SEMINAIRE COLLABORATIF
« Quelles pistes de partenariat public privé (PPP) pour l’accès à l’éducation et à la formation professionnelle par les TIC en Afrique Subsaharienne ? »
Comité d’organisation : AFD-AUF-Orange-Web Foundation Table ronde 1: Quels infrastructures, quels outils, et quels contenus avec quels “soutiens” pour quels usages et quels besoins ? L’objet de cette note, réalisée sur la base de recherche documentaire et d’entretiens d’experts, est de faire l’état de la situation des TIC pour l’éducation en Afrique à ce jour, en termes de besoins, d’usages et de technologies. Elle ne prétend pas à l’exhaustivité et ne cherche pas à être prescriptive, mais propose simplement une base de travail commune pour les tables rondes du séminaire.
1 Les TIC dans l’éducation : un potentiel important pour répondre aux besoins de l’Afrique Les besoins liés à l’éducation en Afrique sont multiples et conséquents. Les taux d’alphabétisation des adultes restent encore trop faibles, en particulier en zone rurale (plus de 160 millions d’adultes ne savent pas lire en Afrique Sub-Saharienne, soit plus de 20% d’entre eux).1 L’éducation plus générale des adultes, en particulier des populations les plus vulnérables (notamment les femmes), reste aussi un sujet prioritaire. Dans l’éducation nationale, du primaire au lycée, la qualité de l’éducation laisse encore à désirer, du fait de défis majeurs:
Le manque d’accès à des matériels éducatifs de qualité, tant au niveau des enseignants que des élèves.
Le manque de formation des instituteurs et professeurs, souvent recrutés rapidement pour parvenir à une scolarisation universelle durant la dernière décennie. Au Niger par exemple, plus de 50% des professeurs du secondaire ont eu moins de 30 jours de formation à leur métier.
Le mauvais fonctionnement de l’école qui fait que les élèves ne reçoivent qu’une faible part du temps scolaire officiellement prescrit (souvent moins de 50 % en Afrique SubSaharienne)2 ce qui retarde d’autant les apprentissages. Il faut ici incriminer le manque de 1
Aduts and Youth Literacy, Unesco 2011. Disponible sur http://www.uis.unesco.org/FactSheets/Documents/FS16-2011-Literacy-EN.pdf 2 Source: AFD
volonté politique, de leadership, d’incitations, de déontologie, de responsabilisation des acteurs.
Le manque de données au niveau des écoles et de ce fait au niveau national, qui permettraient au gouvernement et acteurs de l’éducation de disposer des informations nécessaires aux prises de décisions pour l’amélioration du système éducatif actuel. L’offre de formation universitaire reste encore limitée, alors que de plus en plus d’étudiants affluent dans les universités d’Afrique sub-saharienne (leur nombre a atteint 4.5 million en 2008, multiplié par 20 depuis 1970 !), avec une pénurie de locaux et d’enseignants qualifiés. Enfin la demande de formation continue (professionnelle ou universitaire), pour des salariés qui ne peuvent pas se permettre de passer un an sans travailler, a explosé ces dernières années du fait du développement et de la croissance économique forte de l’Afrique, de plus de 5% par an depuis 2004 (sauf en 2009 suite à la crise).3 En regard les universités africaines proposent encore très peu de cours du soir, et la demande reste insatisfaite. Dans tous ces domaines, les TIC peuvent jouer un rôle clé, car ils permettent :
D’accéder à des données de qualité, de manière individuelle ou collective, tant pour préparer les cours que pour travailler en classe ou hors de la classe, n’importe où et n’importe quand
D’optimiser l’utilisation des « ressources rares », comme un professeur ou un formateur de maîtres, en offrant de la formation à distance à de larges groupes, ou du tutorat
De personnaliser l’enseignement en proposant des modules et exercices interactifs, pour la classe ou hors de la classe, s’adaptant à l’utilisateur
De promouvoir les approches collaboratives, le partage des données, des méthodes et des meilleures pratiques, y compris entre élèves d’une part, et pour les enseignants entre eux et avec les autres acteurs du système éducatif, d’autre part
De collecter et d’analyser rapidement des données, au besoin en temps réel, grâce à de simples téléphones ou à des systèmes informatisés plus complexes, afin de détecter les forces et faiblesses du système en place et d’en améliorer la gouvernance et le management. De nombreux outils ont été développés pour ces différents rôles :
3
PNUD 2012 2
Il reste à voir lesquels de ces outils sont utilisables, à court et moyen-long terme, dans le contexte africain.
2 Infrastructures, outils et contenus : levée progressive des freins actuels d’ici 2020 En moyenne, 25% des foyers sont équipés d’un ordinateur dans les pays en voie de développement, et 8% ont une connexion internet. L’Afrique cependant est bien en deçà de ce niveau, avec 8% des foyers équipés d’un ordinateur, et moins de 6% ayant internet chez eux. Seuls 13% de la population ont accès à internet (contre 26% en moyenne dans les pays en développement, et près de 75% dans les pays du Nord). Cela s’explique entre autres par un manque d’infrastructure: en 2011, plus de 15 pays d’Afrique sub-saharienne n’avaient pas encore de réseau 3G (2G uniquement). La pénétration du broadband mobile est également très faible, à 4% (contre 54% en Europe). D’autre part, les utilisateurs africains n’ont à leur disposition que 2 000 bit/s de bande passante par utilisateur… contre 90 000 bit/s pour leurs homologues en Europe.4
4
ITU : The world in 2011, ICT Facts and Figures, 2011. Disponible sur http://www.itu.int/ITUD/ict/facts/2011/material/ICTFactsFigures2011.pdf 3
Cependant le développement des câbles sous marins et de la fibre optique devraient améliorer la connectivité de la quasi totalité du continent dans les 18 mois à venir: le « West Africa Cable System », câble sous-marin reliant l’Afrique du Sud au Royaume Uni le long de la côte ouest, vient juste de commencer à fonctionner; le projet « African Coast to Europe » reliant la France à l’Afrique du Sud et servant 18 pays devrait être terminé fin 2012; le câble « South Atlantic Express », qui lie l’Afrique du Sud à l’Angola et au Brésil offrira à partir de juin 2013 deux fois et demi la capacité des deux câbles mentionnés ci-dessus. Il faudra alors encore connecter à ces ports d’accès les zones Source: Steve Song: manypossibilities.net/african-undersea-cables/ plus reculées : on peut cependant miser sur une bonne connexion du continent d’ici 2020, ce qui donnera à l’Afrique l’accès à des usages plus similaires à ceux du Nord. D’autre part, les prix diminuent rapidement: les abonnements mobiles ont baissé parfois de plus de 10% entre 2010 et 2011, et dans certains pays les minutes de téléphonie se vendaient en juin 2011 de 10 à 60% moins chers que quelques mois auparavant.5 Le prix d’une connexion broadband fixe en Afrique, bien qu’également en baisse, représente toutefois encore plus de 100% du salaire moyen local, contre 1.5% en moyenne dans les pays développés. Les nouvelles capacités mentionnées ci-dessus devraient permettre une baisse des prix de la connexion de 10 à 20%, ainsi qu’une baisse des coûts de connexion mobile.6 Le prix des téléphones est également en baisse rapide: si on leur applique la loi de Moore qui s’est révélée exacte jusqu’ici, ceux ci voient leur prix réduit de 50%, ou leur puissance multipliée par 2 tous les 18 mois. Ce qui au vu des Smartphones actuels de bonne qualité autour de 70€, permet d’imaginer en 2015 ces mêmes produits dans les 30€... Le mobile a par ailleurs une pénétration très rapide, avec 620 millions de connexions mobiles en Afrique en 2011, soit un taux de pénétration supérieur à 50% pour le continent, et qui devrait atteindre 80% en 2015.7 Bien que limitant les contenus utilisables, le téléphone mobile apparaît donc, à court terme, comme l’outil privilégié d’une approche cherchant à toucher les populations les plus pauvres et les plus éloignées des centres urbains.
3 Leçons tirées des projets actuels Il n’existe pas à ce jour de projets utilisant les TIC à grande échelle pour l’éducation en Afrique. Les technologies essayées à l’école n’ont jusqu’ici pas rencontré de succès de masse, et les 5
GSMA: Rapport 2011, Observatoire de la téléphonie mobile en Afrique, Résume Disponible sur: http://www.gsma.com/publicpolicy/wpcontent/uploads/2012/03/africamobileobservatoryfrenchexecutivesummary.pdf 6 Mail & Guardian Online, Broadband price drop expected, 2012, disponible sur http://mg.co.za/article/2012-01-06-broadband-price-drop-expected 7 Pyramid Research: African and Middle East –Telecom Insider: mEdcuation creates virtuous circle to benefit MNOs, handset makers and students alike, 2011 4
spécialistes du sujet font consensus sur le fait qu’on ne sait pas quelles technologies l’emporteront dans les années à venir. Cependant les premiers pilotes et projets effectués dans les pays en voie de développement commencent à porter leurs fruits et permettent de tirer des enseignements importants pour les projets de demain:
Les projets s’insérant dans les usages existants sont adoptés plus facilement par les publics cibles (du fait de technologies déjà connues, ou de modes d’enseignement se conformant aux habitudes, etc), ce qui augmente les chances de succès, et de plus limite les coûts de lancement dans de nouvelles géographies. En outre, les écosystèmes nécessaires à la recharge et maintenance des technologies utilisés sont alors déjà en place; le programme ne s’arrête pas à la première panne, et ne nécessite pas de dépenses supplémentaires pour mettre en place cet écosystème. Cela explique le succès des initiatives de cours individuels respectant ce principe (qu’il soient dédiés à l’enseignant ou à l’élève, et quel que soit le niveau concerné): • Téléphone mobile et radio en zone rurale: BBC Janala au Bangladesh pour des cours d’anglais pour tous par téléphone et radio, touchant plusieurs millions d’utilisateurs ; Momath en Afrique du Sud pour des exerciseurs de mathématiques sur mobile pour des élèves du secondaire, s’appuyant sur une plateforme technologique locale bien en place appelée MXit, maintenant en phase de réplication dans d’autres pays en partenariat avec l’UNESCO ; ou encore IFADEM à Madagascar pour soutenir les enseignants du primaire grâce à une helpline asynchrone accessible à prix réduit depuis un mobile, des quizz SMS ou vocaux, un VPN (réseau privé virtuel) afin que les enseignants et tuteurs puissent s’appeler entre eux gratuitement (coûts du trafic pris en charge par IFADEM), et proposant aussi des livrets sonores MP3 en lien avec les livrets de formation embarqués sur les mobiles, en partenariat avec Orange. • Tablettes ou ordinateurs individuels ou partagés en zone urbaine (où les publics sont exposés à l’informatique par les cybercafés, les publicités, etc) : Formation continue à distance facilitée par l’AUF à travers l’Afrique grâce à des diplômes (licences, masters) dont les cours sont disponibles en ligne, avec plus de 1200 inscrits par an.
Les approches TIC en classe nécessitent, dés le départ, une implication forte des professeurs, avec une écoute de leurs besoins, plutôt qu’une approche « top down ». Cette implication passe notamment par leur formation y compris sur la façon d’adapter leur enseignement à ces nouvelles possibilités, et surtout si elles s’appuient sur de nouvelles technologies (comme le Tableau Blanc Interactif, ou des liseuses électroniques comme Worldreader pour les livres de cours) ou sur de nouveaux usages (branchement du téléphone à la télévision pour faire passer des vidéos téléchargées par le réseau mobile dans le cas de Text2Teach au Philippines, utilisé par plus de 1800 enseignants dans 850 écoles, et répliqué en Tanzanie sous le nom BridgeIT). Equiper les lieux d’enseignements sans cette implication et cette formation des personnels enseignants résulte en une non utilisation des matériels. D’autre part, si le matériel appartient à l’administration, il faut, d’une part, s’assurer qu’il est effectivement utilisé pour les cours, et non uniquement pour un usage privé et, d’autre part, motiver les utilisateurs à en prendre soin et à prendre en charge leur maintenance, même lorsqu’il s’agit d’un matériel public.
Les promoteurs des services proposés (éducation nationale, entreprise privée ou autre) doivent s’assurer que les usagers restent sensibilisés et motivés pour faciliter l’appropriation et garantir l’utilisation à long terme du service, au-delà de l’effet de nouveauté. Cela peut s’obtenir en combinant plusieurs media (IFADEM, BBC Janala etc), chacun renforçant le message du précédent ; et en personnalisant l’accompagnement, par exemple en rappelant par sms automatique le dernier score obtenu à un exercice, la proximité d’un examen ou d’un devoir à rendre, etc Le potentiel des TIC pour l’éducation, la tendance à la baisse des coûts de connexion et communication, la perspective de l’accroissement de la bande passante disponible, et les leçons tirées des projets existants, permettent de dresser le tableau suivant des outils et 5
usages TIC qui pourraient être généralisés à grande échelle en Afrique dans les 5 années à venir:
La mise en place effective des ces moyens à grande échelle, et l’accélération de la dynamique positive d ‘amélioration de l’éducation en Afrique grâce au TIC, pose cependant un certain nombre de questions.
4 Questions clés8 La connectivité étant un pré-requis pour des services d’éducation par les TIC, peut on lier les services d’éducation avec d’autres offres TIC (santé, agriculture, e-administration etc.) motivant l’écosystème à étendre le réseau en zone rurale? Autrement, quelles solutions pourront justifier l’investissement dans le dernier kilomètre d’infrastructure depuis les connections Broadband arrivant dans les capitales jusqu’aux villages reculés? Les nouveaux contenus et outils doivent-ils être compatibles entre eux ? Doit on favoriser l’émergence d’une technologie/ d’un protocole standard, ou faut-il continuer à explorer différentes possibilités ? Comment assurer la maintenance des technologies en question, en particulier en zone rurale ? Comment motiver les enseignants à signaler les pannes, et former les techniciens nécessaires ? Quelle dualité/complémentarité des usages individuels, vecteurs d’appropriation, versus les usages collectifs au sein d’institutions? On observe, en effet, un retard des usages dans les institutions publiques par rapport aux entreprises. Ce retard s’observe-t-il également pour les usages individuels (mobile, tablette etc..) et si non n’est-il pas intéressant de miser autant (sinon davantage) sur les usages individuels que sur les usages au sein de l’institution scolaire?
8
Les questions relatives au modèle économique de ces projets, à l’implication des gouvernements, ou aux partenariats nécessaires, sont volontairement laissées de côté dans cette note. Elles sont traitées dans la note jointe « Modèles économiques, écosystèmes, et partenariats » 6
Comment favoriser l’émergence de contenus locaux, l’appropriation et la motivation des acteurs locaux ? Comment motiver les utilisateurs (élèves et enseignants) pour augmenter les usages des TIC dans l’éducation sur le long terme? Comment mesurer l’adéquation de ces technologies avec les besoins, leurs apports et leur impact réel? Comment savoir si une solution peut-être répliquée ? Quels sont les éléments de contexte clés à prendre en compte pour décider ou non d’une réplication ? Quelles sont les barrières d’adoption locale que les projets peuvent rencontrer, et comment passer outre pour une généralisation à grande échelle ? Le potentiel est énorme mais tous les enfants n’ont pas accès à un mobile, et les filles en particulier ont moins accès à ces équipements que les garçons. Quelles sont les limites de ces types d’approche ? Comment répondre à ces limites et passer outre? Note préparée par Lucie Klarsfeld, HYSTRA Pour en savoir plus : F.Gaudry Perkins et L. Dawes: mLearning, A powerful tool for addressing MDGs, MDG Review, 2012 Disponible sur www.mdg-review.org/index.php/sections/43-ict-and-education-/274-mlearning GSMA: The mobile proposition for éducation, 2012 Disponible sur www.gsma.com/connectedliving/gsma-mobile-proposition-for-education-report GSMA: Mobile éducation landscape report, 2012 Disponible sur www.gsma.com/connectedliving/gsma-mobile-education-landscape-report Remerciements pour leurs avis d’experts à Sidiky Bakayoko, Group Digital Afrique Telecom, Directeur Commercial et Marketing Jean-Claude Balmes, AFD, Division Education Stéphane Boyera, Web Foundation, Responsable des Programmes Lauren Dawes, Development Fund, GSMA, Head of mLearning Florence Gaudry-Perkins, Alcatel Lucent, International Director-Global Government & Public Affairs Paul Landers, Ericsson, Connect To Learn, Program Manager Erwan Le Quentrec, Orange R&D, Manager unité ECR Pierre-Jean Loiret, Agence universitaire de la Francophonie, Directeur de projet adjoint Ronda Zelezny-Green, Development Fund, GSMA, Connected Living team
7