique B. Elle ne dissuade jamais les crimes passionnels 2. Les erreurs sont irréversibles A. Le système est faillible
1. L'équité dépend de la sanction des crimes 2. Permet de tourner la page B. Besoin d’une morale sans ambiguïté
Vice-premier ministre
Vice-leader de l’opposition
Crimes contre l'humanité ? A
Pratique versus justice ?
bannir dans tous les cas
A. La justice est un idéal ; il faut s'y
Justice ? L'autorité morale est mise
attacher même si elle n'est pas
en doute si l'on exécute des citoyens
parfaite B. Le système peut être amélioré ;
1. Les questions pratiques
la peine de mort n'est pas injuste pour autant
entravent la justice A. Aucune dissuasion : aucune preuve de succès B. Erreurs répétées, mise en doute de la justice C. Application raciste
158 Comment gagner un débat ?
Justice A. Besoin d'équité et de clarté B. Peine de mort pour les crimes contre l'humanité = améliorer la condition humaine
Membre de la proposition
Membre de l’opposition Crimes contre l'humanité ? Ne seront Moral ? Immoral de ne pas pas dissuadés
appliquer la sanction la plus
Justice? Il ne s’agit pas seulement sévère d’une question de représailles, mais Justice ? Le châtiment et tourner également de guérison
la page contribuent à la guérison
1. Objections morales à la peine de mort
Étude de cas : Ratko Mladic (Serbie)
A. Tuer c'est tuer B. La peine de mort déshumanise l'État C. Complicité dans les crimes contre l'humanité
A. Complicité dans le massacre de Srebrenica en 1995. B. Acte d'accusation du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie C. M. Mladic toujours en fuite, a évité la capture et le procès
Whip de la proposition 1. La nature de la justice: nécessite une autorité morale 2. Failles au niveau pratique a. Aucune dissuasion b. Erreurs et racisme 3. Failles au niveau moral a. Déshumanise et rend l'État complice b. Impossible de s'opposer à ce que l’on adopte
Whip de l’opposition A. Qu'est-ce que la justice ? 1. Équité et possibilité de tourner la page 2. Impératif au-delà de la dissuasion B. La peine de mort peut-elle être administrée avec justice ? C. Certains crimes doivent-ils être sanctionnés par la peine de mort ? 1. En règle générale : Les crimes
contre
l'humanité
choquent les consciences 2. En particulier : Mladic
Les orateurs et les discours
159
A travers 8 discours et 56 minutes de débat, les orateurs ont la possibilité d'analyser en profondeur la question posée par la motion qui leur est proposée. Avec une attention particulière aux attentes de base de chaque discours et orateurs, les chances que ces questions soient traitées de manière appropriée augmentent nettement.
160 Comment gagner un débat ?
C
H A P I T R E
6
Prise de décision et stratégie La plupart des conseils écrits pour les orateurs considèrent point de vue de la personne qui entreprend l'effort de persuasion : l’orateur. Des conseils sur la bonne structuration des arguments, les éléments de preuve appropriés à utiliser ainsi que la conduite adéquate au cours du débat, sont en général présentés de manière très prescriptive. Le conseil est exprimé sous la forme « Faites ceci » et semble impliquer « et vous réussirez ». En effet, ce livre emploie très souvent cette forme. Il est curieux que davantage d'écrits sur les débats ne mettent pas au premier plan de l'orientation proposée les individus les plus importants pour la réussite du débat, à savoir les juges. Si l'objectif de la plupart des orateurs est de gagner les tours, ne devrions-nous pas passer un peu de temps à analyser la façon dont les décideurs prennent effectivement leur décision au sujet de qui gagne et qui perd ? Comme je l’expliquerai dans ce chapitre, la compréhension de la façon dont les êtres humains prennent leurs décisions est certes un avantage pour les orateurs, mais constitue surtout une condition indispensable pour que le débat soit efficace. L'étude de la prise de décision constitue de plus en plus une discipline discrète qui, bien qu'elle s’applique à presque tous les aspects du comportement humain, partage un ensemble commun de principes et de pratiques. Dans son texte, Thinking and Deciding (Penser et décider), le psychologue Jonathan Baron offre une introduction complète à l'étude de la pensée humaine et à la prise de décision. Ce chapitre repose en grande partie sur le travail de J. Baron. Les objectifs que je poursuis dans ce chapitre sont de deux ordres : en premier, examiner le processus de la pensée humaine et de la prise de décision tel que présenté par J. Baron ; puis, partant de ce fondement, adapter le travail de J. Baron pour créer un modèle de présentation des Prise de décision et stratégie
161
arguments en tentant de reprendre le processus de prise de décision utilisé par les juges. Je crois que le dernier objectif est particulièrement précieux, car la nature improvisée des débats parlementaires impliquent que les orateurs discutent de divers sujets tout au long du tour et les juges doivent prendre des décisions sur ces divers sujets. Les sujets diffèrent de tour à tour, c'est pourquoi les décisions que prennent les juges à chaque tour seront également différentes. Contrairement au domaine juridique où les décisions suivent des modèles bien établis impliquant l'examen des faits, la jurisprudence et le droit, ou au domaine de la médecine où les décisions sont guidées par des protocoles visant à trouver un bon équilibre entre un traitement agressif de la maladie et les risques induits pour le patient, la prise de décision dans le débat parlementaire ne se produit pas dans un contexte défini par un objet cohérent pour lequel une approche normalisée à la prise de décision est évidente. Au cours d'un tour parlementaire donné, les sujets peuvent aller des relations internationales à des questions biomédicales en passant par la politique énergétique et le rôle de l'État dans les relations interpersonnelles. De toute évidence, l'identification d'une méthode de prise de décision utile dans tous ces cas est une tâche complexe. Même les modèles essentiels qui se sont révélés utiles dans le cadre de débats, tels que le modèle sur les problèmes des stocks (stock issues model) dominant dans les débats sur la politique concurrentielle aux États-Unis, sont moins pratiques lorsque les sujets des débats parlementaires vont de l'examen de ce qu'est une chose ( « la garde révolutionnaire iranienne est une organisation terroriste ») à la relation entre les choses (« La consommation médiatique de programmes violents augmente la tendance à avoir un comportement violent ») en passant par la préférence de certaines mesures (« Fumer en public devrait être interdit »). Dans chacun de ces cas, l'approche de la prise de décision sera différente ; tout modèle doit être suffisamment souple pour être utile dans tous ces cas. 162 Comment gagner un débat ?
Je commence par l'hypothèse que la pratique du débat est, lorsqu'elle est réduite à son essence, un exercice de prise de décision. Ceux qui sont chargés de prendre les décisions, les juges, sont responsables d'écouter les positions et les perspectives de chaque équipe pour établir s'ils considèrent la motion comme étant vraie ou fausse. Pour parvenir à cette décision, le juge devrait suivre le même processus décisionnel général employé pour décider si assister ou non au tournoi de débats, porter un chandail au tournoi ou se dédier à toute autre activité. Le processus de prise de décision, comme je l’expliquerai plus bas, est relativement cohérent et prévisible indépendamment de la nature de la décision à prendre. Un aperçu de ce processus est utile pour les orateurs. En d'autres termes, comprendre la façon dont pensent les juges est probablement l'atout le plus précieux qu'un orateur puisse avoir. Cela lui permet de présenter des informations d’une certaine nature et dans un ordre tel qu’elles correspondent à la façon dont les juges prennent leurs décisions. Ce chapitre propose une brève introduction aux processus relatifs à la pensée et à la prise de décision ; le chapitre sur l'arbitrage présente un examen plus approfondi de la façon dont les juges des tournois universitaires de débat des parlementaires britanniques débattent de leurs idées.
Nature de la réflexion et de la décision Au début de son livre, M. Baron expose clairement l'objectif de son livre : promouvoir la pensée rationnelle.33 En général, la pensée est l'activité fondamentalement humaine dans laquelle nous nous engageons à chaque fois que nous rencontrons une incertitude : Nous pensons lorsque nous sommes dans le doute sur la façon d'agir, sur nos croyances ou sur nos désirs. Dans ces situations, la pensée nous aide à résoudre nos doutes : elle est téléologique.34
Prise de décision et stratégie
163
Selon M. Baron, la pensée rationnelle est celle qui aide les individus à atteindre leurs objectifs. Pour J. Baron, la Rationalité, à la différence des idées reçues sur ce terme, n'est pas la pensée logique épurée de l'influence émotionnelle. Au contraire, la pensée rationnelle se caractérise par la conscience des objectifs que nous visons, les possibilités que nous avons devant nous pour répondre à ces objectifs, et la preuve de l'opportunité de chacune de ces possibilités par rapport à nos objectifs. La prise de décision repose sur un processus en deux étapes que J. Baron appelle le Cadre de recherche-inférence. D'après lui, prendre une décision implique la recherche des éléments pertinents nécessaires à la prise de décision et, une fois que ces éléments sont identifiés, l'inférence du connu (les éléments identifiés) à l'inconnu (la meilleure décision). J. Baron caractérise la partie de recherche du cadre de rechercheinférence comme une exploration. En fonction d'une certaine motivation (l'incertitude sur ce qu'il faut faire, par exemple), un individu cherche à découvrir les éléments requis pour prendre la décision qui satisfera le motif. Ces éléments comprennent les possibilités (les options parmi lesquelles le décideur peut choisir), les objectifs (les résultats ou les états finaux désirés par l'individu prenant la décision) et les preuves (les données pertinentes à la démonstration de l'opportunité de chaque possibilité). Chacun de ces éléments sera analysé dans le détail plus loin dans ce chapitre et servira de base pour le modèle de prise de décision établi à partir des travaux de J. Baron. La recherche de ces éléments pour la prise de décision individuelle se fait à partir de deux points de départ : dans les souvenirs de notre propre expérience et dans des sources externes.35 En termes utiles pour le débat académique, on pourrait dire que le processus de prise de décision à travers lequel les juges passent commence par la présentation d'une proposition controversée, cette dernière créant de
164 Comment gagner un débat ?
l'incertitude dans l'esprit des juges quant à son caractère (vraie ou fausse). De là, la phase de recherche du processus de prise de décision nécessite l'exploration des éléments pertinents à la résolution de cette proposition. Cette exploration est influencée à la fois par le rappel (les connaissances, les perceptions et les croyances des juges par rapport à la proposition) et les sources externes (les efforts des orateurs de présenter aux juges des possibilités, des objectifs et des éléments de preuve pertinents à leurs décisions). Le défi des orateurs, du moins pour la partie de recherche du processus de prise de décision, est d'aider les juges à prendre leur décision en tenant compte des informations qu'ils possèdent déjà tout en leur présentant d'autres informations pertinentes utiles à leur prise de décision. La deuxième étape du cadre de recherche-inférence concerne l'évaluation des éléments identifiés pour déterminer le meilleur résultat. Comme indiqué ci-dessus, ce stade de la prise de décision est inférentiel, car il implique le passage du connu (les éléments identifiés) à l'inconnu (la meilleure décision). En termes de débat académique, c'est le processus qui se produit lorsque les juges réfléchissent et rendent leur décision. Cela ne veut pas dire que le processus inférentiel ne survient qu'après le tour et, donc, qu'il n'est pas soumis à l'influence des orateurs. Bien qu'à l'issue de nombreux débats les orateurs semblent satisfaits de n'avoir présenté que les éléments dont les juges ont besoin pour prendre leurs décisions, les meilleurs orateurs savent que le processus d'inférence est également soumis à leurs efforts de persuasion. Influencer les objectifs que les juges chercheront à atteindre (et dans quel ordre), les preuves plus convaincantes, et, par conséquent, la possibilité qu'ils préfèrent, est sans doute l'effort stratégique le plus important qu'un orateur puisse entreprendre.
Prise de décision et stratégie
165
Cette discussion sur le cadre de recherche-inférence donne toutefois l'impression que la prise de décision est un exercice ordonné et progressif du point de vue logique. J. Baron indique bien que c'est loin d'être le cas : Les processus de la pensée, la recherche de possibilités, de preuves et d'objectifs ainsi que l'utilisation des preuves pour évaluer les possibilités, ne se produisent pas dans n'importe quel ordre donné, ils se chevauchent. Les penseurs passent de l'un à l'autre.36 La pensée rationnelle exige une approche non séquentielle et désorganisée : c'est en étant ouvert aux options, modifications et arguments qui progressent dans la pensée que l'on identifie la meilleure décision. Il est pertinent, cependant, de séparer ces deux étapes dans le but de les élaborer et les adapter aux fins du débat académique.
Eléments de la prise de décision : la « recherche » La prise de décision commence par une invite ; J. Baron dénomme cette motivation un « doute ».37 Dans nos vies, nous pouvons avoir des doutes sur les produits à acheter, l'université à choisir, ou ce que nous voulons manger. Dans un débat académique, la proposition est l'invite à la prise de décision : la nature controversée de la proposition crée un doute quant à sa véracité ou sa fausseté. Débattre, peut être ainsi vu comme une tentative de la part des orateurs d'influencer les efforts des juges vers la résolution de ce doute. Comme indiqué ci-dessus, la première étape vers la résolution de ce doute, consiste à rechercher les éléments nécessaires à la prise de décision : ceux-ci comprennent des possibilités, des objectifs et des preuves.
166 Comment gagner un débat ?
POSSIBILITES Les possibilités sont les moyens disponibles pour résoudre les doutes. En termes de débats, les possibilités sont les options que les juges peuvent choisir. Dans leur version la plus élémentaire, les possibilités offertes aux juges peuvent être l'affirmation ou la négation de la motion telle que présentée. Si la motion est « La peine de mort devrait être interdite », les possibilités offertes aux juges semblent être (1) l'interdiction de la peine de mort ou (2) la non prohibition de la peine de mort. La création de possibilités va toutefois au-delà de ces alternatives binaires simples présentées par la motion. Rappelez-vous que la proposition, et non pas la motion, définit le cœur du conflit entre les équipes participant au tour. En d'autres termes, bien que la motion présentée aux orateurs influence et éclaire le débat, la proposition est le point de stase autour duquel s’unissent leurs arguments. Ce point de stase est le produit des arguments de l'orateur. La première priorité stratégique d'un orateur doit être de contrôler les possibilités offertes aux juges. Pour les équipes de proposition, cela est fait habituellement par leur interprétation de la motion. Reportezvous au débat sur la peine de mort analysé dans le chapitre précédent : bien que la motion soit « La peine de mort devrait être interdite », le Premier ministre avait à sa disposition une série d'options, chacune pouvant créer un ensemble différent de possibilités pour les juges : il aurait pu faire valoir, par exemple, d'interdire la peine de mort pour les mineurs, il aurait pu présenter un cas plaidant pour une abolition de la peine de mort pour certains crimes, ou, comme il l'a fait dans notre exemple, il aurait pu choisir de soutenir l’abolition de la peine de mort pour tous les crimes sans aucune exception. Chacune de ces options aurait présenté une possibilité différente à évaluer par les juges.38
Prise de décision et stratégie
167
En règle générale, l'équipe de la proposition d'ouverture présente la possibilité qu'elle va défendre comme son modèle. Les équipes d'opposition bénéficient également de l'élaboration d'une possibilité explicite pendant le tour. Bien sûr, la possibilité de facto représentée par les équipes d'opposition n'est pas « quelle que soit la proposition proposée », mais une approche plus réfléchie de s'affilier à une possibilité, peut avoir un avantage stratégique pour l’équipe d’opposition. Les équipes d'opposition peuvent présenter une série de possibilités alternatives :
elles
peuvent
elles-mêmes
s'investir
dans
une
argumentation spécifique de l'équipe (comme préconiser le maintien de la peine de mort pour les crimes contre l'humanité, comme l'a fait l'équipe de l'opposition dans l'exemple de tour du chapitre 5) ; elles peuvent offrir un contre-modèle visant à résoudre le ou les problèmes décrits par la proposition d'une manière qui est mutuellement exclusive avec le modèle préconisé par la proposition et préférable à ce dernier, ou bien elles peuvent soutenir que le statu quo est préférable à ce que plaide la proposition. Chacune de ces possibilités (et ce n'est en aucun cas une liste exhaustive) présente des avantages et des inconvénients, mais toutes partagent la caractéristique d'offrir une option positive en tant que possibilité de l'équipe plutôt qu'une alternative par défaut. Une possibilité que vous contrôlez est préférable à une alternative de facto ou imposée par les juges ou l'équipe adverse. Toutes les possibilités, selon J. Baron, ont valeur de résistance par rapport aux objectifs visés par le décideur. La force de toute possibilité particulière est influencée par la preuve (positive ou négative) offerte au nom de cette possibilité. Une décision est prise par l'évaluation de cet élément de preuve pour déterminer la force de la possibilité par rapport aux buts recherchés. Dans un débat, la décision des juges sera basée sur leur perception de la force de chaque possibilité par rapport à l'objectif ou aux objectifs visés. 168 Comment gagner un débat ?
OBJECTIFS Une fois que les possibilités ont été identifiées, l'évaluation de ces possibilités exige une certaine norme par rapport à laquelle elles peuvent être évaluées. Les objectifs sont les normes selon lesquelles les décideurs évaluent les possibilités. Imaginez que vous essayez de décider quel sera votre prochain véhicule : les différents modèles disponibles (les possibilités) sont évalués en fonction des objectifs que vous visez ; ces objectifs peuvent inclure des questions de performance, financières, de sécurité, de fiabilité et d'esthétique. Le rapprochement de ces objectifs aux possibilités produira une décision. Les buts ne sont pas objectifs, il ne s'agit pas de phénomènes absolus préalables à notre prise de décision. En fait, comme leur inclusion dans la partie de recherche du cadre recherche-inférence l'indique, les objectifs sont variés, malléables, et dépendent des décisions que nous prenons. De même, si vous et moi devons décider l'achat d'un nouveau véhicule, il est très probable que chacun ait un avis différent sur lequel est le meilleur. Je peux considérer la sécurité, la fiabilité et l'aspect financier comme mes objectifs, alors qu'une performance et une esthétique hors du commun peuvent être les critères sur lesquels repose votre choix. De toute évidence nous pouvons avoir des objectifs différents et, par conséquent, nous allons sélectionner des possibilités distinctes. Nous pouvons aussi choisir nos objectifs étroitement liés à nos valeurs. Les résultats souhaités de notre prise de décision sont des expressions tangibles de nos valeurs : nous valorisons notre santé et notre bien-être c'est pourquoi nous choisissons comme objectif la sécurité. Nous apprécions notre image et réputation, et nous nous fixons ainsi comme objectif de posséder une automobile qui ait du style. Ce rapport entre les valeurs et les objectifs est essentiel pour comprendre comment les objectifs agissent sur la prise de décision. Il existe deux explications pour lesquelles nous pouvons parvenir à des conclusions différentes pour la même décision. Tout d'abord, il est possible que nous utilisions des systèmes d'objectifs différents. Prise de décision et stratégie
169
Un système d'objectifs est un groupe défini de buts. Un système d'objectifs peut être défini de diverses façons : les objectifs peuvent être normalisés en fonction d’un contexte particulier (souvent, les documents d'information qui conseillent les consommateurs sur la façon de choisir leur nouveau véhicule souligneront les objectifs potentiels pouvant être pertinents à leur décision), du domaine de prise de décision (comme les exemples sur le droit et la médecine analysés ci-dessus), d’une culture (prenez en compte la différence entre les valeurs occidentales et orientales et comment elles influent sur le résultat des décisions, par exemple), ou de tout autre facteur pouvant être utilisé pour définir un groupe de personnes et ce qu'elles chérissent (par exemple le sexe, l'origine ethnique, l'idéologie, la géographie, etc.). Mais même ces systèmes ne sont pas homogènes ; une personne appartenant à un groupe donné peut définir un système d'objectifs de ce groupe qui sera différent des valeurs définies par d'autres membres de ce même groupe (pensez à la diversité des objectifs poursuivis par ceux qui s'affilient au Parti démocrate aux États-Unis, par exemple). Pour les orateurs, les systèmes d'objectifs sont utiles en tant que messages d'incitation : ils rappellent les objectifs qui peuvent être pertinents à une décision particulière. Les orateurs habiles élaborent une stratégie et choisissent les possibilités qui correspondent au système d'objectifs pertinent à leur décision. La deuxième raison expliquant pourquoi, pour une même décision, vous et moi parvenons à des conclusions différentes, c'est que, même si nous partageons les mêmes objectifs au sein d'un système particulier, nous leur donnons des priorités différentes. C'est le motif le plus probable expliquant, en rapport à l'exemple ci-dessus, les choix de véhicules différents : nous ne possédons pas de systèmes d'objectifs distincts, mais nous divergeons dans l'organisation des priorités de nos objectifs. Il est peu probable que vous soyez indifférent(e) à l'aspect financier ou à la fiabilité de votre nouveau véhicule, mais la performance et l'esthétique sont pour vous prioritaires. Le classement des objectifs au sein d'un système d'objectifs produit une hiérarchie des objectifs.
170 Comment gagner un débat ?
Concernant l'exemple du véhicule, nos respectives hiérarchies des objectifs peuvent ressembler à ceci :
Votre hiérarchie des objectifs
Esthétique
Mon hiérarchie des objectifs
Sécurité Fiabilité
Performance
Fiabilité
Aspect financier
Sécurité
Aspect financier
Esthétique
Performance
Bien que nous suivions le même système d'objectifs, nous leur donnons des priorités différentes. Cette différence de hiérarchie des objectifs se traduira par des décisions différentes. Dans le cadre d'un débat, les juges doivent souvent choisir, afin d’établir la possibilité qu’ils préfèrent, entre deux hiérarchies des objectifs concurrentes. Les orateurs doivent contrôler le système et la hiérarchie des objectifs que les juges utiliseront. Cela commence par une reconnaissance réaliste du système d'objectifs pertinents à la motion. Souvent, les orateurs ignorent les objectifs de leurs adversaires, refusent la légitimité (ou la pertinence) des objectifs de leurs adversaires, ou tentent de limiter les choix possibles à un seul objectif. Toutes ces approches sont erronées, car chacune conduit à une décision artificielle et partielle (J. Baron utiliserait le terme irrationnelle).
Prise de décision et stratégie
171
Prenons l'exemple d'une équipe qui parviendrait à convaincre les juges que le seul objectif qui soit pertinent avec leur décision est la quête de justice. Un tel débat ne tiendrait pas compte des objectifs moraux, économiques, pratiques, et autres qui sont essentiels à la prise de décision. Une approche plus rationnelle consiste à reconnaître l'existence de ces objectifs dans le système d'objectifs de la décision, mais de présenter ensuite des arguments sur les motifs pour lesquels l'objectif de justice doit être placé au sommet de la hiérarchie des objectifs pour cette décision particulière. Je vais expliquer ci-dessous comment vous pouvez organiser les objectifs par priorité en une hiérarchie cohérente d'objectifs. PREUVE La preuve est l'ensemble de données affectant la force de toute possibilité par rapport à un objectif. Selon J. Baron : Les preuves peuvent être constituées de propositions simples ou reposer sur des arguments, des scénarios ou des exemples. Une possibilité peut servir de preuve contre une autre comme lorsque nous remettons en question une hypothèse scientifique, en présentant une explication alternative et incompatible des données .39 La preuve, pour un décideur, est la démonstration de la capacité (ou incapacité) d'une possibilité d'atteindre un objectif. Concernant l'exemple ci-dessus sur la décision d'achat d'un véhicule, les preuves que j'entends utiliser pour comparer mes possibilités par rapport aux objectifs peuvent inclure des données telles que la faible consommation de carburant, le coût, les styles et les couleurs de carrosserie disponibles, la performance en cas de choc et ainsi de suite. Les décideurs évaluent les preuves en leur attribuant un poids : plus un élément de preuve est pertinent concernant l'adéquation entre la possibilité et un objectif donné, plus le poids qu’ils lui accordent est important. 172 Comment gagner un débat ?
Si mon objectif principal concernant la décision d'achat d'un véhicule est la sécurité, je donnerai plus de poids à l'élément de preuve qui démontre la capacité du véhicule à préserver ma sécurité (et celle de mes passagers). Pour moi, la rapidité d'accélération d'un véhicule aura un poids moins important compte tenu du faible niveau de priorité qu'a la performance dans ma hiérarchie des objectifs. La preuve peut également être soit positive ou négative par rapport à un objectif particulier. Les mêmes données, le poids de la voiture que je songe à acheter par exemple, peuvent être soit positives ou négatives en fonction de mes objectifs. Si la sécurité est pour moi un souci, je peux considérer qu'un véhicule grand et lourd offre plus de protection en cas de collision. Si, d'autre part, je suis davantage concerné par les performances, le fait qu'une voiture soit lourde est probablement un aspect négatif. Les orateurs doivent créer, organiser et présenter des preuves convaincantes en faveur de leur possibilité. La preuve peut être factuelle, établie à partir de représentations qualitatives ou quantitatives de données plus communément connues (respectivement) comme des exemples ou des statistiques, ou elle peut prendre la forme d'un argument : les théories, les valeurs et les croyances sont des types de preuves qui, pour être convaincantes, exigent une justification logique. Quelle que soit la situation, les orateurs gagnants seront capables de choisir et d'utiliser les preuves les plus susceptibles de convaincre les juges de la force de leur possibilité préférée.
Evaluation des éléments de la prise de décision : l'« inférence » La recherche des éléments pertinents à la décision conduit naturellement à la phase d'inférence : parvenir à une décision exige que le décideur organise les différents objectifs souhaités de manière hiérarchique et qu'il fasse ensuite son choix parmi les possibilités offertes. Prise de décision et stratégie
173
Bien que ce chapitre traite ces phases comme des processus séparés, comme le note J. Baron, le processus d'inférence se fait généralement en parallèle au processus de recherche. Dans la prise de décision informelle, les éléments sont évalués, au fur et à mesure qu'ils sont identifiés. En outre, M. Baron reconnaît l'interdépendance des éléments de la décision : la preuve affecte la force des possibilités ; les objectifs influent sur le poids accordé aux éléments de preuve. Cependant, les orateurs peuvent bénéficier de la délimitation et de la structuration de ce processus en vue d'orienter la décision des juges. Dans un processus décisionnel structuré, la progression logique va de la découverte des objectifs à la création d'une hiérarchie de ces derniers, et de la découverte des possibilités à la sélection de la meilleure d'entre-elles. La prise de décision rationnelle dépend de la compréhension approfondie des résultats visés avant que les possibilités de réalisation de ces derniers ne soient évaluées. De la même manière, cette section analysera d'abord l'organisation des objectifs dans une hiérarchie des objectifs, puis l'évaluation des possibilités en fonction des objectifs. Cette approche ne signifie pas que les premiers orateurs ou équipes se concentrent sur une partie du processus et les derniers sur l'autre partie ; les orateurs gagnants se concentreront sur les deux parties quelle que soit leur position dans le débat ; c'est à leur avantage que d'orienter les juges aussi bien dans la recherche des éléments pertinents que dans l’évaluation de ces derniers. IDENTIFICATION DE LA HIERARCHIE DES OBJECTIFS PREFERES Même si un système d'objectifs peut être défini par une variété de facteurs, dans la pratique, le système d'objectifs en jeu dans un débat est défini par les objectifs que les orateurs visent.40 Les objectifs peuvent être identifiés explicitement ou, plus généralement, peuvent être le produit des arguments avancés par les orateurs. Dans un débat sur l'interdiction du 174 Comment gagner un débat ?
tabac, par exemple, la proposition peut présenter des arguments non seulement sur les conséquences sanitaires pour les fumeurs passifs et les conséquences financières y afférentes, mais aussi sur le droit des nonfumeurs à ne pas être affectés par le tabagisme, sur l'attention particulière à accorder à la santé des enfants de fumeurs et sur l'impératif de protéger les individus contre les sociétés désireuses d'exploiter les qualités addictives de leurs produits afin d'assurer leur rentabilité. A partir de ces arguments, nous pouvons identifier les principaux objectifs de la proposition tels que (1) économiser de l'argent, (2) protéger la liberté de choix, (3) protéger la santé des enfants, et (4) défendre les consommateurs contre les pratiques prédatrices des entreprises. D'autre part, l'opposition peut faire valoir que, bien que l'interdiction de fumer dans les situations où ceux qui choisissent (ou ne peuvent pas choisir) de ne pas de fumer est justifiée, le tabac ne doit pas être totalement interdit. Une telle argumentation de l'équipe peut être étayée par des raisonnements affirmant que l'industrie du tabac est un secteur important de notre économie, que les individus ont le droit de choisir de fumer et que seule une interdiction partielle peut être appliquée avec succès. De la position de l'opposition, nous pouvons déduire que cette dernière est concernée par deux des objectifs préconisés par la proposition, notamment la protection des droits individuels à choisir et à économiser de l'argent, et un nouvel objectif qui n'est pas mentionné par la proposition, à savoir la création d'une politique efficace. Représenté de manière holistique, le système d'objectifs appliqué concernant la décision à prendre dans ce tour, pourrait ressembler à ceci :
Prise de décision et stratégie
175
Économie d'argent
Sécurité des enfants Liberté de choix
Défense des consommateurs
Efficacité de la politique
Pour orienter la prise de décision des juges, les orateurs doivent établir une hiérarchie des objectifs particulière à partir du système d'objectifs pertinent à la proposition de leur débat. Au début de leurs discours, les orateurs doivent prendre une décision stratégique importante : faut-il adopter la hiérarchie des objectifs préconisée par leurs adversaires ou doivent-ils tenter d'établir leur propre hiérarchie alternative ? La première stratégie est préférable si les orateurs considèrent qu'ils peuvent convaincre les juges que leur possibilité répond aux objectifs de leurs opposants mieux que la possibilité de ces derniers. Autrement dit, il est plus facile de gagner votre opposant en revendiquant un motif de vos adversaires (leur hiérarchie des objectifs) et en sortant vainqueur sur ce terrain par la démonstration que votre possibilité répond mieux à ces objectifs. Reprenons l'exemple du débat sur le tabac. L'équipe de la proposition a défendu ses arguments en faisant valoir (du moins en partie) que le tabagisme passif entraîne des conséquences sanitaires coûteuses, et pour la personne visée et pour l'ensemble de la société, en raison de l'augmentation des dépenses publiques de santé, de l'accroissement des tarifs d'assurance, etc. Plutôt que de tenter de contrer la proposition en 176 Comment gagner un débat ?
faisant valoir que ces coûts sont négligeables ou que les économies financières sont compensées par l'atteinte aux droits individuels, une équipe de l'opposition peut faire valoir que les avantages financiers réels liés à l’interdiction de fumer peuvent être compensés par les coûts d'application de l'interdiction : l'exécution d'une telle mesure engendrerait des frais liés à la surveillance, l'enquête, l'interdiction, les poursuites, et l'incarcération, qui sont actuellement inexistants. Si la proposition est parvenue à convaincre le juge de prendre en compte les économies de coûts, une équipe de l'opposition peut faire valoir qu'il est préférable de ne pas interdire la vente de tabac. Cette stratégie est particulièrement efficace car, en supposant que l'opposition peut justifier ses allégations sur l'augmentation des coûts d'application, la proposition ne peut guère objecter que de telles dépenses ne sont pas pertinentes à la décision, étant donné que c'est l'équipe de la proposition qui a en premier lieu présenté l'objectif de réaliser des économies. Malheureusement, de telles comparaisons directes sont relativement rares. Il est plus courant que les orateurs fassent valoir que les objectifs qu'ils poursuivent sont plus importants que les objectifs préconisés par leurs adversaires. Le classement des objectifs dans une hiérarchie exige que les orateurs identifient le système d'objectifs en jeu dans le tour et présentent les motifs pour lesquels les objectifs qu'ils préconisent doivent être préférés à ceux de leurs adversaires. Le système relatif au tour sur le tabac est un ensemble d'objectifs pertinents à la décision à prendre ; les orateurs s'affronteront probablement sur la hiérarchisation des priorités dans ce système. La proposition, soulignant à la fois la force de certains des objectifs adverses (en particulier les enfants innocents de fumeurs qui ne peuvent pas choisir de ne pas fumer) et les objectifs que l'opposition ne partage pas (défense des consommateurs), visera probablement à convaincre les juges qu'il s'agit des objectifs plus importants du tour. L'opposition, Prise de décision et stratégie
177
d'autre part, va tenter de mettre en avant les objectifs de protection de la liberté de choix, en évitant les questions des coûts économiques et de l'efficacité de la politique. Hiérarchie de la proposition
Hiérarchie de l'opposition
Sécurité des enfants
Liberté de choix
Défense des consom mateurs
Économie d'argent
Liberté de choix
Efficacité de la politique
Efficacité de la politique
Sécurité des enfants
Economie d'argent
Défense des consommateurs
Ainsi, dans ce tour, chaque partie s'efforcera de convaincre les juges que sa propre hiérarchie présente un classement approprié des objectifs sur la base de laquelle devraient être prises les décisions. L'affirmation selon laquelle vos objectifs sont plus importants que ceux de vos adversaires, peut être justifiée de plusieurs façons : Portée des objectifs : il est possible de faire valoir que certains objectifs sont préférables à d'autres car les derniers font partie des premiers. Le souci d'économie de carburant, dans l'exemple illustré ci-dessus sur le véhicule, peut être subsumé dans l'objectif de portée plus ample sur les considérations financières : si un acheteur cherche à économiser de l'argent en consommant moins de carburant, mais ne tient pas compte de l'ensemble des coûts de la voiture (y compris le prix d'achat, les frais d'enregistrement et d'immatriculation, les impôts et le coût du financement, par exemple), il peut finir par dépenser plus pour l'achat de la voiture que ce 178 Comment gagner un débat ?
que représentent les économies de carburant. L'objectif global aurait donc un meilleur classement dans la hiérarchie des objectifs.41 Objectifs spécifiques au contexte : certains objectifs sont plus importants que d'autres compte tenu du contexte de la décision. Imaginez, par exemple, un conflit dans lequel un individu dépose une poursuite bidon contre une société prétendant des dommages et intérêts. Les dirigeants de l'entreprise sont conscients du ridicule de la demande et savent que s'ils donnent suite au litige ils seront probablement exonérés de toute responsabilité. Néanmoins, ils peuvent choisir de régler la poursuite avant que l'affaire ne soit jugée. Pourquoi ? Car dans ce contexte, cette décision représente la meilleure possibilité d'atteindre leur objectif. Dans un contexte juridique, l'objectif est la quête de vérité : « la blessure est-elle réelle et si oui, quelle est l'indemnisation appropriée ? », telles sont les seules inquiétudes de la cour. Si tel était le souci de la société, le meilleur choix serait de donner suite au litige, la société l'emportant probablement. D'un point de vue commercial, cependant, le but ultime est la rentabilité ; il peut ainsi être préférable de régler le litige afin d'éviter les frais liés au contentieux. Le contexte dans lequel la décision est prise affecte la hiérarchisation des objectifs pertinents. Objectifs mutuellement exclusifs ou contradictoires : il est très souhaitable de privilégier les objectifs qui n'excluent pas mutuellement d’autres objectifs ou ne les contredisent. Compte tenu de la complexité et de l'interdépendance des objectifs poursuivis dans la prise de décision, une attention particulière doit être portée lors de l’évaluation des objectifs qui s'excluent mutuellement. Par exemple, ceux qui s'opposent à l'augmentation de l'exploration pétrolière et au développement dans les régions vierges prétendent souvent que ceci compromet la nature sauvage de la région et doit être interdit. L'objectif des défenseurs de la préservation de l'environnement est dans ce cas totalement exclusif Prise de décision et stratégie
179
de l'objectif de développement économique de leurs adversaires. L'hégémonie d'un seul objectif, d'après les tenants du développement économique, est intrinsèquement injuste du fait qu'elle exclut un objectif légitimement défendu par d'autres individus ayant leur part dans la décision. Objectifs finaux et instrumentaux : j'ai ci-dessus fait le lien entre les objectifs et les valeurs que nous avons. Dans son travail sur les valeurs humaines, le psychologue social Milton Rokeach distingue les valeurs finales des valeurs instrumentales.42 Les valeurs finales sont celles qui ont une valeur intrinsèque ; les valeurs instrumentales sont très prisées car elles facilitent notre quête des valeurs finales. Cette distinction peut également être utile pour distinguer les objectifs visés dans une décision : les objectifs qui sont considérés instrumentaux peuvent être classés comme moins prioritaires que les finaux, en particulier si l'objectif instrumental conduit à cet objectif final particulier. Si nous prenons l'exemple de la protection de la liberté d'expression, nombreux sont ceux qui ne la considèrent pas comme une fin en soi mais comme un moyen d'atteindre l'objectif plus vaste de démocratie. Lorsque ces valeurs sont en conflit, comme dans les cas où un discours particulièrement choquant peut marginaliser les personnes ciblées et les priver de leurs droits dans le cadre du processus démocratique par exemple, l'objectif considéré comme instrumental (la protection de la liberté d'expression) peut être considéré comme étant moins important que l'objectif final (la démocratie). L'importance qualitative : la nature d'un objectif particulier peut être considérée comme étant qualitativement plus importante que celle d'autres objectifs. La quête de justice, par exemple, est presque universellement considérée comme plus importante que le coût qu'elle génère. Ces objectifs d’importance qualitative supérieure sont sans doute plus importants que ceux d'importance qualitative moindre.
180 Comment gagner un débat ?
L'importance quantitative : certains objectifs peuvent être considérés comme plus importants car ils concernent plus de personnes. Le débat aux États-Unis sur l’élargissement de l'accès aux homosexuels à l'institution juridique du mariage est un exemple de cette technique comparative. Ceux qui prétendaient que permettre aux homosexuels de se marier menacerait l'institution du mariage faisaient parfois valoir que les homosexuels représentaient moins de 10% de la population, et que leur offrir un accès égal à cette institution était moins important que de protéger son caractère sacré pour le reste de la population (vraisemblablement hétérosexuelle et favorable au mariage). En d'autres termes, le nombre de personnes touchées par notre objectif est plus élevé donc leur objectif est moins important que le nôtre. Le succès de la défense d'un tel argument est variable. La hiérarchie des objectifs cadre la décision à laquelle sont confrontés les juges : pour choisir parmi les possibilités présentées par la proposition et l'opposition les juges doivent d'abord établir un classement des objectifs à atteindre. Les juges passent ensuite à l'évaluation de la force des possibilités par rapport aux objectifs visés. EVALUATION DE LA FORCE DES POSSIBILITES Dans certains cas, la résolution de la question de la hiérarchie des objectifs permet presque automatiquement de résoudre le problème des juges concernant la préférence des possibilités. Si dans le débat sur la « prospection pétrolière dans les régions sauvages » par exemple, les juges sont convaincus que l'objectif de préserver le caractère sauvage de la nature est primordial, la sélection de la possibilité est claire : les juges vont préférer la possibilité qui empêche l'extraction du pétrole dans ces zones. Certes cette simplicité est trompeuse. Avec quatre équipes en compétition et huit discours différents, sans parler d'au moins trois
Prise de décision et stratégie
181
juges (en général) et aucun commentaire pendant le tour concernant les objectifs que les juges préfèrent, identifier les objectifs que ces derniers privilégient est au mieux une science inexacte. Préconiser une possibilité particulière en soulignant qu'il s'agit de la meilleure option, est tout aussi erroné. En d'autres termes, pour convaincre les juges que la possibilité que vous représentez est le meilleur choix, vous devez les convaincre que celle-ci correspond le mieux à leurs objectifs préférés. Affirmer que votre possibilité répond le mieux aux objectifs des juges est un processus qui doit être spécifique à l'objet de chaque tour. Plaider en faveur des vertus de l'exploration pétrolière nécessite des arguments différents que défendre l'interdiction du tabac. Néanmoins, certaines approches communes peuvent vous aider à soutenir que votre possibilité est préférable : Soutenir que votre possibilité correspond le mieux à la hiérarchie des objectifs préférée. L'approche la plus simple pour prouver que votre possibilité est préférable est de présenter des preuves convaincantes soutenant cette thèse. Rappelez-vous que les preuves,en tant qu'éléments de la prise de décision pour J. Baron, peuvent reposer sur des faits et des arguments. Le choix du juge en faveur de votre possibilité dépend de la qualité de la preuve que vous présentez sur la capacité de votre possibilité d'atteindre l'objectif préféré. Donc, fondamentalement, plaider pour votre possibilité est un exercice qui requiert de construire des arguments fondés, solides, bien structurés et correctement présentés et, un point probablement tout aussi important, en prouvant que vos adversaires n'ont pas réussi à faire la même chose.
182 Comment gagner un débat ?
Démontrer que votre possibilité répond à de multiples objectifs ou à plus d'objectifs. Comme indiqué précédemment, les juges n'ont pas la possibilité de révéler leurs préférences pendant le tour ; ainsi, les orateurs ne sauront pas avant la décision du jury quelle est la hiérarchie des objectifs que les juges préfèrent. Par ailleurs, les juges peuvent être convaincus qu'il existe de nombreux objectifs importants à prendre en compte dans leur décision ; certains de ces objectifs peuvent être la « propriété » des équipes de proposition, d'autres peuvent appartenir à l'opposition. Une stratégie solide consiste à démontrer comment votre possibilité satisfait des objectifs multiples ou plus d'objectifs que la possibilité adressée par vos adversaires. Partant du principe que tous les objectifs sont importants, les possibilités qui répondent à plus objectifs sont généralement préférables à celles qui répondent à moins d'objectifs. Prouver que votre possibilité équilibre le mieux le conflit entre les objectifs. Tous les objectifs, dans la mesure où ils sont défendus par les parties prenantes du débat, sont pertinents. Une stratégie solide pour démontrer l'opportunité de votre possibilité est de faire valoir qu’elle équilibre le mieux les divergences entre les objectifs d'égale importance de tous les intervenants au débat. Le débat sur l'exploration pétrolière ci-dessus est un bon exemple de cette stratégie : alors que la possibilité d'une des parties (aucune exploitation) exclut nécessairement la possibilité adverse, celle en faveur du développement de l'exploitation pétrolière peut faire valoir que ce dernier peut se faire en respectant l'environnement, et équilibrer ainsi les objectifs de protection de l'environnement et de promotion du développement économique. La preuve positive et négative. Comme noté précédemment, J. Baron fait la distinction entre les éléments de preuve positifs (le fait que la preuve démontre que votre possibilité répond à un objectif) et la preuve négative (le fait que la preuve démontre que la possibilité ne parvient pas à Prise de décision et stratégie
183
atteindre un objectif). La mise en équilibre des éléments de preuve positifs en faveur de leur possibilité avec des éléments de preuve négatifs concernant la relation entre la possibilité de l'adversaire et les objectifs préférés, est une décision stratégique importante à laquelle font face les orateurs. En général, vous devez chercher à équilibrer ces deux stratégies ; cet équilibre est essentiellement le même que celui recherché entre l'argumentation constructive et l'argumentation déconstructive, analysé dans le chapitre 4. Une version plus nuancée de ce dilemme réside dans la question de savoir comment aborder la possibilité de vos adversaires. Encore une fois, il existe deux options : soit vous critiquez la preuve positive de votre adversaire concernant la relation entre leur possibilité et l'objectif préféré, soit vous pouvez proposer votre propre preuve négative concernant l'impossibilité de leur possibilité à atteindre les objectifs visés. Le risque de la première approche est que, même si vous diminuez le degré de « certitude » quant à la capacité de vos adversaires d'atteindre un objectif, vous ne parviendrez probablement jamais à l'éliminer. Prenons par exemple le débat sur l'interdiction de fumer : l'équipe opposée à l'interdiction de fumer peut faire valoir que les fumeurs trouveront des façons de contourner l'interdiction, diminuant ainsi la probabilité que celle-ci (la possibilité) mettra un frein au tabagisme (l'objectif). Toutefois, même dans ce cas, les juges peuvent restés convaincu qu'une certaine réduction du tabagisme est probable, même si celle-ci n'est pas de 100 %. Pour cette raison, vous devriez aller audelà de la simple atténuation des arguments de vos adversaires et démontrer, avec des preuves négatives, la relation néfaste entre la possibilité des adversaires et les objectifs visés. Vous devriez alors comparer la force diminuée de la possibilité de vos adversaires et la preuve des relations néfastes entre leur possibilité et les objectifs visés avec la preuve de la force de votre possibilité par rapport aux objectifs. 184 Comment gagner un débat ?
Offrir
une
comparaison
des
possibilités
à
des
conditions
semblables : souvent, des possibilités bien différentes peuvent être comparées en évaluant les options concurrentes sur un terrain d'entente. Parfois, cela est évident : les possibilités concurrentes sont souvent proposées pour atteindre le même objectif. Prenons par exemple le débat sur l'occupation américaine de l'Irak. Lorsqu'il s'agit de décider du retrait ou non des troupes en Irak, la discussion se concentre souvent sur laquelle des deux est la meilleure pour la sécurité des ÉtatsUnis. Les deux parties cherchent l'objectif essentiel de la sécurité nationale mais présentent des propositions concurrentes (possibilités) pour atteindre cet objectif. D'autres décisions, cependant, nécessitent une modification des termes pour comparer les possibilités sur des motifs similaires. Prenons l'exemple des débats sur l'opportunité d'investir de l'argent public dans les mesures de sécurité. Il existe de nombreuses façons d'améliorer notre niveau de sécurité si l'on est prêt à investir de l'argent en ce sens. Les voyages en automobile, par exemple, seraient beaucoup plus sûrs si toutes les routes avaient des voies séparées pour chaque sens de circulation. La plupart des sociétés ont déterminé cependant, que la valeur des vies sauvées ne vaut pas le montant de l'investissement qui serait nécessaire. Dans ce cas, la valeur de la vie humaine est exprimée en termes financiers afin qu'elle puisse être comparée avec le coût de la rénovation d'une route. Cette approche, ignore certes l'intégralité de la valeur d'une vie humaine, mais permet une base commune à partir de laquelle les possibilités concurrentes peuvent être évaluées. Ces stratégies de base sont un point de départ pour prouver qu'une possibilité est préférable à l'autre. De nombreuses autres approches, la plupart étant spécifiques à la décision qui est prise, sont à la disposition des orateurs.
Prise de décision et stratégie
185
En rendant explicite le processus via lequel une décision est atteinte, les orateurs gagnants orientent leurs juges dans leur prise de décision afin qu'ils parviennent à la conclusion qu'ils souhaitent. Même dans les tours où ce processus n'est pas explicitement présenté par les orateurs, la connaissance et l'attention aux hypothèses de base de la prise de décision rationnelle vous aidera à formuler des arguments qui peuvent être plus facilement suivis, mieux compris et, en dernier lieu, meilleurs que ceux des adversaires.
186 Comment gagner un débat ?
C
H A P I T R E
7
Paradoxes du débat En moyenne, les tournois de débat qui se tiennent selon le format WUDC se composent de cinq ou six tours préliminaires suivis de deux à quatre tours éliminatoires. Le nombre d'équipes inscrites dans un tournoi particulier est très variable, de 16 à 20 dans un petit tournoi interuniversitaire, à plus de 400 équipes dans les championnats de débat interuniversitaire organisés au niveau mondial. Presque tous les weekends de l'année scolaire un tournoi se tient quelque part ; souvent plusieurs tournois sont organisés le même week-end dans des endroits différents à travers le monde. En d'autres termes, il y a de nombreux débats en cours. Bien qu'il s'agisse d'excellentes nouvelles pour les promoteurs des compétences puissantes qu'apporte le débat, cela pose un défi important pour ceux qui conseillent les autres sur la façon de gagner des débats, moi inclus. Étant donné le nombre élevé de tours qui ont lieu au cours d'une saison, et que chacune, dans le format WUDC, porte sur un sujet différent, il n'existe aucun moyen d'anticiper toutes les éventualités qui peuvent survenir pendant un débat. Les orateurs gagnants savent que pour réussir, ils doivent disposer d'une variété d'options tactiques parmi lesquelles choisir. Ces mêmes orateurs doivent également rester suffisamment flexibles pour adapter leurs tactiques aux exigences d'un tour spécifique. En d'autres termes, aucun conseil sur le débat ne peut prétendre être inclusif, universel, ou applicable à chaque tour. Au lieu de tenter de cataloguer et de discuter de toutes les tactiques disponibles (bien que je recommande des tactiques spécifiques dans le chapitre suivant), j'ai adopté une approche différente. Je crois que si les orateurs sont familiarisés avec un ensemble de principes Paradoxes du débat
187
directeurs, menant souvent à la réussite, ils peuvent les appliquer à des situations particulières qu’ils rencontrent. Sous forme de paradoxes, ces observations suggèrent un certain nombre de points à partir desquels vous pouvez faire les meilleurs choix stratégiques et tactiques dans n'importe quel tour donné. Le fait que ces observations soient formulées comme des paradoxes n'est pas une simple coïncidence. C'est dans la tension qui existe entre ce que nous croyons être correct et ce que nous croyons être incorrect que se trouve souvent la vérité. Autrement dit, ce qui semble être de la sagesse conventionnelle dans une situation donnée n'est souvent ni conventionnel ni sage. Ces paradoxes doivent être considérés non pas comme des directives, mais comme des invites à considérer l'approche la plus efficace pour le débat. Dans la tradition bouddhiste zen, les koans aident à inspirer et à se concentrer sur des pensées contemplatives.43 Le koan le plus célèbre, quel est le bruit d'un applaudissement ?, est typique de ces proverbes courts conçus pour donner un aperçu de la nature du monde. En contemplant ce qui semble être une déclaration contradictoire, les étudiants du Zen réfléchissent sur la signification et la méthode de l'illumination. Bien que je ne prétende pas donner un aperçu de l'éternel, c'est dans l'esprit de l'enquête éclairée que je propose ces paradoxes. En remettant en question ce que nous pensons savoir sur le débat, nous pouvons découvrir quelque chose de bien plus important : ce que nous ne savons pas encore.
Paradoxe n° 1 : La qualité du débat dépend plus de l'accord que du désaccord Les orateurs (et les non orateurs, d'ailleurs) imaginent souvent que le débat est un exercice de confrontation des idées où les équipes s'opposent avec véhémence et vigueur. Bien que le désaccord soit une condition 188 Comment gagner un débat ?
préalable du débat, l'élément le plus important d'un débat hors du commun est l'accord. Tel qu'indiqué au chapitre 3, le point de départ de tout débat est la proposition. La proposition est une ligne de démarcation entre les motifs de la proposition et ceux de l'opposition. Pour qu'une proposition soit efficace, les équipes doivent être d'accord sur cette dernière. Les tours qui se caractérisent par le désaccord des équipes (ou leur indétermination) sur la proposition, sont souvent difficiles à regarder, les équipes proposant des arguments sur des positions différentes qui sont hors propos l'une par rapport à l'autre. A l'opposé, dans les débats de haute qualité, les équipes s'accordent en général non seulement sur la proposition à l'étude mais aussi sur les questions débattues pendant le tour. Les meilleurs débats sont ceux dans lesquels les arguments de la proposition et de l'opposition tournent autour de points de stase clairement définis qui sont en cohérence avec la question plus vaste posée par la proposition. Mais l'accord au cours d'un tour va au-delà de l'acceptation des arguments d'une équipe, il s'agit avant tout de renforcer la différence de vos positions. Les équipes d'opposition verront souvent leur stratégie renforcée par l'accord avec l'objectif de la proposition. Peu de tactiques sont plus efficaces que d'accepter la pertinence de l'objectif de votre adversaire, et de démontrer ensuite la façon dont il ne parvient pas, contrairement à vous, à atteindre cet objectif. 44 Tout orateur peut trouver utile d’approuver la structure et l'ordre des arguments de son adversaire en vue d'améliorer la clarté de son propre effort de déconstruction. Les orateurs gagnants constatent souvent qu'ils peuvent être d’accord avec des preuves de leurs adversaires, mais en tirent une conclusion différente. Enfin, un accord peut prendre la forme de concessions dans le débat. Les orateurs gagnants sont ceux qui reconnaissent la différence d'importance entre les arguments. Dans une épreuve chronométrée, où vous devez prendre des décisions cruciales pour savoir comment orienter Paradoxes du débat
189
votre argumentation, choisir les arguments les plus importants avec lesquels être en désaccord, et identifier ceux que vous pouvez accepter, est une compétence clé. Une concession peut être soit tacite (vous ignorez tout simplement un argument) soit explicite en reconnaissant la validité de l'argument d'un adversaire, le but étant d'annuler l'impact de cet argument. En fait, comme un ancien orateur l'a autrefois reconnu, dans un débat PB, parfois, ce qui peut arriver de pire à une de vos positions constructives, c'est que vos adversaires l'ignorent. Lorsque cela se produit et lorsque le non-respect de cet argument est fondé sur la reconnaissance de l'insignifiance relative de cet argument pour le tour, la conséquence est que votre argument « tombe de haut » et avec lui vos chances de gagner le débat. Dans le débat, et en particulier dans le débat PB, il ne s'agit pas, pour obtenir la victoire, de gagner sur tous les arguments, mais de dépasser vos adversaires sur les bons arguments.
Paradoxe n° 2 : Les arguments gagnants sont plutôt simples que complexes Les débats du PB, dans le cadre desquels quatre équipes et huit orateurs tentent de d'orienter l'attention des juges vers des directions différentes, sont des événements de communication complexes. Pour que vos arguments restent présents dans l'esprit des juges, ils doivent être utiles à leur évaluation et structurés de manière à capter, conserver et défendre le plus efficacement possible les allégations sur lesquelles ils reposent. A cette difficulté s'ajoute la reconnaissance du fait que le mode de communication employé dans tour de débat, le discours public, est transitoire, ce qui représente un obstacle supplémentaire. Contrairement à la communication écrite où le public peut immédiatement examiner le matériel qu'il ne comprend pas, et contrairement à une conversation où les participants peuvent interagir pour clarifier les informations qu'ils ne comprennent pas, le débat repose sur une forme de 190
Comment gagner un débat ?
communication qui est principalement unidirectionnelle : d'un orateur à un public sans «texte» auquel se référer et des possibilités limitées d'interaction entre les participants. Dans un tel contexte, une communication claire est d'autant plus importante. Malheureusement, de nombreux orateurs pensent qu'on gagne les débats avec des messages complexes. Cherchant à démontrer leur maîtrise d'un sujet et leur connaissance des informations pertinentes aux questions traitées, ces orateurs tentent de construire des arguments complexes et nuancés qui accablent leurs adversaires par leur densité. Sans une structure et une stratégie simple sous-jacente, une telle démarche échoue la plupart du temps. Les orateurs les plus efficaces savent que la simplicité est essentielle pour communiquer efficacement un message dans une intervention publique. La simplicité se réfère, en partie, à la structure et à l'organisation d'un message : l'utilisation de dispositifs structurels tels que des extraits, des transitions, des revues et la redondance, est essentielle pour que le message soit retenu par les juges. Mais le principe de simplicité s'applique également à la stratégie générale poursuivie par les orateurs. Lorsque vous êtes confrontés au choix d'une approche simple mais traditionnelle ou une nouvelle approche mais complexe, choisissez la simplicité. Les juges sont plus susceptibles de comprendre et de retenir une telle approche.
Paradoxe n° 3 : Vous avez plus de chances de convaincre le public en mettant l'accent sur ce qu'il croit plutôt que sur ce qu'il ne croit pas Nous créons des arguments pour sensibiliser notre public ; l'hypothèse sur laquelle nous nous fondons est que l'objectif d'un argument - celui que nous voulons que le public accepte - doit être notre seul dessein. Bien que vous ayez certainement la responsabilité de Paradoxes du débat
191
convaincre les juges de vos revendications, cela pourrait être beaucoup plus aisé si, dans votre préparation, vous commenciez par vous demander ce que votre public croit plutôt que de vous concentrer sur ce qu'il ne croit pas. Au chapitre 2 nous avons découvert que la fonction des arguments consiste à mettre en rapport les idées que notre public n'accepte pas encore (la demande) aux idées auxquelles il croit (le support). De la même façon que ce principe fonctionne à l'échelle microscopique pour les arguments individuels, le même principe peut marcher pour votre stratégie globale. Commencez la préparation de votre position constructive en vous demandant : « Quelle est l'opinion probable qu'a mon public de cette position ? » Est-ce qu'il accepte qu'il existe un problème et qu'une solution soit nécessaire ? Croit-il que tout principe particulier informe la controverse en cours ? Croit-il qu'une approche (offrir des incitations, par exemple) est préférable à une autre (la menace de sanctions, par exemple) ? A partir de ce point de départ, vous pouvez commencer à cadrer votre stratégie générale. En outre, la notion de présomption dans l'argumentation révèle que le public peut avoir des opinions préexistantes en faveur ou contre vos arguments. Déterminer cette présomption et saisir la dynamique des préférences de votre public pour présenter vos arguments peut grandement contribuer à votre stratégie globale.45
Paradoxe n° 4 : Vous avez plus de chances de gagner en soutenant position difficile Ce paradoxe se réfère plus directement à la décision du premier ministre concernant l'interprétation de la motion et l'engagement de son équipe à la défense d'une position. La norme d'adjudication du
« meilleur débat »46 indique généralement que les équipes seront 192
Comment gagner un débat ?
évaluées sur leur contribution à rendre « meilleur » le débat. Bien que le concept de « meilleur » puisse être considéré comme vague, la plupart des juges reconnait utiliser cette expression pour qualifier un débat qui sort du commun : les débats dans lesquels les équipes s'affrontent directement plutôt que via des détours, qui mettent l'accent du débat sur les questions de fond plutôt que de se quereller sur des aspects techniques, et dans lesquels la question posée par la motion présentée est soigneusement analysée. En revanche, les débats les plus mauvais sont souvent ceux dans lesquels une ou plusieurs équipes cherchent à obtenir un avantage stratégique par rapport aux autres en défendant de plus près possible leur position afin de contourner les attaques de leurs adversaires ou d'exclure ces derniers du débat. Prenons le cas par exemple expliqué au chapitre 5. Dans un débat sur la motion « Cette chambre interdirait la peine de mort », une équipe de la proposition d'ouverture peut choisir de définir sa position comme une défense de l'interdiction de l'application de la peine de mort pour les mineurs. Le traitement des mineurs, ferait-elle valoir, est au cœur de la controverse « pragmatique » actuelle dans certaines régions des ÉtatsUnis ; cette interprétation porte sur les éléments essentiels du débat concernant le principe du recours à la peine de mort et, en tant que telle, il s'agit d'un test légitime de la question sous-jacente à la motion. Bien sûr, cette interprétation présente le grand avantage (non déclaré) qu’il s’agit d’un argument beaucoup plus facile à prouver dans le cadre de la proposition car il délimite davantage le sujet du débat. Plutôt que de défendre le bien-fondé de la peine de mort en général, l'opposition, à condition qu'elle choisisse de ne pas s'opposer à la définition du premier ministre, doit apparemment plaider en faveur de la peine de mort pour les mineurs. Ce débat plus limité n'englobe pas tout l'éventail de questions impliquées par la motion originale et, par conséquent, serait sans doute évalué moins favorablement par les juges qui privilégient le critère du « meilleur » débat. Paradoxes du débat
193
Mais dans cette situation, ce même principe s'applique à l'opposition. En vertu des règles du WUDC, le leader de l'opposition pourrait s'opposer à l'interprétation du PM.47 Cependant, le principe exprimé dans ce paradoxe semble indiquer qu'une telle objection serait une erreur. Le leader de l'opposition et, par extension, toute l'opposition, devrait bénéficier de la préférence des juges pour les débats sur la question fondamentale plutôt que sur les aspects techniques, et de leur admiration pour une équipe ayant le courage de soutenir volontairement la question si sensible de la peine de mort pour les mineurs. En d'autres termes, en adoptant ce qui est probablement la voie la plus difficile, le succès de l'opposition devient plus probable. Ainsi, vous pouvez appliquer ce principe à presque toutes les situations où le choix entre ce qui semble être le sujet le plus défendable et ce qui semble être une position plus difficile à prouver, se présente à vous. Dans la plupart des cas, quelle que soit votre position dans le débat, vous serez davantage en mesure de prouver vos compétences d'orateur en choisissant la position la plus difficile que d'opter pour la plus facile et prouver aisément son bien-fondé.
Paradoxe n° 5 : Votre défenseur a plus de chances de gagner s’il ne montre aucun intérêt pour la victoire Il existe des points en faveur de ceux qui ne sont pas partisans des conflits virulents. Ces individus, qu'il s'agisse de tiers impartiaux, de témoins experts objectifs ou de spectateurs neutres, sont ceux vers qui nous nous tournons pour obtenir la vérité dans une situation où font cruellement défaut les positions non scindées. De la même manière, les juges sont conscients de l'effet de la partisannerie sur les arguments des orateurs : ils savent que ces derniers disent souvent ce qui est attendu pour gagner un tour. Ils savent que les orateurs sont formés pour faire 194
Comment gagner un débat ?
paraître convaincantes les positions les plus douteuses. C'est pourquoi ils se méfient toujours (et à juste titre) de la qualité des arguments des orateurs. Les orateurs gagnants peuvent surmonter cette méfiance naturelle en présentant des arguments plus objectifs et moins liés à une position. Que ce soit en ajustant le contenu et l'orientation d'un appel ou en gérant attentivement la présentation de cet appel, une telle approche peut avoir un impact significatif sur votre crédibilité. Dans le chapitre 8, j'explique comment appliquer ce principe en utilisant des positions du type « La nature de ». En présentant le fondement d'un argument controversé en un point séparé de cet argument, ces positions peuvent sembler objectives et, par conséquent, rendre l'argument plus crédible. En outre, en reconnaissant qu'un élément de preuve particulier peut être interprété de manière à la fois favorable et défavorable à votre position, vous pouvez détourner en partie la méfiance naturelle des juges vis-à-vis de cet argument, et « couper l'herbe sous les pieds » de vos adversaires en étant le premier à signaler une autre interprétation possible. En bref, plutôt que de tenter d’éviter les attaques prévues de l'opposition, et donc paraître craindre, ignorer ou ne pas vouloir faire face à de telles attaques, vous pouvez gagner un débat en reconnaissant l'autre aspect de la question traitée. Ce principe s'applique également à votre conduite et à votre comportement au cours d'un tour. Loin de ressembler à ces démagogues enragés, image que la plupart des gens se font des orateurs victorieux, les orateurs gagnants ont souvent un style détaché et décontracté. Cela ne veut pas dire qu’il leur est favorable de se montrer désintéressés, bien au contraire. Cependant, nous constatons que parfois, un discours passionné sur un argument est motivé par un manque de confiance sous-jacente concernant sa force. Si vous êtes certain de votre position (et souhaitez que votre public partage ce même sentiment), votre présentation peut bénéficier davantage d'un ton calme, rationnel et Paradoxes du débat
195
objectif. Cette situation se présente principalement lorsque vous faites face à l'invective tremblante d'un adversaire. Dans un tel cas, ce serait une erreur que d’essayer de combattre la passion par une passion encore plus grande. Répondre à un adversaire de manière froide et objective peut souvent le désarmer et soulager des juges débordés. C'est un des paradoxes les plus difficiles à accepter pour les orateurs. Bien que vous soyez tenu(e) de défendre vigoureusement votre position, il vous sera favorable d’adopter l’approche d'un analyste plutôt que d'un avocat.
Paradoxe n° 6 : Plus nous nous efforçons de réduire l'incertitude au cours du débat, plus nous perdons en certitude Le dernier paradoxe n'offre pas beaucoup d'astuces sur la façon de gagner un tour du débat. Il ne propose aucune recommandation directe sur la façon dont vous pouvez vous positionner pour remporter le tour. Il constitue plutôt un moyen d'évaluer les avantages du débat que certains peuvent trouver plus gratifiant que la satisfaction passagère de gagner un tour ou un tournoi. On attribue à Bertrand Russell l'idée que le problème du monde est que les ignorants sont outrecuidants et les intelligents plein de doutes. Cela n'est jamais plus vrai que dans l'activité du débat.
196
Comment gagner un débat ?
Il semble y avoir une relation curvilinéaire entre la quantité de temps consacré au débat et la force des convictions : plus vous passez de temps à débattre plus vous devenez conscient(e) de la validité des différentes positions, en particulier de celles qui sont contraires aux vôtres. Bien que le débat soit un exercice qui vise à réduire l'incertitude, au final il l'augmente. Quand nous nous engageons dans un débat, nous avons la conviction que les meilleures idées l'emporteront. Cette hypothèse est la reconnaissance que nous ne savons vraiment pas, du moins au moment d'entrer dans un tour de débat, quelle est la partie qui a raison. Nous faisons confiance au processus contradictoire et testons la force de toute position par rapport à l'argument diamétralement opposé. Ce faisant, le débat devrait produire plus de certitude sur les idées dominantes : celles qui survivent à l'épreuve devraient, apparemment, être les meilleures. Mais dans les meilleurs débats, que ce soit dans les tournois, les organes législatifs, ou entre amis autour d'une pinte de bière, le résultat est nettement moins certain. Face à la critique de nos arguments, nous devons être plus souples et plus ouverts à la possibilité que nos croyances sont fragiles et, plus important encore, que celles de nos adversaires ne sont peut-être pas fausses. Ce paradoxe représente peut-être ainsi le plus noble des objectifs du débat : effacer la rigidité sur lequel s'appuie le fondamentalisme de toute sorte. Partant de ce point de vue, le débat devient beaucoup plus qu'amasser des victoires ou combler une armoire de trophées, il s'agit d'un exercice qui ouvre nos esprits et nos perspectives aux vérités des concurrents. En adoptant cette attitude nous sommes sur la voie de gagner des débats
Paradoxes du débat
197
.
198
Comment gagner un débat ?
C
H A P I T R E
8
Tactiques avancées Un des aspects les plus fascinants du débat c'est la créativité qu'il inspire à ses participants. La concurrence est à l'origine de l'innovation apportée aux débats par ceux qui y participent : les débats offrent des commentaires quasi-immédiats sur les techniques argumentatives. Les orateurs savent très rapidement, en général immédiatement après le tour, si leurs efforts ont porté fruit. Cette rétroaction rapide et la fréquence de la possibilité de pratiquer de nouvelles approches argumentatives dans le laboratoire en lice, produisent ensemble des stratégies novatrices et efficaces. Dans ce chapitre, je vais expliquer six tactiques avancées qui se sont révélées, au fil du temps, être des approches puissantes de présentation des arguments. Je les ai divisées en deux catégories : les tactiques offensives et les tactiques défensives. Bien que ces tactiques ne fonctionnent pas à chaque fois et ne sont pas utiles dans chaque situation, elles sont efficaces et suffisamment universelles pour justifier leur inclusion dans ce document. Mon intention, en présentant ces tactiques, n’est pas d’encourager leur utilisation en tant que telles. Si vous trouvez ces approches intuitives et les résultats avantageux, n'hésitez pas à le faire. En fin de compte, cependant, j'espère inspirer les autres à contribuer à l'analyse de l’argumentation, à savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. J'espère ne pas voir ces tactiques en compétition (je les vois assez avec ma propre équipe) mais voir ce que d'autres en font en tant que point de départ pour leur propre innovation.
Tactiques avancées 199
Tactique offensive La croyance diffuse selon laquelle la meilleure défense est l'attaque est largement acceptée dans le débat. Dans l'argumentation constructive, l'effort d'identifier, développer et avancer des arguments, est généralement l'effort de définition d'une équipe. En effet, dans la stratégie de contrôle que je préconise au chapitre 4, il s'agit d'être aux commandes des arguments du débat et de convaincre vos adversaires et les juges de se concentrer sur ces arguments. Les trois premières tactiques sont directement liées à la construction d'arguments convaincants. Aucune de ces stratégies n'existe à elle seule ; toutes font partie d'une campagne plus vaste et coordonnée visant à prouver un argument. Ces tactiques à elles-seules ne vous feront pas gagner des débats. Elles peuvent, cependant, constituer un élément essentiel de votre effort constructif.
SAISIR LA PRESOMPTION Le concept de présomption a depuis longtemps été reconnu comme un élément essentiel de la théorie des arguments. Depuis que Richard Whatley a discuté ce concept et son idée annexe, la charge de la preuve au 19ème siècle,48 les théoriciens de la rhétorique ont reconnu l'importance cruciale de comprendre où sont orientées les sympathies du public. La présomption se réfère aux sentiments dominants d'un public visà-vis de l'argument qu'on leur demande d'accepter. Dire qu'un argument a la présomption d'un public, c'est dire que le public, bien qu'ouvert à des positions contraires, est prédisposé à accepter cet argument. Un avocat qui plaide en faveur d'une augmentation salariale pour les enseignants devant un syndicat d'enseignants bénéficie d'une 200
Comment gagner un débat ?
présomption importante pour ses arguments. Ceux qui préconisent des positions contre la présomption d'un public, portent la charge de la preuve ; ceux qui portent la charge de la preuve ont plus de difficulté à démontrer que leurs revendications doivent être acceptées. Dans le contexte d'un débat, la partie qui porte la charge de la preuve fait l'objet d'une surveillance accrue des juges, tandis que la partie de la présomption bénéficie de leur appui vis-à-vis de l'argument. La présomption peut être soit organique soit synthétique. La présomption organique se développe à partir des valeurs, des croyances et des perspectives d'un public. Si un public, par exemple, provient d'une société démocratique libérale et croit à la liberté d'expression comme étant un élément essentiel de la gouvernance démocratique, un argument qui prétend protéger la liberté d'expression est susceptible d'être accueilli favorablement par ce dernier. Ceux qui plaident pour une restriction de la liberté d'expression porteront une charge de la preuve plus élevée dans un tel échange. Certains lieux d'argumentation, d'autre part, s'appuient sur la présomption synthétique, soit la présomption créée pour les arguments d'un certain camp. Les systèmes de justice pénale fonctionnent souvent sur la présomption que l'accusé est présumé innocent jusqu'à preuve du contraire (par l'État, qui porte la charge de la preuve). Bien qu'il puisse être douloureusement évident pour certains dans un procès criminel que l'accusé est coupable, la présomption d'innocence est accordée à la défense pour préserver les droits de l'accusé. Ni la présomption organique ni la présomption synthétique ne sont fixes. Bien que la présomption, en particulier la présomption organique, soit ancrée dans les préférences générales d'un public, elle est malléable et soumise à des efforts de persuasion. Ainsi, vous pouvez saisir la présomption pour capter la préférence des juges pour vos arguments. Pour saisir la présomption, il faut placer la décision spécifique que Tactiques avancées 201
doivent prendre les juges dans un contexte plus large. Ce contexte pourrait tenir compte du type général de la décision qui est prise ; des décisions similaires précédentes qui ont été faites, et des valeurs qui guident la prise de décision dans cet exemple. En règle générale, les arguments au sujet du lieu de la présomption sont présentés au début du cas et, s'ils sont présentés de façon convaincante, ils orientent favorablement les juges vers les arguments qui suivent. Un argument efficace qui bénéficie de la présomption peut reposer sur différents points de départ :
1. Cadres. Souvent, la décision présentée par une motion dans un tour de débat est un type particulier de décision : en général, le débat peut porter sur une décision de politique publique (c'est le cas de nombreuses motions), mais plus précisément, le débat peut se concentrer sur un type particulier de décision de politique publique. Les questions d'ordre médical, les questions de sécurité, les politiques éducatives, les arguments juridiques et les questions économiques, par exemple, ont tous des cadres généraux dans lesquels ces décisions sont prises. Ces cadres servent de guide pour les valeurs probables en cause dans la décision et un plan d'action préféré (ou du moins un ensemble de principes directeurs préférés) pour le processus de prise de décision. Prenons un débat sur le bien-fondé d'autoriser une recherche médicale impliquant des êtres humains dans les pays en développement. Un cadre clair et bien établi comme celui de la Déclaration d'Helsinki pourrait servir de base solide pour établir la présomption dans un débat sur cette motion.49 Ce document, produit pour établir des normes éthiques pour ceux qui s'engagent dans la recherche sur des sujets humains, contient un ensemble de principes directeurs généralement acceptés pour les décisions concernant la recherche sur des êtres 202
Comment gagner un débat ?
humains. La déclaration précise que, si la recherche est importante, la première priorité du chercheur est le sujet ou le bénévole, et que le bienêtre du sujet est plus important que le bénéfice que cette recherche apporte à l'ensemble de la société. Dans un débat, la déclaration d'Helsinki pourrait être considérée comme un premier facteur pour déterminer l'opportunité de la motion. 2. Priorité. Le raisonnement analogique - trouver des similitudes entre deux choses dans un effort de mieux comprendre l'une ou l'autre de ces choses - est une approche logique fondamentale. Comme base de la présomption, les analogies servent de points de référence à partir desquels nous pouvons explorer des circonstances inconnues : si une décision similaire a été prise avec succès dans le passé, la présomption est que la présente décision devrait être prise d'une manière similaire. Le rôle des analogies dans l'établissement de la présomption ne peut pas être surestimé. En effet, dans les systèmes juridiques fondés sur le droit, en particulier le système juridique des États-Unis, le principe du stare decisis établit une forte présomption que les précédents doivent être respectés. Si une question a été réglée dans une décision antérieure, indique ce principe juridique, celle-ci doit être maintenue. Cette même approche peut être utilisée dans un argument destiné à une audience publique : un défenseur du droit de liberté d'expression - même lorsqu'il s'agit de quelque chose d'aussi répréhensible que les discours fondés sur la haine - ferait probablement référence au raisonnement de la célèbre décision de la Cour suprême américaine qui affirmait le droit du parti nazi d'organiser un rassemblement politique à Skokie, dans l'Illinois. Le défenseur de cette cause indiquerait que ce précédent, est clairement en faveur de ceux qui plaident pour la protection de la libre expression. Bien sûr, le fait que la présente décision soit similaire (ou suffisamment similaire) à des décisions antérieures est soumis à Tactiques avancées 203
débat. Pour que l’emploi des analogies réussisse à capturer la présomption, vous devez choisir attentivement un précédent analogique ; bien entendu, le précédent doit avoir été réglé de la façon dont vous voulez que la présente décision soit rendue, mais au-delà de cela, vous devez chercher la plus grande similitude possible lors de la sélection de l'analogie. Lorsque vous soutenez le précédent, vous devez prendre soin de bien définir la relation entre la présente décision et le précédent, en soulignant les similitudes et en expliquant les différences. Se contenter de dire, « C'est exactement comme le cas de » est rarement suffisant pour établir la présomption de votre position. Dans l'exemple de Skokie, l'oratrice pourrait obtenir davantage l'appui du public si elle expliquait que le parti nazi, un peu comme ceux dont les discours fondés sur la haine sont menacés de sanction, a cherché à généraliser (de manière défavorable, bien sûr) le sujet sur certaines minorités ethniques comme un principe central de son message. L'oratrice aurait probablement fait valoir que ce discours, que la Cour suprême américaine a trouvé digne de protection, n'est pas différent des « discours fondés sur la haine » que les divers groupes veulent interdire. 3. Valeurs. Comme indiqué ci-dessus, la présomption organique est fondée sur les croyances et les orientations du public. Dans certains cas, vous pouvez capturer une présomption considérable pour votre position en affiliant cette dernière avec une orientation de valeur particulière que, d'après vos informations, votre public soutient.50 Alternativement, vous pouvez identifier une orientation de valeur présomptive qui est ou doit être d'après vous pertinente à une décision particulière. Dans les deux cas, mettre en rapport la décision immédiate à un principe durable ou un impératif moral largement accepté peut incliner la préférence des évaluateurs envers votre argument. 204
Comment gagner un débat ?
Considérons un débat sur la motion « Cette chambre ne tiendrait pas compte des frontières nationales pour mettre en œuvre des objectifs humanitaires ». Un orateur peut argumenter contre cette position forte en faisant valoir que la valeur de la souveraineté nationale doit être primordiale. Si les juges ont tendance à considérer la préservation de la souveraineté nationale par-dessus tout, ils sont susceptibles d'évaluer favorablement cet argument. ÉTABLIR L'URGENCE La nature même des décisions prises dans les débats du PB requiert que les avocats établissent l'urgence de leurs propositions. La plupart des débats du PB concernent des décisions quant à savoir si oui ou non prendre des mesures. Les motions sur les politiques de ces débats sont généralement formulées comme des propositions sur ce qu'il faudrait faire : « Cette chambre légaliserait toutes les drogues à usage récréatif » ou « Cette chambre refuserait de diffuser des vidéos produites par des terroristes » sont de bons exemples de types de questions examinées dans les débats du PB. Habituellement ces propositions sont formulées comme points de départ à partir du statu quo. En opposition à la façon dont les choses sont faites actuellement, ces motions posent la question de savoir : « Existe-t-il une meilleure façon ? » Favoriser le changement, convaincre les autres de faire quelque chose différemment, fait face à l'obstacle de l'inconnu mais également de l'inertie du passé. Argumenter en faveur d'un changement de la politique publique exige non seulement une bonne raison pour le faire, mais aussi la preuve qu'il existe une occasion unique de faire un tel changement. Les théoriciens de la rhétorique ont depuis longtemps reconnu le pouvoir d'établir le caractère immédiat d'un appel. Les rhéteurs de la Grèce antique analysaient l'importance du kairos, le « caractère exceptionnel d'une opportunité », qui doit être soutenu par un effort oratoire. Le principe du kairos indique que le discours doit faire référence à un moment critique, une Tactiques avancées 205
occasion donnée qui rend opportun et inévitable cet appel. Les théoriciens modernes de la rhétorique tels que Lloyd Bitzer ont également analysé le rôle que joue l'occasion pour rendre plus convaincants les messages ; il considère l'exigence d'un argument comme un élément essentiel de ce qu'il appelle la « situation rhétorique ».51 Dans de telles situations, une exigence sert de motif pour un plaidoyer convaincant. L'exigence souligne l'existence de l'occasion pour le changement demandé et met en lumière l'opportunité de l'appel par rapport à ce changement. De toute évidence, établir votre position comme étant « l'option pertinente au bon moment » est reconnu depuis longtemps comme une technique permettant de rendre votre appel persuasif. Créer un sentiment d'urgence pour votre position est une tactique solide car cela permet de souligner l'opportunité de votre appel, de soutenir qu'il est le mieux placé pour remporter le débat et de le différencier des critiques classiques qui sont faites traditionnellement vis-à-vis des options habituellement évaluées dans de telles controverses. Considérons la motion « Cette chambre requiert que les producteurs de produits à base de viande fassent une présentation réaliste de la chaîne d'abattage sur les emballages de leurs produits ». Cette motion exige que la proposition défende une politique visant à minimiser les traitements cruels infligés aux animaux, mais s'abstient d'appeler à l'interdiction pure et simple de l'abattage. Le développement d'un fort sentiment de kairos peut rendre l'appel plus convaincant. Pour ce faire, il faut développer un élément au début de votre argumentation soulignant le caractère urgent et opportun de cette décision : vous pouvez faire valoir que de grande avancées ont été réalisées dans notre appréciation des droits des animaux ; aujourd'hui nous disposons d'une législation prévenant les traitements cruels délibérés infligés aux animaux, d'une plus grande conscience des émotions que ressentent les animaux, et d'une plus large demande des consommateurs pour un traitement plus compatissant des animaux par l'industrie de la production alimentaire (par exemple la désignation 206 Comment gagner un débat ?
« libre pâturage » pour certains produits animaux). Ceci étant établi, il vous faudra alors faire valoir que, en dépit des progrès réalisés, il n'existe pas encore de consensus au niveau de l'ensemble de la société sur le fait que la consommation de viande est intolérable. En effet, la majorité des gens considèrent encore la viande comme une partie irremplaçable de leur alimentation quotidienne. Bien que nous soyons sur un chemin qui nous mènera un jour vers la reconnaissance de l'immoralité de la consommation de viande, nous ne sommes pas encore parvenus à cette conclusion. Dans votre argumentation, vous soulignerez cependant que les bases d'un changement, comme celui présenté dans la proposition, ont été posées. Faire connaître le processus d'abattage est une avancée de la politique qui est conforme à la tendance dans ce domaine (et cohérent avec la dynamique de présomption de l'évolution de la morale), et il s'agit d'un pas de portée adéquate qui ne tente pas d'aller au-delà de ce que l'opinion publique trouverait adapté aux circonstances présentes. La force de cette approche réside, en grande partie, dans sa capacité à créer un espace pour les arguments antagoniques de vos adversaires, tout en réduisant leur portée. Plutôt que de prétendre que les arguments de vos adversaires sont faux, vous pouvez indiquer qu'ils ne sont tout simplement plus opportuns ni pertinents à votre position. Dans l'exemple ci-dessus, les arguments de l'opposition visant à démontrer qu'il ne faut pas accorder de droits aux animaux peuvent être réduits en se référant à la tendance à une plus grande appréciation des droits des animaux. Vous n'avez pas besoin de prouver que les animaux ont des droits (et vous n'avez pas à prouver que l'argument de vos adversaires est faux), il s'agit simplement de souligner que l'argument selon lequel les animaux n'ont pas de droits n'est plus accepté par tous. Cette même approche atténue les arguments opposés qui affirment que des conséquences désastreuses résulteraient de l'attribution de droits aux animaux ou qui revendiquent qu'un traitement plus humain des animaux serait économiquement catastrophique pour les producteurs. Tactiques avancées 207
Vous pouvez indiquer que ces arguments peuvent autrefois avoir eu du poids, mais que, compte tenu du contexte et de la trajectoire de la controverse, certains droits des animaux ont été reconnus sans que cela n'ait eu de conséquences catastrophiques, ces préoccupations ne sont plus fondées. En vous ouvrant à la possibilité que ce que vos adversaires défendent ait pu être vrai dans le passé, vous évitez la charge de prouver que votre opposition est dans le faux (et vous apparaîtrez comme étant plus tolérant, inclusif, éclairé, et finalement, crédible). Pour créer un sentiment d'urgence il faut présenter la situation passée et présente en soutenant que le moment du changement est venu. Souvent, l'établissement d'une trajectoire d'événements est un moyen de démontrer la pertinence du changement ; prouver que le changement est nécessaire depuis un certain temps favorise le penchant du public pour ce dernier. De même, une crise est généralement un moment opportun au cours duquel des changements importants peuvent être adoptés. En tout cas, le fait de placer votre plaidoyer dans le contexte, de démontrer l'opportunité du moment et de motiver votre public à agir, peut ajouter de la force et du dynamisme à votre argumentation. FAIRE PREUVE D'OBJECTIVITE L'un des obstacles auquel font face les orateurs est la méfiance des juges vis-à-vis de leurs motifs et, par conséquent, de leurs arguments. Les juges sont
formés
pour
être
des
consommateurs
hypercritiques
de
l'argumentation, et sont ainsi naturellement sceptiques vis-à-vis de tout argument avancé par un orateur en raison de la nature intrinsèquement partisane de l'exercice. Les juges supposent que les orateurs veulent gagner les tours et qu'ils présentent donc les informations (si elles ne sont pas inexactes) de façon à favoriser cet objectif. Les orateurs gagnants surmontent cette méfiance innée en employant des tactiques qui minimisent la subjectivité inhérente de leurs arguments. L'une de ces tactiques connue familièrement comme la 208 Comment gagner un débat ?
position « Nature de... », vise à présenter des arguments fondateurs importants d'une manière qui semble objective et désintéressée. En présentant les informations comme étant « uniquement les faits » et en séparant l'argument fondateur de l'appel explicite en faveur de (ou contre) la motion, la position « Nature de » permet à la fois le développement complet d'un concept sans attirer un examen significatif et en camouflant l'importance de ce concept pour votre stratégie globale. Les arguments de la position « Nature de... » prennent généralement l'une des trois formes suivantes : 1. Principe. Ces arguments établissent un principe bien accepté, qui sert de point d'orientation pour l'évaluation. Ce principe peur ressortir d'un impératif moral généralement accepté (comme la « défense de la liberté » ou le « respect de la souveraineté ») ou d'arguments ou précédents analogues dans lesquels une décision a été rendue en faveur du type de position que vous préconisez. Un argument faisant valoir que nous ne devons pas employer le profilage racial dans la soidisant Guerre globale contre le terrorisme, pourrait commencer par un point intitulé « La nature de la protection égale devant la loi ». Ce principe, une fois expliqué et justifié, servirait de base pour le rejet d'une pratique policière discriminatoire. Les arguments suivants viseraient à démontrer les diverses violations du principe de protection égale devant la loi perpétrées par le profilage racial. L'efficacité de la tactique réside dans la présentation d'une argumentation solide au sein de ce qui semble être simplement des données d'information non sujettes à controverses : dans l'exemple du profilage racial, le premier point est simplement une présentation objective d'un principe juridique pertinent à la décision en cours d'examen. Une fois que vous avez établi que la protection égale devant la loi est un concept important et pertinent (ce qui, objectivement parlant, l'est), la présentation des charges a déjà été faite. La prochaine étape, la mise en rapport du profilage racial à ce principe, est une tâche relativement aisée. Tactiques avancées 209
2. Causalité. Les arguments de causalité mettent en lumière les relations sous-jacentes entre les éléments essentiels du débat. Établir les liens de causalité entre les phénomènes est une tâche difficile dans n'importe quel contexte. Lors d'un débat, avec des adversaires prêts à réfuter tous vos arguments, il s'agit d'un défi extraordinaire. La présentation de l'analyse causale nécessaire d'un argument particulier en tant que position « Nature de… », peut vous aider à isoler vos arguments d'un examen approfondi. Prenons la motion « Cette chambre interdirait les médias violents ». Tout argument plaidant une telle restriction doit prouver que la violence dans les médias entraîne la violence dans le monde réel. Plutôt que d'essayer de mettre en rapport la consommation de médias violents directement à un comportement violent, vous pouvez ouvrir votre argumentation par un point intitulé « La nature de l'influence des médias ». Vous y décrirez les liens de causalité entre le comportement observé dans les médias et les comportements correspondants réels : le succès de la publicité, par exemple, prouve que les médias sont capables d'influencer le comportement. Cet élément de preuve et d'autres éléments qui soulignent l'influence des médias en général, sont un moyen plus objectif, et donc plus crédible, de présenter le lien entre les médias et les comportements. Comme dans l'exemple précédent, les arguments suivants viseraient à répondre aux conséquences de la violence dans les médias, mais les arguments sur la causalité, l’élément le plus attaquable de l'argumentation, ont déjà été posés. 3. Analytique. Les positions analytiques du type « La nature de.. » soulignent les caractéristiques et les attributs d'un élément essentiel du débat dans un effort de le présenter sous une certaine lumière. Comme indiqué au chapitre 2, ceci porte non seulement sur la relation entre les choses et la valeur des choses mais également sur la description même des choses sur lesquelles nous débattons. 210
Comment gagner un débat ?
En général, les positions analytiques de « La nature de..... » montrent que la description de la chose dont nous débattons est intimement liée à notre évaluation de cette dernière. Rappelez-vous que la plupart des débats portent en fin de compte sur l'évaluation d'un sujet, que ce soit une politique ou un plan d'action. La description d'un tel sujet, en particulier d'une manière qui ne semble pas une tentative de porter un jugement sur sa qualité (bon ou mauvais), peut s'avérer être une tactique efficace pour prédisposer votre public en faveur de votre évaluation. A titre d'exemple, imaginez qu'il vous est demandé de prouver que l'ONU ne devrait pas intervenir dans la région du Darfour au Soudan. Votre argumentation contre l'intervention des Nations Unies au Soudan pourrait commencer par une analyse de « la nature de l'intervention militaire de l'ONU ». Ce point pourrait établir les obstacles extraordinaires rencontrés par le Conseil de sécurité pour autoriser une intervention militaire, le manque habituel de volonté politique d'intervenir militairement manifesté par les États membres de l'ONU, et l'historique des échecs de l'intervention de l'ONU. En présentant la position comme une description générale et historique de l'intervention de l'ONU, l'objectif ultime des arguments, c'est-à-dire prouver que l'intervention de l'ONU au Soudan n'est pas souhaitable, est masqué. Dans les points suivants de votre argumentation, vous montrerez comment une intervention au Soudan serait soumise aux mêmes obstacles, politiques, et échecs probables que les efforts antérieurs, ce qui permettra de justifier plus facilement la non intervention de l'ONU. Les tactiques offensives vous permettent de présenter vos arguments constructifs d'une manière plus susceptible de servir votre stratégie de contrôle pendant le tour. Cependant les tactiques offensives sont insuffisantes à elles seules. Outre avancer vos propres arguments pendant un débat, vous devez gérer les arguments présentés par les autres parties au cours de ce dernier. Tactiques avancées 211
Tactique défensive Appeler les trois prochaines tactiques « défensives » c'est risquer de donner une fausse impression de leur utilité. En les qualifiant de défensives, je ne les considère pas pour autant des tactiques de seconde ligne à utiliser lorsque les tactiques offensives ne sont pas disponibles. Il ne s'agit pas non plus de tactiques sur lesquelles vous ruer en cas d'urgence, lorsque vous êtes placé(e) « sur la défensive » par vos adversaires. Cette expression indique qu'elles sont plus utiles lorsqu'il s'agit de gérer vos interactions avec les arguments de vos adversaires. Dans les tours contre de bonnes équipes, vous devez gérer les efforts offensifs de vos adversaires. Ces trois tactiques offrent des options pour la gestion de votre stratégie en rapport à l'offensive de vos adversaires. EQUILIBRER LES INTERETS Les gouvernements existent, entre autres, pour gérer les conflits qui éclatent au sein des administrés. Lorsque votre vision de ce que notre avenir collectif doit être est différente de la mienne, le processus de gouvernance est le moyen de concilier nos points de vue divergents. Dans ces gouvernements, le processus législatif (du moins tel qu'il est conçu pour fonctionner dans les gouvernements démocratiques libéraux) emploie les outils de la persuasion, du compromis et de la collaboration pour parvenir à une décision qui vise à satisfaire les désirs contradictoires des différentes parties concernées. L'élaboration efficace des politiques repose sur l'hypothèse que ce processus permet aux parties de parvenir à un état naturel d'équilibre entre leurs revendications concurrentes.
212
Comment gagner un débat ?
L'élaboration des politiques exige la prise en compte des parties concurrentes et de leurs intérêts : si une circonscription préconise un plus grand accès du gouvernement aux informations privées des citoyens afin que les organismes chargés de l'application du droit puissent identifier et appréhender les personnes qui ont l'intention d'agir contre un pays, une autre circonscription pourra probablement faire valoir qu'une telle proposition violerait la vie privée des citoyens que le gouvernement vise à protéger. Les deux parties ont une préoccupation légitime. Dans ce cas, la proposition arrivée via le processus législatif, conciliera probablement les préoccupations des deux parties en assurant la sécurité de la plupart des citoyens tout en préservant un niveau de confidentialité maximale. Cette solution est le produit de la persuasion (convaincre l'autre partie de la vertu de votre position), du compromis (faire des concessions pour obtenir des avantages) et de la collaboration (volonté de travailler avec l'autre partie pour atteindre vos objectifs). Malheureusement, le débat n'est pas une activité qui encourage la coopération et le compromis dans la poursuite de la meilleure politique possible. Dans un débat, les juges jouent le rôle de l'autorité politique de décision (ils décident quelle position prévaudra) tandis que les adversaires représentent les parties et les positions intervenant dans le débat. Pour la plupart des orateurs, la représentation vigoureuse de ces positions est synonyme d'un débat polarisé visant à défendre votre point de vue tout en sapant les positions de vos adversaires. Les juges ne sont pas autorisés à voter pour une partie de la proposition d'un orateur et pour une partie de celle de l'autre intervenant, même si une telle approche serait susceptible de créer la meilleure politique publique. Cette contradiction entre l'élaboration de politiques pragmatiques et le débat sur les politiques met les juges dans une position difficile. Dans de nombreux débats il arrive que les juges soient convaincus que les deux parties ont des arguments convaincants. Lors d'un tour sur le développement des ressources en combustibles fossiles, par exemple, un Tactiques avancées 213
juge peut être convaincu que le développement de nouvelles ressources de combustibles fossiles est à la fois nécessaire pour répondre à la demande
d'énergie
et
susceptible
d'apporter
des
avantages
économiques significatifs pour l'État qui possède ces ressources. Simultanément, le même juge peut être convaincu que le développement de ces ressources aura un impact irréversible sur l'environnement, à la fois à travers le processus d'extraction du pétrole, du charbon ou du gaz naturel et en raison du carbone libéré dans l'atmosphère lors de sa combustion. Si les deux positions sont vraies, quelle est celle que les juges doivent choisir ? Les orateurs gagnants peuvent utiliser des tactiques et des outils reposant sur le pragmatisme politique tout en s'appuyant sur le penchant naturel des juges à trouver du vrai dans les arguments des deux parties. Pour l'emporter dans un débat où les juges peuvent être enclins à souligner la légitimité des positions des deux parties, vous devez convaincre les juges que votre position est celle qui inclut le mieux les divers intérêts (légitimes) de toutes les parties impliquées dans la controverse. Pour ce faire, vous devez développer une position en trois étapes : 1. Identifier les parties prenantes et leurs intérêts. Les intervenants sont ceux qui seront touchés par la décision politique en cours d'examen. Les intervenants sont généralement des groupes, des organisations ou des institutions qui sont unis par leurs intérêts. Les intérêts, en synthèse, sont le souhait des parties prenantes : l'adhésion aux principes, la préservation des valeurs et les résultats spécifiques et tangibles définissent habituellement les intérêts d'une des parties prenantes. Pour convaincre les juges que votre position pondère le mieux les intérêts divergents des parties prenantes impliquées dans la controverse, vous devez d'abord préciser explicitement leur identité et leurs objectifs respectifs. Prenons par exemple un débat sur la motion « Cette chambre interdirait la publicité de boissons alcoolisées ». Dans cette 214
Comment gagner un débat ?
controverse, les parties prenantes sont plus ou moins regroupées en deux groupes : ceux qui proposent l'interdiction de la publicité de boissons alcoolisées et ceux qui s'opposent à une telle mesure. Les deux parties prenantes ont des intérêts qui motivent leur participation dans le conflit : le groupe en faveur de l'interdiction est généralement constitué de parents, de défenseurs des consommateurs, de médecins, de travailleurs sociaux et autres, qui veulent minimiser l'impact nocif de l'alcool sur les individus et la société. Ceux qui s'opposent à l'interdiction, tels que les producteurs d'alcool, les distributeurs et les détaillants, veulent préserver leur droit de vendre leur produit légalement. Dans la première étape de pondération des arguments, vous devez identifier et analyser les parties prenantes et leurs intérêts pour que les juges puissent apprécier la légitimité de leurs intérêts et choisir ainsi la position qui concilie le mieux les positions des deux parties. L'identification des parties prenantes et de leurs intérêts dans la controverse, prépare le terrain pour que vous puissiez convaincre les juges que votre position pondère le mieux les intérêts des différentes parties. 2. Décrire comment le plaidoyer de la partie adverse entraîne un déséquilibre. Après avoir exposé les intérêts de chaque partie prenante, la prochaine étape consiste à expliquer comment la position des adversaires entraîne un état de déséquilibre entre les parties prenantes. Identifier clairement la position de vos adversaires et démontrer comment celleci ferait pencher la balance en faveur de l'un des intervenants, tout en ignorant les intérêts des autres parties prenantes, montre aux juges que vos adversaires ne prennent pas suffisamment en compte les demandes légitimes des parties adverses. Supposons
que
vous
devez
défendre
la
motion
sur
l'« interdiction des publicités de boissons alcoolisées ». La position par défaut de l'opposition est le statu quo : actuellement la Tactiques avancées 215
publicité des produits alcoolisés est légale ; ceux qui s'opposent à une interdiction de la publicité sur les produits alcoolisés préfèrent que la publicité reste légale. La position de l'opposition privilégie les intérêts de ceux qui s'opposent à réglementer la vente d'alcool par rapport à ceux ayant un intérêt légitime d'atténuation des impacts de la consommation d'alcool (et l'abus de consommation d'alcool) sur la société. Autrement dit, le maintien du statu quo satisfait les souhaits de ceux qui profitent de la vente d'alcool (commercialiser et vendre leur produit), mais ceux qui s'inquiètent de l'impact de ce dernier n'obtiennent aucun résultat (lutter contre l'impact de l'alcool). Démontrer que la position de votre adversaire ne prend pas en compte les intérêts d'une partie légitime de la controverse est relativement facile. La tactique d'équilibrage nécessite, cependant, que ce faisant vous fassiez attention à ne pas laisser entendre que les intérêts de l'autre partie prenante (à savoir, ceux qui sont représentés par vos adversaires) ne sont pas légitimes. Rappelezvous que la stratégie repose sur un équilibre entre les intérêts concurrents dans le conflit ; reconnaître la légitimité de ces intérêts est une condition préalable à leur équilibre. Votre approche ne consistera pas à prouver que l'alcool est néfaste et un fléau pour tous ceux qui l'utilisent, mais que le statu quo qui permet à l'industrie de l'alcool de créer une demande, parfois excessive ou inappropriée pour ce produit, ne prend pas en compte les revendications valides de ceux qui veulent réduire l'impact de l'alcool. En reconnaissant la légitimité des intérêts de toutes les parties concernées et en démontrant comment la position de vos adversaires crée un déséquilibre entre ces intérêts, vous préparez le terrain pour l'étape finale du processus. 2. Expliquer comment votre argument crée un meilleur équilibre entre les parties prenantes. En maintenant l'attention sur la reconnaissance de la légitimité des arguments de chaque partie 216
Comment gagner un débat ?
intéressée, il est temps maintenant d'expliquer aux juges pourquoi votre position permet de mieux équilibrer les intérêts des parties prenantes. Dans notre exemple (dans lequel vous plaidez pour une interdiction de la publicité sur les boissons alcoolisées), vous indiquerez que l'interdiction de la publicité sur les produits alcoolisés répond aux intérêts de ceux qui entendent minimiser l'impact de l'alcool sur la société tout en permettant au secteur concerné de continuer à tirer profit de la vente de ses produits. Ce faisant, la position représente un compromis fonctionnel entre les intérêts des deux parties en lice : le groupe en faveur de l'interdiction préfèrerait probablement que toute vente d’alcool soit interdite ; le groupe contraire à cette mesure serait favorable au statu quo. Ce compromis, tout en ne remplissant pas l'ensemble des intérêts des parties prenantes, est souhaitable, car il concilie ces intérêts tout en reconnaissant la légitimité des deux. Bien que dans cet exemple la tactique est employée par une équipe de la proposition, elle est tout aussi efficace (voire même plus) pour une équipe de l'opposition. Lorsque vous êtes dans l'équipe de l'opposition, généralement, la position que vous préconiserez sera soit le statu quo soit une contreproposition, un changement de politique qui est différent et exclusif de la proposition faite par l'autre équipe. Dans tous les cas, votre proposition doit être une mesure qui équilibre plus uniformément les intérêts de toutes les parties prenantes. La force de cette stratégie consiste à créer un espace pour les arguments de vos adversaires tout en donnant aux juges des raisons de préférer votre plaidoyer. Étant donné que dans la plupart des tours des orateurs qualifiés présentent des arguments convaincants, il est peu probable que les juges soient enthousiasmés par un rejet pur et simple de ces arguments. Cette option permet à une équipe de reconnaître l'autorité des arguments de ses adversaires (ou tout au moins leurs intérêts) tout en
Tactiques avancées 217
présentant une alternative qui préserve mieux les différentes priorités légitimes de toutes les parties concernées. ANALYSE DES OBJECTIFS Débattre est au final synonyme de prise de décision. Parmi les éléments du processus de prise de décision analysés dans le chapitre 6, le plus significatif est probablement l'objectif. Les objectifs que nous visons définissent les décisions que nous prenons Bien sûr, comme vous l'avez observé, les objectifs en jeu dans toute prise de décision sont rarement clairs. Nous avons tendance à agir sur une variété de motifs, certains étant plus explicites que d'autres. Le débat repose sur ces mêmes principes. La plupart des équipes construisent leur défense selon une liste de « bonnes raisons » de préférer la position qu'ils représentent. Cette approche est souvent couronnée de succès simplement parce que, face au grand nombre d'arguments différents pour une position, les juges sont susceptibles de trouver quelque chose qu'ils aiment. Il existe une autre tactique efficace très simple pour faire face aux arguments de vos adversaires : il s'agit, dans un premier temps, de rendre explicite ce que vos adversaires cherchent à atteindre. Une fois cet objectif (ou ces objectifs) identifié, vous êtes mieux équipés pour gérer les arguments de vos adversaires et votre propre stratégie.
Discerner les objectifs Les objectifs revêtent deux formes : les objectifs primaires et accessoires. Les objectifs primaires représentent la principale raison d'adopter une proposition ; généralement, les objectifs primaires ont trait à la résolution de certains problèmes. Les objectifs principaux sont généralement faciles à identifier, que l'équipe ait ou non rendu explicite leur objectif. Dans de nombreux cas, cependant, les équipes peuvent présenter une série d'objectifs qu'elles cherchent à accomplir ; ils vont généralement au-delà des problèmes les plus évidents qui seraient 218
Comment gagner un débat ?
résolus par l'adoption de la politique. Par exemple, lorsqu'il s'agit d'établir une argumentation en faveur de l'ouverture de davantage de terres fédérales pour l'exploration pétrolière, les orateurs s'appuient généralement sur des arguments tels que la satisfaction des besoins actuels en énergie, la réduction de la dépendance des sources étrangères de pétrole, le développement économique et des emplois et d'autres raisons encore. Dans ce cas, chacune de ces raisons est un objectif accessoire à l'objectif primaire de découvrir davantage de ressources énergétiques. La tactique d'analyse des objectifs est plus efficace lorsque vous pouvez articuler un objectif primaire et traiter les autres objectifs comme accessoires. Identifier le ou les objectifs primaires de vos adversaires peut être aussi simple que de les écouter. Certaines équipes présentent clairement leur objectif (qu'elles espèrent atteindre avec leur proposition) dans leur cadrage potentiel. Si, par exemple, une équipe proposant l'interdiction des ventes de cigarettes commençait son argumentation en disant : « Nous présentons ce plan dans le but de lutter contre le tabagisme, à la fois des fumeurs existants et potentiels », son objectif principal est évident. Dans d'autres cas, cependant, l'objectif primaire est moins clair, l'équipe n'ayant pas réussi à le faire ou ayant plusieurs objectifs. Si tel est le cas, vous devez identifier et clarifier leur objectif primaire. Il ne s'agit pas de dénaturer leur objectif, bien au contraire. L'identification d'un objectif primaire, soit à partir d'une variété d'objectifs soit à partir d'une argumentation peu claire, exige que vous cherchiez un niveau approprié d'abstraction de leur objectif qui englobera les différentes visées. En utilisant l'exemple ci-dessus, vous pouvez aborder une motion sur l'ouverture des terres fédérales à l'exploration pétrolière en identifiant comme principal objectif « accroître les ressources énergétiques », expression d'un objectif primaire qui comprend les objectifs accessoires de satisfaction des besoins énergétiques, de diminution de la dépendance des sources étrangères et de croissance économique fondée sur le développement des ressources en question. Tactiques avancées 219
Contrer des arguments avec l'analyse des objectifs Une fois que vous avez identifié l'objectif primaire, vous pouvez l'utiliser pour démontrer que la proposition de vos adversaires n'est pas souhaitable. En règle générale, vous pouvez utiliser cinq approches, pouvant être employées seules ou conjointement, pour prouver ce point : 1. Atténuation. L'atténuation vise à démontrer que la proposition n'atteindra pas totalement ou de manière significative l'objectif. Les tactiques d'atténuation cherchent à mettre en doute les revendications sur l'effet de la proposition. Dans la plupart des cas, l'atténuation démontre au mieux que la proposition n'aura pas un effet aussi important que l'annoncent les adversaires. Prenez, par exemple, une motion préconisant de rendre la production, la vente et la consommation de tabac illégales. L'objectif primaire de la proposition est de lutter contre le tabagisme. Afin d'atténuer l'idée de la proposition selon laquelle cette politique diminuera le tabagisme, ceux qui s'opposent à cette mesure souligneront que le tabac est ancré dans notre culture, beaucoup plus que d'autres substances interdites. On pourrait soutenir que dans le cas des autres substances interdites, ceux qui sont déterminés à les consommer ont toujours trouvé des fournisseurs de ces substances : en témoigne l'échec de la soi-disant guerre contre la drogue aux États-Unis. Au mieux, l'orateur pourrait faire valoir que la proposition se traduirait par une baisse minime du nombre de personnes consommant du tabac. En soi, l'atténuation est rarement une stratégie efficace. Comme indiqué ci-dessus, en général le résultat le plus courant des mesures d'atténuation est que l'importance de l'effet est diminuée. Par exemple, après vos efforts d'atténuation, la proposition pourrait ajuster sa position et faire valoir que certains fumeurs seront dissuadés. De toute évidence, certains arguments restant intacts, les juges ont toujours raison de privilégier la proposition. L'atténuation est plus efficace lorsqu'elle est présentée de concert avec l'une des autres approches. 220
Comment gagner un débat ?
2.
Contravention. Le fait de considérer qu'une proposition n'est peutêtre pas aussi efficace que vos opposants le font valoir (atténuation), n'est pas aussi efficace que faire valoir que la proposition de vos adversaires s'écarte de leur objectif. La contravention vise à démontrer que non seulement les mesures préconisées n'améliorent pas les choses mais qu'en fait la proposition les aggrave. Dans l'exemple ci-dessus sur l'exploration pétrolière, la proposition d'ouvrir les terres fédérales à l'exploitation pétrolière visait à atteindre l'objectif de développer les ressources énergétiques. Si l'équipe de l'opposition opte pour faire valoir qu'une telle politique contrevient effectivement au but visé, elle peut mettre en évidence que le développement des nouvelles ressources pétrolières ne fait que retarder la recherche et le développement de sources alternatives d'énergies renouvelables faisant ainsi diminuer le total de nos ressources énergétiques disponibles. L'opposition affirmerait que bien qu'il puisse sembler à court terme que nous disposons davantage d'énergie en raison du forage de nouveaux puits, en réalité, nous ne faisons que retarder la crise qui pourrait être la source de production de nouvelles formes d'énergie, contrevenant ainsi à l'objectif de la Proposition.
3.
Conséquences. Toutes les propositions ont des effets. Les partisans de ces propositions font valoir que ces effets atteignent les objectifs qu'ils poursuivent. Les opposants peuvent gagner du terrain en faisant valoir que, indépendamment de savoir si l'objectif principal poursuivi par leurs adversaires est atteint, les conséquences de l'adoption de la politique proposée la rendent indésirable.
Tactiques avancées 221
Les conséquences sont des arguments que vous construisez autour des effets néfastes suivant l'adoption de la proposition. Dans l'exemple sur l'exploitation du pétrole, une équipe de l'opposition pourrait
présenter
une
analyse
approfondie
des
impacts
environnementaux de l'extraction du pétrole dans les zones de nature sauvage, ainsi que les impacts environnementaux de la combustion des combustibles fossiles. Si elles étaient présentées de manière convaincante, ces conséquences calamiteuses pourraient créer d'importantes réserves dans l'esprit des juges. 4.
Proposition alternative. Une fois que vous avez démontré l'absence de bénéfices de la proposition de vos adversaires, offrir une proposition alternative permettant de mieux atteindre leur objectif est une stratégie opportune. Pour proposer une alternative, vous devez d'abord montrer que la proposition de vos adversaires n'est pas souhaitable, soit parce qu'elle n'atteindra pas l'objectif soit en raison des conséquences de l'adoption de la proposition. Dans chacun des cas (ou dans les deux), vous créez le désir d'une alternative dans l'esprit de vos juges. Les propositions alternatives sont plus efficaces quand elles créent un choix pour les juges : en d'autres termes les juges doivent opter pour l'une ou l'autre des deux propositions. Il s'agit ainsi de choisir une proposition alternative qui est mutuellement exclusive de la proposition de vos adversaires. L'importance de cet élément peut être démontrée par l'examen d'une proposition alternative qui n'est pas exclusive de la proposition d'un adversaire. Si, dans l'exemple sur l'exploitation du pétrole, vous avez proposé que, plutôt que de forer davantage de puits de pétrole, il serait nécessaire de subventionner le développement d'énergies alternatives, vous n'auriez pas créé la nécessité de choisir aux juges. Autrement dit, comment faire pour empêcher les partisans
222
Comment gagner un débat ?
du développement des ressources pétrolières d'encourager les juges à favoriser les deux types d'énergie ? Si vos adversaires soutiennent que nous devrions développer les ressources de combustibles fossiles comme une mesure palliative tout en développant des solutions alternatives, vos juges peuvent être convaincus qu'il est possible de favoriser la production de ces deux types d'énergie et, par conséquent, voter pour la proposition de forage (puisque la question présentée à la chambre porte spécifiquement sur le développement des ressources pétrolières). De toute évidence, une alternative qui est mutuellement exclusive de la proposition de vos adversaires sera plus efficace. 5.
Objectif alternatif. Enfin, vous avez la possibilité de faire valoir que l'objectif de vos adversaires est inapproprié (ou du moins ne devrait pas être l'objectif primaire). A mon avis, cette approche est l'utilisation la moins efficace de l'analyse des objectifs. Rien n'est plus convaincant que de concéder la valeur de l'objectif de vos adversaires et de démontrer ensuite qu'ils ne peuvent pas l'atteindre. Si, toutefois, vous ne pouvez pas mettre en rapport votre déconstruction de leur position à l'objectif qu'ils visent, la meilleure option disponible peut être de plaider pour un autre objectif. Notez que cette approche est pratiquement identique aux outils disponibles lorsque l'on compare votre hiérarchie des objectifs à la celle de vos adversaires (voir le chapitre 6. Cette approche est plus efficace lorsque vous choisissez un objectif qui est plus important que celui de vos adversaires. Dans notre exemple sur le développement pétrolier, un objectif alternatif pourrait être la protection et la réparation de l'environnement. On pourrait faire valoir que cet objectif l'emporte sur les préoccupations au sujet de la disponibilité de l'énergie car l'environnement est le fondement de notre existence. Si nous ne disposons pas d'un environnement sain nos préoccupations en matière de disponibilité d'énergie semblent triviales. Tactiques avancées 223
La raison pour laquelle la tactique d'analyse des objectifs est si efficace est qu'elle suit étroitement le cours naturel du processus de prise de décision dont nous avons parlé plus tôt dans ce document. En élaborant une stratégie qui a pour cœur l'examen du but recherché et ayant le potentiel de satisfaire l'objectif de la proposition, vous rendez explicites les éléments et le processus de prise de décision que les juges suivent naturellement. Une analyse claire de ces éléments vous permet d'avoir plus de contrôle sur ce processus.
Collusion implicite Je cherche des ennuis en nommant cette tactique défensive de cette manière, mais permettez-moi de m'expliquer. La collusion, c'està-dire la collusion explicite entre les équipes dans un débat, est immorale et doit être évitée. Par collusion explicite j'entends ces comportements qui se caractérisent par la coopération entre deux ou plusieurs équipes, qui plutôt que de rivaliser, se mettent d'accord pour obtenir un avantage mutuel. Une préparation conjointe avant le tour, la communication de positions pour disposer de davantage de temps pour concevoir les réponses, accepter une fausse représentation des informations factuelles, et autres comportements, sont tous des exemples de collusion contraires aux principes éthiques du débat. Cela dit, la présence de quatre équipes dans un débat parlementaire britannique et la structure de récompense des classements ordinaux pour les équipes individuelles, présentent des opportunités tactiques qui vous permettent de mieux contrôler la perception des juges du tour. C'est ce que j'appelle la tactique de collusion implicite car l'acte de « collusion » est unilatéral et donc, par définition, n'est pas un acte de collusion. Cependant, cette tactique permet d'obtenir des résultats qui sont similaires à ceux qui pourraient être atteints si les équipes se livraient à un comportement de collusion explicite. En tant que telle, il s'agit d'une tactique solide qui n'engendre pas les conséquences éthiques de la tromperie. 224
Comment gagner un débat ?
En bref, la collusion implicite est un choix stratégique de soutenir les arguments d'une autre équipe intervenant dans le tour tout en minimisant les efforts déployés par les équipes restantes. Comme indiqué ci-dessus, à la différence du débat binaire, dans le débat PB les juges classent les équipes du tour de la meilleure à la plus mauvaise ; dans un tournoi (et en termes des résultats qui sont généralement nécessaires pour avancer vers les tours éliminatoires), les première et deuxième places constituent une « victoire » tandis que les troisième et quatrième places constituent une « défaite ». Cette structure de récompense représente une opportunité unique : si vous pouvez vous associer avec une équipe en particulier et rendre ainsi vos interactions avec cette dernière l'objectif principal de l'attention des juges, tout en diminuant les contributions des autres équipes dans le tour, vous avez une chance plus importante d'être classé parmi les deux premiers du tour. La collusion implicite implique deux étapes : identifier la corrélation stratégique entre votre équipe et une autre équipe du tour, puis souligner la corrélation. 1. Identifier la corrélation stratégique. Identifier l'équipe avec laquelle vous avez les meilleures chances de développer une corrélation stratégique est plus un art qu'une science exacte. Pour orienter l'attention des juges vers les arguments les plus importants du tour, vous devez d'abord être en mesure de les reconnaître. Deux types d'alliances sont possibles : des alliances avec des équipes « voisines » et des alliances avec des équipes situées dans les « allées latérales ». Les coalitions avec les équipes voisines (partageant le même banc) (c.-à-d. une équipe du même côté de la motion) sont les corrélations stratégiques par défaut du débat PB. Comme le format PB suit le modèle de la fonction législative des gouvernements de coalition que l'on trouve dans les démocraties ayant des systèmes de représentation proportionnelle, les équipes d'ouverture et de clôture doivent poursuivre la même orientation stratégique générale, à savoir, soutenir la partie de la motion qui leur a été Tactiques avancées 225
assignée. Cela dit, il existe une différence entre éviter des choix stratégiques qui contredisent vos compagnons de banc et faire des choix stratégiques pour élever propre stratégie au plus haut du tour. Principalement, cette différence est déterminée par les équipes de clôture : si une équipe de clôture considère que ses chances de succès passent par le rapprochement avec l'équipe d'ouverture, elle doit faire tout son possible pour mettre l'accent sur l'importance des arguments de l'équipe en question. Faire l'éloge des arguments, intégrer les positions de l'équipe d'ouverture dans leur propre stratégie, faire ressortir les arguments de l'équipe d'ouverture dans les résumés, le cadrage et d'autres stratégies, indiquent clairement aux juges que leur attention doit porter principalement sur la corrélation stratégique entre les deux équipes de proposition ou les deux équipes d'opposition. Mais les corrélations stratégiques doivent également être établies avec des équipes des « allées latérales ». Une équipe de la proposition de clôture peut opter de se concentrer sur les arguments de l'équipe de l'opposition d'ouverture plutôt que de souligner la coopération entre les équipes de proposition. De même, une équipe de l'opposition de clôture peut considérer que les arguments les plus importants de la proposition proviennent de la proposition d'ouverture et opter, par conséquent, de limiter l'accent mis sur les contributions de l’équipe de la proposition de clôture (l'équipe à laquelle elle s'oppose généralement) et de les placer dans la stratégie de la proposition d'ouverture. Une autre version de la corrélation avec une équipe d'en face, peut être développée entre les équipes « moitié supérieure » ou « moitié inférieure ». Afin de mettre l'accent sur les quatre premiers discours ou les quatre derniers discours du débat, la collusion implicite peut se développer entre les équipes de la proposition de clôture et de l'opposition de clôture ou entre les équipes de la proposition d'ouverture et les équipes de l'opposition d'ouverture.52 226
Comment gagner un débat ?
2. Mise en œuvre de la corrélation. Reconnaître le potentiel d'une corrélation stratégique avec une autre équipe ne garantit pas que les juges apprécieront la corrélation. Le développement de la corrélation est essentiel pour inviter l'équipe avec laquelle vous recherchez une corrélation à participer à la collusion implicite. Trois approches, engagement, confédération et « freezeout », utilisées seules ou conjointement, vous aideront à mettre en œuvre la corrélation à votre avantage. L'Engagement consiste
à
concentrer
vos
efforts
de
déconstruction sur les arguments d'une équipe en particulier. Utile uniquement dans les cas de collusion implicite avec les équipes d'en face ; l'engagement des arguments d'une équipe particulière rend ces derniers plus importants pour l'évaluation des juges. L'ironie du sort est que concentrer un effort de déconstruction sur un argument particulier a souvent pour effet d'augmenter la faveur des juges vis-à-vis de cet argument. En avançant un argument particulier, vous laissez entendre qu'il s'agit d'une position importante et potentiellement menaçante. Les arguments ignorés sont (généralement) ceux qui tombent rapidement sous les yeux des juges. La confédération vise à une relation mutuellement bénéfique avec une autre équipe. La confédération est un choix évident de collusion implicite avec les équipes de votre propre banc. Renforcer les arguments de l'équipe d'ouverture (ou de clôture) prouvant votre partie de la motion, est une partie inhérente du format, mais vous pouvez également développer une confédération avec les équipes d'en face. Comme indiqué précédemment, l'acte même de déconstruire les arguments d'une équipe en particulier est une forme de confédération, car il attire l'attention sur ces arguments. Des formes plus subtiles de renforcement telles qu'identifier explicitement les arguments d'un adversaire en particulier comme étant « critiques » à la décision des juges ou au « noyau de la question » sont des Tactiques avancées 227
exemples de la façon dont vous pouvez faire valoir les arguments de votre adversaire. Bien entendu, l'objectif de la confédération n'est pas de louer les arguments de l'adversaire au point que les juges soient convaincus de leur supériorité par rapport aux vôtres ; même les exemples les plus extrêmes de confédération avec l'équipe d'en face, sont édictés par des équipes qui veulent être au premier plan du tour. Au contraire, il s'agit de trouver un équilibre dans lequel votre respect des arguments de l'adversaire démontre que, plus que les autres équipes du tour, vous reconnaissez les points de stase les plus critiques dans le débat. Le « Freezeout » est une partie controversée mais nécessaire de la stratégie de collusion implicite. Une meilleure désignation de cette orientation pourrait être « la marginalisation constructive » dans laquelle les contributions de certaines équipes sont minimisées alors que l'affiliation entre d'autres est soulignée. L'aspect controversé de cette stratégie est qu'en « congelant » certaines équipes, notamment quand cela est réalisé par de multiples équipes, la performance de l'équipe (ou des équipes) « congelée » est issue des autres équipes. Empêcher l'examen de leur contribution au tour leur refuse la possibilité de prouver leur valeur. Cela dit, d'après moi les efforts de marginalisation des contributions des équipes « congelées » ne diffèrent pas de l'effort (parfaitement bien accepté) de cadrer le débat de telle sorte que les juges attribuent moins de crédibilité à leur contribution. Quelques-unes des façons dont les équipes peuvent être congelées lors d'un tour comprennent : ignorer directement leurs arguments, reformuler leurs contributions en termes simplistes ou humoristiques, refuser de reconnaître les orateurs pour les éléments d'information, examiner superficiellement leurs arguments (si vous optez de ne pas ignorer tout simplement les arguments en question) au sein de votre organisation, et ainsi de suite. 228
Comment gagner un débat ?
Enfin, tout effort visant à agir de concert avec certaines équipes tout en en marginalisant d'autres doit être entrepris avec prudence. Les chances flagrantes de réellement exclure d'autres équipes d'un tour sont rares et surviennent généralement dans des circonstances extrêmes, comme lorsqu'une équipe offre une position qui est si exceptionnellement peu intuitive ou offensive qu'elle mérite une analyse très limitée. Dans de nombreux cas de collusion implicite, le jury a interprété ce manque d'attention à certains arguments comme un échec des équipes concernées à saisir leur importance. De même, la collusion étant implicite, vous devez surveiller constamment la volonté de l'équipe cible de participer à cette tactique avec vous. Bien que sa coopération ne soit pas absolument nécessaire, le fonctionnement de cette stratégie est meilleur lorsque vous êtes en mesure de l'inciter à renforcer l'orientation sur une question du tour (entre votre équipe et l'autre équipe participant à la tactique). En cas de doute, avancez les arguments de toutes les équipes participant au tour. En fin de compte, ces six tactiques visent à renforcer votre stratégie de contrôle. Qu'elles soient offensives ou défensives, ces tactiques reposent sur le principe que les arguments avancés pendant le tour, les vôtres et ceux de vos adversaires, sont potentiellement sous votre contrôle. Avec ingéniosité, innovation et créativité, ces tactiques et d'autres vous aideront à gagner davantage de débats.
Tactiques avancées 229
230
Comment gagner un débat ?
C
H A P I T R E
9
Arbitrer un débat Qui est concerné par ce chapitre ? Trop souvent ce type de chapitre est rédigé en faisant l'hypothèse que les juges ne le consulteront pas. Peut-être est-ce parce que les orateurs négligent souvent l'importance des juges dans un débat. Ne vous méprenez pas, je ne crois pas qu'il existe un orateur n'ayant pas conscience que les juges décident en fin de compte qui sera le vainqueur d'un tour. S'ils le comprennent, cela ne semble pas cependant se traduire par une volonté de saisir comment le juge prend cette décision sachant que cela peut augmenter de manière significative les chances que celle-ci se fasse en leur faveur. Autrement dit, ce chapitre est en réalité plus utile pour les orateurs que pour les juges. Un examen attentif de la façon dont les juges prennent des décisions vous permettra d'élaborer des stratégies en fonction de la manière dont ils pensent. Enfin, ceux qui recherchent des conseils sur l'administration pratique d'un cycle de débats (comment rappeler une chambre à l'ordre, comment présenter les orateurs, comment prendre des notes, etc.) ne trouveront pas de réponses à leurs interrogations dans ce chapitre. Concernant le débat en style Mondiaux, ces sujets ont été abordés ailleurs plus en détail.53 Ce chapitre entend recommander une approche générale d'appréciation des débats et présenter une méthode d'évaluation des argumentations concurrentes défendues au cours d'un débat.
Arbitrer un débat
231
Principes directeurs de l'arbitrage Trois principes devraient guider l'évaluation d'un débat de la part des juges : 1.
Un juge doit être tabula rasa (littéralement, « une ardoise vierge ») concernant son avis sur la proposition ;
2.
Un juge doit respecter le principe de non-intervention en ce qui concerne les efforts des orateurs ;
3.
Un juge est d'abord et avant tout un formateur chargé d'aider les autres à améliorer leurs compétences.
TABULA RASA La métaphore de la table rase (tabula rasa) est appropriée pour l'orientation du juge à l'égard des arguments avancés pendant le tour. Quelles que soient les préférences particulières pour la vérité ou l'inexactitude d'une motion, le juge doit, dans la mesure du possible, mettre de côté ses préférences et faire preuve d'impartialité. Les juges doivent éviter de se prononcer sur le tour en fonction de ce qu'ils croyaient avant ce tour plutôt qu'en fonction de ce qu'il s'y est passé. Cela dit, l'artifice de la tabula rasa, ne représente que cela : un artifice. La subjectivité est la caractéristique déterminante de l'expérience humaine ; elle ne peut tout simplement pas être mise de côté au moment de l'arbitrage d'un débat. Une orientation tabula rasa est un idéal vers lequel un juge doit se rapprocher mais ce dernier doit être toutefois conscient qu'il s'agit d'une utopie. NON-INTERVENTION Si le juge est conscient de la nécessité de mettre de côté ses prédispositions avant le tour, il doit également s'engager à éviter d'intervenir dans les efforts des équipes pendant le tour. Plus précisément, la non-
232
Comment gagner un débat ?
intervention signifie une chose simple : les juges doivent laisser les orateurs plaider. En pratique, cela implique que les juges résistent à deux tentations. Premièrement, ils doivent éviter de faire le travail des orateurs. Ils ne doivent pas compléter les arguments inachevés ou inadéquats, mettre en relation les argumentations sur des points opposés que l'orateur n'a pas relevés, ou concevoir une stratégie unifiant les arguments disparates d'un orateur qui n'est pas issue de l'intervention de l'orateur. Deuxièmement, et de loin le manquement le plus important, un juge ne doit jamais évaluer les efforts d'un orateur comme n'étant pas pertinents. Ignorer les efforts d'un orateur est contraire à la finalité même du débat. Le rôle du juge est d'évaluer les efforts déployés par les orateurs, et non pas de reconnaître sélectivement les efforts qu'il préfère. Cela ne veut pas dire que le juge doit attribuer une valeur égale à chaque argument avancé ; l'objectif même d'arbitrer un tour est d'évaluer la qualité des efforts des orateurs. Mais les juges doivent faire un effort conscient pour examiner tous les arguments présentés afin d’éviter de prendre parti pendant le tour. FORMATION Ce principe est peut-être le plus important pour que les juges aient le bon état d'esprit pendant le tour. L'exercice du débat est lié à l'enseignement universitaire pour une raison très importante : débattre est l'une des activités les plus stimulantes intellectuellement qu'un individu puisse entreprendre. Le développement des compétences de communication persuasive et de pensée critique améliorent le succès universitaire d'un étudiant. Il existe un nombre limité de pairs pour avoir l'occasion et la motivation d'améliorer ces compétences. Les juges doivent prendre au sérieux leurs responsabilités en matière de formation ; les décisions doivent célébrer l'énergie intellectuelle
Arbitrer un débat
233
significative que les orateurs ont dépensée et il est essentiel qu'ils fassent une critique constructive visant à aider les orateurs à améliorer leurs compétences.
Modèles d'arbitrage Pour commencer à réfléchir à vos responsabilités en tant que juge, vous pouvez examiner les différents modèles d'arbitrage existants. Ces modèles fournissent une orientation et une perspective générales servant à évaluer les efforts déployés par les orateurs pendant le tour. Bien qu'aucun de ces modèles ne soit suffisant pour répondre à la complexité de la prise de décision sur un débat, ils fournissent des points de départ utiles sur cette question. En général, il existe deux modèles moins pratiques et un qui est conseillé. MODELES MOINS PRATIQUES
Modèle de la « Vérité de la motion » Les juges qui agissent en vertu du modèle de la « Vérité de la motion » considèrent que leur rôle est d'évaluer la véracité de la motion. Ces juges considèrent la motion comme une déclaration ayant une valeur authentique (c'est à dire qu'elle peut être soit plus vraie soit plus fausse) ; la question clé qu'ils se posent au moment de prendre une décision est « A la fin du débat est-ce que je considère la motion comme vraie ou fausse ? ». Ce modèle reconnaît que le débat est au final un concours d'idées et que les arguments les plus convaincants doivent l'emporter. Cette approche est orientée sur le thème des arguments ; ce type de juge attribue la victoire à l'équipe dont les arguments ont le plus d'influence sur son appréciation de la vérité ou de l'inexactitude de la motion. Le risque de ce modèle, bien sûr, est que les préjugés inhérents du juge ne créent un terrain de jeu injuste. Ces préjugés, qu'ils soient explicitement ou implicitement reconnus dans l'évaluation que fait le juge du tour, 234
Comment gagner un débat ?
peuvent le prédisposer à croire que la motion est vraie (ou fausse) même avant le début du débat. La nature subjective de cette activité implique que le juge va probablement préférer une position de la motion à l'autre. Si le juge n'est pas en mesure de mettre ces préjugés de côté (et les juges sont incapables de le faire, voir l'analyse de l'orientation tabula rasa ci-dessus), il en résulte un avantage déloyal pour l'équipe de la proposition ou de l'opposition.
Modèle de la « Compétence des orateurs » Le modèle de la « Compétence des orateurs » est en contraste avec le précédent. Un juge qui utilise ce modèle est principalement concerné par la présentation des arguments d'une équipe et par sa stratégie. A la fin du tour, un juge qui recoure à ce modèle se pose la question suivante : « Quelle est l'équipe qui a fait le meilleur travail en matière de débat ? ». La modèle reposant sur les « compétences » se concentre sur la manière dont les orateurs ont défendu leurs arguments. Un avantage de ce dernier est que c'est la performance, un facteur que peuvent contrôler les orateurs, qui est ici prise en compte dans la décision. Les juges prenant des décisions sur la base de ce modèle prennent en compte des critères tels que la performance du rôle, la façon de s'exprimer, la clarté de la structure et les arguments avancés par les équipes adverses, pour déterminer qui a gagné le tour. Mais le modèle des « Compétences des orateurs » n'est pas sans risques. Le plus important est la possibilité qu'une équipe techniquement solide présente des arguments inexacts ou non pertinents et soit tout de même récompensée pour son intervention plutôt qu'en rapport à la qualité de ses arguments. En d'autres termes, l'équipe dont la présentation des arguments est la meilleure n'est pas forcement celle dont ces derniers sont les plus solides.
Arbitrer un débat
235
MODELE PREFERE : MODELE DU « MOUVEMENT » Le modèle du mouvement tente de combler les faiblesses des deux modèles précédents en combinant le meilleur de chacun. Il reconnaît que le juge doit se concentrer sur la vérité de la motion et la qualité des arguments qui visent à l'établir tout en soulignant que les efforts déployés par les orateurs, bien qu'ils puissent avoir un impact significatif sur le juge, ne doivent pas influencer la décision du juge. La question que se pose le juge utilisant le modèle du mouvement au moment de prendre une décision est « A la fin du tour, quelle est l'équipe qui m'a éloigné le plus de mes convictions originelles sur la motion ? » Imaginez la conviction du juge comme étant un point sur une ligne ; la plupart des juges auront une opinion sur la vérité de la motion avant le tour. Avant cette dernière, l'avis du juge au sujet de la vérité de la motion peut être représenté comme suit :
Avant le tour le juge considérait que la motion était :
Vraie
Fausse
Tout au long du tour, les juges seront attentifs aux arguments avancés par les divers orateurs, évalueront la qualité des arguments présentés, examineront la présentation faite par les orateurs de ces arguments, et réagiront à l'effort des orateurs pour la mise en place d'une stratégie particulière dans le débat. Après le tour et suite à la prise en compte de tous ces facteurs, les convictions des juges peuvent avoir changé :
236
Comment gagner un débat ?
Après le tour, le juge considérait que la motion était :
Vraie
Fausse
Dans ce cas, si le juge continue de croire que la motion est vraie, les équipes d'opposition seront plus susceptibles de gagner car ce sont elles qui ont le plus changé la conviction du juge. Même si l'opinion des juges est que la motion est sans doute vraie, l'équipe de l'opposition a réussi à tempérer cette conviction. Bien qu'elle n'ait pas absolument convaincu les juges que la motion était fausse, elle est parvenue à avoir une incidence sur les juges, davantage que l'équipe de la proposition. La force de ce modèle est qu'il marie le contenu à l'effort et qu'il est parfaitement adapté au style des « Mondiaux » dans lequel chaque équipe est évaluée en fonction de sa contribution au débat. Le modèle tient également compte des préjugés que peuvent avoir les juges et permet de récompenser les équipes qui remettent en question ces préjugés même si elles ont échoué à convaincre les juges de leur position.
Normes d'arbitrage pertinentes Les juges qui se spécialisent dans le World style débat utilisent une série de normes pour déterminer qui gagne les tours, dont trois sont les plus communes. Aucune de ces normes n'est définitive et toutes ont leurs propres forces et faiblesses. Plus encore, il est préférable d'utiliser ces normes conjointement pour obtenir une évaluation globale du tour.
Arbitrer un débat
237
ACCOMPLISSEMENT DU ROLE Une norme commune sur le circuit du PB est d'évaluer le mérite de chaque équipe en évaluant si les orateurs de cette dernière ont répondu aux attentes de leurs rôles respectifs. Dans un format de débat qui implique que quatre équipes soient en lice indépendamment les unes des autres, mais nécessitant la coopération d'au moins une équipe, il n'est pas surprenant que les juges aient des attentes concernant les contributions de chacune des équipes (et de chaque orateur de ces équipes). Ces attentes fournissent une certaine structure et prévisibilité à ce qui pourrait autrement être un verbiage chaotique de voix. Je ne vais pas répéter le détail des rôles et des responsabilités de chaque membre de l'équipe présenté au chapitre 5, néanmoins il est utile de rappeler les responsabilités générales de chacun. Les rôles de premier orateur de chaque équipe d'ouverture (le Premier ministre et le Chef de l'opposition) sont responsables de fixer les orientations de leur banc. Ils soulignent à la fois l'interprétation de la motion et l'argumentation de l'équipe qui guidera les efforts des orateurs intervenant plus tard dans le débat. Certes leurs partenaires et, dans une moindre mesure, mais tout aussi importante, leurs collègues des positions de clôture, ont la responsabilité de suivre la direction fixée par le premier orateur. Ainsi, les orateurs d'ouverture sont généralement évalués plus étroitement afin de voir s'ils commencent le débat dans la bonne direction. Les deuxièmes orateurs des équipes d'ouverture (le vice-premier ministre et le vice-leader de l'opposition) ont non seulement la responsabilité globale de soutenir leur chef de file, mais également la responsabilité unique de bien déconstruire l'effort de l'équipe adverse, le vice-premier ministre car il s'agit de la première et dernière fois que l'équipe de la proposition d'ouverture aura une prise de vue des arguments constructifs de l'opposition d'ouverture, et du vice-leader de l'opposition parce que c'est la dernière fois que les juges écouteront l'équipe de l'opposition d'ouverture. 238
Comment gagner un débat ?
Les orateurs membres (le membre de la proposition et le membre de l'opposition) sont principalement responsables de présenter l'élaboration des équipes de clôture pendant le tour. Pour renforcer la « concurrence et la coopération » entre les équipes partageant les mêmes bancs, il est nécessaire que les membres orateurs identifient une base pour soutenir l'orientation proposée par l'équipe d'ouverture tout en se distinguant de cette dernière. Les orateurs whip (le whip de la proposition et le whip de l'opposition) ont la responsabilité unique de résumer le tour pour leur partie respective. La capacité d'examiner tous les arguments avancés dans le cycle, tout en favorisant leur côté du débat et, pendant tout ce temps, en essayant de représenter leurs arguments comme la plus importante dans le cycle est une tâche difficile. Certains sont légitimement inquiets de la tendance à vouloir remplir de manière excessive un rôle comme critère employé par certains juges. Il est vrai que les juges débutants en particulier sont sujets à l'utilisation d'une approche de l'arbitrage pointilleuse et que les devoirs de chaque rôle fournissent une liste tentante d'attentes en fonction desquelles mesurer les efforts d'un orateur. Les meilleurs juges limitent cependant leur évaluation d'un tour en fonction de l'accomplissement d'un rôle ; ils reconnaissent que le respect des obligations est un aspect important mais ne détermine pas à lui seul le succès d'un débat. Ces juges reconnaissent également que les attentes liées aux rôles ne sont pas une fin en soi mais simplement un moyen de garantir le bon fonctionnement du tour. Si le tour examine à fond la proposition devant la chambre, mais que les orateurs ne remplissent pas leurs « rôles habituels », un juge de qualité récompensera les équipes et les intervenants, indépendamment du fait qu'ils se soient écartés des attentes liées à leurs rôles.
Arbitrer un débat
239
NORME DU « MEILLEUR DEBAT » Peu de juges se réfèrent à cette norme comme étant celle du « meilleur débat », mais je n'ai guère de doute que nombreux sont ceux qui emploient les critères au fondement de cette norme. En bref la norme du « meilleur débat » pose la question suivante : « Quelle équipe a le plus contribué (ou a le plus nui) à la qualité de ce débat ? » Autrement dit, les juges utilisant cette norme se demandent ce que chaque équipe a fait pour rendre ce débat meilleur. Affirmer que cette norme implique une certaine vision platonicienne du débat idéal des juges n'est pas totalement erroné. Que cette vision repose sur un amalgame des meilleurs débats dont les juges ont été témoins ou est le produit de la perspective plus objective des évaluateurs sur l'orientation appropriée du tour, le « débat parfait » est une norme utilisée par de nombreux juges pour évaluer les débats. En vue d'apporter une certaine objectivité à cette norme, je recommande que les juges se concentrent sur quatre critères au moment de déterminer quelle est l'équipe ayant le plus contribué à la qualité du tour : Enquête : Les équipes ont-elles traité les questions les plus pertinentes pendant le tour ? Progrès : Chaque discours / orateur a-t-il fait avancer le débat en introduisant de nouvelles perspectives, arguments ou preuves ? Mise au point : Les équipes ont-elles évité les questions sans importance et concentré leurs efforts sur les plus importantes pendant le tour ? Performance : Les équipes fournissent-elles un effort oratoire convaincant ?
240
Comment gagner un débat ?
Ces quatre facteurs constituent un moyen plus structuré et impartial de déterminer quelle équipe a le plus contribué à l'amélioration de la qualité du débat. Les équipes qui contribuent le plus à chacun de ces domaines sont généralement celles qui améliorent le débat en le rapprochant du débat idéal. A l'inverse, ceux qui échouent dans ces domaines nuisent souvent à la qualité globale du tour. La norme du « meilleur débat » implique également que la meilleure stratégie n'est pas toujours le chemin le plus facile. Comme indiqué au chapitre 7, l'inclination naturelle des orateurs de tenter de définir le débat en des termes qui leurs soient plus favorables peut nuire à la qualité de ce dernier.54 Le débat est généralement meilleur lorsque les deux parties ont suffisamment d'espace pour présenter leurs arguments, ces derniers permettant à chaque partie de questionner en profondeur l'ensemble des sujets qu'implique la motion (ou du moins les questions qui peuvent potentiellement survenir). Les orateurs feraient bien de garder à l'esprit que le meilleur débat pour eux (c.-à-d. celui où leur argument est le plus réduit et défendable) est rarement le meilleur débat du point de vue des juges (c.-à-d. celui qui présente le plus d'arguments en rapport à la proposition à examiner). FOND ET FORME La matière et la manière sont les normes usuelles sur la base desquelles les tours de style PB sont jugées. Elles sont codifiées dans les « World Parliamentary Debating Rules » du championnat universitaire de débat, et sont une expression générale des facteurs fondamentaux sur la base desquels les juges doivent rendre une décision. Comme précisé dans les règles en question, la matière et la manière sont définies comme suit :
Arbitrer un débat
241
Fond 3.1.1 La matière est le contenu du discours. Il s'agit des arguments qu'un orateur utilise pour faire avancer sa cause et convaincre le public. 3.1.2 La matière comprend des arguments et des raisonnements, des exemples, des études de cas, des faits et tout autre matériel soutenant l'argumentation. 3.1.3 La matière comprend le matériel positif (ou de fond) et de réfutation (arguments visant spécifiquement à réfuter les arguments de ou des équipes adverses). La matière comprend des éléments d'information. Forme 4.1.1 La manière est la présentation du discours. C'est le style et la structure qu'un membre utilise pour faire avancer sa cause et convaincre le public. 4.1.2 La manière est composée de nombreux éléments distincts. La manière peut être évaluée principalement en examinant le style (livraison) et la structure (organisation) des orateurs.55 Maintenant que nous disposons d'un modèle général d'arbitrage et que nous avons analysé quelques-unes des normes les plus couramment utilisées par les juges PB, nous pouvons porter notre attention sur la description du processus de prise de décision suivant un tour.
Parvenir à une décision Pour parvenir à une décision au sujet de l'équipe qui devrait être classées première, deuxième, troisième et quatrième, les juges doivent trier et évaluer les argumentations réalisées par chacune des 242
Comment gagner un débat ?
quatre équipes. Comparer les arguments de l'orateur ayant parlé dans les 7 premières minutes d'un tour de débat à ceux formulés par l'orateur qui est intervenu au cours des 7 dernières est une tâche difficile. Dans cette section, je décris une approche qui donne une structure et une orientation à ce processus. Pour comparer les efforts des équipes participant à un débat, les juges doivent suivre six étapes : 1. Identifier la proposition 2. Identifier les enjeux 3. Déterminer le vainqueur de chaque enjeu 4. Déterminer l'importance de chaque enjeu 5. Évaluer les efforts de chaque équipe par rapport aux enjeux 6. Documenter la décision Pour élaborer un plan pour l'évaluation des argumentations concurrentes, je vais traiter chacune de ces étapes dans l'ordre.56 1. IDENTIFIER LA PROPOSITION Dans le chapitre 4, j'ai analysé la nature et la fonction des points de stase d'un débat. A la liste des avantages tirés de clairement identifier les points de stase, j'ajouterais qu'ils permettent aux juges d'évaluer les efforts de chaque équipe avec plus de précision. En identifiant dans un premier temps les endroits où les arguments de chaque équipe se sont opposés à ceux de leurs adversaires, le juge sera mieux en mesure d'évaluer les mérites relatifs des arguments de chaque équipe. Le premier point de stase (et le principal) que le juge doit identifier pendant le tour est la proposition. Comme indiqué précédemment, la proposition est la principale ligne de démarcation entre les équipes de la proposition et de l'opposition participant au tour et il s'agit de ligne de démarcation des désaccords entre la proposition et l'opposition. Arbitrer un débat
243
Les propositions peuvent provenir de la motion fournie aux équipes ou peuvent émaner des arguments avancés pendant le tour. Si la motion est très simple elle peut servir de proposition pour le tour. La motion « Cette chambre reconnaîtrait l'indépendance de l'Abkhazie » définit clairement les motifs pour la proposition et l'opposition et, par conséquent, pourrait probablement servir de proposition. D'autres motions, comme « Cette chambre est d'avis que les chefs religieux devraient être attentifs à l'opinion publique » fournit une orientation moins claire aux équipes. Dans la cadre de ces motions, les équipes négocient la proposition pendant le tour. Par exemple, la proposition d'ouverture pourrait choisir de soutenir une argumentation considérant que l'Église catholique devrait être plus proactive dans la reconnaissance et le traitement des questions d'abus sexuels sur les mineurs par des prêtres catholiques. Lorsque la proposition choisit de présenter une argumentation qui est plus ciblée et plus spécifique que la motion, et que l'opposition l'accepte comme étant le cœur du débat, cette interprétation devient la proposition du tour. La proposition est généralement explicite dans le tour, mais dans certains cas aucune des deux parties ne met clairement en évidence le sujet principal du débat. Dans ce cas, le juge doit formuler une proposition qui sera le principal point de stase. Cet effort est un point de départ de son jugement et servira plus tard comme un premier facteur utilisé pour évaluer les arguments présentés par les équipes. Lors de la création d'une proposition, le juge doit formuler une déclaration claire et équilibrée. Pour être claire, une déclaration de proposition doit définir les motifs à la fois pour les équipes de la proposition et de l'opposition d'une manière qui rende évidentes leurs responsabilités. Une déclaration de proposition équilibrée évitera d'exprimer la controverse d'une façon non impartiale.
244
Comment gagner un débat ?
2. IDENTIFIER LES ENJEUX Alors que chaque débat est défini par la proposition qui démarque la proposition de l'opposition, les points de stase plus spécifiques s'imposeront à mesure que progresse le débat. Connus sous le terme d'enjeux, ces points de stase mineurs sont ceux où les arguments particuliers de chaque équipe interagissent avec les réponses des équipes adverses. Les enjeux surgissent à mesure que progresse le débat. Ils peuvent être issus des efforts explicites des orateurs ; dans une situation idéale, les orateurs des deux parties s'entendent sur les questions pertinentes du tour. Dans certains tours, les quatre équipes, explicitement ou implicitement, peuvent convenir de structurer leurs arguments autour de ces enjeux. Malheureusement, dans la plupart des cas, les équipes intervenant dans un débat n'identifient pas si clairement les enjeux. Quand les équipes ne parviennent pas à ce faire, les juges doivent passer au crible les arguments présentés par chaque équipe, tenter de formuler des déclarations raisonnables des enjeux importants pour la proposition, y compris les arguments présentés par les équipes, et, enfin, évaluer les différents arguments présentés en rapport à ces questions. Prenons par exemple un tour sur une motion qui était à la mode il y a quelques années : « Les États-Unis devrait rompre tous les liens avec le régime de Musharraf du Pakistan ». Dans ce débat, la proposition d'ouverture a avancé une argumentation principalement axée sur l'objectif déclaré de la politique étrangère des États-Unis de démocratisation des pays du Moyen-Orient. Elle a ensuite mis en lumière comment Pervez Musharraf a pris des mesures pour confondre le processus démocratique et de quelle façon l'alliance continue des États-Unis avec son administration condamne les États-Unis à l'hypocrisie. L'opposition d'ouverture a répliqué que le lancement de la guerre contre le terroriste au niveau mondial (Global War on Terror) exige des alliés régionaux au Moyen-Orient et en Asie du Sud, et Arbitrer un débat
245
Musharraf s'est avéré être un partenaire fiable dans ce contexte. La proposition de clôture a proposé une élaboration indiquant que supprimer tout soutien à Musharraf le forcerait à élaborer un accord de partage du pouvoir avec l'ancien premier ministre pakistanais Benazir Bhutto et que cette coalition permettrait de régler la tension politique au Pakistan. L'opposition de clôture ne partageait pas cette opinion et a développé son argumentation en soutenant que le retrait de l'appui à Musharraf ne le forcerait qu'à trouver d'autres assises de pouvoir en tolérant un nombre croissant de mouvements fondamentalistes islamiques dans le nord du Pakistan. Bien que les équipes n'aient pas explicitement identifiées les enjeux du débat, les juges ont reconnu les thèmes des arguments échangés entre les équipes. Pour organiser leur prise en compte vis-à-vis des arguments avancés dans le tour, les juges ont encadré trois questions autour desquelles examiner les différents arguments invoqués par chaque équipe. Ces questions comprenaient : 1.
Quels objectifs de la politique étrangère des États-Unis orientent sa formation d'alliances ?
2.
Est-ce que l'alliance des États-Unis avec Musharraf a fait progresser ou a entravé ces objectifs ?
3.
Que se passerait-il si les États-Unis retiraient leur soutien à Musharraf ? Ces déclarations des enjeux ont été précieuses car elles étaient sous-
entendues dans tous les arguments avancés par les équipes du tour. Plus précisément, il s'agit des enjeux nécessaires pour déterminer si la motion est vraie ou inexacte. Veuillez remarquer également qu'il existe une progressivité dans l'ordre logique des enjeux : avant que les juges ne puissent évaluer l'alliance des États-Unis avec Musharraf en fonction de ses objectifs de politique étrangère, ils ont dû d'abord identifier les objectifs en question. Une fois qu'ils ont été en mesure de déterminer si l'alliance des États-Unis a favorisé ou entravé ces objectifs, les juges ont 246
Comment gagner un débat ?
pu porter leur attention vers la question de d'un probable retrait de l'appui au président Musharraf. Cette progressivité est le résultat naturel d'une approche rationnelle et linéaire de la prise de décision ; les juges doivent chercher à ordonner les enjeux d'un débat de façon logique lorsqu'ils évaluent les arguments avancés par les équipes. 3. DETERMINER LE VAINQUEUR DE CHAQUE ENJEU Une fois que les juges ont identifié la proposition du tour et les enjeux relatifs à cette proposition, le vrai travail d'arbitrage commence. Les juges doivent maintenant déterminer quelle partie a remporté chaque enjeu. Pour ce faire, les juges doivent évaluer les arguments de chaque équipe et l'interaction des arguments de chaque équipe avec les arguments présentés par d'autres équipes participant au débat. Bien que déterminer quelle équipe a présenté les meilleurs arguments soit un exercice complexe et subjectif, un certain nombre de points rendent ce processus plus aisé : d'abord, si les deux étapes précédentes ont été correctement remplies, les juges peuvent facilement identifier les points de stase des arguments. Cette structure claire est essentielle pour déterminer quels sont les arguments qui prévalent : pour savoir quel argument de chaque partie gagne sur un sujet donné il faut d'abord savoir quels sont les enjeux. Après la structuration des arguments de sorte qu'ils soient clairement opposés les uns aux autres, les juges doivent évaluer les mérites des arguments de chaque équipe par rapport à chaque enjeu. Comme indiqué précédemment, déterminer quel argument vous trouvez personnellement le plus convaincant est un processus intrinsèquement subjectif ; cet effort peut toutefois reposer sur les normes traditionnelles relatives à la qualité des arguments : la vérité et la validité.
Arbitrer un débat
247
Vérité La norme reposant sur la vérité se pose la question suivante : « Quels sont les arguments secondaires les plus crédibles ? » Pour évaluer la crédibilité d'un argument, un juge peut apprécier sa fidélité et sa cohérence. La Fidélité indique le maintien d'une cohérence externe des arguments. Plus simplement, un argument maintient une cohérence externe s’il est conforme à ce que le juge considère être vrai. Il s'agit, bien entendu, d'une autre façon de se demander si une revendication particulière est fondée sur des preuves que le juge estime acceptables ; les juges sont plus enclins à croire une revendication si elle est soutenue par une telle preuve. Cela ne veut pas dire que les juges rejettent automatiquement des arguments contraires à ce qu'ils croient ; tout simplement les juges, comme tous les êtres humains, sont plus sceptiques vis-à-vis de ce qui ne cadre pas avec leur perception de ce qui est juste, vrai, et précis. La Cohérence, d'autre part, indique le maintien d'une cohérence interne d'un argument. La cohérence interne est maintenue si un argument n'est pas contredit par d'autres arguments avancés par la même équipe. Bien évidemment, une stratégie cohérente est essentielle à la réussite des efforts d'argumentation, la présence d'arguments contradictoires au sein d'une équipe étant source de préoccupations.
Validité Pour évaluer la validité d'un argument, le juge doit regarder à la façon dont une équipe transmet un argument. En matière de logique formelle, la validité renvoie à la structure d'un argument ; si les prémisses et la conclusion d'un argument se conforment à un modèle reconnu (et logique), ce dernier est jugé valable. Moins formellement (et en termes plus pertinents à l'évaluation des arguments dans un débat concurrentiel), un juge peut évaluer la validité en examinant l'exécution et l'expression de cet argument par l'équipe. 248
Comment gagner un débat ?
L'Exécution se réfère au raisonnement utilisé pour mettre en rapport la revendication à la preuve présentée. Si le raisonnement de l'orateur rend le soutien offert pertinent au progrès des revendications, l'argument peut être considéré comme valide. En termes plus holistiques, un juge peut également examiner la fonction de cet argument dans la stratégie globale de l'équipe. Si un argument particulier apporte une contribution importante et nécessaire à la stratégie d'une équipe, ou si cette stratégie est particulièrement convaincante par rapport à la proposition, l'équipe a bien exécuté l'argument. Une autre façon de juger de la validité d'un argument est d'évaluer l'expression de l'orateur concernant cet argument. La force d'un argument est un produit à la fois de son contenu et de son expression ; un argument bien structuré et transmis avec passion attire nécessairement davantage l’attention que s'il est mal organisé ou présenté avec peu d'enthousiasme. Ces critères permettent aux juges d'évaluer la force relative des arguments et de déterminer quelle partie a remporté chaque enjeu. Cela fait, ils doivent ensuite déterminer l'importance relative de cet enjeu par rapport à la proposition débattue. 4. DETERMINER L'IMPORTANCE DE CHAQUE ENJEU Une fois que les juges ont déterminé quelle partie a remporté chaque enjeu, ils peuvent alors évaluer l'importance relative de chaque enjeu. Comme indiqué au chapitre 3, tout enjeu peut être remporté soit par la proposition soit par l'opposition (représentée ci-dessous par le mouvement horizontal de la ligne de démarcation sur un enjeu) et ce même enjeu peut attirer plus ou moins l’attention des évaluateurs que les autres (représentée par l'expansion verticale des enjeux l'un par rapport à l'autre). Arbitrer un débat
249
Pour déterminer l'importance relative de chaque enjeu, les juges doivent revenir à la proposition autour de laquelle ils portent. Ils peuvent se demander quels sont les enjeux les plus pertinents à la proposition, et donner plus de poids aux enjeux qui concernent plus directement la question et moins à ceux jugés accessoires à la proposition. Ce n'est pas, évidemment, une science exacte. Déterminer quels sont les enjeux les plus importants nécessite l'évaluation d'une variété de facteurs, notamment l'évaluation des plus pertinents à la motion débattue, la détermination des enjeux que les orateurs considèrent être les plus importants, et les rapports de chaque enjeu dans le cadre de la stratégie globale de chaque équipe. A l'issue de ce processus, les juges doivent avoir une image claire de quelle partie (la proposition ou l'opposition) a remporté chaque enjeu et de l'importance de ces enjeux par rapport à la proposition en cours d'examen. A la fin de notre débat hypothétique sur l'interdiction du tabac au chapitre 3, le « territoire » du tour était divisé comme suit :
Proposition
Opposition
Santé publique ?
Proposition
Conséquences économiques ?
Opposition
Proposition
Droits des fumeurs ?
Opposition
Sur la base de l'examen des évaluateurs, il est clair que si l'opposition a défendu l'argument selon lequel cette mesure aurait des conséquences économiques et représenterait une violation des droits des fumeurs, les
250
Comment gagner un débat ?
juges étaient eux convaincus que la question de la santé publique, clairement remportée par la proposition, était l'enjeu le plus important. 5. ÉVALUER LES EFFORTS DE CHAQUE EQUIPE PAR RAPPORT AUX ENJEUX Dans le débat de style PB, contrairement à d'autres formats de débat, déterminer quelle partie a remporté la proposition n'indique pas automatiquement qui a gagné le tour. Le format du PB exige que les juges décident le classement des équipes (première, deuxième, troisième et quatrième) au cours du tour. A cette complication, s'ajoute le fait que dans un débat PB il n'existe pas de partie gagnante. Il existe la réelle possibilité que les équipes de parties opposées puissent être classées de manière à ne pas rendre clair le résultat du débat : il est probable mais aussi usuel que la proposition d'ouverture soit classée au premier rang, l'opposition d'ouverture au deuxième rang, l'opposition de clôture au troisième rang, et l'équipe de la proposition de clôture au quatrième rang. Dans un tel scénario, les deux « parties » ont reçu un nombre égal de points, aucune n'étant donc gagnante. Dans un tour de format PB, les équipes reçoivent des classements d’ordre, c'est pourquoi la détermination de la partie gagnante n'est jamais suffisante. Un juge doit également déterminer quelles équipes ont le plus contribué à l'effort global du tour. Une autre façon d'exprimer cela, en cohérence avec la métaphore de la « carte mentale » utilisée tout au long de ce livre, consiste à dire que l'équipe gagnante est celle qui a retenu le plus l’attention des évaluateurs à la fin du tour. L'équipe arrivée en deuxième place est la deuxième attirant le plus d'attention, et ainsi de suite. Heureusement, la métaphore de la carte mentale peut être facilement adaptée à cette évaluation. Outre représenter quelle partie a gagné chaque enjeu et l'importance relative de chaque enjeu, elle permet de cartographier le déroulement du débat et de représenter ainsi la contribution de chaque équipe à cet effort :
Arbitrer un débat
251
Opposition d'ouverture Proposition d’ouverture
La santé publique ?
Opposition de clôture
Proposition de clôture
Proposition d'ouverture
Conséquences économiques ?
Opposition d'ouverture Opposition de clôture
Proposition de clôture Proposition d'ouverture
Proposition de clôture
252
Comment gagner un débat ?
Droits des fumeurs ?
Opposition d'ouverture Opposition de clôture
D'après la carte du déroulement de ce débat, à la fin de ce tour, l'équipe de la proposition d'ouverture serait classée première car non seulement elle était du côté des vainqueurs de la question la plus importante, mais en outre, d'après l'évaluation des juges, c'est elle qui a le plus contribué à prouver que la santé publique profiterait d'une interdiction du tabac. Sur les autres enjeux, bien que finalement les juges aient considéré que l'opposition a remporté le tour sur les deux enjeux les moins importants, l'équipe de la proposition d'ouverture a apporté une plus grande contribution à l'effort en faveur de la proposition sur la question des conséquences économiques et une moindre contribution sur la question des droits des fumeurs. De toute manière, comme le représente la carte, les arguments de la proposition d'ouverture occupent la place principale dans l'évaluation du tour par les juges. Les juges classeraient deuxième l'équipe de l'opposition de clôture. Elle est à l'origine du succès obtenu par la partie d'opposition comme l'indique le fait que ses arguments occupent la deuxième place dans l'examen du tour par les juges. Même si sa partie a perdu le débat, c'est elle qui a avancé la majeure partie des arguments convaincants de l'opposition sur les trois enjeux (et les juges prendront sûrement en compte le fait qu'elle a remporté deux des trois enjeux). La proposition de clôture sera probablement classée à la troisième place, compte tenu du fait qu'elle a soutenu les arguments gagnants de l’enjeu principal et que c'est elle qui a le plus contribué à l'effort de la proposition sur les questions des droits des fumeurs. Bien que son exploit n’ait pas été aussi brillant que celui de l'opposition de clôture, elle a, en fin de compte, occupé davantage d'espace dans l'esprit des juges que l'opposition d'ouverture, qui, compte tenu de sa contribution minimale à l'effort de l'opposition dans tous les enjeux du débat, sera classée au dernier rang.
Arbitrer un débat
253
6. DOCUMENTER LA DECISION La responsabilité finale des juges est de rendre compte de leur décision. Une adjudication efficace par voie orale est fondamentale pour qu'un jugement soit considéré de qualité. L'adjudication par voie orale est pour les juges l'occasion d'expliquer comment ils ont interprété le tour et de remplir leur obligation de formation présentée ci-dessus. Si un juge a suivi les étapes décrites dans ce document, il ne devrait pas rencontrer de difficultés pour exprimer une adjudication efficace par voie orale. Je recommande de suivre des étapes en tant que structure de l'adjudication par voie orale. Commencez par identifier la proposition. Vous pouvez expliquer comment vous êtes arrivé à cette proposition, soit à partir de la motion, de l'interprétation qu'en ont fait les équipes, ou de votre propre évaluation de l’enjeu principal ressortant des arguments des équipes. Ensuite, vous devez identifier les enjeux qui, d'après vous, ont été au cœur du débat entre les équipes, en signalant les arguments spécifiques avancés en faveur ou contre chaque enjeu. Les trois prochaines étapes du processus d'évaluation sont généralement combinées. Les sujets de l'équipe qui a gagné chaque enjeu, l'importance de chaque question par rapport aux autres, et quelle équipe a apporté la contribution la plus importante dans l'effort de prouver ou réfuter un enjeu, constituent les trois points généralement présentés de concert avec de nombreuses références aux arguments spécifiques avancés par les équipes. Parfois un argument qui permet de gagner un enjeu prouve simultanément que ce dernier est le plus important. Identifier l'orateur (ou l'équipe) chargé de traiter cet argument est sans doute la façon dont les juges identifieront l'argument ayant le plus affecté leur décision. Les juges doivent ainsi rendre une décision et présenter une justification pertinente qui soit respectueuse des principes directeurs de l'arbitrage mentionnés ci-dessus. Leur décision doit suivre le modèle du mouvement et considérer de bonne foi tous les arguments présentés par chaque équipe et leur valeur respective. Lorsqu'elle est de qualité, la contribution des juges est un bon corollaire des efforts intellectuels des orateurs. 254
Comment gagner un débat ?
NOTES 1. Kenneth Burke et Joseph R. Gusfield. 1989. On symbols and society. Chicago : University of Chicago Press. 2. Charles R. Berger et Richard J. Calabrese. 1975. Some explorations in initial interaction and beyond: Toward a developmental theory of interpersonal communication. Human Communication Research 1 (2, Winter) : 99. 3. Michel Foucault. 1972. L'archéologie du savoir. Trans. A. M. Sheridan Smith. New York : Pantheon. 4. Il s'agit, bien entendu, d'une simplification spectaculaire du processus. Les contraintes du discours public sont rarement aussi transparentes que dans un tour de débat ; il est inusuel que le discours public soit aussi clair et définitif que lors d'un arbitrage concluant un débat. Ainsi, et reconnaissant que même s'il existe une opinion « majoritaire » il peut toujours exister une opinion « minoritaire » forte, ceci présente une explication utile du rôle de l'argumentation dans la formation de la compréhension collective. 5. La liste des techniques et des tactiques « autorisées » est bien entendu régie par les limites éthiques inhérentes à toute interaction humaine : l'honnêteté, la bonne foi, la tolérance, la non-violence, et de nombreuses autres valeurs gouvernent nos efforts de persuasion en dehors d'un tournoi de débats. Ces limites ne devraient pas être laissées à la porte de l'hémicycle. 6. Robert Trapp et William Driscoll. 2005. Discovering the world through debate: A practical guide to educational debate for debaters, coaches and judges. 3e éd. New York : International Debate Education Association. 7. L'argumentation relationnelle, selon Trapp, peut également porter sur les relations de similitude dans lesquelles l'orateur tente de démontrer la vraisemblance (ou dissemblance) des choses. Je voudrais ajouter que l'argumentation relative aux relations de coexistence, des arguments qui affirment que deux (ou plusieurs) choses existent simultanément et en relation les unes aux autres, devrait également être incluse dans ce mode d'argumentation. Cependant, comme le fait remarquer Trapp, aucune de ces relations n'engendre autant de soucis pour un orateur que les relations causales. 8. D'ailleurs, ces scientifiques s'appuieraient aussi sur des arguments pour établir la probabilité de leurs revendications causales. La méthode scientifique repose sur l'affirmation (généralement) d'une relation de causalité, la collecte de preuves qui démontrent l'existence de cette relation, et, enfin, l'interprétation de cette preuve par la construction d'arguments sur le sens de la preuve. 9. George Lakoff et Mark Johnson, 1980. Metaphors we live by. Chicago : University of Chicago Press. 10. Certes l'organisation des enjeux se fait en fonction de certaines considérations stratégiques, les principes de la primauté et de la récence, par exemple, suggèrent que lors de la présentation des enjeux, vous devriez traiter les plus importants pour votre réussite en premier ou en dernier, car cela permet d'attirer l'attention de votre auditoire sur ces arguments. Il n'existe pas cependant de lien logique entre ces questions. 11. C'est un moment approprié pour noter que séparer la structure d'un argument de sa substance est impossible : la substance d'un argument EST la façon dont il est structuré ; la
Arbitrer un débat
255
structure d'un argument EST la substance de ce dernier. Ce qui distingue un argument d'autres formes de pensée (les sentiments, les impressions, les intuitions, etc.) est qu'il exprime une relation particulière entre les idées ; l'une ne peut être séparée de l'autre. Cela dit, l'argumentation peut gagner en clarté si l'on prétend cette séparation comme possible. 12. Voir, par exemple, la discussion d'Aristote sur les topoi dans la Rhétorique (Aristote. 1991. La Rhétorique. New York : Penguin Books) et l'analyse de Perelman et Olbrechts-Tyteca sur le loci dans The New Rhetoric (Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca. 1969. The new rhetoric: A treatise on argumentation. Notre Dame, IN : University of Notre Dame Press). 13. Pour une brève introduction à la psychologie de la forme (Gestalt), voir Graham Richards. 1996. Putting psychology in its place: An introduction from a critical historical perspective. New York : Routledge. 14. L'analyse de Trapp de l'acceptabilité, la pertinence et la suffisance des normes dans Discovering the World through Debate s'appuie sur les travaux de Johnson et J. Anthony Blair dans Logical Self Defense (Ralph H. Johnson et J. Anthony Blair. 1994. Logical self defense. New York : McGraw-Hill) et Govier A Practical Study of Argument (Trudy Govier. 2001. A practical study of argument. Belmont, CA : Wadsworth). 15. Pour une analyse plus approfondie de ces types de raisonnement et des essais sur ces derniers (c.-à-d. la détermination de la pertinence de la relation entre la revendication et la preuve, voir Trapp, chapitre 5). 16. Dans son analyse de la norme de suffisance, Trapp se réfère aux différents niveaux de preuve exigés par diverses instances du système judiciaire américain. Dans le système pénal américain, en général un argument doit être prouvé « au-delà de tout doute raisonnable » pour être accepté. D'autre part, dans les juridictions civiles américaines, un argument prouvant la prépondérance de la preuve (ou la certitude à 51 %) d'une des parties est accepté. Trapp observe également que le concept de suffisance est lié aux conséquences de l'acceptation et du rejet de l'argument présenté. Un argument ayant des conséquences plus dramatiques (« nous devons agir maintenant pour arrêter le changement climatique au niveau mondial ») peut exiger un niveau de suffisance plus faible que l'argument qui produit des conséquences moins importantes, tout simplement car le risque de ne pas accepter un tel argument est énorme. Dans l'exemple sur le changement climatique mondial, ne pas accepter l'argument et, par conséquent, d'agir, nous soumet potentiellement aux conséquences les plus extrêmes (l'anéantissement de l'environnement). 17. G. Thomas Goodnight. 1982. The personal, technical, and public spheres of argument: A speculative inquiry into the art of public deliberation. Journal of the American Forensics Association 18 (4, Spring): 214. 18. Voir l'analyse au chapitre 2 sur l'occupation de l'« espace psychologique » dans l'esprit du juge. 19. Voir l'analyse sur les propositions et les enjeux au chapitre 3. 20. Pour en savoir plus sur les raisons de regrouper les arguments, veuillez examiner l'analyse sur les points de stase, et en particulier sur les enjeux, au chapitre 3. 21. S. I. Hayakawa et Alan R. Hayakawa. 1990. Language in thought and action. 5e éd. San Diego, Californie : Harcourt Brace Jovanovich.
256
Comment gagner un débat ?
22. J'ai d'abord entendu John Meany, directeur de rhétorique au Claremont McKenna Colleges, utiliser cette analogie lors d'une séance de formation pour orateurs apprentis en matière de débats de style PB lors d'un tournoi organisé par le Claremont Colleges en octobre 2005. Meany et Kate Schuster utilisent aussi cette analogie dans un texte de 2002 intitulé Art, Argument and Advocacy (John Meany et Kate Shuster. 2002. Art, argument and advocacy: Mastering parliamentary debate. New York : International Debate Education Association). 23. Le terme « modèle » est le plus utilisé pour cette partie de l'argumentation sur le circuit informel, qui rivalise avec le format du PB. Les autres formats de débat académique, et plus particulièrement le « American policy debating community », désignent cette partie d'une argumentation le « plan ». Les débats qui ont lieu dans les législatures du monde entier désignent l'action proposée objet du débat comme la « politique » ou la « proposition ». Tous ces termes sont en réalité identiques. 24. Veuillez consulter le chapitre 9 pour une analyse plus exhaustive de la norme du « meilleur débat ». 25. Pour une analyse plus approfondie de ce qui semble être des conseils contradictoires (« Pour être évalué favorablement, veuillez définir la motion de manière à introduire les arguments de l'opposition »), voir mon analyse du quatrième paradoxe du débat au chapitre 7. 26. Cependant même dans ce cas une bonne argumentation peut être faite par le Leader de l'opposition en reconnaissant cette erreur et en orientant le débat avancé par la proposition d'ouverture sur les châtiments corporels. Pour favoriser le débat, et afin d'éviter de rendre non pertinent au moins un huitième, si ce n'est pas un quart, du débat, orienter l'argumentation sur l'interdiction des fessées pourrait être le meilleur des choix pour le leader de l'opposition. 27. Voir les règles du WUDC : Partie 2, Section 2.1.3 sur les exigences d'une interprétation acceptable d'une motion (règles des championnats universitaires de rhétorique. Site Web de World
Debating.
2006
[cité
le
9
février,
2009].
Disponible
sur
http://flynn.debating.net/Colmmain_wudc.htm). 28. Une option à la disposition du Leader de l'opposition est bien entendu de s'opposer à la définition du PM, de présenter une argumentation contre la « bonne » interprétation de la motion, puis d'argumenter contre l'interprétation erronée avancée par la proposition d'ouverture. Tout général couronné de succès vous dira, cependant, que peu de guerres combattues sur deux fronts se gagnent. Plus encore, en avançant l'interprétation « incorrecte », le Leader de l'opposition risque de lui apporter de la légitimité par le seul fait qu'il lui a prêté attention. Choisissez avec soin. 29. Règles du WUDC : Partie 2, Section 2.3. 30. Règles du WUDC : Partie 3, Section 3.2.5. 31. Consultez la discussion sur la fonction des propositions et des enjeux au chapitre 3 et la discussion sur l'évaluation des enjeux par rapport à la proposition au chapitre 9. 32. Voici le moment approprié de rappeler au lecteur que le chapitre le plus utile de ce livre est celui sur comment trancher un débat. Les orateurs qui s'interrogent sur comment gagner un tour de débat doivent d'abord savoir comment pensent les juges. 33. Jonathan Baron. 2000. Thinking and deciding. 3e éd. Cambridge, Royaume-Uni : Cambridge University Press, 5. 34. Baron, 6. 35. Baron, 15.
Arbitrer un débat
257
36. Baron, 8. 37. La caractérisation de Baron du moteur de la pensée correspond bien à la discussion sur la force de motivation générée par l'« incertitude », tel qu'analysé au chapitre 1. Dans les deux cas, l'anxiété de l'inconnu pousse un peu d'effort cognitif. 38. Tel qu'analysé au chapitre 5, le meilleur choix dans ce cas était la définition la plus large. Cette option reflète non seulement la pratique actuelle des débats de style PB, mais aussi satisfait plus clairement à la norme du « meilleur débat » utilisée par de nombreux juges lors de la détermination du classement du tour. 39. Baron, 9. 40. Ce n'est pas la seule source d'objectifs pouvant rentrer dans le processus décisionnel des juges. Comme indiqué précédemment, Baron fait valoir que les éléments découverts dans le processus de recherche peuvent provenir de deux sources : les sources externes, telles que celles préconisées par les orateurs du tour, et les sources internes issues du décideur lui-même. Autrement dit, le juge peut apporter au tour sa propre conception des objectifs pertinents à la décision qu'il ou elle prendra. Il arrive souvent qu'un juge frustre (ou forme) un orateur en lui faisant un commentaire du type « Vous avez oublié un point pertinent au débat en ignorant X » où « X » était l'objectif que le juge pensait être important (mais n'ayant pas été traité au cours du débat). Les orateurs peuvent éviter ces situations de deux façons : ils doivent d'abord analyser en profondeur chaque proposition afin d'identifier et de traiter tous les objectifs du système d'objectifs pertinent au processus de prise de décision. Deuxièmement, les orateurs doivent faire de leur mieux pour identifier les indices contextuels pertinents en vue de déterminer ce que les juges considèrent important : veuillez examiner la discussion sur les systèmes de valeurs pour réfléchir à quels indices peuvent vous aider à prendre cette décision. 41. Le rendement des combustibles apporte des avantages allant au-delà des économies d'argent. L'impact environnemental d'une consommation réduite de combustibles fossiles peut être la principale préoccupation des consommateurs, auquel cas l'objectif économique ne saurait subsumer la consommation de carburant. 42. Milton Rokeach 1973. The nature of human values. New York : Free Press. 43. Foulk, T. Griffith. 2000. The form and function of koan literature: A historical overview. Dans The koan: Texts and contexts in Zen Buddhism, eds. Steven Heine et Dale Stuart Wright, 322. Oxford, Royaume-Uni : Oxford University Press. 44. Pour plus d'informations sur l'utilisation d'objectifs pour orienter vos choix stratégiques, voir la section du chapitre 8 intitulée « Analyse des objectifs ». 45. Pour plus d'informations sur l'utilisation de la présomption pour renforcer vos arguments, voir la discussion sur les tactiques offensives au chapitre 8. 46. Voir le chapitre 9 pour une plus ample analyse sur la façon dont la norme du « meilleur débat » est utilisée comme critère d'arbitrage. 47. Règles du WUDC : Partie 2, Section 2.1.3. 48. Richard Whately. 1963. Elements of rhetoric. Carbondale: Southern Illinois University Press. 49. World Medical Association. 1968. World medical association declaration of Helsinki: Ethical principles for medical research involving human subjects. Helsinki. Disponible sur http:// www.wma.net/e/policy/b3.htm.
258
Comment gagner un débat ?
50. Il existe une variété de façons de déterminer ce que votre ou vos juges croient : par exemple, vous pouvez faire des généralisations à partir de leurs caractéristiques démographiques, vous pouvez demander à d'autres équipes, et vous pouvez vous baser sur les tournois précédents dans lesquels ils ont joué le rôle de juge. 51. Bitzer, Lloyd F. 1968. The rhetorical situation. Philosophy and Rhetoric 1, (1, Winter): 1. 52. Il est évident à ce stade que la collusion implicite est une option qui peut être exercée plus efficacement par les équipes de clôture. L'équipe de la proposition d'ouverture a peu de choix concernant l'équipe avec laquelle elle développe une corrélation stratégique ; comme aucune autre équipe de l'opposition d'ouverture ne présentera ses arguments avant que la proposition d'ouverture ne finisse son intervention, c'est l'opposition d'ouverture que la proposition d'ouverture doit traiter. Cela dit, il existe des moyens subtils d'utiliser cette tactique même pour les équipes des positions d'ouverture ; ils sont présentés dans la section sur « la mise en œuvre de la corrélation ». 53. En particulier, le Guide to Chairing and Adjudicating a Worlds Debate adopté par le World Universities Debating Council, est une introduction très complète sur l'administration d'un tour en style Mondiaux (Omar S. Abdullah, Ian Lising, Steven L. Johnson et Ray D'Cruz. Guide to chairing and adjudicating a worlds debate. Site Web du World Debating. 2005 [cité 9 février 2009]. Disponible sur http://flynn.debating.net/omarguide.htm.). 54. Voir la discussion sur le Paradoxe n ° 4 au chapitre 7. 55. Règles du WUDC : Parties 3 et 4. 56. Cette section s'inspire largement d'un de mes textes, notamment Section 6: Evaluating Competing Lines of Argument du Guide to Chairing and Adjudicating a Worlds Debate.
Arbitrer un débat
259