Caractérisation des Classes Moyennes en Côte d’Ivoire Étude réalisée à Abidjan entre janvier et mars 2009
Equipe de recherche - Alain Toh (Université de Cocody – Abidjan) - Souleymane Kouyate (Université de Cocody – Abidjan)
Coordination des travaux de recherches -
Richard Banegas (Université Paris 1 – la Sorbonne)
Coordination générale (photographie – recherche) - Joan Bardeletti (Agence Picturetank)
Sommaire Présentation de l’étude …………………………………………………… 2 Contexte et justification ……………………………………………………. 2 Objectifs ……………………………………………………………………. 2 Méthode adoptée……………………………………………………………. 3 Présentation des équipes ……………………………………………………. 3
Niveau de vie en Côte d’Ivoire..………………………………………… 5 La pauvreté en Côte d’Ivoire : concepts et déterminants …………………. 5 Effets des réformes des institutions de Bretton Woods …………………… 6 Le niveau de vie actuel en Côte d’Ivoire …………………………………. 10
Caractérisation des Classes moyennes ………………………………… 15 Contours de la classe moyenne en Côte d’Ivoire …………………………... 15 Perception qualitative des classes moyennes par elles-mêmes …………….. 16 Compte-rendu d’entretien des personnes interrogées ……………………….19
Classes moyennes et développement ……………………………………20 Rapport à l’éducation ………………………………………………………. 20 Rapport à la santé ……………………………………………………………21 Rapport à l’emploi …………………………………………………………...22 Rapport à la politique ………………………………………………………...24
1
PRESENTATION DE L’ETUDE 1 - Contexte et Justification de l’étude Selon les prévisions de la Banque Mondiale, la population mondiale des classes moyennes est en forte augmentation et devrait atteindre 1 milliard de personnes en 2025. Surtout, à cet horizon, elle devrait être concentrée à 96% dans les pays en voie de développement alors qu’elle est aujourd’hui le symbole du mode de vie occidental.1 Du fait de leur pouvoir économique relatif leur permettant de consommer, de leur niveau d’éducation et de leur potentiel de leader d’opinion politique au niveau local, les classes moyennes occupent une position particulière au sein du pays. Cette population pourrait donc être un des leviers du développement du pays. Le boom démographique de cette population est clairement visible dans des pays comme l’Inde ou la Chine, mais nettement moins en Afrique. Le continent reste t il marge de ce phénomène ou alors l’évolution de ce fait social est-elle sous jacente ? De façon particulière, quelles sont les caractéristiques des classes moyennes en Côte d’Ivoire ? 2 - Objectifs de l’étude Cette étude, limitée à la ville d’Abidjan en Côte d’Ivoire, vise à mieux connaître la perception que les personnes des classes moyennes ont d’elles-mêmes pour caractériser, qualitativement les contours de cette population, au-delà des approches strictement quantitatives passées. Cette étude s’inscrit dans une démarche plus vaste intitulée « Les Classes Moyennes en Afrique » (www.classesmoyennes-afrique.org) qui permettra la réalisation d’études similaires dans d’autres pays africains. La confrontation des résultats obtenus dans les différents pays permettra dans un second temps d’approfondir les éléments les plus pertinents. Enfin, cette approche se veut également une expérimentation de nouveaux modes d’associer recherche et restitution de la recherche via photo, son, et contenu multimédia.
1
« World population in 2025 », Banque Mondiale, Novembre 2007
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3 – Méthode adoptée Notre approche a été essentiellement qualitative et s’est appuyé sur trois (3) techniques, à savoir : - l’exploitation de la documentation pré-existantes: les différentes études ivoiriennes sur le niveau de vie de la population ivoirienne (ENV 2008 ; Document Intérimaire de Stratégie de Réduction de la Pauvreté DSRP-I 2) et les études quantitatives mené sur les classes moyennes (« What is Middle Class about the Middle Classes around the World? » de Abhijit V. Banerjee and E. Duflo ; définition de la classes moyenne par Birdsall, Graham et Pettinato ). - les entretiens semi directifs ; - les récits de vie ; - les représentations photographiques. L’enquête de terrain a reposé sur 11 entretiens avec des personnes appartenant à différents niveaux des classes moyennes. Ces personnes ont été rencontrées sur leur lieu de vie et sur leur lieu de travail. Le panel de personnes retenues présente à dessein des situations très contrastées. De 25 à 63 ans ; tirant leurs revenus d’activités formelle ou informelle, travaillant dans le privé ou comme fonctionnaire ; célibataire ou marié avec une large famille, les personnes rencontrées sont représentatives de la diversité des classes moyennes en Côte d’Ivoire. 4 - Présentation des équipes Recherche : - TOH Alain, Docteur en sociologie du développement, Enseignant-chercheur à l’Institut d’Ethno-Sociologie de l’Université de Cocody à Abidjan (Côte d’Ivoire) ; - KOUYATE Souleymane, Doctorant en Communication à l’Université de Cocody à Abidjan (Côte d’Ivoire). Encadrement et coordination des travaux de recherche : - BANEGAS Richard, responsable du master « Etudes Africaines » à l’université Paris 1 – la Sorbonne. Photographie: 2
Cf. en Annexes l’intégralité du document.
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Coordination générale du projet: - BARDELETTI Joan, photographe, membre de l’agence Picturetank ; fondateur du projet « Les Classes Moyennes en Afrique ».
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I- NIVEAU DE VIE EN COTE D’IVOIRE 1. La pauvreté en Côte d’Ivoire : concept - déterminants 1.1 Le concept de pauvreté La pauvreté est un concept assez complexe dont l’analyse dépend de l’approche utilisée. Dans le cadre de cette étude, nous nous attacherons à une combinaison de deux approches les plus couramment usitées aussi bien au niveau des institutions financières internationales que par les structures d’aide au développement. Il s’agit de l’approche monétaire, qui traduit le bien-être à travers les ressources et donc le revenu, et de l’approche non monétaire, particulièrement l’approche par les besoins de base qui considère qu’un individu doit pouvoir satisfaire certains besoins fondamentaux (éduction, santé, hygiène, eau potable, habitat, etc.) qui sont nécessaires à l’atteinte d’une certaine qualité de vie. 1.2 Les déterminants de la pauvreté en Côte d’Ivoire D’après les informations contenues dans le Document Intérimaire de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP-I)3, les déterminants de la pauvreté sont essentiellement d’ordres économiques, démographiques, culturels, sociaux. Au niveau économique, les déterminants majeurs sont liés à la faiblesse des politiques publiques à assurer les services essentiels de base, au coût élevé des prestations sociales (éducation, santé), à la faiblesse des investissements, à la faiblesse institutionnelle (difficultés d'accès aux institutions juridiques et administratives) et à la mauvaise gouvernance. Au niveau démographique, la pauvreté s'explique par un taux de croissance démographique élevé (3.3% en 2008, nettement supérieur au taux de croissance économique), une forte fécondité, la morbidité et la mortalité infantiles élevées, les migrations internes et externes importantes. Au niveau socio-culturel, la pauvreté est liée aux poids de certaines traditions figées. Quant aux autres déterminants de la pauvreté évoqués dans le DSRP, on distingue les facteurs historiques (esclavage, colonisation, travail forcé,...), naturels (sécheresse, 3
Cf.. le contenu en Annexes
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inondation, érosion,..), technologiques (faible capacité technologique des industries locales). L’on peut retenir de ses travaux que les chocs extérieurs, notamment l'effondrement des cours mondiaux des principaux produits agricoles de la Côte d'Ivoire et la hausse des cours du pétrole ont déclenché la crise économique des années 80. Les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) et la dévaluation du franc CFA qui ont suivi, ont incidemment engendré la détérioration des conditions de vie de milliers de ménages vivant dans le pays. Les effets combinés des facteurs ci-avant cités, ajoutés à ceux du poids de la dette, aux incertitudes politiques, aux mesures d'austérité budgétaire, à la forte migration vers la Côte d'Ivoire et à l'insécurité grandissante ont accentué la pauvreté des ménages. En outre, l'inadéquation entre le faible taux de croissance économique et le taux de croissance démographique explique le déficit social (déséquilibre entre la demande et l'offre des services sociaux) auxquels il faut ajouter les problèmes de répartition équitable des richesses du pays selon les zones et les couches sociales. Ainsi, se manifeste l'appauvrissement des populations.
2. Effets des reformes des Institutions de Brettons Woods Les reformes des Institutions de Bretton Woods sont marquées par l’avènement des programmes dits Programmes d’Ajustement Structurel (P.A.S) menés dans les pays en situation d’impossibilité de faire face à la dette extérieure. En Côte d’Ivoire, ces réformes ont eu des effets importants dans la détérioration des conditions de vie des populations. Dans le cadre de cette étude, le lien entre les PAS et la pauvreté sera étudié au niveau de l’emploi, des salaires, des revenus et des conditions de vie des ménages. 2.1. Effets des P.A.S sur l’Emploi Les Programmes d’Ajustement Structurel contractent les dépenses publiques, la demande intérieure et comportent des mesures structurelles sur le marché de l’emploi qui connaît dès lors de réelles modifications aussi bien dans le domaine public que privé. Les effets sont manifestes dans le secteur de l’emploi, avec pour conséquence :
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• Une réduction de l’offre d’emploi formel En Côte d’Ivoire, l’emploi salarié avait connu une forte progression avec un taux de croissance annuel de 7% entre 1960 et 1980. Durant la décennie 80, la baisse de l’emploi a été de 29% dans les entreprises totalement publiques et de 17% dans les entreprises à capitaux majoritaires publiques. De plus, la dissolution de dix-huit (18) sociétés d’Etat et de six (06) établissements publiques a donné lieu à 10 679 licenciements. Le secteur privé moderne a connu une baisse de 33 000 emplois jusqu’au début des années 1990, dont 13 000 dans le secteur industriel, notamment entre 1993 et 1994 (période de la dévaluation). L’effondrement du salariat d’entreprise avec l’avènement des PAS s’est traduit au total par une perte de 94 000 emplois entre 1980 et 1998. Dans l’administration, 12 000 agents administratifs ont également été licenciés entre 1990 et 1992 et 35 000 en 1994. Certaines activités ont été plus désavantagées que d’autres : l’agriculture, l’énergie, les transports et le BTP (Bâtiment et Travaux Publics). Aujourd’hui en Côte d’Ivoire, les deux tiers (2/3) de la population active sont exclus d’un emploi stable et d’une protection sociale, c'est-à-dire du rapport salarial au sens strict (23% des emplois sont non protégés et irréguliers et 42% sont des emplois indépendants). La question de l’insertion sur le marché du travail devient de plus en plus problématique, tant du point de vue quantitatif (contraction de la demande de travail relativement à la hausse de l’offre de travail) que d’un point de vue qualitatif (précarisation et déqualification). Cette situation, marquée par l’incapacité d’une part de l’Etat à absorber le nombre grandissant de demandeurs d’emplois et d’autre part du secteur privé à assurer efficacement le relais, a conduit à un impact évident qui est l’informalisation de l’emploi. • Une informalisation grandissante de l’emploi
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Le secteur informel se caractérise par plusieurs traits : micro-unités, poids des emplois féminins, précarité des conditions d’activité, importance de l’auto-emploi, absence de protection sociale, d’enregistrement et de financement bancaire. En Côte d’Ivoire, la part de l’emploi informel a doublé entre 1980 et 1995, passant de 12,7% de l’emploi total en 1980 à 24 % en 1992, soit 1 200 000 actifs. La part de l’informel dans le PIB était estimée à 20% en 1995. Secteur informel 30% 25% 20% 15% 10% 5% 0% 1965
1975
1980
1985
1988
1990
1992
Figure 1 : Part de l’emploi informel au sein du PIB ivoirien
En 2008, la part de l’emploi informel est au-dessus des 30%. Ce qui montre qu’il a connu une évolution magistrale qui serait consécutive aux effets de la crise économique et sociale en Côte d’Ivoire. La main d’œuvre salariée y est de plus en plus remplacée par une main d’œuvre peu rémunérée, voire gratuite, mise au travail à travers des liens familiers de dépendance et garantissant la formation d’une rente de travail ou d’une rente d’apprentissage. Dans ce contexte, la pluriactivité se généralise en suivant soit la logique de survie (pluriactivité domestique), soit des logiques d’accumulation extensive (pluriactivité de micro entreprise). La pluriactivité et l’accroissement du travail gratuit s’inscrivent ainsi dans des logiques d’externalisation des coûts et des transferts intergroupes, répondant à des comportements sécuritaires ou du court terme et éloignés des logiques d’accumulation productive et d’investissement en capital humain. On peut alors considérer qu’à l’intérieur du secteur informel, dans un contexte d’ajustement, ce sont les activités les plus marginales, les moins dépendantes d’intrants importés et d’une demande liée au salariat qui sont bénéficiaires. Comme on le voit, l’informel ne constitue certes pas un modèle alternatif de développement industriel et de nombreux facteurs limitent les progrès de productivité et la possibilité de transformation en 8
unités plus productives. Il a toutefois joué le principal rôle de relais et de régulation de la crise économique et sociale liés aux questions d’emploi dans un contexte d’ajustement. 2.2 Effets des PAS sur les revenus et les salaires Les PAS ont eu également des effets considérables sur les revenus et les salaires réduisant ainsi le pouvoir d’achat des populations. Dans le secteur public, où la baisse des salaires a été plus prononcée que dans le secteur privé, elle a pu atteindre 50 à 100% et s’est accompagnée d’une baisse des avantages en nature et des primes. La baisse du salaire réel moyen de l’ensemble des travailleurs a baissé de 29.6% sur la décennie 80 et celle des jeunes nouvellement recrutés de 45.2%. Cette chute des salaires a conduit à une baisse de la productivité de travail, notamment dans le secteur public. Dans l’ensemble, les PAS ont eu des effets certains sur l’évolution de la pauvreté en Côte d’Ivoire. Selon l’Institut National de la Statistique, le seuil de pauvreté relative correspondait à 75 000 FCFA en 1985 par an et par tête, à 101340 FCFA en 1993, à 144 800 FCFA en 1995 et à 162 800 FCFA en 1998. De même, le seuil d’extrême pauvreté est passé de 63 375 francs en 1993 à 86 760 francs et 95 700 francs en 1995 et 1998 respectivement. L’analyse de l’incidence ou ratio de pauvreté, sur la base des seuils fixés, montre que ce phénomène de portée nationale connaît une hausse importante entre 1993 et 1998 (période associée à la dévaluation du Francs CFA). 40% 36,80%
35%
33,60%
32,30%
30% 25% 20% 15% 10%
10%
5% 0% 1985
1993
1905
1998
Figure 2 : Evolution de l’indice de pauvreté
L’indice de pauvreté (pourcentage de la population sous le seuil de pauvreté nationel) qui était de 10% en 1985 est passé à 32,3% en 1993, puis à 36,8% en 1995 pour 9
s'établir à 33,6% en 1998 ; ce qui montre une certaine évolution du profil de pauvreté. L’Indicateur de Pauvreté Humaine (IPH) qui s’attache aux déficits rencontrés dans trois domaines essentiels de l’existence humaine (durée de vie, niveau d’instruction et condition de vie) montre que pour la période 1990-1995, environ 43% de la population ivoirienne est affectée par les différentes formes de pauvreté, le taux d’alphabétisation des femmes est très faible 32% contre 57% pour les hommes et dans bien des cas l’accès aux services sociaux de base est problématique pour près du tiers de la population. Ces indicateurs traduisent, pour la Côte d’Ivoire, que les PAS ont eu des conséquences économiques néfastes, notamment la précarité des conditions de vie de larges couches de la population, et montré le retard à rattraper en matière de revenus monétaires et de niveau de couverture de services de base.
3. Le niveau de vie actuel en Côte d’Ivoire Selon l’Enquête de Niveau de Vie (ENV 2008), la pauvreté, après avoir augmenté de 10% à 33,6% entre 1985 et 1998 du fait des PAS, poursuit sa hausse et atteint 48,9% en 2008 en raison des crises politiques et militaires successives depuis 1999. Elle a été mesurée à travers sa dimension monétaire qui s’appuie sur l’indicateur de bien-être et le seuil de pauvreté, dépassant ainsi les revenus formels. Cette mesure a permis d’identifier comme pauvre en 2008, toute personne qui a une dépense de consommation inférieure à 661 FCFA par jour, soit 241 145 FCFA par an. Aujourd’hui, une personne sur deux (1 sur 2) est pauvre contre une personne sur dix (1 sur 10) en 1985, et le nombre de pauvres a été multiplié par 10 en l’espace d’une génération. En outre, la pauvreté est plus accentuée en milieu rural qu’en milieu urbain. Le taux de pauvreté est passé en milieu rural de 15% en 1985 à 49% en 2002 puis à 62,45% en 2008. En milieu urbain, la pauvreté est passée de 5% en 1985 à 24,5% et 29,45% sur la même période. La progression de la pauvreté en 2008 est moins importante dans la ville d’Abidjan, avec 21%, alors que dans le reste du pays, la moyenne est autour de 57%.
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La pauvreté s’est fortement accrue au niveau des zones de développement et diffère d’une zone à une autre. En 2008, huit (8) zones de développement sur dix ont un taux de pauvreté supérieur à 50% contre quatre (4) en 2002. Parmi ces zones, celle du Nord est la plus touchée par le phénomène de pauvreté avec près de 4 pauvres sur 5 personnes en 2008, soit près de 80% de pauvres. Cette zone est suivie par celle de l’Ouest (63,2%), du Centre-Ouest (62,9%), du Nord-Ouest (57,9%), du Centre-Nord (57,0%) et du Nord-Est (54,7%). Bien qu’ayant des taux de pauvreté élevés, les deux zones les plus pauvres en 2002, Ouest et Nord-Est, ont enregistré en 2008 une légère baisse de 1,3 et 1,9 point respectivement, grâce aux couloirs humanitaires et économiques. Le tableau qui suit traduit clairement la situation de pauvreté par zone de développement et par milieu en Côte d’Ivoire. Tableau 1: Taux de pauvreté et contribution à la pauvreté par zone de développement et par milieu En 2008 Pôle de
Ratio de pauvreté (en%)
Contribution à la pauvreté (en%)
développement
Rural
Urbain
Total
Rural
Urbain
Total
Centre-Nord
66,3
47,4
57
5,9
12,5
7,5
Centre-Ouest
70,7
40
62,9
18,9
11,1
17
Nord-Est
59,2
25,9
54,7
6,8
1,4
5,4
Nord
85,1
53,5
77,3
11,1
7
10,1
Ouest
67,8
48,1
63,2
11,5
7,7
10,6
Sud
50,9
25,1
44,6
16
7,8
14
Sud-Ouest
49,6
26,6
45,5
10,4
3,7
8,8
Centre
65,7
35,6
56
10,1
7,9
9,6
Centre-Est
63,1
29,8
53,7
2,7
1,5
2,4
Nord-Ouest
60,4
45,8
57,9
6,6
3,3
5,8
Abidjan
-
21
21
-
36,1
8,9
Ensemble CI
62,5
29,5
48,9
100
100
100
Source : ENV-2008
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Ce tableau montre que les pauvres ne sont pas massés dans une région en particulier, mais ils sont repartis dans tout le pays. Le Nord détient le record de la zone la plus pauvre de la Côte d’Ivoire avec 77,3% contre 21% à Abidjan et une moyenne de 55% sur l’ensemble des autres zones. En réalité, même si le taux de pauvreté est aujourd’hui très élevé dans le Nord, il est à remarquer que cette zone connaît ce phénomène depuis bien longtemps, du fait de la conjugaison de plusieurs facteurs socio-économiques et culturels: conditions naturelles moins favorables, insuffisances et/ou état défectueux des infrastructures socioéconomiques (routes, eau, santé, etc.), l’analphabétisme dû à la scolarisation, contraintes culturelles, etc. La crise de 2002 et son corollaire de destruction des infrastructures socio-économiques et sanitaires ont enfoncé la zone dans une situation d’extrême pauvreté. Elle se situe en pole position dans la catégorie des zones les moins nanties avec un revenu journalier moyen d’environ un dollar US. Les zones du Centre-ouest et de l’Ouest sont les plus touchées par la pauvreté après celle du Nord. Si elles n’occupaient pas ce rang avant la crise, ces deux zones sont aujourd’hui frappées par une pauvreté créée par la guerre dont les conséquences sont multiples : déplacements massifs de population et accueil des réfugiés, destruction et pression sociale sur les infrastructures, etc. Tableau 2 : Répartition du revenu annuel par décile Décile
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Ensemble CI
Revenu annuel moyen par tête en FCFA 2002 77 947 128 529 168 076 208 376 255 048 313 430 389 117 506 684 719 341 1 846 614 461 243
2008 74 428 121 528 156 155 189 178 226 375 270 346 327 177 401 495 537 785 1 123 646 342 730
Part du revenu en pourcentage 2002 1.7% 2.8% 3.6% 4.5% 5.5% 6.8% 8.4% 11.0% 15.6% 40.0% 100%
2008 2.2% 3.6% 4.6% 5.5% 6.6% 7.9% 9.5% 11.7% 15.7% 32.8% 100%
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Source : INS-ENV2008
À propos de la répartition des revenus, elle est fort inégalitaire à l’instar d’autres pays africains. Globalement, l’économie ivoirienne a presque stagné entre 2002 et 2008, alors même que le pays continuait de croître démographiquement à un taux voisin de 3% ; ce qui fait que le revenu réel moyen a plutôt évolué négativement dans la période récente, et cette baisse est d’autant plus importante que le revenu du ménage est élevé. Ainsi, les 10% plus riches de la population possédaient en 2002 40% des revenus totaux contre 33% en 2008. La légère redistribution des revenus relatifs ne peut pas masquer le fort effet négatif de la baisse du revenu moyen sur la pauvreté qui a augmenté de 10 points de pourcentage entre 2002 et 2008. En 2002, les personnes disposant au plus de $2/jour, seuil international de pauvreté, soit environ 365 000 FCFA de revenu annuel, constituaient 66% de la population et concentraient 30,5% des revenus du pays. En 2008, ces personnes représentent 75% de la population globale avec 45,7% des revenus du pays. Par ailleurs, la distribution des revenus annuels moyens par tête fait ressortir des disparités. La ville d’Abidjan se distingue nettement du reste du pays. En effet, le revenu annuel par tête y est de 1,6 à 2,9 fois supérieur à celui des autres zones de développement. La comparaison du revenu moyen par tête au niveau national permet de constater que seule la catégorie constituée des deux zones débouchant sur le littoral (le Sud-Ouest et le Sud y compris la ville d’Abidjan) a un revenu annuel moyen par tête plus élevé, variant de 334 147 FCFA à 561 575 FCFA, soit de 915,5 à 1538,6 FCFA par jour, c'est-à-dire entre $ 1,83 et $3,08 US / jour / tête. De plus, le revenu annuel moyen par tête en milieu rural des deux zones de développement les moins pauvres (le Sud et le Sud-Ouest) est supérieur au revenu annuel moyen par tête du milieu urbain du pôle de développement Nord (le plus pauvre du pays).
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Dans chaque zone de développement, le revenu annuel moyen par tête du milieu urbain est largement supérieur à celui du milieu rural. Le rapport entre les deux milieux varie de 1,26 dans le Nord-Ouest à 1,91 dans le Nord ; ce qui traduit une forte disparité au Nord telle qu’indiquée dans le tableau ci-dessous. Tableau 3 : Revenu annuel par milieu de résidence selon le pôle de développement Pôle de développement
Revenu annuel moyen par tête en FCFA
Rapport revenu moyen en milieu urbain/revenu
Urbain
Rural
Ensemble
moyen en milieu rural
Centre-Nord
341 985
223 211
281 660
1.53
Centre-Ouest
336 245
211 649
243 236
1.59
Nord-Est
454 147
278 544
301 966
1.63
Nord
299 275
156 302
191 540
1.91
Ouest
313 918
238 438
256 319
1.32
Sud
425 622
304 734
334 147
1.40
Sud-Ouest
470 152
322 168
348 247
1.46
Centre
373 504
246 122
287 080
1.52
Centre-Est
402 295
244 741
289 126
1.64
Nord-Ouest
342 719
271 895
284 393
1.26
CI hors Abidjan
370 596
256 538
342 730
1.44
Abidjan
561 575
-
561 575
-
Ensemble CI
467 080
256 538
342 730
1.82
Source : INS-ENV2008
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II- CARACTERISATION DES CLASSES MOYENNES 1. Contours de la classe moyenne en Côte d’Ivoire L’utilisation de la notion de classe moyenne n’est pas neutre et implique une certaine lecture de la réalité sociale spécifique à la Côte d’Ivoire. Ainsi, nous avons défini les classes moyennes en optant pour le choix de l’approche économique et le niveau de revenu. Plus qu’une classe en tant que telle, les classes moyennes désignent les individus, les ménages ou les groupes sociaux qui n’appartiennent ni aux couches les plus pauvres, ni aux classes « supérieures ». Elles se situeraient donc « entre » les deux. Se pose donc la question de la fourchette de revenus à considérer afin de délimiter les contours de ces classes moyennes. - Dans leur étude quantitative portant sur différents pays en voie de développement, Banerjee A. et E. Duflo (2007)4, indiquent qu’ils considèrent les personnes de la classe moyenne comme celles dont la consommation quotidienne par personne est comprise entre 2 et 10 dollars US, c'est-à-dire entre 1 000 à 5 000 f CFA par jour et par tête. - Easterly (2001) propose de définir la classe moyenne comme la population comprise entre le second et le huitième décile dans la distribution de consommation. Si on considère que la distribution de revenu est une approximation de la distribution de consommation, valable surtout pour des revenus faibles limitant les capacités d’épargne, alors l’ENV nous indique que selon la définition proposée ci-dessus les classes moyennes auraient des revenus compris entre $0,66/tête/jour et $2,1/tête/jour. Il paraît difficile de concevoir que la quasi intégralité des classes moyennes aient des revenus sous le seuil international de pauvreté. - Birdsall, Gaham et Pettinato (2000) définissent quant à eux les classes moyennes comme la population dont le revenu est compris entre 75 et 125% du revenu médian. En Côte d’Ivoire, l’Enquête sur le Niveau de Vie (ENV) 2008 indique que toute personne qui a une dépense de consommation inférieure à 661 FCFA (environ $1,32 4
Abhijit V. Banerjee and E. Duflo: What is Middle Class about the Middle Classes around the World? Bread Working Paper n°163, Bureau for Research and Economic Analysis of Development, December 2007.
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US) par jour est considérée comme étant pauvre. Par ailleurs, l’ENV 2008 montre que le revenu médian est de 226 375 f CFA, soit 620 f CFA ($1,24 US) par jour. On note d’ailleurs que ce revenu médian se situe sous le seuil de pauvreté national. 75% du revenu médian est $0,93/jour et 125% représente $1,55/jour. Là aussi, il paraît difficile de considérer qu’une personne gagnant $1,6/jour puisse être considérée comme riche, car ayant des revenus au-delà de ceux de la classe moyenne. Une définition plus spécifique à la Côte d’Ivoire nous paraissait donc nécessaire. Sur la base des entretiens menés à Abidjan dans le cadre de cette étude5 et la connaissance de la réalité socioéconomique ivoirienne des chercheurs ayant mené l’étude, il semble qu’une famille fait partie de la classe moyenne lorsque le revenu du chef de famille est compris entre 210 000 et 1 200 000 f CFA/mois (soit entre 7 000 et 40 000 f CFA/jour, ou $14 et $80/jour) en considérant que ce revenu est le seul dont dispose la famille. Sur la base de l’ENV 2008, on sait que la taille moyenne des ménages est de 9 personnes en Côte d’Ivoire (elle était de sept (7) personnes à charge en 1998 (INS1998) et elle a augmenté drastiquement du fait de la crise politico-militaire qui a conduit de nombreuses personnes à se réfugier à Abidjan). Il faut donc répartir le revenu du chef de famille sur l’ensemble des membres de la famille, ce qui nous conduit à penser que les revenus des personnes des classes moyennes sont donc compris entre $1,55/jour/tête et $8,88/jour/tête , soit entre 282 000 f CFA/an/tête et 1 600 000/an/tête. Au regard de la répartition des revenus ivoiriens par déciles, la classe moyenne représente 33% de la population totale en 2008 pour 40% des revenus totaux, contre 41% de la population pour 58,7% des revenus en 2002. Même si elles n’ont pas été touchées plus que d’autres couches, les classes moyennes ont été tout de même impactées par la chute de l’économie nationale dans la mesure où les classes moyennes basses sont tombées dans la pauvreté. 2. Perception qualitative des classes moyennes par elles-mêmes 5
Entretiens réalisés par TOH Alain et KOUYATE Souleymane de Décembre 2008 à Février 2009 dans le cadre d’une étude sur « les classes moyennes en Côte d’Ivoire »
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Des enquêtes menées à Abidjan, il ressort que la perception de la classe moyenne est liée à des indicateurs socio-économiques qui sont : -
la possibilité de subvenir aux besoins nutritionnels de sa famille : offrir les 3 repas par jour aux membres du ménage ;
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le lieu d’habitation : habiter un logement décent, non précaire, mais pas extravagant ;
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l’équipement du domicile : bénéficier d’un minimum d’équipement tel que TV, radio, télévision, ventilateur, …
Surtout les personnes des classes moyennes basses se définissent comme tel en référence aux personnes pauvres ou plus pauvres qu’elles. La pauvreté c’est mendier. Ne pas être obligé de le faire, c’est déjà faire partie des classes moyennes. Pour les personnes des classes moyennes supérieures, la référence sont les personnes riches : elles font partie des classes moyennes car elles ne disposent pas de moyens extravagants ( villa, études à l’étranger pour les enfants, ….) Pour la plupart des classes moyennes les revenus sont récurrents, l’emploi est stable, mais leur situation globale reste tout de même précaire : leur activité est soumise à une forte concurrence car souvent à faible valeur ajoutée, ils subissent l’influence de groupes de pression local (sorte de mafias) qui peuvent mettre en péril leur activité, … Plus de stabilité dans leur activité et leur revenu reste donc un objectif. Cet objectif peut être atteint en obtenant un emploi de fonctionnaire qui ne constitue pas une fin en soi mais plutôt une base de revenus sure à partir de laquelle développer avec plus de sérénité des activités privées et assumer les responsabilités familiales. Vivant généralement dans des logements de 2 à 3 pièces dont les loyers se situent entre 25 à 100 000 f CFA mensuels dans les quartiers populaires d’Abidjan (Koumassi, Yopougon, Adjamé, Abobo, …), et beaucoup plus dans les quartiers chics comme Cocody, les personnes appartenant à la classe moyenne ivoirienne prennent en charge entre 4 et 8 personnes. Pour les plus aisés, ce chiffre peut aller jusqu’à 30. La plupart de ces personnes vivent sous le même toit et lorsque ce n’est pas le cas, ce sont des parents restés au village.
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Pour ces enquêtés, vivre dans ces conditions semble normal au regard de l’environnement culturel africain. Pour faire face à des contraintes plus en plus grandes, les classes moyennes ont des projets de micro-activités (agrandissement ou ouverture d’entreprises) qu’elles trouvent rentables au regard des opportunités qu’offre le marché économique ivoirien. Par manque d’infrastructures au niveau national (communication, juridique, légale, …) et par manque de moyens financier, ces structures ne constituent pas réellement un tissu économique mais plutôt une myriads économique palliatives à la crise. On note cependant chez les enquêtés une démarche d’homme ou de femmes d’affaires qui considèrent que l’état n’est plus en mesure d’être pourvoyeur d’emploi comme par le passé et que les emplois sont à créer par eux même. Ils considèrent en cela la Côte d’Ivoire comme un espace d’opportunités, notamment car ils souhaitent valoriser leurs diplômes dans leur pays plutôt que d’émigrer et d’en tirer aucun fruit. On note cependant chez les enquêtés non-fonctionnaires le vœu d’exercer à la fonction publique. Pour la majorité des enquêtés, même si la fonction publique permet d’obtenir un emploi stable, elle n’est pas systématiquement synonyme d’appartenance à la classe moyenne, abstraction faite à l’administration financière où des primes régulières sont versées aux agents. En effet, tout fonctionnaire limité uniquement à ses activités professionnelles officielles ne peut faire partie de la classe moyenne (le salaire d’un fonctionnaire débutant est d’environ 150 000 fCFA mensuel, soit $300, et les niveaux de salaires n’ont pas été revalorisé depuis plus de 10 ans). Les fonctionnaires de la classe moyenne sont donc ceux qui réalisent ou exercent d’autres activités. C’est par exemple cette situation qui amène les enseignants du public à dispenser des cours dans les établissements privés à la recherche de revenus additionnels. Cette analyse montre que l’environnement socio-économique ivoirien a engendré de nouveaux profils des personnes des classes moyennes. D’après les personnes rencontrées, si les profils traditionnels étaient les fonctionnaires en général, les corps
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habillés, les cadres des entreprises privées, etc., ces profils ont aujourd’hui évolué, voire sont dépassés face à la hausse du coût de la vie. Les nouveaux profils sont en grande partie les responsables de petites ou moyennes structures informelles liés aux telecommunications (cybercafé, centre de traitement informatique, centres d’appels et de vente de cartes téléphoniques, débits de boissons, etc.), les fonctionnaires exerçants des activités secondaires (cours à domicile, dans des écoles privées, …), les cadres travaillant pour des ONG internationales ou ayant crée leur ONG locale… 3. Compte-rendu d’entretien des personnes interrogées Voir en Annexes.
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III- CLASSES MOYENNES ET DEVELOPPEMENT 1. Rapport à l’éducation La grande majorité des classes moyennes ont un assez haut niveau d’éducation à l’échelle du pays (au moins au niveau du baccalauréat). Ceux pour qui ce n’est pas le cas appartiennent aux franges les plus modestes des classes moyennes (ou alors, exception, ils ont réussi grâce à leur charisme et leurs relations). La bourse d’étude octroyée à l’entrée à l’université (d’environ $1 000) est bien souvent investie et constitue donc un tremplin vers la création de la première activité et l’entrée au sein des classes moyennes. Un haut niveau d’éducation procure donc un bagage intellectuel nécessaire à la création d’activité mais également l’apport financier indispensable. Les personnes des classes moyennes proviennent le plus souvent de milieux modestes, ruraux, avec des parents petits fonctionnaires ou agriculteurs aisés pour lesquels la scolarisation avait une importance particulière puisqu’ils consentaient à la financer. Les enfants des personnes appartenant aux classes moyennes sont scolarisés, dans des établissements publics pour la plupart et dans des établissements privés pour les plus riches. Le nombre d’enfant par famille est réduit par rapport à la moyenne nationale (au niveau national : neuf enfants par famille en moyenne, ; pour les classes moyennes, le nombre serait plus de l’ordre de trois) ce qui permet une meilleure scolarisation. L’école est une valeur importante. Cependant la plupart des personnes rencontrées avaient seulement des enfants jeunes ou adolescents. Il n’est pas certain que les familles des classes moyennes qui n’appartiennent pas aux couches supérieures soient en mesure de financer intégralement des études supérieures à leurs enfants. Il est tout à fait possible que le même scénario se joue à nouveau pour la génération suivante : financement des études par la création de micro activités en y investissant les bourses d’études.
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Une étude élargie, plus approfondie et spécifique sur cette thématique, permettrait de mieux connaître les montants investis dans l’éducation des enfants ainsi que la forme que prend cette éducation. 2. Rapport à la Santé Le système de santé en Côte d’Ivoire est peu performant. En 2007, le dispositif d’offre de santé dans le public en matière d’infrastructure se composait de 1 591 établissement sanitaires de premiers contacts dont 27 CSUCOM (Centre de santé urbain à base communautaire), 77 établissements sanitaire de 1ère référence et 09 établissements sanitaires de 2ème référence dont 4 CHU (Centre hospitalier universitaire) et 05 instituts nationaux spécialisés. Il y a un médecin pour 5 695 habitants, un infirmier pour 2 331 habitants, une sage-femme pour 3 717 femmes en âge de procréer. Au niveau de l’accessibilité, le niveau de fréquentation des services de santé publics par les populations (21%) reste faible (DSRP 2009). L’itinéraire thérapeutique des populations est fonction des classes sociales. En Côte d’Ivoire, un constat s’impose : au niveau de la prévention, les classes moyennes développent les mêmes comportement de santé que les pauvres : ils ne se soignent que quand ils sont malades et n’utilisent aucun moyen de prévention, pas de bilan de santé. Leur budget santé paraît donc consacré à soigner plutôt qu’à prévenir la maladie. Une partie de la population des classes moyennes dispose d’une couverture de risques médicaux auprès de compagnies d’assurance, essentiellement les fonctionnaires. La Caisse Générale de Retraite des Agents de l’Etat (CGRAE), la Mutuelle Générale des Fonctionnaires et Agents de l’Etat de Côte d’Ivoire (MUGEF-CI) pour les travailleurs du secteur public, le Fonds de Prévoyance Militaire (FPM) et le Fonds de Prévoyance de la Police Nationale (FPPN) pour les FDS sont autant d’organes censés assurer un filet de protection médicale. Les cotisations s’élèvent en général à 3% du salaire des fonctionnaires. Cependant, ces dispositifs ne couvrent qu’une petite partie des prestations médicales., si elles sont réalisées par des structures publiques, souvent débordés et manquant de moyens humains, techniques et financiers. La couverture d’autres prestations est 21
optionnelle et payante. Rares sont les personnes rencontrées qui souscrivent à ces options. Lorsque des interventions médicales importantes sont nécessaires, les personnes des classes moyennes recours à la solidarité communautaire pour réunir la somme nécessaire dépassant bien souvent leur capacité de financement. Les pauvres ou les franges les plus modestes des classes moyennes ne vont à l’hôpital qu’après avoir épuisé les soins informels (soins traditionnels, recours à des guerisseurs, ou achat de médicaments prohibés à Adjamé où se trouvent de véritables pharmacies à ciel ouvert). Il pourrait être pertinent dans une seconde partie de l’étude d’interroger les personnes sur les maladies qu’elles préfèrent ne pas soigner, celles pour lesquelles elles consultent les structures publiques avec des prestations inclues dans leur couverture médicale, et celles pour lesquelles elles décident de consacrer un budget spécifique. 3. Rapport à l’Emploi La politique de l’emploi en Côte d’Ivoire a été influencée par les différentes phases de l’évolution économique du pays. En effet, les deux premières décennies après l’indépendance ont été caractérisées par une croissance économique soutenue, bénéfique pour l’emploi moderne. La seconde phase, marquée par la récession économique et la mise en oeuvre des Programmes d’Ajustement Structurel de 1980 à 1993, a enregistré des licenciements massifs. Pour juguler les effets des PAS, l’Etat a mis en place un plan national de l’emploi en 1991 révisé en 1995, qui s’appuie sur la plateforme AGEPE-AGEFOP-FDFP-FNS. Malgré la mise en oeuvre des deux plans nationaux de l’emploi, la situation de l’emploi ne s’est pas améliorée. Elle s’est même détériorée avec les différentes crises qu’a connues le pays. Les structures publiques ou privées, pourvoyeuses d’emplois salariés, ne peuvent absorber qu’une proportion relativement faible de la population en âge de travailler. En outre, les perspectives d’emploi de la jeunesse sont assez insuffisantes, qu’elle soit diplômée de l’enseignement supérieur ou sans qualification. En effet selon les statistiques de la CNPS, sur 26.000 entreprises déclarées avec 550.000 emplois avant 22
la crise de 2002, le pays ne comptait plus que 13.124 entreprises en 2006 pour moins de 300.000 emplois, soit une baisse de l’offre de 44% des emplois du secteur privé moderne au cours de la période 2002-2006. Dans le même temps, seul un départ à la retraite sur dix est aujourd’hui remplacé dans la fonction publique. Les statistiques officielles (issues de l’ENV2008) indiquent que le taux brut d’activité est de 50,2% en 2008 et que le taux net d’activité des 15-59 ans s’établit à 80,1% en 2008. Il est cependant nécessaire de pondérer ces données. En effet, seul 18,7% des emplois sont occupés par des salariés, près de la moitié (48,8%) sont des travailleurs indépendants (pour la plupart des micro-entreprises informelles) et enfin 31,6% de ses emplois sont tenus par des travailleurs non rémunérés. Surtout 68,7% des emplois sont sans contrat. Le secteur informel est dynamique en situation de crise et concerne tant l’agriculture, les services que l'industrie. Il occupait 4.107.595 personnes en 2002 (soit près d’un quart de la population) contre 1.698.300 personnes en 1995, soit une augmentation de 142% en 7 ans. Les personnes en situation de sous-emploi représentent 23,8% de la population totale occupée et se décomposent en 18,6% pour la population masculine et 30,9% pour la population féminine. L’emploi à durée indéterminée s’est dégradé depuis 2006. En effet, sa contribution à l’emploi total est seulement de 14,8% (16,8% pour les adultes et 12,7% pour les jeunes). Le secteur informel reste dynamique et concerne tant l’agriculture, les services que l'industrie. Il occupait 4.107.595 personnes en 2002, contre 1.698.300 personnes en 1995, soit une augmentation de 142% en 7 ans. Quant aux diplômés des différents cycles d’enseignement, ils sont confrontés à des difficultés d’insertion professionnelle. En effet, selon l’Observatoire de l’Emploi de l’AGEPE, le taux de chômage des diplômés en 2002 était de 13% au niveau national. Il était relativement élevé pour les titulaires du BAC (27%), de la Maîtrise (25%) et du 23
CEPE (22%). Pour ceux de la Licence et du BEPC ces taux étaient respectivement de 19% et de 16%. De même, dans l’enseignement technique et la formation professionnelle, ces taux sont relativement élevés pour les titulaires du BEP (53%) et du BTS (42%). Pour ceux du BT et du CAP, ces taux s’établissaient à 12,5% et 12,7%. Toutes ces informations dressent l’état de l’emploi en Côte d’Ivoire. De plus, une très forte pression s’exerce sur les revenus générés par ces emplois. Cette pression est due à la hausse du coût des matières premières (par exemple, augmentation de 300% du prix d’un sac de riz en 3 ans ; augmentation de 25% du coût du transport directement indexé sur le prix du baril,de pétrole). La pression sur les revenus engendre ce qu’Alain Marie appelle «la précarisation des solidarités communautaires», qui prend forme à travers une individualisation ou une nucléarisation des ménages essentiellement autour de la chose alimentaire. Dans les milieux pauvres, particulièrement à Abidjan, la tendance est à la mise en commun des faibles ressources pour affronter les incertitudes alimentaires. Pour les classes moyennes en revanche, l’expression collective des difficultés à joindre les deux bouts et l’idée socialement de plus en plus partagée du «poids de plus en plus insupportable de la famille» tendent à modifier les règles de solidarité. L’état critique dans lequel se trouve le pays semble aussi avoir renforcé l’esprit d’entreprise des plus jeunes en détruisant leurs dernières illusions sur l’état providence. Nombreux sont ceux qui voient aujourd’hui la fonction publique comme un tremplin financier plutôt que comme un aboutissement : après avoir touché leur « rappel » (1ère année de salaire versée en une fois) ou au bout de quelques années d’économie, ils montent une activité parallèle informelle, un « gombo » ou même ils démissionnent et créent leur propre emploi. L’objectif est en tous les cas de stabiliser ses revenus et sa situation, pour bâtir une vie plus sereine.
4. Rapport à la Politique Eprouvée par six années de crise, la Côte d’Ivoire a été fragilisée par une rupture de la cohésion sociale, une insécurité grandissante, un ralentissement du développement
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économique, un chômage massif des jeunes, une expansion de la mauvaise gouvernance et par voie de conséquence une détérioration grave de l’image du Politique en Côte d’Ivoire Ainsi, à la question de savoir qui sont les riches en Côte d’Ivoire, toutes les personnes rencontrées indiquaient que ce sont tout d’abord les politiciens. Selon eux, la politique est le moyen le plus sûr pour accéder à la richesse, à l’opulence. La politique rime avec la corruption, la surfacturation, les détournements, en un mot l’enrichissement illicite. Alors que le fait politique est au cœur de l’actualité nationale depuis de nombreuses années, les classes moyennes à leur niveau paraissent peu impliquées dans la politique. Elles estiment en effet qu’elles ont plus à perdre qu’à gagner à s’impliquer au delà d’une simple adhésion de circonstance à un parti. Leur temps est monopolisé par le fonctionnement de leur activité, souvent peu rentable et donc très chronophage. L’implication politique forte paraît être plus le fait de personnes issues de milieux pauvres qui voit en l’engagement politique une façon de grimper l’échelle sociale. La FESCI, le tout puissant syndicat étudiant qui règne sur le campus et les résidences universitaires, est passé au fil des années d’une force d’opposition au parti unique à une quasi mafia économique générant des revenus conséquents pour ses membres. Les chefs locaux, souvent avec une inscription universitaire de façade, imposent leur loi aux micro-entrepreneurs des classes moyennes ayant crée des activités sur leur territoire d’influence. Les lieux informels où s’exerce le politique sont surtout fréquentés par les franges les plus pauvres de la population. Ainsi les « parlements », des espaces publics ouverts à tous pour le débat politique et auxquels participait les classes moyennes il y a quelques années, sont aujourd’hui essentiellement fréquentés par les plus pauvres avec des intervenants issus exclusivement des cercles du pouvoir en place. Concernant l’émigration, la position des classes moyennes est contrastée. Les franges les plus modestes des classes moyennes, souvent avec un faible niveau d’étude, y voit 25
un eldorado.; Sensation confortée par le fait que bien souvent un membre de la famille y vivent et a investi à Abidjan, dans la construction d’une maison par exemple. Le reste des classes moyennes, et en particulier celles diplômés, ne sont pas tenté par l’exil. En effet, ils souhaitent valoriser leur niveau d’étude et sont conscients qu’il sera difficile de le faire à l’étranger. L’émigration est dans ce cas envisagé dans le cadre de la poursuite d’étude à l’étranger Enfin, pour ceux déjà bien installés ou avec un important esprit d’entreprise, la Côte d’Ivoire est vu comme un terrain permettant toutes les audaces et donc il n’est pas question d’émigrer vers des terres ou le business sera plus difficile.
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